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pratique, et que “en savoir plus” ne conduit
pas automatiquement à “savoir en faire
plus”. Par ailleurs, savoir “ce qu’il faut faire”
(le Quoi faire) ne renseigne pas sur la maniè-
re de le faire (le Comment faire).
Sans piste valable et validée concernant le
Comment faire, l’acteur de terrain n’ob-
tient pas toujours les résultats escomptés.
Au fil des années de pratique, il se sur-
prend à “faire plus de la même chose” pour
n’obtenir que… les mêmes résultats parfois
décevants, quand il ne s’enlise pas dans un
syndrome d’épuisement professionnel, le
burnout des Anglo-Saxons. Je crois très
sincèrement qu’il y a un réel problème de
formation des addictologues, toutes profes-
sions confondues, ne serait-ce qu’au niveau
des entretiens mis en œuvre. Les excellents
théoriciens ne sont pas forcément les
meilleurs praticiens en situation interactive
avec la personne addictive. Savoir parler
brillamment des personnes addictives n’a
pas grand-chose à voir avec la pratique des
entretiens avec elles. Les théories ne
conduisent pas forcément à la mise en
œuvre d’une aide efficace.
Pourtant, des solutions existent dans la
mesure où chacun peut constater que cer-
tains acteurs sont des “experts” reconnus
pour obtenir des résultats vérifiables sur le
terrain. Ces experts sont dotés de compé-
tences réelles, mais le plus souvent incons-
cientes : l’expert sait qu’il obtient des
résultats, mais ne sait plus comment il les
obtient et par conséquent a du mal à ensei-
gner son savoir-faire à d’autres. Incons-
ciente ou mal consciente, sa compétence
demande d’abord à être modélisée avant
d’être enseignée. Ce savoir-faire, ainsi
repéré, décrypté, formalisé et organisé sous
une forme transmissible, peut alors être
transféré à d’autres qui obtiendront des
résultats analogues ou très voisins. Le critère
de cette modélisation réussie n’est pas le
vrai ou le faux, mais la faisabilité.
On comprend dès lors, que le “PNListe”
qui est avant tout un modélisateur, peut
apporter beaucoup en pratique addictolo-
gique…
Les lignes qui suivent montrent que cette
méthodologie s’est révélée “payante” en
pratique quotidienne. Elle a même permis
de faire quelques découvertes inattendues.
Il ne s’agira ici, dans le cadre de cet article,
que de donner un aperçu sur les résultats
pratiques obtenus.
Les présupposés des experts
compétents
Les modélisations ont conduit à mettre au
jour les postulats ou axiomes à partir des-
quels opèrent les experts. Ces présupposés
sont en fait des “croyances de base” qui
guident leur pratique. Personne ne saurait
démontrer leur véracité. En revanche, lors-
qu’on les adopte, ils conduisent à des résul-
tats et c’est cela qui fait toute la différence
au niveau de la pratique.
En voici quelques-uns parmi les plus pro-
ductifs…
1) Une personne ne saurait être confondue
avec les comportements qu’elle produit. C’est
dire que le recours à l’alcool, à tout autre pro-
duit psychotrope ou à certaines conduites
addictives (achat compulsif, automutilation,
boulimie…) sont avant tout des comporte-
ments (3), c’est-à-dire quelque chose qu’une
personne fait. Ce comportement est appris,
observable, descriptible, explicitable et chan-
geable. En ce sens, il est impropre de dire
qu’une personne “est” alcoolique. Il est pré-
férable de dire qu’elle s’alcoolise.
Mais la notion de comportement est plus
complexe qu’il n’y paraît. La face visible
externe de ce comportement est étroite-
ment reliée à l’état interne de la personne,
c’est-à-dire à ce qu’elle ressent à un
moment donné (sensations, émotions, sen-
timents). Comportement et état interne sont
inséparables : ils sont comme les deux
faces d’une pièce de monnaie. L’état inter-
ne, quant à lui, est le résultat des processus
internes, c’est-à-dire des idées, pensées,
croyances et valeurs du sujet. État interne et
processus internes sont, eux aussi, insépa-
rables.
En d’autres termes, de manière simplifiée,
s’il fallait à tout prix présenter les choses
de manière séquentielle, on pourrait dire
ceci : le comportement addictif est engen-
dré par ce que l’on ressent, et ce que l’on
ressent est fonction de ce que l’on pense.
Cette manière de concevoir les choses doit
impérativement se refléter dans les paroles
de l’aidant et du thérapeute lorsqu’ils sont
en situation interactive avec la personne
dite addictive.
S’adonner est dès lors un processus, c’est-
à-dire quelque chose que l’on fait (en pen-
sées, en émotions et en actes) et non
quelque chose que l’on “est”. L’identité de
la personne se trouve ainsi radicalement
séparée des comportements qu’elle met en
place dans un contexte donné. On notera
par ailleurs qu’il est plus facile d’aider un
sujet à changer ses comportements que de
l’aider à changer sa nature profonde.
Cette conception du comportement, très
proche de celle du cognitivo-comportemen-
talisme, permet d’inclure ce que d’autres
nomment “les conduites addictives”.
2) On l’a constaté précédemment, les
addictions ne sont pas définies stricto-
sensu comme étant des maladies. Cela
n’exclut pas, bien entendu, que les compor-
tements addictifs ne puissent pas, au fil du
temps et selon la vulnérabilité du sujet,
conduire à de vraies maladies nécessitant,
elles, le recours obligé au médecin.
3) Dans le cadre d’un entretien ou d’une
psychothérapie, le comportement addictif
est conçu comme une solution mise en
place par le sujet lui-même et non comme
un problème (4). Pour installer une relation
de confiance avec le sujet, il est en effet
nécessaire d’envisager les choses de son
point de vue (et seulement de son point de
vue !). Cette position du “PNListe” ne
souffre aucune exception : elle contribue à
créer chez le sujet le sentiment d’être com-
pris et évite à l’aidant d’avoir à se confronter
avec le sujet en faisant naître des “résis-
tances” (5), voire un phénomène de “déni”.
4) Non seulement le comportement addictif
est présenté comme une solution, mais il
s’agit de la meilleure solution (4) qu’a pu
mettre en place le sujet, compte tenu des
circonstances et des ressources dont il dis-
pose. Bien sûr, chacun sait que cette solu-
tion risque fort d’entraîner, au fil du temps,
des problèmes réels. On verra plus loin que
le but de la thérapie n’est pas de priver le
sujet de sa solution, mais plutôt de l’aider à
en mettre d’autres en place, plus efficaces
encore. Il ne s’agit pas de renoncer à faire
X ou Y mais de faire mieux que X ou Y.
Cette démarche, qui peut surprendre, se
soutient à partir du présupposé suivant.
5) Le comportement addictif, en tant que
meilleure solution adoptée par le sujet, vise
des intentions positives. Le “PNListe”
n’adhère pas un seul instant à l’idée que le
comportement incriminé soit “auto-des-
tructeur” comme on l’affirme trop sou-
vent. Cette idée appartient à certains
aidants et non à la personne addictive. D’où
la question très classique que ne manquera
pas de poser le “PNListe” : “En buvant