■Introduction
Jusqu’alors considéré comme l’apanage des troubles psycho-
pathologiques les plus sévères, le comportement automutilateur
est un phénomène en pleine expansion. Il fait dorénavant
partie des comportements emblématiques de l’adolescence.
Éphémères ou persistants, ces actes autoagressifs sont suscepti-
bles de concerner un très grand nombre d’adolescents, sans que
– pour autant – ceux-ci s’inscrivent par la suite dans une
démarche de soins psychiatriques au long cours. Le comporte-
ment automutilateur paraît très souvent hermétique et difficile-
ment tolérable pour l’environnement proche à qui il s’adresse,
et qu’incontestablement il agresse, même si l’acte s’impose plus
au sujet que celui-ci ne le maîtrise et ne l’utilise de manière
manichéenne pour faire souffrir ses proches. L’automutilation
manifeste une souffrance qui ne parvient pas à se dire, à trouver
une voie d’expression symbolique. Cette souffrance ne sait pas
de quoi elle souffre. C’est le désespoir d’un sujet qui ne sait pas
dire ce qui le désespère mais qui exprime, selon son organisa-
tion psychique et son économie pulsionnelle singulières, un
appel à l’aide face à une menace devenue contrainte interne.
Les études jusqu’ici consacrées aux automutilations ont eu une
approche essentiellement épidémiologique et descriptive. La
question demeure discutée de savoir s’il faut considérer le
comportement automutilateur comme une entité autonome ou
comme faisant partie intégrante de divers tableaux cliniques,
entrant dans un cadre défini tant sur le plan de la classification
(focalisée ou intégrative) que sur celui des approches compré-
hensives. La pluralité des modèles psychopathologiques illustre
bien cette indécision : faut-il considérer l’automutilation sous
l’angle d’un déterminisme particulier ou bien sous celui de
l’intégration à la psychopathologie du trouble principal ?
■Définitions
Dans la littérature anglo-saxonne, les termes de self-injury,
self-harm,deliberate self-harm,intentional self-harm ou bien self-
mutilation ou encore non-fatal suicidal behavior,self-inflicted
violence sont le plus souvent employés de manière approxima-
tivement équivalente. En français, le mot « automutilation » est
plus régulièrement employé que « passage à l’acte » ou « com-
portement autoagressif ». Le terme de « parasuicide », commun
aux deux langues, doit être abandonné car il ne fait pas la
distinction entre automutilation et passage à l’acte suicidaire.
En l’absence de définition consensuelle – et s’agissant des
comportements automutilateurs les plus fréquents à l’adoles-
cence – nous retiendrons la définition de Herpertz
[1]
: c’est un
comportement qui consiste à « se faire mal de façon délibérée,
répétée, de manière directement physique, sans intention
consciente de se suicider et qui ne conduit pas à des blessures
pouvant menacer le pronostic vital ».
Sont donc exclues les automutilations fonctionnellement
graves, les actes sous-tendus par des motivations sexuelles et les
tentatives de suicide à proprement parler.
Les automutilations sont dépourvues d’intentionnalité
suicidaire, même si certains
[2]
considèrent les automutilations
et les suicides aboutis comme les deux extrêmes d’un même
spectre, et si on relève une augmentation significative du risque
suicidaire dans les automutilations
[3-6]
.
■Classifications
La question, toujours débattue, est de savoir s’il faut considé-
rer le comportement automutilateur comme une entité clinique
autonome ou bien comme partie intégrante de syndromes
cliniques divers.
La première classification est due à Karl Menninger
[7]
; cet
auteur a réparti les automutilations en quatre catégories :
névrotiques, psychotiques, organiques et religieuses ; cette
classification est restée peu employée.
Pattison et Kahan
[8]
ont introduit, en 1983, le concept de
syndrome d’automutilation délibérée (deliberate self-harm syndrome)
en s’appuyant sur trois paramètres : le caractère direct ou
indirect
[9]
, le niveau de létalité (faible, moyen, élevé)
[10]
et
l’aspect répétitif (épisode unique ou multiple)
[11]
(Tableaux 1,2) ; ce syndrome est considéré comme une entité
spécifique, pouvant être classée dans la catégorie du DSM-IV des
« troubles du contrôle des impulsions non classés ailleurs »,
dont les trois traits essentiels sont : l’échec à résister à une
impulsion, la tension croissante préalable et l’expérience de
gratification ou de soulagement pendant le passage à l’acte.
L’individualisation d’une entité syndromique a éclairé ces
comportements, jusqu’alors considérés comme des symptômes
répartis dans différentes catégories (personnalité borderline,
troubles psychotiques...). Pour autant, cette construction
empirique n’a jamais été évaluée par des études cliniques.
La classification actuellement la plus utilisée est celle de
Favazza
[13, 14]
(Fig. 1), qui regroupe les automutilations en trois
catégories phénoménologiques : majeures, stéréotypiques,
superficielles ou modérées ; cette dernière, la plus fréquente à
l’adolescence, se subdivise en automutilations compulsives et
impulsives.
Elle répartit les automutilations en fonction des comorbidités,
sans perspective psychopathologique, tout en laissant place à
une entité individualisée, le syndrome d’automutilations répétées
(SAR) ; ce dernier peut être isolé ou associé à d’autres compor-
tements impulsifs ; les automutilations y sont de type impulsif
et répétitif ; le trait essentiel en est l’incapacité récurrente à
résister à l’impulsion de s’automutiler physiquement, de
manière directe, sans intention consciente de se suicider.
Favazza a tenté un rapprochement entre les automutilations
et d’autres troubles du contrôle de l’impulsivité, tels que la
boulimie multi-impulsive
[16]
– avec 75 % d’automutilations
– l’abus de substances psychoactives et la kleptomanie
[17]
.
Les relations entre le SAR et la personnalité borderline sont
complexes ; Herpertz
[18]
souligne que le taux de personnalité
borderline dans un échantillon baisse considérablement si l’on
exclut les automutilations des critères diagnostiques : le SAR
constitue alors soit un facteur de gravité de la personnalité
borderline, soit un trouble du contrôle des impulsions (TCI)
autonome, associé à un trouble borderline.
Enfin, Schmahl distingue deux sous-types de comportement
automutilateurs chez le sujet borderline en fonction de la
présence ou de l’absence d’analgésie
[19]
.
Dans le DSM-IV
[20]
, les comportements automutilateurs
figurent dans cinq catégories diagnostiques : la trichotillomanie,
les troubles factices avec symptômes physiques, le masochisme,
les troubles de la personnalité multiple et la personnalité
borderline.
■Épidémiologie
Prévalence en population générale
Elle a été estimée entre 1 et 4 % de la population générale
américaine
[15, 21]
, et entre 4,6 et 6,6 % au Royaume-Uni
[22]
,où
Tableau 1.
Classification de Kahan et Pattison
[12]
.
Direct Indirect
Létalité élevée Tentative de suicide
Épisode unique
Arrêt d’un traitement
vital comme la dialyse
Épisode unique
Létalité moyenne Tentatives de suicide
Épisodes multiples
Syndrome
d’automutilation
délibérée atypique
Épisode unique
Conduites à risque
Épisodes multiples
Ivresse aiguë
Épisode unique
Létalité faible Syndrome
d’automutilation
délibérée (SAD)
Épisodes multiples
Alcoolisme chronique,
obésité sévère, forte
consommation de
tabac
Épisodes multiples
37-216-J-10
¶
Automutilations à l’adolescence
2Psychiatrie/Pédopsychiatrie
© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 09/11/2013 par CERIST ALGERIE (353213)