ÉDITORIAL “Faire maigrir” est-il utile ? Weight loss prescription: is it worth it? Q uestion provocante adressée à un médecin de l’obésité par le comité de rédaction de la Lettre du Cardiologue ! Qu’y a-t-il derrière cette interrogation : un doute sur la possibilité d’une perte de poids, sur son intérêt ? un plaidoyer pour des méthodes radicales chirurgicales ? Pour céder à l’air du temps médiatique, je me risque à une réponse abrupte et péremptoire : non, “faire maigrir” n’est pas une approche médicale pertinente… Qu’y a-t-il derrière cette riposte négative ? Un plaidoyer pour la médecine de l’obésité et contre les régimes miracles ; une réflexion sur la part qui revient au médecin et celle qui appartient aux patients dans la gestion des maladies chroniques impliquant des modifications des habitudes de vie. Qu’est-ce que l’obésité ? Il s’agit d’une maladie liée aux modes de vie, favorisée par des prédispositions génétiques ou épigénétiques. Comme le diabète ou l’asthme, elle a tendance à s’aggraver et à devenir chronique, du fait d’une résistance progressive aux mesures thérapeutiques (sinon, ce ne serait pas une maladie chronique). Les causes de cette résistance sont multiples, environnementales et biologiques : l’évolution de l’alimentation et la sédentarité, entre autres, s’associent à des anomalies structurelles et fonctionnelles du tissu adipeux pour expliquer la difficulté croissante à réduire l’excès de poids. L’obésité constitue aussi une source de morbidité métabolique, cardiorespiratoire, articulaire et de cancers variables selon la nature et la localisation des 4 | La Lettre du Cardiologue • n° 448 - octobre 2011 dépôts adipeux. Il en résulte une très grande hétérogénéité phénotypique liée à la diversité des déterminants et des trajectoires évolutives. Qu’est-ce que la médecine de l’obésité ? C’est partir de l’analyse des spécificités des situations cliniques individuelles pour différencier les choix thérapeutiques selon la situation singulière du patient. C’est situer les priorités, identifier les leviers d’actions variables d’un sujet à l’autre, donner aux patients les pistes pour une démarche réaliste. La condition majeure de succès est le retour à une alimentation équilibrée et la reprise d’une activité physique régulière et durable associée. L’enjeu consiste à aider la personne à trouver le point d’équilibre entre les contraintes et les astreintes, et à maintenir une qualité de vie personnelle et relationnelle, le plaisir alimentaire et la socialisation. Dans les maladies chroniques dont le traitement dépend de modifications comportementales, le médecin ne peut ni ne doit croire qu’il “fait”, il “permet” seulement. Peut-on “faire maigrir” par une approche médicale? Bref constat : on entend souvent des médecins assurer, en cas de perte de poids significative d’un de leurs patients, “je l’ai fait maigrir ” ; les mêmes n’hésiteront pas, en cas d’échec, à regretter que tel patient soit “incapable de maigrir”… Le succès revient au médecin et l’échec au patient ! En réalité, le médecin ne “fait pas maigrir ”, il n’en a pas le pouvoir magique… Son rôle consiste ÉDITORIAL à analyser au mieux chaque situation et à aider le patient à trouver les moyens les plus pertinents afin qu’il soit soulagé des inconvénients induits par son excès de poids, sans entrer dans le cercle infernal du yoyo pondéral. Le succès est “dans les mains du patient”, au médecin de lui faciliter l’accès aux outils de la réussite et de veiller à éviter que des objectifs de perte de poids irréalistes ne viennent aggraver la situation par des effets de yoyo. “Faire maigrir” n’est pas un objectif médical, c’est une vision archaïque des rôles respectifs du médecin et du patient. La situation est radicalement différente dans le cas de l’acte chirurgical. La chirurgie bariatrique “fait maigrir” en entraînant une pathologie digestive dont on espère, à juste titre, qu’elle sera dans la majorité des cas moins délétère que l’obésité ellemême. Ce “faire-maigrir” n’est pas sans risque de mortalité per- et postopératoire et d’effets latéraux mais, globalement, il est remarquablement efficace et durable. Est-il bien utile médicalement de perdre du poids ? Une perte de 5 à 15 % est considérée comme un objectif raisonnable dans les approches médicales, car elle correspond à ce que la majorité des personnes obèses est capable de perdre et de maintenir pendant plus de 1 an au cours des essais thérapeutiques. Ce taux, parfois jugé modeste par les patients et par les médecins, est utile en termes de santé : des essais randomisés ont montré qu’une perte de poids modeste par des moyens médicaux était bénéfique sur les chiffres de pression artérielle systolique et diastolique et sur l’incidence du diabète de type 2. La chirurgie, elle, entraîne des pertes de poids radicales de 17 à 25 %, suivant la Swedish Obese Subjects, ainsi qu’une réduction de 30 % à 10 ans de la morbi-mortalité totale et cardiovasculaire. “Faire maigrir chirurgicalement” est remarquablement efficace… si l’on évite les complications chirurgicales et anesthésiques, si l’on détecte par un suivi médical prolongé les complications à distance… et si l’on permet à la personne opérée de mettre en œuvre les moyens de supporter les contraintes et les astreintes de la maladie digestive que génère la chirurgie. En conclusion, “maigrir” est utile quand un excès de poids a un impact sur la santé. Plutôt que “faire maigrir”, aidons à identifier des solutions adaptées aux situations individuelles et à les faire adopter par la personne qui consulte pour une surcharge pondérale. La reprise d’une activité physique, des conseils diététiques réalistes et l’absence de restrictions alimentaires intempestives sont les éléments clés. La chirurgie bariatrique “fait maigrir”, mais elle n’est pas anodine. Pour en savoir plus… ✓✓ Basdevant A, Bouillot JL, Clément K, Oppert JM, Tounian P. Traité de médecine et chirurgie de l’obésité. Lavoisier Médecine Sciences, Paris 2011. A. Basdevant Pôle cardiométabolique, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. La Lettre du Cardiologue • n° 448 - octobre 2011 | 5