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Un choc cardiogénique en phase aiguë d’infarctus du myocarde
S. Kahil*, B. Gallet*, K. Boughalem*, H. Mentec**, P. Mesnildrey***, M. Hiltgen*
n homme de 69 ans sans antécédent a été hospitalisé le 15 juillet 1997 pour un infarctus du myocarde
antéro-latéral inaugural évoluant depuis deux heures. La coronarographie réalisée en urgence a montré
une occlusion isolée d’une artère bissectrice, conduisant à une angioplastie de désobstruction en phase
aiguë avec succès primaire. Il n’a pas été réalisé d’angiographie ventriculaire gauche.
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Dans les heures suivantes est survenu un œdème pulmonaire massif avec choc cardiogénique nécessitant une ventilation mécanique, et un traitement par dobutamine et adrénaline. L’auscultation cardiaque était normale. L’échocardiogramme transthoracique n’était pas contributif en raison de la ventilation assistée. Un échocardiogramme transœsophagien (ETO) a été réalisé (figures 1 et 2).
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Figure 1. ETO multiplan – Incidence longitudinale proche de 120 degrés.
Arrêt en systole (AO : aorte, OG : oreillette gauche, VG : ventricule
gauche).
Figure 2. ETO multiplan – Incidence longitudinale proche de 120 degrés.
Arrêt en diastole (mêmes abréviations que sur la figure 1).
Quel serait votre diagnostic ?
Réponse page 12
* Service de cardiologie, CH Victor-Dupouy, Argenteuil.
** Service de réanimation polyvalente et urgences, CH Victor-Dupouy,
Argenteuil.
*** Centre chirurgical Ambroise-Paré, Neuilly-sur-Seine.
La Lettre du Cardiologue - n° 291 - mars 1998
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Réponse
Il s’agissait d’une rupture de pilier mitral
1. L’ETO a montré une masse correspondant au pilier rompu
appendu à la valve mitrale, animée d’un mouvement de va-etvient entre l’oreillette gauche en systole (figure 1, flèche) et le
ventricule gauche en diastole (figure 2, flèche). Il existait, de
plus, un prolapsus de la valve mitrale antérieure, un jet d’insuffisance mitrale excentré adhérant à la paroi latérale de l’oreillette
gauche, et une hyperkinésie du ventricule gauche.
L’échocardiogramme transthoracique peut mettre en évidence
un prolapsus mitral avec aspect de valve flottante ainsi qu’une
fuite mitrale importante, mais il ne visualise que rarement le pilier
rompu dans l’oreillette gauche (2 fois sur 20 dans la série de
Moursi) (2), et peut conduire à sous-estimer l’importance de l’insuffisance mitrale en raison du caractère excentré du jet (3). Il
reste souvent non contributif chez les patients anéchogènes ou en
ventilation mécanique, comme dans l’observation rapportée.
2. Un ballon de contrepulsion intra-aortique a été mis en place
en préopératoire, et l’intervention réalisée en extrême urgence a
confirmé une insuffisance mitrale massive par arrachement de
l’un des chefs du pilier antérieur, avec nécrose complète de ce
pilier et akinésie dans le territoire de l’artère bissectrice. Un remplacement valvulaire mitral par prothèse de Saint-Jude n° 27 a
été réalisé, mais les suites ont été marquées par un œdème pulmonaire lésionnel irréversible avec hypoxie réfractaire et
défaillance multiviscérale conduisant au décès le 17 juillet 1997.
L’ETO est l’examen de choix en cas de suspicion de rupture
mitrale. L’ETO a visualisé le pilier rompu dans l’oreillette gauche
chez 65 % des patients dans la série de 20 cas rapportée par
Moursi (2), et a mis en évidence dans 90 % des cas un écho intraventriculaire gauche animé d’un mouvement erratique correspondant au pilier rompu. La raison pour laquelle le pilier rompu
n’était pas visualisé dans l’oreillette gauche dans 35 % des cas
de cette série est matière à discussion : rupture incomplète de
pilier, entrappement du pilier rompu dans les cordages ventriculaires, ou, moins probablement, erreur de l’ETO. Le point important est que la constatation d’un écho intraventriculaire mobile a
permis le diagnostic de rupture de pilier chez tous les patients
dont le pilier rompu n’était pas visible dans l’oreillette gauche
(2). Les autres constatations possibles de l’ETO sont un prolapsus mitral, une fuite mitrale importante et une hyperkinésie des
parois ventriculaires gauches non concernées par l’infarctus.
L’ETO permet, de plus, le diagnostic différentiel avec les autres
complications mécaniques de l’infarctus : rupture septale et rupture de la paroi libre du ventricule gauche. Le traitement repose
sur un remplacement ou une réparation de la valve mitrale en
urgence, associés si besoin est à une revascularisation coronaire
qui nécessite la réalisation, chaque fois que possible, d’une coronarographie préopératoire (3).
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3. Cette observation permet de rappeler certains éléments concernant la rupture de pilier mitral. Il s’agit d’une complication rare
et grave de l’infarctus du myocarde, dont l’incidence est inférieure à 1 % (1), et dont la mortalité est de 50 % dans les 24 premières heures en l’absence d’intervention (2). La rupture
concerne plus souvent le pilier postéro-médian (dont la vascularisation dépend de la seule artère coronaire droite) que le pilier
antéro-latéral (dont la vascularisation est généralement assurée à
la fois par l’artère circonflexe et par l’artère diagonale) (1). Il
existe souvent un délai de 2 à 7 jours entre l’infarctus et la rupture mitrale (3), qui manquait dans l’observation rapportée.
Le diagnostic est classiquement évoqué devant l’apparition d’un
souffle systolique d’insuffisance mitrale, mais ce souffle peut
manquer, comme dans l’observation rapportée, en raison d’une
égalisation des pressions entre l’oreillette gauche et le ventricule
gauche (1, 3), ainsi qu’en raison des difficultés de l’auscultation
cardiaque entraînées par l’œdème pulmonaire et la ventilation
mécanique. Ce diagnostic doit donc être évoqué devant un œdème
pulmonaire ou un état de choc inexpliqué en phase aiguë d’infarctus, même en l’absence de souffle audible. Cet état de choc
survient alors que les dégâts ventriculaires sont volontiers
modestes, voire limités au seul pilier rompu.
L’ECG est souvent sans particularité, l’élévation enzymatique
peut rester modérée, et la fonction ventriculaire gauche est généralement préservée (3).
Le cathétérisme peut confirmer le diagnostic en montrant une
onde V géante sur la courbe de pression capillaire pulmonaire ;
cependant, cette onde V n’est ni constante, ni spécifique, puisqu’elle peut aussi s’observer en cas de communication interventriculaire ou d’insuffisance cardiaque gauche avec réduction de
la compliance auriculaire gauche (1, 3). De plus, le cathétérisme
ne permet pas de conclure quant au mécanisme de l’insuffisance
mitrale (1).
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Conclusion
Un œdème pulmonaire ou un état de choc inexpliqué
en phase aiguë d’infarctus doivent conduire à réaliser un ETO, qui peut mettre en évidence une complication mécanique, et notamment une rupture
mitrale, conduisant à une indication chirurgicale en
urgence.
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É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Manning W.J., Waksmonski C.A., Boyle N.G. Papillary muscle rupture complicating inferior myocardial infarction : identification with transesophageal echocardiography. Am Heart J 1995 ; 129 : 191-3.
2. Moursi M.H., Bhatnagar S.K., Vilacosta I., San Roman J.A., Espinal M.A.,
Nanda N.C. Transesophageal echocardiographic assessment of papillary muscle
rupture. Circulation 1996 ; 94 : 1003-9.
3. Singh A., Breisblatt W., Cutrone M., Fein S., Ferraris V. Transesophageal echocardiography as an important tool in the diagnosis of postinfarction papillary
muscle rupture. Cardiology 1995 ; 86 : 417-20.
La Lettre du Cardiologue - n° 291 - mars 1998
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