540 A. Baguelin-Pinaud et al.
tension anxieuse [27]. Dans les années 1980, sont décrites
des associations avec les troubles du comportement ali-
mentaire, surtout la boulimie, correspondant à près de la
moitié des cas d’automutilation ; il existe dans ce cas une
composante impulsive importante et une personnalité de
type état-limite. Pour certains auteurs comme Schaffer
et al. ou Walsh et Rosen, les conduites automutilatrices
sont spécifiques de la personnalité état limite [21,29]. Pour
d’autres comme Pattison et al. ou Tantam et al.,il s’agit
d’une entité diagnostique à part entière, amenant ainsi à
définir un syndrome indépendant [18,26].
Les rares études épidémiologiques en population géné-
rale estiment la prévalence des automutilations entre 1 et
4% [2,9]. Celle-ci est plus élevée en population psychia-
trique de 21 à 60 % [2,4,5,19,31]. Dix à 15 % des enfants au
cours de leur développement présentent ce type de com-
portement qui peut perdurer jusqu’à l’âge de trois ans sans
que cela soit considéré comme pathologique [27]. Nous nous
proposons de décrire un échantillon de 30 patients hospi-
talisés au CHU de Rouen s’infligeant des blessures à eux
mêmes (coupures des avants bras majoritairement), essen-
tiellement composé de femmes jeunes.
Les données recueillies à partir des dossiers de patients
seront comparées à celles de la littérature.
Méthode
Les automutilations superficielles et répétées sont de plus
en plus fréquentes parmi les jeunes patients [27], mais
rarement présentées comme la principale plainte de la
consultation. L’observation de ces patients hospitalisés pour
des motifs différents mais semblant avoir des caractéris-
tiques communes a suscité certaines de nos interrogations :
ces patients représentent-ils un groupe homogène ? Quelles
sont les motivations et les fonctions des conduites auto-
mutilatrices ? Sont-elles un symptôme spécifique d’une
pathologie ou une entité diagnostique à part entière ?
C’est pourquoi nous avons choisi de décrire un groupe de
patients et de comparer les données recueillies à celles de
la littérature.
Ainsi, nous avons conduit une étude observationnelle
rétrospective incluant tous les patients admis dans les struc-
tures pour adolescents de l’hôpital psychiatrique de Rouen
et dans l’unité de psychiatrie adulte localisée au CHU sur
une période de six mois (1 janvier 2005 au 30 juin 2005). Les
patients inclus sont ceux qui s’infligent volontairement des
blessures quelles que soient la localisation et la méthode
employées et ne présentent pas d’autres pathologies telles
qu’une pathologie organique cérébrale ou un déficit men-
tal. Ces patients étaient hospitalisés librement, soit à temps
plein, soit en hôpital de jour pour adolescents.
Les variables étudiées ont été sélectionnées en fonc-
tion des données de la littérature pour permettre de les
discuter : sexe, date de naissance, situation sociale, situa-
tion des parents (qu’il nous a semblé intéressant de décrire,
compte tenu du jeune âge des patients), antécédents de
tentative de suicide, nombre et moyens utilisés, localisation
des automutilations, notion de maltraitance (abus sexuels,
maltraitance physique, négligences), conduites addictives
associées (tabac, alcool, toxiques, troubles des conduites
alimentaires), diagnostic retenu lors de l’hospitalisation
et répondant aux critères de la CIM 10. Ces informations
ont été recueillies par un investigateur, uniquement à par-
tir de l’analyse détaillée des dossiers et figurent dans un
tableau à double entrée avec en abscisse les différentes
variables étudiées et en ordonnées chacun des patients.
Toutes ces données ne figuraient pas de fac¸on exhaus-
tive dans chacun des dossiers (le détail se trouve dans les
résultats).
Résultats
L’étude porte sur 30 patients (24 hospitalisés à temps plein
et six en hôpital de jour). Le groupe se compose de
29 femmes et d’un homme. L’âge moyen est de 18 ans (âges
limites compris entre 12 à 37 ans, écart-type = 4,7) et plus
d’un patient sur deux est âgé de 18 ans ou moins. Les parents
du tiers de cette population de patients sont soit séparés,
soit divorcés. Quatre patientes sont placées en foyer ou en
famille d’accueil.
Neuf patients sont déscolarisés, 17 sont dans un cursus
scolaire classique mais avec un nombre élevé de redouble-
ments. Trois patients sont au chômage.
Parmi les 30 patients étudiés, neuf patients, soit 30 %,
déclarent avoir subi des maltraitances. La différence entre
maltraitance et négligences n’est pas possible à établir à
partir des dossiers. Quatre des neuf patients ayant subi
des maltraitances auraient été abusées sexuellement. Le
patient de sexe masculin n’a pas subi de maltraitance.
Dix-huit des 30 patients de l’échantillon (soit 60 %)
étaient suivis régulièrement sur le plan psychiatrique avant
leur hospitalisation. Dix-neuf patients, soit 63 %, avaient
bénéficié d’une hospitalisation antérieure, dont plus de la
moitié à deux reprises ou plus.
Vingt-deux des 30 patients (73 %) ont pour antécédent
une tentative d’autolyse essentiellement médicamenteuse.
Les tentatives de suicide par phlébotomie, par arme à feu,
par pendaison et par immolation ne sont pas représentées
dans l’échantillon. Le patient de sexe masculin n’a pas
d’antécédent de tentative de suicide.
Tous les patients se sont infligés des blessures, coupures
le plus souvent. L’âge de début des automutilations ne figure
pas dans le dossier.
Pour 90 % des patients, la localisation choisie est celle
des avant-bras. Dans 43% des cas, les automutilations sont
multiples (Tableau 1).
Si la plupart des patients se sont infligés des blessures
à au moins deux reprises (jusqu’à plus de 10), le recueil
de données des dossiers ne permet pas d’en obtenir la fré-
quence exacte. Parmi les 30 patients, seuls deux utilisent un
autre moyen : l’un se frotte les sourcils jusqu’à se créer des
lésions, l’autre s’enfonce des aiguilles sous les ongles.
Concernant les conduites addictives, l’analyse des dos-
siers retrouve que près d’un patient sur deux consomme
régulièrement du tabac et près d’un sur quatre de l’alcool.
Enfin, cinq patients (16,7 %) déclarent consommer régulière-
ment des toxiques, tous du cannabis, l’un des cinq patients
associe au cannabis de la cocaïne et du speed de manière
occasionnelle (Tableau 2).
Dix patients de l’échantillon (soit 33,3 % dont cinq ano-
rexie et cinq boulimie plus anorexie) souffrent d’un trouble
des conduites alimentaires associé.