MISE AU POINT
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insuffisance cardiaque est un problème majeur de
santé publique, aux dimensions “épidémiques” dans
les pays occidentaux (1). Elle affecte presque 5 mil-
lions de personnes aux États-Unis, soit environ 2 % de la popu-
lation générale, et il y a dans ce pays 400 000 nouveaux cas chaque
année (2, 3). Elle est responsable d’environ un million d’hospita-
lisations par an ; elle représente la première cause d’hospitalisa-
tion chez les sujets de plus de 65 ans (4,5).C’est une cause majeure
de décès : elle est la cause primaire de 43 000 décès chaque année,
et une cause contributive dans 220 000 autres cas (2, 3). Il s’agit
de la maladie cardiovasculaire la plus coûteuse, avec des dépenses
annuelles de plus de 20 milliards de dollars (2), et les coûts d’hos-
pitalisation pour insuffisance cardiaque dépassent ceux des infarc-
tus du myocarde et des cancers additionnés (6). Enfin, la préva-
lence de l’insuffisance cardiaque augmente (7), et cela va continuer
durant ce siècle qui vient de commencer (8).
Cette augmentation de la prévalence de l’insuffisance car-
diaque est, d’une certaine façon, paradoxale, puisque les taux
de mortalité ajustés sur l’âge de la maladie coronaire et de
l’hypertension artérielle, les deux causes principales de l’insuf-
fisance cardiaque dans les pays industrialisés, ont diminué depuis
plus de 25 ans (9, 10). Cette amélioration, cependant, a permis
de créer une cohorte importante d’individus à haut risque de déve-
lopper une insuffisance cardiaque : des succès dans un domaine
peuvent entraîner une augmentation de la morbidité et de la mor-
talité dans un autre domaine.
Un deuxième facteur critique contribuant à l’augmentation de la
prévalence de l’insuffisance cardiaque est le vieillissement de la
population.L’insuffisance cardiaque est d’abord une maladie du
sujet âgé, avec 80 % de toutes les hospitalisations pour insuffi-
sance cardiaque survenant chez des sujets de plus de 65 ans, 50 %
survenant chez les sujets de plus de 75 ans (2-5).
Par extrapolation et à partir de données françaises, on peut avan-
cer des chiffres du même ordre en France : en 1991, 484 000 cas
d’insuffisance cardiaque ont été dénombrés. En 1980, il y en avait
352 000 : il y a donc eu une augmentation de presque 40 % en
11 ans. Il y a 120 000 nouveaux cas chaque année. L’incidence
passe de 4 ‰ chez les hommes et de 3 ‰ chez les femmes de 55
à 64 ans à 50 ‰ chez les hommes et à 85 ‰ chez les femmes de
85 à 94 ans. En 1991, l’âge moyen de survenue de l’insuffisance
cardiaque était de 73,5 ans ; les deux tiers des patients avaient
plus de 70 ans. En 1992, il y a eu 148 000 hospitalisations pour
insuffisance cardiaque. La durée moyenne de séjour était de
11 jours. Il y a eu 3,5 millions de consultations pour insuffisance
cardiaque. En 1993, il y a eu 32 111 décès par insuffisance
cardiaque, dont 19 449 chez des femmes ; 40 % des décès par
insuffisance cardiaque sont survenus à l’hôpital. Le coût des
soins ambulatoires est de 6 milliards de francs, soit 1 % des
dépenses médicales totales, ce qui est un chiffre très élevé.
La population atteinte d’insuffisance cardiaque devient plus âgée
et plus fragile. De plus, ces patients ont un taux élevé de comor-
bidités et une prévalence plus grande de facteurs confondants,
psychosociaux, comportementaux et financiers, autant de bar-
rières critiques au succès de la prise en charge de l’insuffisance
cardiaque (tableau I).
Plusieurs études ont montré qu’une part importante des poussées
d’insuffisance cardiaque pouvait être attribuée à des facteurs non
médicaux, tels qu’une mauvaise compliance aux mesures diété-
tiques ou aux médicaments, plutôt qu’à un déclin progressif de
la fonction cardiaque ou à un événement cardiaque intercurrent
(11, 12). En outre, l’adhésion des médecins aux recommanda-
tions consensuelles concernant la prise en charge de l’infarctus
du myocarde n’est pas optimale, et cela peut contribuer aux évo-
lutions mauvaises et aux réhospitalisations des patients insuffisants
cardiaques.
Prise en charge multidisciplinaire
de l’insuffisance cardiaque
F. Delahaye, O. Roth, G. de Gevigney*
* Hôpital Louis-Pradel, BP Lyon Montchat, 69394 Lyon Cedex 3.
L’insuffisance cardiaque est fréquente et grave. Le taux
de létalité est élevé, la qualité de la vie est souvent très
altérée, les hospitalisations sont fréquentes, les coûts
sont très élevés.
On ne sait pas si les programmes de prise en charge mul-
tidisciplinaire de l’insuffisance cardiaque entraînent une
réduction de la létalité.
En revanche, l’efficacité de ces programmes en termes
d’amélioration de la qualité de la vie, de réduction des hos-
pitalisations et de diminution des coûts est bien établie.
Mots-clés :Insuffisance cardiaque - Éducation - Réseaux.
Points forts
L
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MISE AU POINT
Toutes ces considérations fournissent la justification d’une
approche multifactorielle de la prise en charge de l’insuffi-
sance cardiaque, l’objectif principal étant de satisfaire tous les
besoins des patients, à la fois médicaux et non médicaux, afin
d’optimiser leur capacité fonctionnelle et leur qualité de vie, tout
en réduisant le taux de réhospitalisation et le coût global de la
prise en charge. Un but secondaire important est d’améliorer les
prescriptions des médecins et leur adhésion aux recommanda-
tions établies.
ÉTUDES D’OBSERVATION
Le tableau II résume les données de dix études non randomisées
évaluant l’efficacité de diverses stratégies multidisciplinaires de
prise en charge de l’insuffisance cardiaque (13-22). Ces études
d’observation suggèrent qu’une approche multidisciplinaire peut
être associée à des bénéfices cliniques importants, dont la dimi-
nution des réhospitalisations et de la durée d’hospitalisation, une
amélioration de la qualité de la vie et de la satisfaction du patient,
une augmentation de la tolérance à l’exercice et de la possibilité
de réaliser les activités quotidiennes, et une diminution du coût
global. Cependant, il ne s’agit pas d’études randomisées.
Tableau I. Barrières à une prise en charge efficace de l’insuffisance
cardiaque.
Comorbidités multiples
Maladie coronaire
Hypertension artérielle
Diabète
Insuffisance rénale
Maladie pulmonaire chronique
Arthrose
Polymédication
Compliance
Effets secondaires
Compliance aux mesures diététiques
Éléments psychosociaux
Isolement social
Dépression
Contraintes financières
Limitations physiques
Acuité visuelle et auditive réduite
Déficit neuromusculaire (par exemple : AVC, Parkinson)
Arthrose
Dysfonction cognitive
Tableau II. Études d’observation de la prise en charge multidisciplinaire de l’insuffisance cardiaque.
Auteurs, Plan d’étude Nombre Nature de l’intervention Durée Résultats Commentaires
année de patients du suivi
Cintron et al.,
1983 (13) Pré/post étude 15 24 mois en
moyenne
Unité d’insuffisance
cardiaque avec une
infirmière, accès à
un médecin
Diminution de 61 % des
hospitalisations, de 85 %
du nombre de jours
d’hospitalisation, des coûts
de 8 000 dollars par patient
et par an
Âge moyen : 65 ans
Classe NYHA III-IV
Amélioration de la
satisfaction des patients
Kornowski et
al., 1995 (14) Pré/post 42 12 moisSurveillance à domicile par
un interniste et une équipe
paramédicale
Diminution de 62 % des
hospitalisations, de 72 % des
hospitalisations pour cause
cardiovasculaire, de 77 %
du
nombre de jours
d’hospitalisation, amélioration
des capacités à effectuer les
activités quotidiennes
Âge moyen : 78 ans
Classe NYHA III-IV
Lasater, 1996
(15) Pré/post 80 6 moisProgramme réalisé par une
infirmière, à domicile, accès
à un médecin
Diminution de 14 % des
hospitalisations, de 22 % de
la durée de séjour, des coûts
hospitaliers de 500 dollars
par patient
Pas d’information sur
la population
West et al.,
1997 (16) Pré/post 51 4,5 mois
en moyenne
Supervision par un médecin,
réalisation par une infirmière,
à domicile
Diminution de 74 % des
hospitalisations, de 87 %
des hospitalisations pour
insuffisance cardiaque,
amélioration des symptômes,
de la qualité de vie,
des capacités physiques,
de la compliance
Âge moyen : 66 ans
Classe NYHA I-II :
60 % ; III-IV : 40 %
.../...
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MISE AU POINT
ÉTUDES RANDOMISÉES
Elles sont présentées dans le tableau III. Les six études ont inclus
660 patients (23-28). Un essai randomisé n’est pas inclus dans le
tableau III (29). Dans cette étude, 1 396 hommes hospitalisés du
fait d’un diabète, d’une bronchopneumopathie chronique obs-
tructive ou d’une insuffisance cardiaque ont été randomisés, et
ont eu la prise en charge habituelle ou une intervention plus inten-
sive, avec une infirmière et un médecin généraliste. Parmi les
504 patients insuffisants cardiaques, 12 % étaient en classe I,
37 % en classe II, 33 % en classe III et 18 % en classe IV de la
New York Heart Association (NYHA). Durant une surveillance
de 6 mois, 52 % des patients du groupe d’intervention ont été
réhospitalisés au moins une fois, contre 41 % des patients du
groupe contrôle (p = 0,02). Le nombre moyen de jours d’hospi-
talisation était plus important dans le groupe d’intervention : 11,7
versus 6,8 jours (p = 0,01). En fait, l’intervention n’était pas vrai-
ment un programme de prise en charge, mais simplement une
augmentation de l’accès aux fournisseurs de soins. Par ailleurs,
l’intervention n’était pas spécifique d’une maladie ; il n’y avait
pas d’algorithme de prise en charge des poussées d’insuffisance
cardiaque. De plus, la plupart du temps, le médecin généraliste
du groupe d’intervention n’a eu qu’un seul contact avec le patient
avant la sortie de l’hôpital, empêchant donc l’établissement d’une
relation effective entre le patient et le médecin. Il n’y avait pas
d’évaluation complète de l’état du patient ni d’optimisation du
traitement durant l’hospitalisation initiale. Améliorer l’accès
au système de soins sans fournir une amélioration de la
structure de délivrance des soins risque de ne pas entraîner
d’amélioration de l’évolution.
Comme les études non randomisées, les essais randomisés appor-
tent des preuves importantes en faveur de la prise en charge inten-
sive de l’insuffisance cardiaque par un programme multidisci-
plinaire, avec réduction du nombre des hospitalisations et de la
durée d’hospitalisation, amélioration de la qualité de vie, des
capacités fonctionnelles et de la satisfaction du patient, et amé-
lioration des connaissances du patient ainsi que de sa compliance
au traitement médicamenteux et aux conseils diététiques. Il y a
probablement aussi amélioration des coûts.
Fonarow et al.,
1997 (17) Pré/post 214 6 moisPrise en charge globale par
une équipe spécialisée dans
l’insuffisance cardiaque et la
transplantation cardiaque
Diminution de 44 % des
hospitalisations, amélioration
de la classe NYHA
et de l’activité physique,
diminution des coûts de
9800 dollars par patient
Âge moyen : 52 ans
Classe NYHA III-IV
Hanumanthu et
al., 1997 (18) Pré/post 134 30 jours
à 1 an
Prise en charge globale par
une équipe spécialisée dans
l’insuffisance cardiaque et la
transplantation cardiaque
Diminution de 53 % des
hospitalisations pour cause
cardiovasculaire, de 69 %
des hospitalisations pour
insuffisance cardiaque,
augmentation de 23 % de la
consommation maximale
d’oxygène
Âge moyen : 52 ans
Smith et al.,
1998 (19) Pré/post 21 6 moisUnité avec une infirmière et
un cardiologue Diminution de 87 % des
hospitalisations pour
insuffisance cardiaque,
amélioration de la classe
NYHA, de la qualité de vie,
de la durée d’exercice
Âge moyen : 61 ans
Classe NYHA
moyenne :
2,6
Shah et al.,
1998 (20) Pré/post 27 8,5 mois
en moyenne
Télésurveillance par une
infirmière, avec accès à un
médecin
Diminution de 50 % des
hospitalisations, de 67 %
des hospitalisations pour
cause cardiovasculaire, de
92 % du nombre de jours
d’hospitalisation
Âge moyen : 62 ans
Classe NYHA II-IV
Dennis et al.,
1996 (21) Revue
rétrospective
des dossiers
24 12 moisInfirmière à domicile Fréquence et intensité
des visites de l’infirmière
inversement corrélées aux
réhospitalisations
Pas d’information sur
la population
Martens et
Mellor, 1997
(22)
Revue
rétrospective
des dossiers
924 3 moisInfirmière à domicile Diminution de 36 % des
réhospitalisations Âge moyen : 71 ans
.../...
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45
MISE AU POINT
LIMITES
Plusieurs limites doivent être soulignées.
1. Un nombre de sujets dans chaque étude relativement faible,
et des populations très sélectionnées. La possibilité de généra-
lisation est donc probablement réduite.
2. La possibilité de mettre en œuvre ces programmes de prise
en charge dans la pratique quotidienne. Dans les études,
l’équipe comportait des cliniciens, des infirmières, et parfois
d’autres acteurs de santé, très expérimentés, dans le domaine de
la prise en charge de l’insuffisance cardiaque, et motivés. Il est
très probable qu’un programme unique ne pourrait pas être mis
en œuvre partout. Il faudra donc plusieurs modèles, choisir le
modèle le plus approprié dans un environnement spécifique, et
modifier ce modèle pour l’adapter aux contraintes locales.
3. La nécessité d’adapter l’intervention aux besoins de chaque
patient. Le programme doit être suffisamment flexible pour pou-
voir répondre aux variations considérables d’un patient à l’autre.
4. La diversité des interventions mises en œuvre dans les
divers essais. Cela allait du simple suivi téléphonique aux équipes
sophistiquées de plusieurs membres. On ne connaît pas la valeur
respective des divers éléments d’un programme de prise en
charge.
À noter. Deux interventions potentiellement importantes n’ont
pas été testées : l’activité physique régulière, qui a très proba-
blement des effets bénéfiques (30-32), et la prise en charge des
problèmes psychosociaux spécifiques (isolement social, dépres-
sion importante), dont on sait qu’ils sont associés à un plus mau-
vais pronostic dans l’insuffisance cardiaque (33, 34). Enfin, on
ne connaît pas l’effet de ces programmes de prise en charge sur
la survie. A contrario, et en faveur d’une intervention active, mal-
gré la très grande hétérogénéité entre les études, la concordance
des résultats de ces seize études est remarquable.
Dans un futur proche, il faut réaliser des études de même type
dans d’autres environnements, développer les stratégies de mise
en œuvre de ces programmes, mieux définir quels patients pro-
fitent de ce type de prise en charge, faire des études incluant dans
le programme de prise en charge l’activité physique et les condi-
tions psychosociales, et étudier l’influence de ces programmes
de prise en charge sur la survie.
Tableau III. Études randomisées de la prise en charge multidisciplinaire de l’insuffisance cardiaque.
Auteurs, Nombre Nature de l’intervention Durée Résultats Commentaires
année de patients du suivi
Rich et al.,
1993 (23) 98 3 moisÉquipe multidisciplinaire dirigée par
une infirmière Diminution de 27 % des
hospitalisations, de 25 %
du nombre de jours
d’hospitalisation
Âge 70 ans
Classe NYHA
moyenne : 2,8
Schneider et al.,
1993 (24) 54 1 moisPlanification du traitement de sortie par
une infirmière Diminution de 73 % des
hospitalisations
Pas d’information sur
la population
Kostis et al.,
1994 (25) 20 3 moisExercice, thérapie cognitive, prise en charge
du stress, conseils diététiques Amélioration de la capacité
d’exercice, réduction de
l’anxiété et de la dépression,
amélioration de la perte
de poids
Âge : 54 à 77 ans
Rich et al.,
1995 (26) 282 3 mois
Équipe multidisciplinaire dirigée par une
infirmière Diminution de 44 % des
hospitalisations, de 56 %
des hospitalisations pour
insuffisance cardiaque,
amélioration de la qualité de
vie, diminution des coûts de
460 dollars par patient
Âge moyen : 79 ans
Bénéfice persistant
jusqu’à 1 an
Stewart et al.,
1998 (27) 97 6 moisÉquipe infirmière et pharmacien à domicile Diminution de 42 % des
hospitalisations, de 43 % du
nombre de jours d’hospitali-
sation, de 41 % des coûts
hospitaliers
Âge moyen : 75 ans
Classe NYHA II-III
Serxner et al.,
1998 (28) 109 6 moisEnvois postaux de documents d’éducation,
aides à la compliance Diminution de 52 % des
hospitalisations, amélioration
de l’état fonctionnel,
amélioration de la
compliance, moindre coût
Âge moyen : 71 ans
La Lettre du Cardiologue - n° 354 - avril 2002
46
MISE AU POINT
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