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L’Encéphale (2009) 35, 538—543
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
CLINIQUE
Les conduites automutilatrices : étude portant sur
30 patients夽
Self-mutilating behaviour: A study on 30 inpatients
A. Baguelin-Pinaud ∗, C. Seguy , F. Thibaut
Inserm U614, UFR de médecine, service universitaire de psychiatrie, centre hospitalier du Rouvray, CHU Charles-Nicolle, 1, rue
de Germont, 76031 Rouen cedex, France
Reçu le 21 mai 2007 ; accepté le 4 août 2008
Disponible sur Internet le 7 février 2009
MOTS CLÉS
Automutilation ;
Trouble de la
personnalité ;
Addiction
夽
∗
Résumé Les automutilations recouvrent plusieurs types de conduites, de la simple excoriation
cutanée à l’autocastration. Il est actuellement difficile d’obtenir une définition consensuelle
de ce type de troubles. Pour certains auteurs, les blessures auto-infligées sont un symptôme pathognomonique de la personnalité « borderline » ; pour d’autres, il s’agit au contraire
d’une entité diagnostique à part entière, amenant ainsi à définir de nouveaux syndromes.
Ces comportements d’automutilation sont particulièrement fréquents chez les adolescents,
avec une prépondérance féminine et chez les patients présentant une pathologie psychiatrique. La plupart des sujets utilisent plusieurs méthodes pour s’automutiler et privilégient
différentes localisations pour les automutilations, celles-ci sont souvent associées à des comorbidités psychiatriques. Cette étude décrit une cohorte de 30 patients hospitalisés s’automutilant
et compare les données recueillies (sociodémographiques, antécédents, comorbidités et type
d’automutilation) à celles de la littérature. Le groupe se compose majoritairement de filles et
l’âge moyen est de 18 ans. Trente pour cent des patients disent avoir subi des maltraitances
durant l’enfance, 60 % sont suivis sur le plan psychiatrique et 73 % ont un antécédent de tentative d’autolyse. Tous les patients se sont infligés des blessures à au moins deux reprises et
plusieurs moyens sont associés dans la plupart des cas (incision des avant-bras le plus souvent). Les conduites addictives telles que l’abus de substance (tabac 46,7 % ; alcool 23,3 % ;
toxique 16,7 %) et les troubles des conduites alimentaires (33,3 %) sont fréquemment associés
aux automutilations. Enfin, trois diagnostics sont principalement retrouvés dans notre cohorte
(syndrome dépressif 36,7 % ; trouble de personnalité 20 % ; trouble psychotique 10 % ; association
d’un syndrome dépressif et d’un trouble de personnalité 33,3 %).
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Nous remercions vivement les référées pour leur lecture attentive du manuscrit.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (A. Baguelin-Pinaud).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009.
doi:10.1016/j.encep.2008.08.005
Les conduites automutilatrices : étude portant sur 30 patients
KEYWORDS
Self-mutilating
behaviour;
Personality disorder;
Addiction
539
Summary
Introduction. — Deliberate self-injury is defined as the intentional, direct injuring of body tissue
without suicidal intent. There are different types of deliberate self-mutilating behaviour: self
cutting, phlebotomy, bites, burns, or ulcerations. Sometimes, especially among psychotic inpatients, eye, tongue, ear or genital self-mutilations have been reported. In fact, self-mutilation
behaviour raises nosological and psychopathological questions. A consensus on a precise definition is still pending. Many authors consider self-mutilating behaviour as a distinct clinical
syndrome, whereas others hold it to be a specific symptom of borderline personality disorder. Self-mutilating behaviour has been observed in 10 to 15% of healthy children, especially
between the age of 9 and 18 months. These self mutilations are considered as pathological
after the age of 3. Such behaviour is common among adolescents, with a higher proportion of
females, and among psychiatric inpatients. Patients use different locations and methods for
self-mutilation. Deliberate self harm syndrome is often associated with addictive behaviour,
suicide attempt, and personality disorder.
Clinical material. — We report on an observational study including 30 inpatients and
we compared the data with the existing literature. As a matter of fact, until now, most of
the papers deal with case reports or with very specific patterns of self-mutilation (eye, tongue
or genital self-mutilations). Otherwise, papers report the relationships between self-mutilation
and somatic or personality disorders (Lesh Nyhan syndrome, borderline personality disorder, dermatitis artefacta, self-mutilation in children following brachial plexus related to birth injury,
mental retardation...). Our study included all self harmed patients who had been admitted to
our psychiatric hospital (whatever the location and type of self-mutilation). Patients suffering
from brain injury or mental retardation were excluded.
Results. — In our sample, there was a higher percentage of women (29 women and 1 man) and
the mean age was 18 (12 to 37). More than half of the patients were aged under 18. Single
parent families were reported in 30% of cases. Thirty percent of patients had been physically or
sexually abused during childhood. Sixty percent had a comorbid psychiatric disorder, 63% had
been hospitalised previously (half of them twice or more). Seventy-three percent of patients had
previously attempted suicide (notably deliberate self-poisoning and cutting) that was not considered as self-mutilating behaviour by the patients themselves. Each patient had self harmed
themselves at least twice and most often different methods and locations were used (deliberate
self harm of forearms 90%, thighs 26.7%, legs 16.7%, chest 10%, belly 10%, hands 6.9%, face 6.9%,
arms 6.7%, and feet 3.3%). Addictive disorders, such as substance abuse (tobacco 46.7%; alcohol
23.3%; illicit drugs 16.7% mostly cannabis or cocaine) and eating disorders (33.3% and among
them 50% of cases were restrictive anorexia nervosa) were often associated with a deliberate
self harm syndrome. Three psychiatric diagnoses were often observed in our cohort: depressive disorder 36.7%; personality disorder 20%; psychosis 10% and depressive disorder associated
with personality disorder 33.3%. In our sample, psychotic patients differed on several clinical
aspects: the atypical location (abdomen, nails) and method (needles) of self-mutilating behaviour. None of them had been abused during childhood and none was suffering from addictive
disorders.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Introduction
Les automutilations concernent des sujets qui, en toute
conscience, s’infligent délibérément et de façon répétée, des blessures sur leur propre corps, sans volonté
apparente de se donner la mort [7]. Différentes formes
d’automutilation sont retrouvées : simples entailles sur la
peau, phlébotomies, morsures, brûlures, ulcérations de la
peau causées par différents objets. De façon plus grave,
généralement chez des sujets psychotiques, on retrouve
parfois des énucléations, des arrachements de la langue ou
des oreilles, voire même des mutilations génitales. Il est
difficile d’obtenir à l’heure actuelle une définition consensuelle de ce comportement.
La définition proposée en 1909 par Lorthiois recouvre
un ensemble de manifestations extrêmement diverses dans
leurs formes, leurs conséquences, leur intentionnalité et
dans les mécanismes sous-jacents mis en œuvre. Suivront la
classification de Menninger en 1938, la définition de Bourgeois et al. en 1984 [1] qui circonscrit dans le temps les
conduites automutilatrices et celles de Carraz et Ehrhardt
en 1973 [3], puis de Scharbach en 1986 [22] qui distinguent
les automutilations selon leur gravité.
Les auteurs anglosaxons se heurtent aux mêmes difficultés pour définir les automutilations dont le terme
se décline sous 33 formes. Dans les années 1960, leurs
descriptions concernaient des femmes jeunes, de bon
niveau socioculturel, qui s’auto scarifiaient pour soulager la
540
tension anxieuse [27]. Dans les années 1980, sont décrites
des associations avec les troubles du comportement alimentaire, surtout la boulimie, correspondant à près de la
moitié des cas d’automutilation ; il existe dans ce cas une
composante impulsive importante et une personnalité de
type état-limite. Pour certains auteurs comme Schaffer
et al. ou Walsh et Rosen, les conduites automutilatrices
sont spécifiques de la personnalité état limite [21,29]. Pour
d’autres comme Pattison et al. ou Tantam et al., il s’agit
d’une entité diagnostique à part entière, amenant ainsi à
définir un syndrome indépendant [18,26].
Les rares études épidémiologiques en population générale estiment la prévalence des automutilations entre 1 et
4 % [2,9]. Celle-ci est plus élevée en population psychiatrique de 21 à 60 % [2,4,5,19,31]. Dix à 15 % des enfants au
cours de leur développement présentent ce type de comportement qui peut perdurer jusqu’à l’âge de trois ans sans
que cela soit considéré comme pathologique [27]. Nous nous
proposons de décrire un échantillon de 30 patients hospitalisés au CHU de Rouen s’infligeant des blessures à eux
mêmes (coupures des avants bras majoritairement), essentiellement composé de femmes jeunes.
Les données recueillies à partir des dossiers de patients
seront comparées à celles de la littérature.
Méthode
Les automutilations superficielles et répétées sont de plus
en plus fréquentes parmi les jeunes patients [27], mais
rarement présentées comme la principale plainte de la
consultation. L’observation de ces patients hospitalisés pour
des motifs différents mais semblant avoir des caractéristiques communes a suscité certaines de nos interrogations :
ces patients représentent-ils un groupe homogène ? Quelles
sont les motivations et les fonctions des conduites automutilatrices ? Sont-elles un symptôme spécifique d’une
pathologie ou une entité diagnostique à part entière ?
C’est pourquoi nous avons choisi de décrire un groupe de
patients et de comparer les données recueillies à celles de
la littérature.
Ainsi, nous avons conduit une étude observationnelle
rétrospective incluant tous les patients admis dans les structures pour adolescents de l’hôpital psychiatrique de Rouen
et dans l’unité de psychiatrie adulte localisée au CHU sur
une période de six mois (1 janvier 2005 au 30 juin 2005). Les
patients inclus sont ceux qui s’infligent volontairement des
blessures quelles que soient la localisation et la méthode
employées et ne présentent pas d’autres pathologies telles
qu’une pathologie organique cérébrale ou un déficit mental. Ces patients étaient hospitalisés librement, soit à temps
plein, soit en hôpital de jour pour adolescents.
Les variables étudiées ont été sélectionnées en fonction des données de la littérature pour permettre de les
discuter : sexe, date de naissance, situation sociale, situation des parents (qu’il nous a semblé intéressant de décrire,
compte tenu du jeune âge des patients), antécédents de
tentative de suicide, nombre et moyens utilisés, localisation
des automutilations, notion de maltraitance (abus sexuels,
maltraitance physique, négligences), conduites addictives
associées (tabac, alcool, toxiques, troubles des conduites
alimentaires), diagnostic retenu lors de l’hospitalisation
A. Baguelin-Pinaud et al.
et répondant aux critères de la CIM 10. Ces informations
ont été recueillies par un investigateur, uniquement à partir de l’analyse détaillée des dossiers et figurent dans un
tableau à double entrée avec en abscisse les différentes
variables étudiées et en ordonnées chacun des patients.
Toutes ces données ne figuraient pas de façon exhaustive dans chacun des dossiers (le détail se trouve dans les
résultats).
Résultats
L’étude porte sur 30 patients (24 hospitalisés à temps plein
et six en hôpital de jour). Le groupe se compose de
29 femmes et d’un homme. L’âge moyen est de 18 ans (âges
limites compris entre 12 à 37 ans, écart-type = 4,7) et plus
d’un patient sur deux est âgé de 18 ans ou moins. Les parents
du tiers de cette population de patients sont soit séparés,
soit divorcés. Quatre patientes sont placées en foyer ou en
famille d’accueil.
Neuf patients sont déscolarisés, 17 sont dans un cursus
scolaire classique mais avec un nombre élevé de redoublements. Trois patients sont au chômage.
Parmi les 30 patients étudiés, neuf patients, soit 30 %,
déclarent avoir subi des maltraitances. La différence entre
maltraitance et négligences n’est pas possible à établir à
partir des dossiers. Quatre des neuf patients ayant subi
des maltraitances auraient été abusées sexuellement. Le
patient de sexe masculin n’a pas subi de maltraitance.
Dix-huit des 30 patients de l’échantillon (soit 60 %)
étaient suivis régulièrement sur le plan psychiatrique avant
leur hospitalisation. Dix-neuf patients, soit 63 %, avaient
bénéficié d’une hospitalisation antérieure, dont plus de la
moitié à deux reprises ou plus.
Vingt-deux des 30 patients (73 %) ont pour antécédent
une tentative d’autolyse essentiellement médicamenteuse.
Les tentatives de suicide par phlébotomie, par arme à feu,
par pendaison et par immolation ne sont pas représentées
dans l’échantillon. Le patient de sexe masculin n’a pas
d’antécédent de tentative de suicide.
Tous les patients se sont infligés des blessures, coupures
le plus souvent. L’âge de début des automutilations ne figure
pas dans le dossier.
Pour 90 % des patients, la localisation choisie est celle
des avant-bras. Dans 43% des cas, les automutilations sont
multiples (Tableau 1).
Si la plupart des patients se sont infligés des blessures
à au moins deux reprises (jusqu’à plus de 10), le recueil
de données des dossiers ne permet pas d’en obtenir la fréquence exacte. Parmi les 30 patients, seuls deux utilisent un
autre moyen : l’un se frotte les sourcils jusqu’à se créer des
lésions, l’autre s’enfonce des aiguilles sous les ongles.
Concernant les conduites addictives, l’analyse des dossiers retrouve que près d’un patient sur deux consomme
régulièrement du tabac et près d’un sur quatre de l’alcool.
Enfin, cinq patients (16,7 %) déclarent consommer régulièrement des toxiques, tous du cannabis, l’un des cinq patients
associe au cannabis de la cocaïne et du speed de manière
occasionnelle (Tableau 2).
Dix patients de l’échantillon (soit 33,3 % dont cinq anorexie et cinq boulimie plus anorexie) souffrent d’un trouble
des conduites alimentaires associé.
Les conduites automutilatrices : étude portant sur 30 patients
Tableau 1
541
Répartition des patients selon la localisation de l’automutilation.
Localisation de l’automutilation
Avants-bras
Cuisses
Jambes
Thorax
Abdomen
Mains
Visage
Bras
Pieds
n = 30 (%)
27 (90)
8 (26,7)
5 (16,7)
3 (10)
3 (10)
2 (6,9)
2 (6,9)
2 (6,9)
1 (3,3)
Tableau 2
Répartition des patients selon leur consommation de produits.
Type de produit consommé
Consommation présente
Consommation absente
Consommation non documentée
Tabac
Alcool
Toxiques
14 (46,7)
7 (23,3)
5 (16,7)
9 (30)
18 (60)
21 (70)
7 (23,3)
5 (16,7)
4 (13)
Tableau 3
Répartition des patients selon les troubles psychiatriques présentés.
Diagnostic DSM IV
Syndrome dépressif
Trouble de personnalité
Syndrome dépressif et
trouble de personnalité
Trouble psychotique aigu
n = 30 (%)
11 (36,7)
6 (20)
10 (33,3)
3 (10)
Trois diagnostics principaux sont retrouvés chez ces
patients : syndrome dépressif caractérisé d’intensité légère
à moyenne, trouble de la personnalité et trouble psychotique. Un patient sur trois présente à la fois un épisode
dépressif caractérisé et un trouble de la personnalité
(Tableau 3).
Le diagnostic de trouble de personnalité n’est pas renseigné quant au type de ce trouble. Les patients psychotiques
diffèrent du reste de l’échantillon par l’absence de maltraitance dans leurs antécédents, l’absence de conduite
addictive associée, la localisation atypique des automutilations (abdomen, piqûre d’aiguilles sous les ongles) ainsi
que l’utilisation de moyens inhabituels (aiguilles).
Discussion
Les caractéristiques sociodémographiques de notre échantillon reflètent celles de la littérature [2,8,17,18] avec un
âge de début précoce et une prépondérance féminine. Sur
le plan des antécédents, la majorité des patients (22 soit
73 %) ont déclaré au moins un passage à l’acte suicidaire,
19 patients (63 %) ont bénéficié d’une hospitalisation antérieure et 18 (60 %) étaient suivis régulièrement sur le plan
psychiatrique.
Un tiers des patients de notre échantillon aurait subi
des maltraitances, dont le rôle favorisant l’apparition
des comportements automutilateurs a été suggéré par
différentes études [8,14].
Les patients de notre échantillon associent aux automutilations le plus souvent un trouble de personnalité
(15 patients). Le fait qu’il s’agisse d’une étude rétrospective sur dossiers sans l’utilisation d’échelle d’évaluation ne
permet pas de préciser le type de ce trouble.
Dans la littérature, la personnalité « borderline » est
celle qui est le plus souvent associée aux conduites automutilatrices [6,12,23] à tel point que certains auteurs
considèrent les blessures auto-infligées comme un symptôme pathognomonique de ce trouble de personnalité
dont la présence augmenterait la fréquence des tentatives
d’autolyse et des hospitalisations. Pour d’autres auteurs, la
séquence comportementale ainsi que les motivations et les
fonctions des automutilations sont identiques et présentes
dans d’autres types de troubles de personnalité [12,15,28],
indiquant ainsi une indépendance de ce symptôme. Il existe,
pour de nombreux auteurs, une corrélation entre le degré
d’impulsivité et l’automutilation. On retrouve, par ailleurs,
une association fréquente à d’autres conduites impulsives
(sexuelles, alimentaires, toxiques, tentatives de suicide).
En outre, 60 à 70 % des patients s’automutilant présentent un syndrome dépressif associé [6,23,25] ; le risque
suicidaire est alors d’autant plus élevé [11,24,30].
Enfin, dans notre échantillon, les fréquences des comorbidités que sont les troubles du comportement alimentaire,
ou les abus de substance (46,7 % tabac, 23,3 % pour l’alcool
et 16,7 % pour les toxiques) sont inférieures à celles retrouvées dans la littérature [20,31]. Cela peut s’expliquer par le
jeune âge des patients ainsi que par les limites méthodologiques de notre étude.
En ce qui concerne la description du comportement
automutilateur à proprement parler, la localisation la plus
fréquente des automutilations (avant-bras) et le moyen
le plus souvent utilisé (coupure) sont comparables à ceux
retrouvés dans la littérature [8,12,16].
Comme cela a été observé dans notre échantillon, on
retrouve dans la littérature un caractère répété des passages à l’acte dans trois quarts des cas (au moins deux fois
et jusqu’à dix fois pour la cohorte), parfois jusqu’à une centaine de fois, les sujets utilisant alors plusieurs méthodes
d’automutilation. Le taux de létalité est faible, puisque
l’intention initiale n’est pas suicidaire.
La durée habituelle d’évolution du trouble rapportée
dans la littérature est de cinq à dix ans, parfois plus longue
[8]. Notre étude ne nous permet pas de connaître l’âge de
début des automutilations chez nos patients de même que
la durée.
L’analyse des dossiers des patients indique que ceux-ci
décrivent une impossibilité à résister au besoin impérieux
542
de s’automutiler, un état de tension psychologique préalable insupportable, impossible à gérer, similaire à ce qui
est observé dans les conduites addictives [9,13]. L’anxiété,
lors de la période qui précède le geste d’automutilation
est croissante, avec une agitation, un sentiment de
colère et d’impuissance. Des sensations de dépersonnalisation ont également été décrites au moment de l’acte
d’automutilation. Il existe une diminution des capacités
d’adaptation, le sujet ne parvenant pas à gérer cette
anxiété. Le passage à l’acte est suivi d’un soulagement
important de la tension. L’humeur est souvent décrite dans
la littérature comme dysphorique pendant et après le passage à l’acte.
Goodman en 1990 [10], suivant une approche critériologique, donne une définition des addictions qui demeure
une référence. Il s’agit ‘‘d’un processus par lequel un
comportement susceptible de permettre à la fois la production d’un plaisir et le soulagement d’une sensation de
malaise, s’organise d’une manière qui inclut la notion de
perte de contrôle et la poursuite de ce comportement, malgré la connaissance de ses conséquences négatives’’. Cet
auteur a donc tenté d’intégrer les automutilations au sein
des conduites addictives. S’agit-il d’une entité diagnostique
à part entière ? Si les automutilations sont fréquemment
décrites chez les patients borderline, elles sont également
présentes dans d’autres structures de personnalité et la
séquence comportementale décrite plus haut ne varie pas
selon le diagnostic.
Certains auteurs retrouvent une diminution du tonus
sérotoninergique chez les patients s’automutilant, ce qui
serait lié à un mauvais contrôle de l’impulsivité [12]. Ainsi,
Favazza (7, 9) a t’il proposé que les automutilations soient
classées dans l’axe I du DSMIV comme trouble du contrôle
des impulsions non spécifié par ailleurs. Il semble manquer à
ce jour d’études longitudinales sur ce sujet pour contribuer
à définir les automutilations comme une entité diagnostique
à part entière.
Conclusion
Il s’agit d’une étude rétrospective descriptive à partir
des dossiers de patients hospitalisés s’automutilant. Les
données recueillies présentent des similitudes et des différences avec celles relevées dans la littérature. Certaines
questions comme l’âge de début du comportement automutilateur n’ont pas été posées de manière standardisée
ni systématique à notre échantillon de patients, ce qui en
empêche la comparaison et constitue l’une des limites de
cette étude. Par ailleurs, l’un des lieux de recrutement est
l’hôpital de jour pour adolescents ce qui peut expliquer
la moyenne d’âge jeune des patients de notre échantillon.
Enfin, du fait de la taille de cet échantillon, il est difficile
de conclure quant aux diagnostics principaux présentés par
ces patients.
Les automutilations recouvrent plusieurs types de
conduites qui n’ont pas toutes les mêmes significations. Il
est difficile, aujourd’hui, de donner une définition consensuelle de ce comportement. Les automutilations sont des
comportements dont l’incidence est en augmentation [27].
Leurs liens sont mal définis avec les difficultés de contrôle
de l’impulsivité, avec les addictions, avec les troubles de
A. Baguelin-Pinaud et al.
personnalité : il est ainsi difficile de rattacher ces comportements à une entité clinique particulière. Les antécédents
d’abus sexuels sont un facteur favorisant.
Les recherches sur les automutilations doivent être
poursuivies pour permettre une meilleure compréhension
des mécanismes psychopathologiques et biologiques des
automutilations ainsi qu’une utilisation plus adéquate des
thérapeutiques.
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