des troubles graves du comportement sont qualifiées d’ivresses
pathologiques.
Il faut toutefois nuancer l’approche basée sur la corrélation de
l’éthanolémie avec les défaillances du SNC car il existe des
variations individuelles, en particulier chez l’éthylique chroni-
que. Il existe, en effet, des phénomènes de tolérance qui
permettent de supporter des éthanolémies élevées avec une
faible expression clinique. De même, pour une éthanolémie
équivalente, les manifestations neurosensorielles sont plus
importantes en phase ascendante de l’intoxication que pendant
la décroissance.
La toxicité lésionnelle de l’éthanol est liée à la consommation
chronique. Elle va entraîner des atteintes organiques qui
peuvent persister, même après un sevrage, pendant des mois et
même des années. Les origines de ces complications neurologi-
ques sont liées aux effets directs et prolongés sur les neurones,
en particulier sur les membranes et les récepteurs comme nous
l’avons précédemment évoqué en phase aiguë, mais aussi aux
lésions anatomiques sur le SNC mises en évidence sous la forme
de pertes neuronales dans le cortex préfrontal, l’hypothalamus
et le cervelet
[36, 39]
. Enfin, les carences nutritionnelles, en
particulier en thiamine, jouent certainement un rôle aggravant.
Méthodes d’évaluation de l’alcoolémie
La mesure directe de l’éthanol dans les liquides biologiques
permet d’objectiver une consommation récente du toxique. Le
gold standard est la mesure directe de l’éthanol dans le sang car
elle reflète au mieux l’index d’imprégnation éthylique au niveau
cérébral chez un patient vivant
[40]
. L’air expiré contient de
l’éthanol dont la concentration est en lien direct avec celle du
sang. Dans le cadre de la toxicologie d’urgence, le dosage de
l’éthanol est actuellement réalisé par deux méthodes que sont
l’éthanolémie ou mesure de l’éthanol dans le sang et l’éthylo-
métrie ou mesure de l’éthanol dans l’air expiré.
Différentes méthodes peuvent être utilisées pour mesurer la
concentration d’éthanol dans le sang. Les méthodes chimiques
nécessitent une séparation physique ou chimique de l’éthanol
du sang. Les méthodes enzymatiques sont basées sur la capacité
d’enzymes à oxyder l’éthanol en acétaldéhyde
[40]
. La détermi-
nation de l’éthanolémie en milieu hospitalier est réalisée la
plupart du temps par des méthodes enzymatiques automati-
sées
[41]
. En revanche, en médecine légale, les méthodes chimi-
ques par distillation sont privilégiées car elles sont spécifiques
de l’éthanol, ce que ne sont pas les méthodes enzymatiques.
La mesure de l’éthanol dans l’air expiré s’appuie sur la
corrélation entre l’éthanol présent dans le sang et celui de l’air
expiré. Il est admis que 1 ml de sang contient la même quantité
d’alcool que 2 100 ml d’air. Ainsi, l’éthylométrie s’exprime
habituellement en g/210 l. Pour obtenir ce point d’équilibre, la
mesure doit être réalisée après une inspiration profonde et une
expiration rapide et profonde. Il existe deux grandes catégories
d’appareils de mesure de l’air expiré. Les éthylotests sont des
dispositifs mobiles procurant des résultats rapides qui nécessi-
tent une participation active du sujet. L’intérêt de ces appareils
réside dans leur facilité d’utilisation et leur maniabilité. En
revanche, les résultats obtenus sont en général peu fiables. Les
éthylomètres donnent des données fiables et peuvent être
mobiles. Leurs résultats sont opposables devant les tribunaux.
■Formes cliniques
Les manifestations cliniques de l’IEA sont dépendantes de
nombreux facteurs. En premier lieu, elles sont principalement
liées aux caractéristiques de la prise d’alcool (type d’alcool, dose
d’alcool ingérée, rapidité d’ingestion, température de la boisson,
ingestion simultanée de nourriture). Par ailleurs, d’autres
facteurs entrent en jeu comme l’âge, le sexe, le poids, le ratio
entre la masse maigre et la masse grasse mais aussi la suscepti-
bilité de l’individu à l’éthanol. Enfin, l’existence de pathologies
associées, d’une consommation chronique d’alcool, de la prise
concomitante d’autres substances psychoactives va modifier
l’expression clinique de l’intoxication. Il n’existe pas de
corrélation fiable entre les signes cliniques observés et
l’alcoolémie.
La conférence de consensus de 1992 proposait une classifica-
tion clinique de l’IEA en trois formes cliniques
[42]
:
• IEA isolée, non compliquée caractérisée par une logorrhée,
une incoordination motrice, des conjonctives injectées et une
odeur caractéristique de l’haleine ;
• IEA avec agitation psychomotrice ;
• IEA avec troubles de la vigilance.
En 2003, l’actualisation de la conférence de consensus
introduit de nouvelles notions qui enrichissent le cadre clinique
et complètent la précédente définition
[43]
. L’IEA simple est
scindée en trois phases distinctes : l’excitation psychomotrice
avec désinhibition et euphorie, l’incoordination avec trouble de
la vigilance et le coma. L’IEA pathologique, quant à elle, est
caractérisée par un tableau clinique marqué par une dangerosité
potentiellement majeure.
La différenciation entre IEA simple et pathologique est
toujours utilisée mais certains auteurs ont apporté des préci-
sions. L’ivresse comateuse est définie par un état léthargique
plus ou moins profond avec une hyporéflexie tendineuse, une
hypoesthésie et une incontinence urinaire
[44]
. Pour les ivresses
pathologiques, le cadre nosologique s’enrichit de cinq tableaux
cliniques
[45]
:
• les ivresses excitomotrices sont des ivresses agitées, associant
impulsions verbales et motrices avec décharges clastiques
fréquentes. L’alcool devient alors un facteur criminogène
facilitant le passage à l’acte antisocial ;
• les ivresses d’allure maniaque sont marquées par l’euphorie,
la familiarité du discours, les idées de grandeur, de toute
puissance ;
• les ivresses dépressives : parmi les causes de décès chez les
patients alcooliques, le suicide est retrouvé dans5%à25%
des cas ;
• les ivresses délirantes avec des thèmes de persécution, de
jalousie et d’autodépréciation ;
• l’ivresse hallucinatoire est essentiellement visuelle, avec
principalement des hallucinations visuelles terrifiantes, allant
de distorsions cauchemardesques de la réalité à un véritable
état hallucinatoire. Le diagnostic différentiel est le delirium
tremens.
Dans la pratique de la médecine d’urgence, il nous paraît plus
intéressant de définir l’IEA en deux catégories constituées par les
IEA non compliquées et les IEA compliquées. La première se
définit par une intoxication éthylique pure et isolée. La seconde
s’oppose à la première, en associant à l’IEA, des complications
et des comorbidités.
Intoxication éthylique aiguë
non compliquée
L’IEA non compliquée se définit par l’ingestion d’alcool en
quantité excessive sans autre intoxication associée, sans anoma-
lie des paramètres vitaux avec un examen clinique ne révélant
pas d’anomalie organique, ni de lésion traumatique et dont les
signes régressent dans les3à6heures. Classiquement, les
premiers signes cliniques d’intoxication sont caractérisés par
une euphorie avec désinhibition et excitation. Des troubles de
l’attention et une augmentation du temps de réaction sont en
général associés. À des doses plus élevées, il existe une incohé-
rence dans le discours à laquelle s’associent une dysarthrie et
des troubles de la marche avec incoordination et titubation. Des
troubles de l’équilibre et des vertiges avec troubles végétatifs
sont possibles. Lors d’une consommation importante, des
troubles de la vigilance apparaissent pouvant aller jusqu’au
coma, sans signe de localisation neurologique, avec une brady-
cardie et une hypotension modérées.
Intoxication éthylique aiguë compliquée
L’IEA compliquée est définie par l’ingestion d’alcool en
quantité excessive survenant chez un patient associé à au moins
un des éléments du Tableau 1. Aux mêmes éléments d’expres-
sion clinique que dans l’IEA non compliquée vont se rajouter
les signes cliniques propres aux complications.
25-150-A-30
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Intoxication éthylique aiguë
4Médecine d’urgence