Automutilations à l’adolescence L. Gicquel, M. Corcos, B. Richard, J.-D. Guelfi

Automutilations à l’adolescence
L. Gicquel, M. Corcos, B. Richard, J.-D. Guelfi
À la différence de la langue anglo-saxonne qui dispose d’une assez large palette sémantique pour décliner
par différents termes le fait de se faire mal volontairement, le mot francophone le plus usité est celui
d’automutilation. Ce comportement, qui concerne en moyenne de1à4%delapopulation générale,
constitue une réalité grandissante au sein de la population adolescente. L’adolescente automutilatrice qui
se coupe les avant-bras avec un rasoir en constitue l’archétype. Les coupures, principal type
d’automutilations impulsives, coexistent en outre fréquemment avec les automutilations compulsives,
dominées par les écorchures. Ces deux variétés de comportement autoagressifs constituent le sous-
groupe des automutilations superficielles/modérées, caractéristiques des passages à l’acte à
l’adolescence. Différentes tentatives de classification posent la question du déterminisme du
comportement automutilateur par opposition à son intégration à la psychopathologie du trouble
principal. La classification de Favazza, dont sont issues les variétés d’automutilations précédemment
décrites, constitue un compromis ; bien qu’elle se veuille athéorique, elle ne tient pas moins compte des
comorbidités. Sur ce point, c’est la dimension limite du fonctionnement psychique qui semble commune à
la fois aux troubles comorbides au sein desquels les automutilations se manifestent le plus souvent (à
savoir le trouble de personnalité borderline et les troubles du comportement alimentaire), et au
comportement automutilateur. La présence du comportement automutilateur, dans des contextes
psychopathologiques variés, soulève la question de la pertinence de l’approche transnosographique de ce
phénomène. Cette question des limites, en même temps que la capacité de l’appareil psychique du sujet à
contenir des affects vécus comme débordants, sont au cœur de la problématique sous-tendant le
comportement automutilateur tout comme la dimension addictive. Certaines particularités
psychopathologiques des automutilations, telle que la dimension impulsive ou bien l’analgésie
régulièrement rapportée par les patientes, rencontrent un écho au niveau neurobiologique compte tenu
des perturbations constatées au sein des systèmes sérotoninergique et opioïdes endogènes. Enfin, le
clinicien, souvent déstabilisé par ce passage à l’acte qui agresse sa vocation soignante, et confronté à ses
interrogations à la fois cliniques et psychopathologiques, peine quelquefois à gérer ses contre-attitudes et
à penser les soins. Au-delà de la prise en charge somatique du passage à l’acte automutilateur, il est
impératif d’élaborer une stratégie de soins de manière intégrée et multifocale combinant traitements
médicamenteux et démarches psychothérapeutiques.
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Mots clés : Automutilations ; Adolescence ; Automutilations impulsives et compulsives ;
Limites physiques et psychiques ; Régulation des affects ; Dimension addictive ; Thérapies multifocales
Plan
Introduction 2
Définitions 2
Classifications 2
Épidémiologie 2
Prévalence en population générale 2
Répartition selon l’âge et le sexe 3
Répartition selon le type de comportement automutilateur 3
Prévalence en milieu psychiatrique 3
Prévalence et comorbidité 3
Données sociologiques 3
Populations concernées 3
Cas particulier de la prison 4
Automutilations à l’adolescence 4
Une évaluation difficile 4
Les prémisses durant l’enfance et l’adolescence 5
Question du trauma 6
L’adolescence : l’automutilation à la croisée des chemins 6
Description clinique 6
Comorbidités 7
Modèles psychopathologiques 8
Données neurobiologiques 11
Stratégies thérapeutiques 12
Cadre de l’urgence 12
Approche médicamenteuse 12
Psychothérapies 13
Conclusion 13
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Introduction
Jusqu’alors considéré comme l’apanage des troubles psycho-
pathologiques les plus sévères, le comportement automutilateur
est un phénomène en pleine expansion. Il fait dorénavant
partie des comportements emblématiques de l’adolescence.
Éphémères ou persistants, ces actes autoagressifs sont suscepti-
bles de concerner un très grand nombre d’adolescents, sans que
– pour autant – ceux-ci s’inscrivent par la suite dans une
démarche de soins psychiatriques au long cours. Le comporte-
ment automutilateur paraît très souvent hermétique et difficile-
ment tolérable pour l’environnement proche à qui il s’adresse,
et qu’incontestablement il agresse, même si l’acte s’impose plus
au sujet que celui-ci ne le maîtrise et ne l’utilise de manière
manichéenne pour faire souffrir ses proches. L’automutilation
manifeste une souffrance qui ne parvient pas à se dire, à trouver
une voie d’expression symbolique. Cette souffrance ne sait pas
de quoi elle souffre. C’est le désespoir d’un sujet qui ne sait pas
dire ce qui le désespère mais qui exprime, selon son organisa-
tion psychique et son économie pulsionnelle singulières, un
appel à l’aide face à une menace devenue contrainte interne.
Les études jusqu’ici consacrées aux automutilations ont eu une
approche essentiellement épidémiologique et descriptive. La
question demeure discutée de savoir s’il faut considérer le
comportement automutilateur comme une entité autonome ou
comme faisant partie intégrante de divers tableaux cliniques,
entrant dans un cadre défini tant sur le plan de la classification
(focalisée ou intégrative) que sur celui des approches compré-
hensives. La pluralité des modèles psychopathologiques illustre
bien cette indécision : faut-il considérer l’automutilation sous
l’angle d’un déterminisme particulier ou bien sous celui de
l’intégration à la psychopathologie du trouble principal ?
Définitions
Dans la littérature anglo-saxonne, les termes de self-injury,
self-harm,deliberate self-harm,intentional self-harm ou bien self-
mutilation ou encore non-fatal suicidal behavior,self-inflicted
violence sont le plus souvent employés de manière approxima-
tivement équivalente. En français, le mot « automutilation » est
plus régulièrement employé que « passage à l’acte » ou « com-
portement autoagressif ». Le terme de « parasuicide », commun
aux deux langues, doit être abandonné car il ne fait pas la
distinction entre automutilation et passage à l’acte suicidaire.
En l’absence de définition consensuelle – et s’agissant des
comportements automutilateurs les plus fréquents à l’adoles-
cence – nous retiendrons la définition de Herpertz
[1]
: c’est un
comportement qui consiste à « se faire mal de façon délibérée,
répétée, de manière directement physique, sans intention
consciente de se suicider et qui ne conduit pas à des blessures
pouvant menacer le pronostic vital ».
Sont donc exclues les automutilations fonctionnellement
graves, les actes sous-tendus par des motivations sexuelles et les
tentatives de suicide à proprement parler.
Les automutilations sont dépourvues d’intentionnalité
suicidaire, même si certains
[2]
considèrent les automutilations
et les suicides aboutis comme les deux extrêmes d’un même
spectre, et si on relève une augmentation significative du risque
suicidaire dans les automutilations
[3-6]
.
Classifications
La question, toujours débattue, est de savoir s’il faut considé-
rer le comportement automutilateur comme une entité clinique
autonome ou bien comme partie intégrante de syndromes
cliniques divers.
La première classification est due à Karl Menninger
[7]
; cet
auteur a réparti les automutilations en quatre catégories :
névrotiques, psychotiques, organiques et religieuses ; cette
classification est restée peu employée.
Pattison et Kahan
[8]
ont introduit, en 1983, le concept de
syndrome d’automutilation délibérée (deliberate self-harm syndrome)
en s’appuyant sur trois paramètres : le caractère direct ou
indirect
[9]
, le niveau de létalité (faible, moyen, élevé)
[10]
et
l’aspect répétitif (épisode unique ou multiple)
[11]
(Tableaux 1,2) ; ce syndrome est considéré comme une entité
spécifique, pouvant être classée dans la catégorie du DSM-IV des
« troubles du contrôle des impulsions non classés ailleurs »,
dont les trois traits essentiels sont : l’échec à résister à une
impulsion, la tension croissante préalable et l’expérience de
gratification ou de soulagement pendant le passage à l’acte.
L’individualisation d’une entité syndromique a éclairé ces
comportements, jusqu’alors considérés comme des symptômes
répartis dans différentes catégories (personnalité borderline,
troubles psychotiques...). Pour autant, cette construction
empirique n’a jamais été évaluée par des études cliniques.
La classification actuellement la plus utilisée est celle de
Favazza
[13, 14]
(Fig. 1), qui regroupe les automutilations en trois
catégories phénoménologiques : majeures, stéréotypiques,
superficielles ou modérées ; cette dernière, la plus fréquente à
l’adolescence, se subdivise en automutilations compulsives et
impulsives.
Elle répartit les automutilations en fonction des comorbidités,
sans perspective psychopathologique, tout en laissant place à
une entité individualisée, le syndrome d’automutilations répétées
(SAR) ; ce dernier peut être isolé ou associé à d’autres compor-
tements impulsifs ; les automutilations y sont de type impulsif
et répétitif ; le trait essentiel en est l’incapacité récurrente à
résister à l’impulsion de s’automutiler physiquement, de
manière directe, sans intention consciente de se suicider.
Favazza a tenté un rapprochement entre les automutilations
et d’autres troubles du contrôle de l’impulsivité, tels que la
boulimie multi-impulsive
[16]
– avec 75 % d’automutilations
– l’abus de substances psychoactives et la kleptomanie
[17]
.
Les relations entre le SAR et la personnalité borderline sont
complexes ; Herpertz
[18]
souligne que le taux de personnalité
borderline dans un échantillon baisse considérablement si l’on
exclut les automutilations des critères diagnostiques : le SAR
constitue alors soit un facteur de gravité de la personnalité
borderline, soit un trouble du contrôle des impulsions (TCI)
autonome, associé à un trouble borderline.
Enfin, Schmahl distingue deux sous-types de comportement
automutilateurs chez le sujet borderline en fonction de la
présence ou de l’absence d’analgésie
[19]
.
Dans le DSM-IV
[20]
, les comportements automutilateurs
figurent dans cinq catégories diagnostiques : la trichotillomanie,
les troubles factices avec symptômes physiques, le masochisme,
les troubles de la personnalité multiple et la personnalité
borderline.
Épidémiologie
Prévalence en population générale
Elle a été estimée entre 1 et 4 % de la population générale
américaine
[15, 21]
, et entre 4,6 et 6,6 % au Royaume-Uni
[22]
,où
Tableau 1.
Classification de Kahan et Pattison
[12]
.
Direct Indirect
Létalité élevée Tentative de suicide
Épisode unique
Arrêt d’un traitement
vital comme la dialyse
Épisode unique
Létalité moyenne Tentatives de suicide
Épisodes multiples
Syndrome
d’automutilation
délibérée atypique
Épisode unique
Conduites à risque
Épisodes multiples
Ivresse aiguë
Épisode unique
Létalité faible Syndrome
d’automutilation
délibérée (SAD)
Épisodes multiples
Alcoolisme chronique,
obésité sévère, forte
consommation de
tabac
Épisodes multiples
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170 000 personnes ont été hospitalisées en 1996 à la suite d’un
passage à l’acte automutilateur
[23]
. Les écarts de prévalence sont
probablement à relier à l’hétérogénéité des approches, source,
dans la plupart des cas, de sous-évaluation.
On a souligné une augmentation nette de l’incidence des
automutilations depuis les années 1960
[24]
; celle-ci était établie
à 0,4 % en 1983
[12]
, et à 0,7 % en 1988
[25]
; l’extériorisation
croissante de ce comportement, associée à une plus forte
demande de soins, ainsi que sa médiatisation après de longues
années de dissimulation, a pu contribuer à en accroître la
prévalence apparente.
Répartition selon l’âge et le sexe
Pour certains auteurs, la prédominance féminine est très
marquée, de 70 à 97 %
[26, 27]
; pour d’autres, elle n’est pas si
notable
[28]
. Dans le service de psychiatrie de l’adolescent de
l’Institut Mutualiste Montsouris, 21 % des garçons et 31 % des
filles hospitalisés présentent des antécédents d’automutilation,
dans un relevé sur cinq ans.
La fréquence des automutilations est faible chez l’enfant et
s’élève considérablement dès le début de l’adolescence
[6]
; elle
atteint 12 à 35 % au sein d’échantillons de lycéens
[22]
. Seule-
ment 5 % des épisodes sont le fait de personnes de plus de
65 ans
[29-31]
.
Répartition selon le type de comportement
automutilateur
On distingue :
les automutilations compulsives : 2 % des patients (majorité de
femmes) de dermatologie présentent des lésions de grattage et
des excoriations cutanées
[32]
; 13 à 53 % des cas de syndro-
mes de Gilles de la Tourette, se cognent la tête, se donnent
des coups ou se mordent. L’onychophagie touche près de
44 % des adolescents
[33]
;
les automutilations impulsives qui se rencontrent chez les trois
quarts des patients borderline sont le plus souvent des
coupures (75 %) ou des brûlures (35 %)
[27, 34]
.
Dans 75 % des cas cependant, les automutilations sont tantôt
compulsives, tantôt impulsives.
Prévalence en milieu psychiatrique
Quarante-sept pour cent des adolescents suivis en consulta-
tion ont déclaré s’être automutilés au moins une fois
[35]
. Chez
les adolescents hospitalisés, la prévalence peut atteindre 30 à
61 %
[36-38]
.
Prévalence et comorbidité
La moitié des patients automutilateurs présentent un trouble
du comportement alimentaire
[1, 39]
; inversement, 25 à 40 %
des patientes ayant un trouble du comportement alimentaire
s’automutilent, surtout celles ayant un comportement de
purge
[40-45]
, c’est un taux aussi élevé que celui des patientes
hospitalisées
[46, 47]
.
Cinquante-deux pour cent des automutilateurs ont un trouble
de personnalité borderline
[1]
; inversement, 80 % des sujets
borderline se sont, à un moment donné, automutilés
[48]
,et
75 % d’entre eux sur un mode impulsif
[34]
.
Données sociologiques
Populations concernées
Jusqu’au début des années 1990, les automutilations sem-
blaient concerner principalement certains sous-groupes de sujets
présentant une morbidité psychiatrique importante :
consultants pour des troubles mentaux ou de sérieuses
perturbations émotionnelles
[49-52]
;
personnes se présentant aux urgences psychiatriques
[53, 54]
;
patients des hôpitaux de jour et des appartements thérapeu-
tiques
[52]
;
patients hospitalisés dans des unités de crise ou dans des
services de psychiatrie
[40, 55-64]
;
jeunes suivis dans des institutions médicalisées, centres
éducatifs fermés, instituts de rééducation
[65-71]
;
• détenus
[72-75]
.
Bien que ces sous-groupes présentent toujours de forts taux
d’automutilation, celles-ci semblent être le fait, de plus en plus,
de sujets jeunes issus de la population générale, et jusqu’alors
non inscrits dans un parcours de soins psychiatriques.
Tableau 2.
Syndrome d’automutilation délibérée (SAD) (au sens du DSM-III).
A – Traits cliniques essentiels
1. Impulsion soudaine à s’automutiler avec impossibilité concomitante
de résister à l’impulsion
2. Sentiment de vécu intolérable auquel la personne ne peut échapper et
qu’elle ne peut contrôler
3. Anxiété croissante, agitation et colère en réponse à la situation perçue
4. Restriction des processus de perception et de cognition aboutissant à
une sensation d’impasse et d’absence d’alternative
B – Traits associés
1. Signes végétatifs de dépression
2. Sentiments de dévalorisation, de désespoir et d’incurabilité
C – Âge de début
1. Fin d’adolescence
D – Évolution clinique
1. Épisodes multiples à faible létalité, comportement d’autoagressivité
physique
2. Multitude des comportements autodestructeurs à des fins de
dommages physiques, par la même personne
3. Forte probabilité d’augmentation de la létalité des comportements
autoagressifs
4. Poursuite des comportements autodestructeurs plus de 5-10 ans
E – Morbidité
1. Fonction du degré de létalité, le comportement autodestructeur peut
aboutir à altérer de manière ponctuelle une fonction
2. Hospitalisation quelquefois nécessaire pour prendre en charge le
comportement ou ses conséquences
F – Complications
1. Augmentation de la comorbidité en lien avec l’augmentation de la
létalité des comportements autodestructeurs répétés
2. Complication fatale possible d’un ou de plusieurs comportements
autodestructeurs
3. Condamnation sociale, voire rejet des sujets présentant des
comportements autodestructeurs uniques ou répétés considérés comme
déviants ou socialement inacceptables
4. Retentissement physique permanent ou réversible des
comportements autodestructeurs
G – Facteurs prédisposants
1. Absence ou manque d’étayage social et/ou relationnel, dont divorce
parental, séparation, mort d’un proche
2. Abus de drogues et d’alcool
3. Psychose à l’âge adulte
4. Idéation suicidaire et dépressive
H – Prévalence
1. Incidence de 400 à 600 pour 100 000
2. Pic d’apparition entre 16 et 25 ans
3. Population à risque (jeunes en institution, comportements
antisociaux)
I – Sex-ratio
1. Distribution égale entre hommes et femmes
J – Diagnostics différentiels
1. Troubles factices chroniques avec symptômes physiques
2. Troubles somatoformes
3. Syndromes cérébraux organiques
4. Troubles de l’humeur et troubles psychotiques
5. Personnalité borderline, histrionique
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Cas particulier de la prison
On a relevé, chez des adolescents japonais détenus, 17 % de
coupures et 36 % de brûlures
[76]
, taux bien supérieurs à ceux
des adultes incarcérés ; les femmes en détention s’automutilent
cinq fois plus fréquemment que les hommes
[74, 77, 78]
.
La mise en détention constitue un inducteur de passage à
l’acte en déstabilisant un équilibre antérieur précaire par ses
facteurs propres : sevrage induit par l’emprisonnement, isole-
ment, solitude... Les phénomènes de « contamination » symp-
tomatique y sont fréquents
[72, 79]
.
Automutilations à l’adolescence
Si certains patients schizophrènes et autistes s’automutilent
parfois gravement (automutilations de type majeure ou stéréo-
typique), les automutilations les plus fréquemment rencontrées
dans l’enfance et à l’adolescence sont de type « superficielle/
modérée ».
Les transformations corporelles, psychiques et relationnelles
de l’adolescence sont de puissants révélateurs de la qualité des
assises narcissiques précédemment établies ; les attaques du
corps sont généralement considérées comme des tentatives
d’apaisement d’une conflictualité intrapsychique exacerbée.
F. Gardner rapproche les caractéristiques du fonctionnement
psychique adolescent de celles du comportement automutila-
teur : intensification des pulsions agressives, fragilité du
narcissisme, hypersensibilité à la relation, tendance au passage
à l’acte et propension aux agressions corporelles, liées notam-
ment aux préoccupations concernant la mort ; tout cela peut
être transitoire ou bien conduire au développement de compor-
tements destructeurs, qui seront orientés en gestes autoagressifs
(tropisme féminin) ou hétéroagressifs (tropisme masculin)
[80]
.
Une évaluation difficile
Les automutilations pathologiques doivent être distinguées
des pratiques culturellement signifiantes. Pour Favazza
[81]
,
certains rituels comportant des automutilations sont des
activités propres à une culture, transmises de génération en
génération, en lien avec les traditions et les croyances de cette
culture et partagées par nombre de ses membres. Les automuti-
lations culturellement ritualisées visent trois grands objectifs
sociétaux : la guérison, la spiritualité et l’ordre ; dans certaines
tribus africaines, par exemple, les scarifications faciales ou
même la section d’une phalange signent l’appartenance au clan.
Selon S. Lambert : « la dimension qui oppose ces pratiques au
champ pathologique réside avant tout dans leur caractère
foncièrement social et symbolique. Même si, déjà, la frontière
ressemble plutôt à une zone de chevauchement, la valeur
d’individuation de ces pratiques relève ici d’une inscription
sociale dont les symboliques s’étendent et se conjuguent depuis
l’intégration dans un groupe de pairs ou d’une lignée de pères
(et/ou de mères) jusqu’à la caractérisation de l’identité sexuelle,
en passant par la quête d’expiation aux accents surmoïques
primitifs »
[82]
. Inversement, les automutilations pathologiques
tendent à être perçues de manière négative dans la culture
générale et renvoient à un manque de signifiants culturels
partagés, même si elles peuvent être, à titre individuel, riches de
sens et de symboles.
Un petit nombre de rituels automutilateurs à l’adolescence
pourraient s’inscrire dans une sorte d’initiation à l’âge adulte :
pratiques mutilantes à valeur esthétique tels que les piercings
cutanés, nasaux ou génitaux, tatouages ou bien certaines
coupures (body art, par exemple).
Différents questionnaires, surtout descriptifs, permettent
l’évaluation des comportements automutilateurs en pratique
courante (Tableau 3).
Le self-harm behavior survey (SHBS) comporte 174 questions
qui abordent les aspects sociodémographiques, cliniques et
thérapeutiques et des éléments psychopathologiques, notam-
ment les troubles du comportement alimentaire. Il a été utilisé
par Herpertz
[1]
, ainsi que par Paul
[40]
.
Certains autres questionnaires interrogent la thématique des
troubles alimentaires ; le chronic self-destructiveness scale (CSDS)
explore notamment les comportements impulsifs à haut risque ;
il comporte un score final, le self-destructiveness score, et présente
cinq items en lien avec la problématique alimentaire. Le
Harkavy asnis suicide survey II (HASS-II) est également un
autoquestionnaire mais son approche du comportement auto-
mutilateur semble très partielle. L’impulsive and self-harm
Amputation,
énucléation,
émasculation, etc.
Se cogner la tête,
se comprimer les yeux,
se mordre les doigts, etc.
Écorchures, trichotillomanie,
onychophagie, coups,
morsures, etc.
(isolées ou associées à un trouble
obsessionnel compulsif)
Coupures, brûlures, etc.
(isolées ou associées à d'autres
troubles dont les troubles
alimentaires)
SAD
Répétitives Épisodiques
Automutilations
compulsives
Automutilations
impulsives
Superficielles / modérées
Formes les plus fréquentes
qui se subdivisent
en deux sous-catégories
Rares et généralement
rencontrées dans la
schizophrénie et les états
psychotiques aigus
Elles se rencontrent
généralement dans l'autisme,
les retards mentaux, chez des
patients psychotiques et dans
certains syndromes génétiques
Majeures Stéréotypiques
Automutilations
Figure 1. Classification de Favazza
[15]
. SAD : syndrome d’automutilation délibérée.
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questionnaire comprend une variété d’items relatifs aux compor-
tements impulsifs et autodestructeurs et deux pour les troubles
alimentaires. Le SIB-Q et le timed self-injurious behavior scale sont
des hétéroquestionnaires de 25 et 16 items qui furent surtout
utilisés dans le cadre des retards mentaux. Le self-injury question-
naire (SIQ) explore différents types de comportements autoa-
gressifs et notamment leur intensité. Le self-injury survey explore
également les raisons du passage à l’acte ; il recherche les
antécédents de tentatives de suicide et comporte cinq items sur
les troubles alimentaires. Enfin, le functional assessment of self-
mutilation (FASM) n’est pas exhaustif, mais il est de passation
brève. Le self-harm inventory (SHI) est un autoquestionnaire qui
explore en outre le trouble borderline de personnalité. Sa
concordance est de 84 avec les résultats du diagnostic interview
for borderline-revised (DIB-R) de J. Gunderson et al.
À l’inverse, les questionnaires eating disorder inventory (EDI-2),
eating attitude test (EAT-26) ou l’eating disorder examination (EDE),
consacrés aux troubles des conduites alimentaires, n’incluent
aucun item concernant les comportements automutilateurs ; le
self-injury self-report inventory (SISRI) évalue à la fois les compor-
tements autodestructeurs, les troubles alimentaires, les compor-
tements à risque et les abus de substances ; il interroge en outre
le patient sur les motivations de ses passages à l’acte et sur
l’impact de ceux-ci sur sa vie quotidienne.
L’Ottawa self-injury questionnaire (OSI) met l’accent sur la
composante addictive de ce type de comportement.
Simeon et al. recommandent de procéder à une évaluation
clinique rigoureuse précisant les points suivants
[94]
:
historique des comportements d’automutilation ;
présence d’idéations suicidaires ;
relation temporelle entre suicidalité et comportements
suicidaires ;
antécédents et fréquence actuelle des automutilations ;
âge de début, évolution, durée des périodes sans passage à
l’acte, changements au fil du temps ;
complications ou interventions médicales ;
motivations, états émotionnels, facteurs déclenchants du
passage à l’acte ;
suites du comportement, immédiates et ultérieures ;
degré d’urgence et d’impulsivité ;
dystonicité (désir de s’arrêter soi-même) ;
résistance (effort pour s’interrompre soi-même) ;
contrôle (succès à s’arrêter soi-même) ;
analgésie ;
utilisation de substances avant ou pendant le passage à l’acte ;
histoire familiale de comportements d’automutilation ;
antécédents personnels de traitement.
Les prémisses durant l’enfance
et l’adolescence
S. Gothard et M. Conroy-Stocker, au Royaume-Uni, ont
individualisé certains facteurs de risque et signes cliniques
d’alerte
[95]
(Tableau 4).
Pour autant, des personnes présentant certains de ces facteurs
de risque font preuve de capacités de résilience fondées sur trois
ordres de paramètres
[96]
(Tableau 5).
Les signes évocateurs de l’imminence d’un passage à l’acte
sont les suivants :
repli par rapport à certaines activités habituelles ;
fatigue et réticence à se rendre en cours ;
présence de traces sur le corps et/ou les membres supérieurs ;
perturbations du sommeil et/ou de l’alimentation ;
troubles du comportement soudains ;
comportement autodestructeur, comportement avec prise de
risque (conduite imprudente, ...) ;
Tableau 3.
Questionnaires, surtout descriptifs, permettant l’évaluation des comportements automutilateurs en pratique courante.
Auteur Année Items*
Chronic self-destructiveness scale (CSDS) Kelley et al.
[83]
1985 73
Self-harm behavior survey (SHBS) Favazza
[84]
1986 174
Harkavy asnis suicide survey II (HASS-II) Friedman et Asnis
[85]
1989 21
Self-injury survey Simpson et al.
[86]
1994 31
Impulsive and self-harm questionnaire Rossotto
[87]
1997 14
Self-injurious behavior questionnaire
(SIB-Q)
Schroeder et al.
[88]
1997 25
Self-injury questionnaire (SIQ) Vanderlinden et Vandereycken
[89]
1997 54
Timed self-injurious behavior scale Brasic et al.
[90]
1997 16
Self-harm inventory (SHI) Sansone et al.
[91]
1998 22
Functional assessment of self-mutilation
(FASM)
Llyod et al.
[92]
1997 41
Ottawa self-injury questionnaire (OSI) Nixon et Cloutier
[37]
2001 37
Self-Injury self-report inventory (SISRI) Juzwin
[93]
2003 34
* Les réponses sont soit en oui/non, soit de type Likert, soit sous forme de QCM ou bien ouvertes.
Tableau 4.
Individualisation de certains facteurs de risque et signes cliniques d’alerte selon S. Gothard et M. Conroy-Stocker
[95]
.
Facteurs de risque individuels Facteurs de risques familiaux Facteurs de risque sociaux
Présence de troubles psychiatriques (épisode
dépressif majeur par exemple)
Antécédents d’abus sexuels et/ou physiques et de
négligence
Perte récente d’une figure importante (parent,
membre d’une équipe, ami proche, etc.)
Sentiments de désespoir, pessimisme, vision
négative de la vie
Présence d’un comportement automutilateur chez
un membre de la famille ou un ami proche
Influence des médias (célébrité qui s’automutile,
série ou films avec automutilations..)
Abus de substances psychoactives ou d’alcool Séparation des parents, relations pauvres avec
ceux-ci
Rupture sentimentale
Atteinte récente de l’estime de soi Attente parentale trop forte ou perçue comme telle,
notamment de réussite scolaire
Brimades subies (camarades,..)
Faibles résultats scolaires, angoisse de performance Surprotection familiale Isolement social/vie en milieu rural
Confrontation à la sexualité Disponibilité des méthodes d’automutilation
Appartenance à une minorité ethnique
Automutilations à l’adolescence
37-216-J-10
5Psychiatrie/Pédopsychiatrie
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Automutilations à l’adolescence L. Gicquel, M. Corcos, B. Richard, J.-D. Guelfi

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