le proche-orient - Festival International du Film d`Histoire de Pessac

Avec
Mardi 17 novembre – Cinéma Jean Eustache/Salle Fellini – 17H00
Débat animé par Maurice Sartre, historien spécialiste du Proche-Orient hellénisé, professeur émérite d’histoire ancienne à l’Université de Tours.
Les participants : Françoise Briquel-Chatonnet, historienne, directrice de recherche au CNRS, et Véronique Grandpierre, historienne
spécialiste de la Mésopotamie.
Dans le cadre de l’Université populaire d’Histoire et en écho au débat, projection à 14H15 du film Pharaon (1966) de Jerzy Kawalerowicz.
Vingt ans avant le Précis du système hiéroglyphique de Champollion,
l’Allemand Grotefend pose en 1803 les bases du déchiffrement des
« inscriptions persépolitaines dites cunéiformes ». Ces diaboliques
tablettes d’argile ornées de clous et de poinçons révèlent
l’importance de la Mésopotamie, jusqu’alors banlieue de la Bible
ou des guerres médiques. Une bibliothèque monstre s’ouvrait
ainsi sous nos pieds entre le Tigre et l’Euphrate, qui changea
singulièrement notre vision des choses.
S’il n’y a jamais, en histoire, de commencement avec un grand
« C », l’écriture, inventée vers l’an 3000 avant notre ère, est pourtant
un élément capital dans le destin de l’humanité : plus qu’une
technique d’enregistrement et de déchiffrement, elle constitue une
révolution de l’esprit humain. L’homme a dû « isoler » sa pensée,
en faire une sorte d’objet reproductible par des pictogrammes,
des images aide-mémoire – lui permettant désormais d’avoir sa
pensée devant lui.
Puis, avec l’alphabet « phénicien », le système graphique devient
une écriture de mots. L’homme peut non seulement conserver
la pensée, mais aussi la parole et la langue. On ne se contente plus
d’aide-mémoire : on peut informer et instruire. Une certaine
conception de la science et une certaine conception du divin se
trouvent également bouleversées.
À la différence de l’Égypte qui plonge vers l’Afrique et s’ouvre sur
la Méditerranée, la Mésopotamie, plate-forme ouverte sur deux
immensités, Orient et Occident, est soumise à tous les flux de
circulation. La région, quoique riche et fertile (c’est là, aussi, que
naît l’agriculture), ne dispose pas de matières premières : du
limon, du bitume, des roseaux – rien d’autre. Le peuple doit donc
circuler, commercer, voyager, et il supplée ses carences naturelles
par des trouvailles techniques et intellectuelles.
Parmi tous les peuples de la région, dont nous ne savons rien, mais
qui nous ont légué de nombreux noms propres, Lagash, Uruk,
Ur, etc., deux se distinguent : les Sumériens, venus peut-être par
la mer du golfe Arabo-Persique, semblent avoir coupé les ponts
avec leur patrie d’origine. Et les Sémites qui, en revanche,
s’enracinent dans un puissant arrière-monde, remontant jusqu’à
la Syrie. Plus dynamiques, plus nombreux, ils « décollent » grâce
à leur contact avec les Sumériens. Réciproquement, les Sumériens
profitent de l’extraordinaire vitalité des Sémites.
Cette civilisation dynamique, composite, va être précipitée – au
sens chimique du terme – dans un double mouvement :
l’organisation d’une mythologie et celle, complémentaire, d’un
certain esprit « scientifique », les deux se liant. On peut en suivre
l’avance au fil de l’abondante littérature qui nous est parvenue.
La très ancienne cosmogonie babylonienne a laissé de nombreuses
traces dans la Bible, de la Genèse (récit de la Création, géographie
du Paradis, Déluge) au plus tardif Livre de Job, le grand livre sur
le Mal et le sens même de la vie.
Chez Hésiode et les philosophes ioniens – substrat de la pensée de
la Grèce classique – aussi on retrouve bien des thèmes nés entre
le Tigre et l’Euphrate. Ce qui n’a rien de surprenant : la Grèce n’est
encore qu’en périphérie de cette grande puissance. Les Ioniens lui
empruntent une large part de cosmogonie, en particulier l’idée
d’une matière qui se développe constamment. Mais une différence
apparaît : alors que la mythologie sumérienne explique les choses
par le vraisemblable, la philosophie, elle, cherche le vrai.
Enfin, si l’on trouve une très riche vie politique et juridique en
Mésopotamie, elle n’a jamais, contrairement aux Grecs puis aux
Romains, enfanté de projet universel. Elle se contente, comme
la plupart des cultures de l’époque, d’être au centre de son monde,
sans se poser la question de l’humanité en général. Cette question
sera celle du monde gréco-romain, d’une part, et du monothéisme
juif, d’autre part. Mais je voudrais avoir montré comment ces deux
grands piliers de l’Occident moderne avaient de solides bases entre
les deux fleuves.
© Jean Bottéro, « Au commencement, les Sumériens », L’Histoire
n° 123, juin 1989, pp. 50-54.
Page de gauche : décor de frise provenant du palais de Darius Ier à Suse. Il est aujourd’hui exposé au Pergamonmuseum de Berlin (d.r.).
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