Intoxication éthylique aiguë J.-M. Philippe, C. Sureau, D. Ruiz, S. Teil

Intoxication éthylique aiguë
J.-M. Philippe, C. Sureau, D. Ruiz, S. Teil
L’intoxication éthylique aiguë (IEA) est fréquente en France et touche principalement les hommes mais
aussi les femmes, les préadolescents et les adolescents. Les méthodes d’évaluation de l’alcoolémie les plus
couramment utilisées sont le dosage dans le sang et la mesure de l’éthanol dans l’air expiré. Les
manifestations cliniques de l’IEA sont dépendantes de nombreux facteurs. Trois formes cliniques sont
habituellement définies : l’IEA isolée, l’IEA avec agitation psychomotrice, et l’IEA avec troubles de la
vigilance. En médecine d’urgence, l’IEA est répartie en deux catégories : l’IEA non compliquée et l’IEA
compliquée. Celle-ci se définit par l’ingestion d’alcool en quantité excessive associée à une autre
pathologie neurologique, pulmonaire, un trouble de la thermorégulation, un trouble métabolique, une
anomalie cardiaque, une agitation, un traumatisme ou à une autre intoxication. Chez l’enfant et
l’adolescent, l’IEA est une conduite à risque dangereuse qui peut être considérée comme un équivalent
suicidaire et nécessiter une prise en charge spécialisée. La stratégie de prise en charge d’une IEA repose sur
la recherche des éléments de gravité, le recueil de l’anamnèse et des antécédents. L’examen clinique doit
être complet et minutieux. La mesure de température, de la glycémie capillaire et de la SpO
2
doit être
systématique. L’électrocardiogramme, les examens biologiques et l’imagerie permettent de rechercher les
éventuelles complications. L’affirmation de l’IEA se fait par le dosage de l’alcoolémie. Le recours à la
tomodensitométrie cérébrale doit être large devant tout signe neurologique, stigmate de traumatisme
crânien ou trouble de la conscience non corrélé avec l’alcoolémie mesurée. La prise en charge de l’IEA non
compliquée repose sur la surveillance clinique. Celle de l’IEA compliquée se fait en fonction de chaque
tableau clinique. La prise en charge de l’IEA de l’enfant et de l’adolescent repose sur une hospitalisation
systématique de 72 heures avec évaluation pédopsychiatrique. Tout patient présentant une IEA non
compliquée doit être surveillé au mieux dans une unité d’hospitalisation de courte durée jusqu’à ce qu’il
retrouve une fonction relationnelle normale et qu’il ne présente pas de troubles du comportement ou de la
vigilance. Un patient en IEA n’est pas en état d’exprimer un consentement légalement recevable, la sortie
contre avis médical n’a donc aucune valeur. L’IEA dans un service d’urgences ne doit pas être banalisée
car elle témoigne d’un mésusage, voire d’une alcoolodépendance. Après la phase aiguë, une évaluation
alcoologique doit être réalisée. L’objectif est de proposer au patient une démarche thérapeutique. La
rédaction d’un certificat de non-hospitalisation dans le cadre d’une ivresse publique manifeste constitue
un acte médical à haut risque.
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Mots clés : Intoxication aiguë par l’éthanol ; Intoxication aiguë par l’alcool ; Alcoolisation massive
Plan
Introduction 2
Épidémiologie 2
Type de consommation 2
Pathologies associées 2
Modification des comportements 2
Toxicologie 3
Toxicocinétique et métabolisme 3
Méthodes d’évaluation de l’alcoolémie 4
Formes cliniques 4
Intoxication éthylique aiguë non compliquée 4
Intoxication éthylique aiguë compliquée 4
Cas particulier de l’intoxication éthylique aiguë de l’enfant
et de l’adolescent 5
Stratégie de prise en charge 5
Recherche des éléments de gravité immédiats 5
Abord du patient alcoolisé 5
Recueil de l’anamnèse et recherche des antécédents 5
Examen clinique 5
Affirmer le diagnostic 5
Examens complémentaires 5
Rechercher les complications 6
Diagnostic différentiel 6
Prise en charge de l’IEA non compliquée 6
Prise en charge de l’IEA compliquée 6
Complications neurologiques 6
Complications cardiaques et hémodynamiques 9
Complications pulmonaires 9
Complications métaboliques et hydroélectrolytiques 9
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1Médecine d’urgence
Complications thermiques 9
Complications digestives 10
Complications musculaires 10
Complications infectieuses 10
Complications allergiques 10
Complications et associations traumatiques 10
Associations toxiques 10
Prise en charge de l’IEA de l’enfant et de l’adolescent 10
Problématique du sevrage 11
Diagnostic et étiologie 11
Traitement 11
Orientation et organisation du suivi des patients 11
Critères d’hospitalisation 11
Prise en charge à l’issue de la phase aiguë 12
Cas particulier de l’ivresse publique manifeste 12
Conclusion 15
Introduction
L’intoxication éthylique aiguë (IEA) est l’intoxication la plus
fréquente en France. Les services d’accueil des urgences sont
souvent confrontés aux problèmes de mésusage ou de dépen-
dance vis-à-vis de l’alcool. Toutefois, l’alcoolémie n’est positive
que chez 85 % des patients admis aux urgences pour une IEA
supposée
[1]
. L’IEA est une intoxication banalisée car trop
souvent ce diagnostic est porté par excès, en particulier chez des
patients en situation de précarité. L’IEA est rarement isolée et
peut être associée à des pathologies sévères somatiques et
psychiatriques. Par ailleurs, de nombreuses pathologies graves
peuvent simuler une IEA. Le patient qui présente des signes
d’IEA doit bénéficier d’une approche diagnostique rigoureuse et
d’une prise en charge adaptée. L’IEA non compliquée doit rester
un diagnostic d’élimination. La mission du médecin urgentiste
est avant toute chose la prise en charge de l’intoxication et de
ses éléments de gravité mais le service d’accueil des urgences
doit être également un lieu de dépistage et de prise en charge
du mésusage et de ses conséquences. L’objectif de cet article est
de donner les éléments du diagnostic, de préciser la prise en
charge de l’IEA, d’indiquer ses complications et de proposer les
éléments de la prise en charge à l’issue de la phase aiguë.
Épidémiologie
Type de consommation
L’alcool est la substance psychoactive la plus utilisée en
France
[2]
. Plus de 97 % des personnes âgées de 15 à 75 ans ont
consommé de l’alcool et seulement 2,8 % affirment n’avoir
jamais bu aucune boisson alcoolisée
[3]
. En France, en 2000, le
nombre de séjours hospitaliers pour IEA était estimé à
54 233
[4]
. Aux États-Unis, plus de 75 000 décès par an sont liés
à une consommation excessive d’alcool
[5]
. Une étude anglaise
a montré que 29 % des entrées dans les services d’urgences (SU)
concernaient un problème d’alcool
[6]
. Depuis plusieurs années,
le mésusage de l’alcool se développe dans la population fémi-
nine. La proportion de femmes présentant un problème de
consommation d’alcool est passée de 5,5 % en 1977 à 12,2 %
en 2002
[7]
. Si la prise en charge somatique de l’IEA est bien
codifiée dans les SU, la prise en charge alcoologique est encore
très peu développée. Seuls 2 % des sujets arrivant aux urgences
pour IEA avec une consommation pathologique d’alcool ont
une proposition de prise en charge spécialisée en alcoologie
[8]
.
Pathologies associées
Dans les SU, l’IEA est souvent associée à d’autres pathologies :
des traumatismes dans5%à50%descas, des pathologies
médicales dans4%à7%descas, des affections psychiatriques
dans 30 % des cas, des tentatives de suicide dans 10%à75%
des cas et des violences dans 15%à25%descas
[9, 10]
.La
consommation d’alcool est aussi un facteur aggravant pour la
fréquence des traumatismes, pour leur violence et leur gra-
vité
[11]
. Le risque de traumatisme augmente dès la première
consommation d’alcool. Ce risque s’accroît nettement lorsque le
sujet consomme au moins six verres par jour
[12]
. Pour ces
personnes, le risque de traumatisme intentionnel est plus grand
que celui de traumatisme involontaire. Le risque traumatique lié
à la prise d’alcool se retrouve dans toutes les tranches d’âge.
Dans une étude finlandaise, l’alcoolémie était positive chez
19 % des patients et chez 16 % des patientes consultant pour
une fracture de hanche. Les patients âgés de 65 à 74 ans étaient
plus nombreux à avoir consommé de l’alcool que les plus de
75 ans (p< 0,001)
[13]
. L’IEA favorise aussi les comportements
sexuels à risques : partenaires multiples, absence de dispositif de
protection et de contraception
[14-16]
. L’IEA est également un
facteur de risque d’agressions sexuelles. Ainsi, aux États-Unis,
une consommation d’alcool est rapportée dans près de la moitié
des cas d’agressions sexuelles, que ce soit pour l’agresseur, la
victime ou les deux
[17]
. Pendant les deux dernières décennies,
la typologie de la consommation aiguë d’alcool a évolué.
L’intoxication de type binge drinking qui peut être traduit par
« alcoolisation massive » est devenue de plus en plus fréquente
dans toutes les tranches d’âge. Elle se définit comme la prise,
lors d’une même occasion, d’au moins cinq verres d’alcool chez
l’homme adulte et d’au moins quatre chez la femme. Le binge
drinking est clairement une conduite addictive à haut risque,
notamment sur le plan traumatologique (accident de la voie
publique, rixe, etc.) et sur le plan social (désinhibition avec
majoration de l’agressivité et des comportements violents)
[16,
18]
. Depuis longtemps, la prise d’alcool est connue comme
modifiant les capacités de jugement et le comportement des
conducteurs. Une étude prospective italienne portant sur des
patients de plus de 14 ans consultant après un accident de la
voie publique rappelle qu’une alcoolémie supérieure ou égale à
0,5 g/l est un facteur de risque de traumatisme, mais également
de gravité du traumatisme. L’IEA peut aussi perturber le
diagnostic clinique de certains traumatismes lors de l’examen
initial contribuant ainsi à leur méconnaissance
[19]
. Une étude
slovène a retrouvé une alcoolémie positive dans 69 % des
suicides par armes à feu et dans 56 % des suicides par
intoxication
[18]
.
Modification des comportements
Chez les adolescents, l’alcool est, avec le tabac, la substance
la plus fréquemment expérimentée entre 12 et 18 ans. Le
comportement des adolescents vis-à-vis de l’alcool devient de
plus en plus comparable à celui des adultes. L’alcool n’est plus
un produit seulement « festif » car son usage régulier est en
hausse
[20, 21]
. Plus de 50 % des alcoolisations chroniques
débutent avant l’âge de 20 ans
[20]
. L’alcoolisation aiguë massive
s’inscrit désormais clairement comme un problème de santé
publique pour les mineurs de plus de 12 ans. Dans une étude
américaine, 44,9 % des lycéens rapportaient avoir consommé de
l’alcool dans le mois écoulé. Ils étaient 28,8 % à déclarer avoir
bu au moins cinq verres d’alcool lors d’une même occasion
[22]
.
L’alcoolisation massive a des conséquences sociales et médicales
maintenant bien connues. Elle est plus facilement associée à
l’échec scolaire, à des conduites sexuelles à risque, à des
agressions sexuelles, à des tentatives de suicide, à des addictions
associées, à des comportements à risques sur la route et à des
comportements violents
[16, 23]
. Une étude prospective multi-
centrique française a porté sur l’IEA identifiée comme motif de
consultation aux urgences avec une alcoolémie positive chez des
patients mineurs de plus de 12 ans. Une conduite à risque était
retrouvée chez 65 % des patients toutes causes confondues :
tentative de suicide pour 9,5 % ; fugue pour 17,5 % et accident
de la voie publique pour 12,7 %. Le but de l’ingestion d’alcool
était suicidaire dans 8 % des cas. L’IEA était associée à la prise
de cannabis chez 11 % des patients ou à une intoxication
médicamenteuse chez 4,8 % d’entre eux
[24]
.
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Intoxication éthylique aiguë
2Médecine d’urgence
Toxicologie
Toxicocinétique et métabolisme
L’éthanol, connu également sous le nom d’alcool éthylique
ou simplement alcool, est un toxique d’usage courant en France
(Fig. 1). La consommation annuelle par habitant en France était
en 2005 de 3,4 litres d’alcool pur
[25]
. Les boissons alcoolisées
sont caractérisées au regard de la législation par le terme de
degré alcoolique (d °) qui indique le volume d’alcool pur
contenu dans 100 volumes de boisson. Ainsi, les spiritueux
obtenus par distillation (whisky, gin, vodka, cognac) contien-
nent de 40%à50%d’éthanol. Les vins renferment de 11 % à
13 % d’éthanol. Quant aux bières, la quantité d’éthanol
s’échelonne de 2%à6%.Cette notion de degré d’éthanol est
parfois trompeuse. Il est donc important d’introduire la notion
d’unité d’alcool. La taille et la forme traditionnelles des verres
sont adaptées au volume d’alcool contenu dans les différentes
boissons alcoolisées et contiennent pratiquement la même
quantité d’alcool soit environ 10 g d’éthanol pur et correspon-
dent à ce que l’on appelle une unité d’alcool (Fig. 2). Rappelons
que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit comme
acceptable une consommation d’éthanol n’excédant pas
21 unités d’alcool par semaine chez l’homme sans dépasser
quatre unités par occasion de boire. Chez la femme, le maxi-
mum toléré est de 14 unités sans dépasser deux unités par
occasion de boire.
L’éthanol est une petite molécule pourvue d’un radical OH de
formule chimique : CH
3
CH
2
OH et d’un poids moléculaire de
46,07 daltons. Ce liquide incolore, volatil, inflammable, d’odeur
caractéristique et de saveur brûlante, est soluble dans l’eau et
dans les graisses.
L’absorption de l’éthanol est quasi immédiate par diffusion
passive à travers la muqueuse gastrique (20 %) mais surtout du
duodénum et du jéjunum proximal (80 %). À jeun, la concen-
tration maximale sanguine est atteinte en 30 minutes
[26]
.La
distribution de l’éthanol est très rapide pour tous les organes
très vascularisés (cerveau, poumon, foie) avec une demi-vie de
distribution de7à8minutes
[27]
.
L’éthanol est éliminé pour près de 90%à95%parvoie
métabolique. Le reste est excrété sous forme inchangée par les
poumons. La clairance pulmonaire est estimée, pour un sujet
d’un poids de 70 kg, à 0,16 l/h
[28]
. L’éthylométrie (mesure de
l’alcool expiré) est un bon reflet de l’éthanolémie car le rapport
de la concentration de l’éthanol entre le sang et l’air alvéolaire
est fixe (1/2 100). Les reins excrètent l’éthanol à raison de
0,06 l/h et la sueur à raison de 0,02 l/h pour un sujet d’un
poids de 70 kg
[28]
. L’éthanol est également éliminé dans la
salive et le lait maternel
[29]
.
Le métabolisme de l’éthanol comprend deux étapes :
L’oxydation en acétaldéhyde sous l’action de l’alcooldéshy-
drogénase (ADH) principalement au niveau des hépatocytes :
CH
3
CH
2
OH + NAD
+
NADH + H
+
+CH
3
CHO
L’action de l’ADH est complétée par deux autres systèmes
oxydatifs : Le système microsomal ethanol oxydizing system
(MEOS) et la voie de la catalase ;
l’oxydation de l’acétaldéhyde en acétate est dépendante de
l’acétaldéhyde déshydrogénase (ALDH) en présence de NAD
+
:
CH3CHO + NAD+ CH3COOH + NADH + H+
La capacité de métabolisation de l’éthanol est plus impor-
tante chez l’éthylique chronique : 175 mg/kg/h contre 100 à
125 mg/kg/h chez le buveur occasionnel. La dose létale estimée
pour un adulte serait de 300 ml à 400 ml d’éthanol ingéré en
moins de 1 heure, mais il existe des variabilités interindividuel-
les considérables
[30]
.
La toxicité fonctionnelle de l’éthanol sur le système nerveux
central (SNC) est liée à son action sur la membrane cellulaire
des neurones. Cette petite molécule est très diffusible et peu
spécifique et modifie directement la structure des membranes
neuronales en la désorganisant, en particulier en fluidifiant la
structure phospholipidique. Cet effet est dose-dépendant. De
cette désorganisation structurelle va procéder l’altération de
certaines enzymes comme l’adénosine triphosphatase (ATPase)
Na
+
/K
+
dépendante et des récepteurs des neurotransmetteurs au
niveau des synapses. La modification de cette enzyme contribue
à modifier le potentiel d’action des neurones en freinant les flux
membranaires de ces ions. Quant à l’altération des neurotrans-
metteurs, elle va perturber l’ensemble des mécanismes cellulaires
en relation directe avec ces récepteurs. Les transports ioniques
membranaires, en particulier le transport calcique, dont le rôle
est important dans le fonctionnement cellulaire, et la neuro-
transmission seront perturbés
[31]
. Par ailleurs, certaines mani-
festations toxiques aiguës sont directement liées aux métabolites
de l’éthanol, en particulier les radicaux libres produits par le
métabolisme oxydatif de l’acétaldéhyde.
L’éthanol a une activité bipolaire sur le SNC qui est dose-
dépendante. À faible concentration plasmatique, elle est
psychostimulante et désinhibitrice. À forte dose, elle déprime le
SNC, entraînant sédation, troubles de la vigilance et parfois
coma. L’éthanol altère le fonctionnement du lobe frontal qui
intervient en tant que modulateur des conduites instinctuelles
(appétit, soif, faim et sexualité). Cette action entraîne des
troubles de la coordination motrice, du jugement et des
capacités d’abstraction et du langage mais aussi des fonctions
cognitives
[32]
. Les troubles cognitifs sont importants même à
des taux d’alcoolémie faibles (< 0,50 g/l) ce qui n’est pas sans
poser le problème du taux légal d’alcoolémie pour conduire un
véhicule
[33]
. Le syndrome cérébelleux est constant provoquant
des troubles de l’équilibre et de la parole.
Le risque principal de l’éthanol à ces taux faibles réside dans
l’effet désinhibiteur responsable d’un grand nombre d’accidents
en modifiant les comportements de prises de risques
[34]
.La
diminution du champ visuel
[35]
et l’allongement du temps de
réaction
[36]
ont été mis en évidence et concourent aux mêmes
risques. Enfin, l’éthanol génère des comportements agressifs qui
sont responsables de la gravité médicosociale de cette intoxica-
tion
[37, 38]
. Les intoxications éthyliques qui se manifestent par
Figure 1. Molécule d’éthanol.
Ballon de vin
Demi de bière Verre de whisky
Verre de porto
=
== =
==
1 unité
d’alcool
Verre de pastis
Coupe de champagne
Figure 2. Équivalence des verres.
Intoxication éthylique aiguë
25-150-A-30
3Médecine d’urgence
des troubles graves du comportement sont qualifiées d’ivresses
pathologiques.
Il faut toutefois nuancer l’approche basée sur la corrélation de
l’éthanolémie avec les défaillances du SNC car il existe des
variations individuelles, en particulier chez l’éthylique chroni-
que. Il existe, en effet, des phénomènes de tolérance qui
permettent de supporter des éthanolémies élevées avec une
faible expression clinique. De même, pour une éthanolémie
équivalente, les manifestations neurosensorielles sont plus
importantes en phase ascendante de l’intoxication que pendant
la décroissance.
La toxicité lésionnelle de l’éthanol est liée à la consommation
chronique. Elle va entraîner des atteintes organiques qui
peuvent persister, même après un sevrage, pendant des mois et
même des années. Les origines de ces complications neurologi-
ques sont liées aux effets directs et prolongés sur les neurones,
en particulier sur les membranes et les récepteurs comme nous
l’avons précédemment évoqué en phase aiguë, mais aussi aux
lésions anatomiques sur le SNC mises en évidence sous la forme
de pertes neuronales dans le cortex préfrontal, l’hypothalamus
et le cervelet
[36, 39]
. Enfin, les carences nutritionnelles, en
particulier en thiamine, jouent certainement un rôle aggravant.
Méthodes d’évaluation de l’alcoolémie
La mesure directe de l’éthanol dans les liquides biologiques
permet d’objectiver une consommation récente du toxique. Le
gold standard est la mesure directe de l’éthanol dans le sang car
elle reflète au mieux l’index d’imprégnation éthylique au niveau
cérébral chez un patient vivant
[40]
. L’air expiré contient de
l’éthanol dont la concentration est en lien direct avec celle du
sang. Dans le cadre de la toxicologie d’urgence, le dosage de
l’éthanol est actuellement réalisé par deux méthodes que sont
l’éthanolémie ou mesure de l’éthanol dans le sang et l’éthylo-
métrie ou mesure de l’éthanol dans l’air expiré.
Différentes méthodes peuvent être utilisées pour mesurer la
concentration d’éthanol dans le sang. Les méthodes chimiques
nécessitent une séparation physique ou chimique de l’éthanol
du sang. Les méthodes enzymatiques sont basées sur la capacité
d’enzymes à oxyder l’éthanol en acétaldéhyde
[40]
. La détermi-
nation de l’éthanolémie en milieu hospitalier est réalisée la
plupart du temps par des méthodes enzymatiques automati-
sées
[41]
. En revanche, en médecine légale, les méthodes chimi-
ques par distillation sont privilégiées car elles sont spécifiques
de l’éthanol, ce que ne sont pas les méthodes enzymatiques.
La mesure de l’éthanol dans l’air expiré s’appuie sur la
corrélation entre l’éthanol présent dans le sang et celui de l’air
expiré. Il est admis que 1 ml de sang contient la même quantité
d’alcool que 2 100 ml d’air. Ainsi, l’éthylométrie s’exprime
habituellement en g/210 l. Pour obtenir ce point d’équilibre, la
mesure doit être réalisée après une inspiration profonde et une
expiration rapide et profonde. Il existe deux grandes catégories
d’appareils de mesure de l’air expiré. Les éthylotests sont des
dispositifs mobiles procurant des résultats rapides qui nécessi-
tent une participation active du sujet. L’intérêt de ces appareils
réside dans leur facilité d’utilisation et leur maniabilité. En
revanche, les résultats obtenus sont en général peu fiables. Les
éthylomètres donnent des données fiables et peuvent être
mobiles. Leurs résultats sont opposables devant les tribunaux.
Formes cliniques
Les manifestations cliniques de l’IEA sont dépendantes de
nombreux facteurs. En premier lieu, elles sont principalement
liées aux caractéristiques de la prise d’alcool (type d’alcool, dose
d’alcool ingérée, rapidité d’ingestion, température de la boisson,
ingestion simultanée de nourriture). Par ailleurs, d’autres
facteurs entrent en jeu comme l’âge, le sexe, le poids, le ratio
entre la masse maigre et la masse grasse mais aussi la suscepti-
bilité de l’individu à l’éthanol. Enfin, l’existence de pathologies
associées, d’une consommation chronique d’alcool, de la prise
concomitante d’autres substances psychoactives va modifier
l’expression clinique de l’intoxication. Il n’existe pas de
corrélation fiable entre les signes cliniques observés et
l’alcoolémie.
La conférence de consensus de 1992 proposait une classifica-
tion clinique de l’IEA en trois formes cliniques
[42]
:
IEA isolée, non compliquée caractérisée par une logorrhée,
une incoordination motrice, des conjonctives injectées et une
odeur caractéristique de l’haleine ;
IEA avec agitation psychomotrice ;
IEA avec troubles de la vigilance.
En 2003, l’actualisation de la conférence de consensus
introduit de nouvelles notions qui enrichissent le cadre clinique
et complètent la précédente définition
[43]
. L’IEA simple est
scindée en trois phases distinctes : l’excitation psychomotrice
avec désinhibition et euphorie, l’incoordination avec trouble de
la vigilance et le coma. L’IEA pathologique, quant à elle, est
caractérisée par un tableau clinique marqué par une dangerosité
potentiellement majeure.
La différenciation entre IEA simple et pathologique est
toujours utilisée mais certains auteurs ont apporté des préci-
sions. L’ivresse comateuse est définie par un état léthargique
plus ou moins profond avec une hyporéflexie tendineuse, une
hypoesthésie et une incontinence urinaire
[44]
. Pour les ivresses
pathologiques, le cadre nosologique s’enrichit de cinq tableaux
cliniques
[45]
:
les ivresses excitomotrices sont des ivresses agitées, associant
impulsions verbales et motrices avec décharges clastiques
fréquentes. L’alcool devient alors un facteur criminogène
facilitant le passage à l’acte antisocial ;
les ivresses d’allure maniaque sont marquées par l’euphorie,
la familiarité du discours, les idées de grandeur, de toute
puissance ;
les ivresses dépressives : parmi les causes de décès chez les
patients alcooliques, le suicide est retrouvé dans5%à25%
des cas ;
les ivresses délirantes avec des thèmes de persécution, de
jalousie et d’autodépréciation ;
l’ivresse hallucinatoire est essentiellement visuelle, avec
principalement des hallucinations visuelles terrifiantes, allant
de distorsions cauchemardesques de la réalité à un véritable
état hallucinatoire. Le diagnostic différentiel est le delirium
tremens.
Dans la pratique de la médecine d’urgence, il nous paraît plus
intéressant de définir l’IEA en deux catégories constituées par les
IEA non compliquées et les IEA compliquées. La première se
définit par une intoxication éthylique pure et isolée. La seconde
s’oppose à la première, en associant à l’IEA, des complications
et des comorbidités.
Intoxication éthylique aiguë
non compliquée
L’IEA non compliquée se définit par l’ingestion d’alcool en
quantité excessive sans autre intoxication associée, sans anoma-
lie des paramètres vitaux avec un examen clinique ne révélant
pas d’anomalie organique, ni de lésion traumatique et dont les
signes régressent dans les3à6heures. Classiquement, les
premiers signes cliniques d’intoxication sont caractérisés par
une euphorie avec désinhibition et excitation. Des troubles de
l’attention et une augmentation du temps de réaction sont en
général associés. À des doses plus élevées, il existe une incohé-
rence dans le discours à laquelle s’associent une dysarthrie et
des troubles de la marche avec incoordination et titubation. Des
troubles de l’équilibre et des vertiges avec troubles végétatifs
sont possibles. Lors d’une consommation importante, des
troubles de la vigilance apparaissent pouvant aller jusqu’au
coma, sans signe de localisation neurologique, avec une brady-
cardie et une hypotension modérées.
Intoxication éthylique aiguë compliquée
L’IEA compliquée est définie par l’ingestion d’alcool en
quantité excessive survenant chez un patient associé à au moins
un des éléments du Tableau 1. Aux mêmes éléments d’expres-
sion clinique que dans l’IEA non compliquée vont se rajouter
les signes cliniques propres aux complications.
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Intoxication éthylique aiguë
4Médecine d’urgence
Cas particulier de l’intoxication éthylique
aiguë de l’enfant et de l’adolescent
Chez l’enfant, l’IEA se manifeste habituellement par un
tableau d’euphorie avec incoordination motrice et désinhibi-
tion. L’évolution se fait vers l’hypotonie avec des troubles de la
conscience pouvant aller jusqu’au coma. L’hypoglycémie est
fréquente chez l’enfant. L’IEA, chez l’adolescent, est une
conduite à risque dangereuse car elle est souvent le reflet d’une
détresse sociofamiliale, scolaire et psychique. Même si la plupart
des adolescents consomment de l’alcool sur un mode festif, il
existe tout de même une notion de consommation excessive
d’alcool fort, équivalent suicidaire dans un contexte social
difficile, associée à des troubles neurologiques et des traumatis-
mes, voire des agressions sexuelles chez les jeunes filles ivres
[24]
.
Stratégie de prise en charge
Recherche des éléments de gravité
immédiats
Devant une IEA, il convient de détecter d’emblée des signes
de gravité. Dans une démarche logique, les fonctions vitales
doivent être systématiquement analysées :
l’état de conscience ;
la fréquence respiratoire et une éventuelle altération de cette
fonction (cyanose, sueurs, polypnée, etc.) ;
le pouls, la pression artérielle (PA), une instabilité hémodyna-
mique, des signes de choc (extrémités froides, marbrures,
pression artérielle systolique inférieure à 100 mmHg, tachy-
cardie supérieure à 110 battements par minute, désaturation
en oxygène en air ambiant et oligoanurie).
Devant la présence d’un signe de gravité, le patient est
directement admis en salle d’accueil des urgences vitales pour
une prise en charge qui a pour objectif de stabiliser les fonctions
vitales pour permettre, après stabilisation, une démarche
diagnostique étiologique.
Abord du patient alcoolisé
L’alcool lève les inhibitions, ce qui induit souvent des
troubles du comportement. Cet état provoque fréquemment
chez les personnels soignants des réactions négatives. Les
comportements de rejet comme les attitudes permissives ou de
banalisation, voire de complaisance ne sont pas adaptés. Le
patient alcoolisé peut être brutal, voire violent, rendant toute
discussion illusoire. Toutefois, tout doit être mis en œuvre pour
réussir à le calmer. Pour cela, il faut éviter de répondre aux
attaques verbales ou physiques du patient et rester impassible.
Il faut faire preuve de bienveillance et limiter au maximum les
interlocuteurs, en ne gardant si possible qu’une seule personne
« référente ». Il convient toutefois de rester vigilant car un
patient alcoolisé peut être dangereux pour lui-même et le
personnel.
Recueil de l’anamnèse et recherche
des antécédents
Il est important de connaître les circonstances de l’IEA. Il
peut être utile de faire appel aux témoignages de l’entourage,
des secouristes ou des forces de l’ordre pour obtenir des
informations sur l’anamnèse, en particulier les signes évocateurs
de convulsions, l’existence de vomissements, d’un déficit
moteur ou la notion d’un traumatisme. Il est indispensable de
noter les antécédents du patient et son traitement habituel.
Enfin, on doit rechercher une éventuelle toxicomanie associée.
Examen clinique
L’examen clinique doit être systématique et minutieux et les
données recueillies doivent être consignées dans le dossier
médical
[47]
. En cas d’agitation aiguë, il doit être réalisé après
sédation et contention du patient. L’examen comprend surtout
le recueil des paramètres vitaux (pouls, PA, saturation en
oxygène [SpO
2
]), la prise de la température et la mesure de la
glycémie capillaire. Une attention particulière est portée sur la
présence de sueurs, de cyanose, l’appréciation de l’état d’hydra-
tation, l’odeur de l’haleine (alcoolique ou acidocétosique).
L’examen de l’extrémité céphalique, à la recherche d’une
déformation, d’un hématome ou d’une plaie doit être impéra-
tivement réalisé. Il en est de même pour la recherche de points
de ponction veineux, potentiellement évocateurs d’une
toxicomanie.
L’examen neurologique doit être complet, caractériser l’état
de conscience et rechercher les signes neurologiques périphéri-
ques ou centraux, focaux ou diffus. Un syndrome méningé, une
otorragie, un hématome mastoïdien ou orbitaire, évocateur
d’une fracture de la base du crâne sont systématiquement
recherchés.
L’examen cardiovasculaire doit rechercher une anomalie du
rythme cardiaque et tout signe d’insuffisance cardiaque.
L’examen digestif s’attache à regarder s’il existe des signes
d’insuffisance hépatocellulaire.
Affirmer le diagnostic
Le diagnostic d’IEA est le plus souvent le résultat d’un
faisceau d’arguments anamnestiques et cliniques, qui permet-
tent aussi d’en apprécier la gravité. Toutefois, la sensibilité de
l’examen clinique n’est que de 78 % et la spécificité de 98 %,
ce qui implique que 2 % des IEA présumées ne sont pas des IEA
et que le tableau clinique est imputable à une autre pathologie
potentiellement grave.
Examens complémentaires
L’alcoolémie permet de confirmer l’intoxication et de la
quantifier mais la corrélation entre l’alcoolémie, les signes
cliniques et la gravité est médiocre. Elle permet aussi, en cas de
négativité, d’éliminer un diagnostic d’IEA cliniquement pré-
sumé. Elle présente un intérêt certain s’il existe une discordance
entre la quantité absorbée d’alcool et l’état clinique ou si
l’évolution ne coïncide pas avec une évolution normale en
quelques heures. L’alcoolémie peut être remplacée par l’éthylo-
métrie à condition de bien en respecter les règles. La mesure de
la glycémie capillaire doit être systématique pour rechercher une
hypoglycémie. D’autres examens biologiques peuvent présenter
un intérêt. L’hémogramme permet d’apprécier le volume
globulaire moyen et d’orienter vers une pathologie chronique
alcoolique. Le ionogramme sanguin objective l’état d’hydrata-
tion du patient et d’éventuels troubles ioniques. Il permet aussi
Tableau 1.
Principales complications de l’intoxication éthylique aiguë (d’après
[46]
).
Neurologiques Convulsions
Troubles de la conscience et coma
Encéphalopathies
Agitation aiguë
Cardiologiques Troubles du rythme supraventriculaire
Pulmonaires Pneumopathie d’inhalation
Métaboliques
et hydroélectrolytiques
Hypoglycémie
Acidocétose alcoolique
Dysnatrémie
Thermiques Hypothermie
Digestives Gastrite aiguë
Syndrome de Mallory-Weiss
Hépatite alcoolique aiguë
Musculaires Rhabdomyolyse
Infectieuses Pneumopathies
Allergiques Œdème de Quincke
Traumatiques Traumatisme crânien
Polytraumatisme
Associations toxiques Médicaments
Cannabis
Intoxication éthylique aiguë
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5Médecine d’urgence
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