Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o3 - oct.-nov.-déc. 2001
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Mise
au point
greffon hépatique ou cardiaque doit se fonder sur l’espérance
de vie du malade. Il faut éviter de faire l’erreur de considérer
comme un déterminant d’évaluation ou de répartition la durée
d’attente, souvent inversement proportionnelle à la mortalité
et à la gravité de l’état clinique au moment de l’inscription. La
problématique est différente en transplantation rénale : l’his-
tocompatibilité donneur-receveur a été imposée par les immu-
nologistes il y a plus de trente ans comme base des règles de
répartition. Malgré une remise en cause de son influence à la
lumière de l’amélioration générale de l’efficacité et de la tolé-
rance des traitements immunosuppresseurs, elle demeure
importante (3), mais c’est la durée d’attente qui est devenue le
critère d’attribution le plus sensible. Il est perçu par le public
comme le principal facteur d’équité. De plus, il a été démon-
tré que les résultats de la greffe étaient moins bons chez les
malades greffés après une attente prolongée (4). L’un des
objectifs du programme d’Eurotransplant est de diminuer le
nombre de malades attendant depuis plus de cinq ans.
MÉTHODES DE RÉPARTITION DES ORGANES
Même si, in fine, un greffon est toujours transplanté à un patient
donné, il y a deux grands modes de répartition possibles : le
greffon est proposé à une équipe qui se charge de l’attribuer,
ou il est attribué directement à un malade.
Le greffon prélevé peut être proposé à une équipe, soit
à proximité du lieu de prélèvement (répartition “locale”),
soit par un système de tours de rôle. L’équipe a la respon-
sabilité de l’attribution à l’un des malades de sa propre liste
en fonction des critères qui lui semblent les meilleurs. Cette
méthode se base d’abord sur une conception qui prévaut lar-
gement parmi les praticiens de la transplantation : attribuer
un greffon est une décision médicale complexe, “floue”,
basée sur d’innombrables critères qui ne peuvent pas tous
être “modélisés”, par exemple la motivation des patients.
Cette responsabilité doit être celle des médecins ou des chi-
rurgiens en charge de la greffe, d’ailleurs les mieux placés
lorsqu’il s’agit d’évaluer la gravité de l’état clinique du
patient, facteur déterminant du choix d’attribution en trans-
plantation hépatique ou cardiaque. Un argument supplé-
mentaire est le caractère incitatif au prélèvement d’une trans-
plantation réalisée localement, au bénéfice d’un malade
inscrit dans le centre où s’effectue le prélèvement. Enfin, et
cela est particulièrement valable dans le cas de la trans-
plantation d’organes thoraciques, l’attribution locale permet
de raccourcir la durée d’ischémie froide, facteur pronostique
déterminant. En revanche, on peut reprocher à ce système
son caractère arbitraire et une certaine opacité, notamment
vis-à-vis des pouvoirs publics et des associations de malades.
Par ailleurs, même si une décision individuelle d’attribution
peut s’avérer parfaitement fondée, elle peut s’opposer, sur
le plan médical et sur celui de l’équité, aux intérêts de santé
publique d’une communauté de candidats à la greffe au-delà
de l’échelon d’une équipe : région, nation, voire groupe de
nations comme la “zone Eurotransplant”. L’Organisation
mondiale de la santé insiste pour que l’accès à la greffe soit
équitable à l’échelon de chaque nation, quelles que soient la
race, les opinions, la religion et les ressources financières
des malades. L’absence de règles claires d’attribution
empêche d’appliquer des actions qui pourraient, en fonction
d’objectifs définis au préalable, avoir un effet positif sur l’ef-
ficacité de l’appariement greffon-receveur (et donc les résul-
tats de la greffe) et l’équité d’accès à la greffe. La méthode
“d’attribution à l’équipe” est acceptable s’il n’y a pas de
pénurie ; elle est également adaptée aux greffes dans les-
quelles l’ischémie doit être la plus courte possible, comme
la transplantation cardiaque ou pulmonaire. Un avatar de ce
type de répartition est le système de “tour d’équipes”, lar-
gement utilisé en France pour l’attribution des greffons dans
certaines régions. Il ne prend en compte ni l’inégalité du
nombre de malades inscrits, ni l’inégalité d’accès aux gref-
fons, ni les différences entre les capacités des équipes. Il n’a
qu’une justification politique : équilibrer l’activité entre les
équipes, et génère de grandes injustices entre les malades,
même s’il est assorti de facteurs de pondération.
Le mode de répartition “au malade”, ou attribution
directe centralisée, est basé sur les besoins d’une plus
grande équité et d’une parfaite transparence vis-à-vis du
public et des autorités de santé. C’est la seule méthode de
gestion des malades urgents, notamment dans le domaine
de la transplantation hépatique, et des malades ayant des
difficultés pour obtenir un greffon. Il s’agit par exemple des
hyperimmunisés en transplantation rénale, qui doivent avoir
accès à un “pool” de donneurs très large, à l’échelon natio-
nal, voire international. Mais comment s’effectue le choix
du patient, dans un tel principe de répartition ? N’aban-
donne-t-on pas, dans ce système rigide, la souplesse de l’at-
tribution et son caractère de décision médicale ? C’est le
cas du système traditionnel d’algorithme, utilisé en France
depuis des lustres pour la distribution de certains reins dans
certaines régions. Il consiste en l’application d’un choix
hiérarchique utilisant des critères simples : le plus grand
nombre d’identités HLA entre donneur et receveur, puis, à
égalité de compatibilité, le taux décroissant d’anticorps anti-
HLA, puis, à taux d’anticorps équivalent, la durée d’attente
décroissante. L’ordinateur est utilisé ici pour avoir une fonc-
tion de filtrage (pour maintenir la compatibilité stricte ABO
ou définir un niveau minimal d’histocompatibilité pour les
hyperimmunisés, par exemple), puis de simple tri séquen-
tiel, avec édition d’une liste de malades. Si le critère utilisé
comme première clé de tri reste valide, le système fonc-
tionne, mais si sa pertinence médicale et scientifique dimi-
nue, comme pour le nombre d’identités HLA, il perd sa jus-
tification première et devient même inique. C’est la rigidité
de ces algorithmes qui les rend difficilement acceptables.
C’est pourquoi il est logique qu’ils puissent être remplacés
par des modèles plus complexes, mais infiniment plus satis-
faisants à tous égards.