L editorial La nicotine aurait-elle une action cancérigène ?

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Le Courrier des addictions
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G. Lagrue*
L
a responsabilité de l’intoxication tabagique dans la genèse des cancers est un
fait scientifique démontré depuis près d’un demi-siècle. Les hydrocarbures
cancérigènes, les nitrosamines présentes dans la fumée du tabac en sont les
principaux responsables. Pour le cancer du poumon, dont le tabac est un facteur causal dans 90 % des cas, les derniers chiffres publiés (2008, Institut de veille sanitaire)
font état de 32 000 nouveaux cas, avec plus de 28 000 morts par an, c'est-à-dire au
moins 24 000 décès liés au tabac. À ceux-ci, il faut ajouter les cancers du larynx et de la
vessie, ce qui nous donne près de 30 000 cas. Il y a eu en France, en 2008, 350 000 nouveaux cas de cancers, toutes localisations confondues, et près de 150 000 décès. Pour
un tiers de ces décès, le tabagisme est soit directement responsable, soit un facteur aggravant majeur. Son implication est également très importante dans les 200 000 décès
annuels d’origine vasculaire ou cardio-vasculaire, principalement chez les hommes de
moins de 50 ans.
L’arrêt du tabac (essentiellement la cigarette) est donc un objectif essentiel de santé
publique. Les traitements agonistes, par apport de nicotine médicamenteuse et par la
varénicline, agoniste nicotinique partiel, ont fait la preuve de leur efficacité, à condition que la motivation du sujet pour une tentative d’arrêt soit suffisante, que les doses
soient adaptées au degré de dépendance physique et que la durée soit souvent prolongée bien au-delà des trois mois traditionnels.
Ne pas conclure trop vite
Ce progrès essentiel risque-t-il d’être remis en question par des travaux récents suggérant une action possible de la nicotine sur la cancérogenèse ? Ces faits doivent être
discutés pour éviter toute conclusion hâtive.
L’action de la nicotine sur l’organisme se fait par l’intermédiaire de structures spécifiques, les récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine (RNAch) dont il existe deux localisations :
– les RNAch du système nerveux central, en particulier ceux de la région limbique,
jouent un rôle essentiel pour expliquer les propriétés psychotropes de la nicotine et
son pouvoir addictif très puissant ;
– les RNAch sont également présents dans certaines cellules non neuronales, et en
particulier les cellules épithéliales, coliques, pancréatiques et bronchiques, ces dernières ayant été tout particulièrement étudiées.
En 1989, a été mise en évidence pour la première fois in vitro sur des cellules épithéliales bronchiques cancéreuses une action de la nicotine et de l’un de ses dérivés, une
nitrosamine cancérigène (NNK). Ces cellules expriment à leur surface des RNAch sur
lesquelles se fixe la nicotine avec pour conséquence une augmentation du nombre
de ces récepteurs (up-regulation), une stimulation de la prolifération cellulaire et une
réduction de l’apoptose. Ce sont les RNAch de type α7 qui sont impliqués dans cette
réaction.
In vivo, chez la souris, une tumeur maligne peut être obtenue en greffant des cellules
épithéliales cancéreuses humaines. Ces cellules expriment les RNAch α7, en nombre augmenté, l’évolution de la tumeur (envahissement local et métastases, mortalité) est d’autant plus rapide que le nombre de RNAch de type α7 est plus important.
editorial
Rédacteur en chef : Dr Didier Touzeau (Bagneux)
Rédacteur en chef adjoint : Florence Arnold-Richez (Chatou)
La nicotine aurait-elle une action
cancérigène ?
* Centre de tabacologie, hôpital Albert-Chenevier, Créteil.
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Le Courrier des addictions (11) ­– n ° 3 – juillet-août-septembre 2009
editorial
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On connaît l’existence d’antagonistes spécifiques des RNAch de
type α7 : ils sont extraits de venins de serpent, tel l’α-cobratoxine
(αCT). In vitro sur des lignes de cellules cancéreuses épithéliales
humaines, l’αCT réduit la prolifération cellulaire et l’angiogenèse avec également l’apparition d’une apoptose.
Toujours in vivo chez la souris greffée, par des cellules cancéreuses humaines, l’administration d’αCT réduit la prolifération
cellulaire et multiplie par deux la durée de survie. L’αCT exerce
ainsi une action antitumorale, ce qui ouvre de nouvelles perspectives pour un traitement complémentaire des cancers du
poumon chez l’homme. Cette situation peut être comparée à
celle de certains cancers du sein avec présence de récepteurs aux
estrogènes, ce qui a conduit à proposer un traitement complémentaire en utilisant un antiestrogène, le tamoxifène (1).
Chez l’homme, l’analyse de l’expression des gènes codant pour
les diverses sous-unités des RNAch montre que certaines variantes chromosomiques augmentaient les risques à la fois de la
dépendance tabagique par modification des RNAch neuronaux
et celui du cancer du poumon. Il existe donc une vulnérabilité
génétique commune au fait de devenir fumeur dépendant et de
développer un cancer du poumon !
Devant cette action nouvelle de la nicotine, il faut évidemment
se garder de toute extrapolation hâtive en évitant les titres médiatiques "Cancer du poumon : l’α-cobratoxine bloque l’action
délétère de la nicotine", conduisant par une lecture trop hâtive
à conclure que la nicotine peut être responsable de cancers
du poumon. Il n’en est rien ! Certes, chez la souris, la nicotine
exerce un effet prolifératif mais seulement sur des cellules cancéreuses greffées, c’est-à-dire une action adjuvante sur des cellules déjà transformées. Dans certaines circonstances, surtout
si l’alimentation apporte des précurseurs diététiques (nitrates,
nitrites), une nitrosation peut aboutir à la formation de la N’-nitrosonornicotine, à action cancérigène. Cela se produit chez les
fumeurs et semble également possible à un faible degré, en cas
d’administration prolongée de médications nicotiniques. Cette
réaction peut être prévenue par l’administration de vitamine C.
La cancérisation d’une cellule comporte toujours toute une série de phases successives, avec initialement l’action d’un agent
promoteur cancérigène. Pour la fumée de tabac, ce sont principalement les hydrocarbures polycycliques (le benzopyrène, les
nitrosamines, le polonium, etc.).
Les agonistes nicotiniques n’interviendraient donc que secondairement sur les cellules ayant déjà initié la transformation cancé-
reuse. Ils ne doivent donc pas être considérés comme des agents cancérigènes. Les risques majeurs que comporte la poursuite du tabagisme
impliquent toujours une action d’incitation à l’arrêt. Indiquer aux fumeurs qu’il est possible d’éviter tous les troubles souvent pénibles du
sevrage par un traitement ayant fait la preuve de son efficacité permet
souvent de renforcer la motivation à l’arrêt, élément toujours indispensable. Si ces rumeurs se développaient, cela pourrait pousser certains à
refuser des traitements dont le bénéfice est très largement démontré.
Un bénéfice aussi pour les accidents
cardio-vasculaires…
Le problème est le même pour les accidents vasculaires. Le traitement par la nicotine est toujours bénéfique et n’est en rien contreindiqué par la présence d’un accident coronarien.
Ainsi, un apport isolé de nicotine par médications apporte toujours un bénéfice par rapport à l’inhalation de celle présente dans
la fumée de tabac, accompagnée de tous ses toxiques innombrables et encore parfois cachés (agents cancérigènes, CO, etc.). Pour
le cancer du poumon, le danger est essentiellement lié à tous les
cancérigènes de la fumée de tabac, initiateurs de la transformation
cancéreuse. Interrompre cette intoxication est le seul moyen de
prévention efficace des cancers du poumon, et de leur redoutable
pronostic : moins de 5 % de survie à 5 ans, malgré tous les progrès
actuels de la chimiothérapie.
Depuis la rédaction de cet article, nous avons pris connaissance du
travail récemment publié à partir des résultat de la Lung Health Study
(4). Près de 6 000 sujets fumeurs et atteints de BPCO débutante ont
été suivis pour une durée moyenne de 7 ans et demi et traités par
substitution nicotinique au long cours. L’étude statistique a montré
que la nicotine seule ne permettait par de prédire la survenue d'un
cancer du poumon (p = 0,25) alors que le tabagisme le permettait
(p = 0,02). Pour les autres localisations de cancer, les résultats n'étaient
pas significatifs.
v
Références bibliographiques
1. Spindel ER. Is nicotine the estrogene of lung cancer. Am J Respir Crit Care Med
2009;179:1081-2.
2. Paleari L, Negri E, Catassi A et al. Inhibition of nonneuronal alpha7-nicotinic re-
ceptor for lung cancer treatment. Am J Respir Crit Care Med 2009;179:1141-50.
3. Stepanov I, Carmella S, Han S et al. Evidence for endogenous formation of N’-nitrosonornicotine in some long-term nicotine patch users. Nicotine Tob Res 2009;11:99105.
4. Murray R, Murray RP, Connett JE, Zapawa LM. Does nicotine replacement therapy cause cancer? Evidence from the Lung Health Study. Nicotine Tob Res 2009;11:
1176-82.
Imprimé en France - EDIPS - Quétigny - Dépôt légal 3e trimestre 2009 - © décembre 1998 - Edimark SAS (DaTeBe édition). Les articles publiés dans Le Courrier
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Le Courrier des addictions (11) ­– n ° 3 – juillet-août-septembre 2009
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