D Aptitudes et certificats en pratique médicale quotidienne mise au point

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mise au point
Aptitudes et certificats
en pratique médicale quotidienne
Assessment of ability and certificates in medical practice
C. Gaultier*
D
ans leur pratique quotidienne, les cardiologues sont régulièrement amenés à se
prononcer sur l’aptitude de leurs patients
à la conduite automobile, à la poursuite de leur
activité professionnelle ou à la pratique de loisirs.
Au-delà de la question de savoir si telle maladie est
compatible avec telle activité, ce qui relève avant
tout du bon sens médical ou d’une concertation
collégiale, l’objet de cette revue est avant tout de
faire le point sur le contexte juridique qui encadre
le rôle des médecins. Comment doit-on informer les
patients ? Peut-on leur interdire la reprise du travail,
de la conduite ? Comment peut-on communiquer
avec la médecine du travail ? Enfin, quels sont les
risques médico-juridiques de l’absence d’information
des patients ou d’une communication excessive avec
la médecine du travail ?
Aptitude
à la conduite automobile
* Sou Médical, groupe MACSF, et
hôpital européen La Roseraie-Villa
Maria, Aubervilliers.
En France, il n’existe pas de contrôle médical obligatoire lors du passage du permis de conduire classique,
ni d’évaluation durant la vie du titulaire du permis du
groupe léger. Tout repose sur la responsabilisation
des conducteurs.
La Prévention routière a rédigé une brochure
complète pour mieux comprendre la place du
médecin dans la conduite automobile, Le médecin
et son patient conducteur, accessible sur Internet
(www.preventionroutiere.asso.fr [Kit Médecin]).
Au moment de s’inscrire à l’examen du permis de
conduire, le candidat doit remplir une déclaration
sur l’honneur certifiant qu’il n’est pas atteint d’une
affection incompatible avec l’obtention du permis.
Une fois le permis obtenu, le conducteur atteint
d’une affection nouvelle pouvant constituer un
danger pour lui-même ou autrui doit le signaler à
22 | La Lettre du Cardiologue • n° 447 - septembre 2011
la préfecture de son lieu de résidence, afin de passer
devant la commission médicale départementale.
Cette démarche reste néanmoins inconnue du grand
public et des médecins.
Le cadre réglementaire des titulaires des permis
du groupe lourd (C, D, E) ou de ceux exerçant une
activité particulière (taxi, ambulance, transport de
personnes, auto-école) est plus contraignant. Il
prévoit un examen d’aptitude médicale préalable,
puis un examen périodique.
L’arrêté du 31 août 2010 (www.legifrance.gouv.
fr) fixe la liste des affections médicales incompatibles avec l’obtention ou le maintien du permis
de conduire. Il rappelle en préambule : “Conformément à l’article R. 412-6 du code de la route, tout
conducteur de véhicule doit se tenir constamment
en état et en position d’exécuter commodément et
sans délai toutes les manœuvres qui lui incombent.
Tant pour le groupe léger que pour le groupe lourd, le
permis de conduire ne doit être ni délivré ni renouvelé
au candidat ou conducteur atteint d’une affection,
qu’elle soit mentionnée ou non dans la présente liste,
susceptible de constituer ou d’entraîner une incapacité
fonctionnelle de nature à compromettre la sécurité
routière lors de la conduite d’un véhicule à moteur.
La décision de délivrance ou de renouvellement du
permis par l’autorité préfectorale est prise à la suite
de l’avis de la commission médicale départementale
ou d’un médecin agréé.”
Au-delà du simple bon vouloir du conducteur à
s’auto­limiter, le médecin a de son côté une obligation de conseil. Il doit penser à informer son patient
sur les risques liés à la maladie ou sur les traitements
nécessaires concernant la conduite.
Du fait de son obligation de respect du secret
médical, le médecin traitant ou le spécialiste ne
dispose d’aucun moyen pour faire retirer son permis
à un patient qui n’est plus en état de conduire.
Points forts
»» Il est impératif d’informer les patients sur les nouvelles limites physiologiques qu’impose la survenue
d’une maladie.
»» Sur le plan juridique, le médecin doit assurer une traçabilité de l’information délivrée (note dans le
dossier, courriers avec le médecin traitant, etc.), faute de quoi il pourrait être rendu en partie responsable
de l’accident provoqué par son patient qui serait passé outre ses conseils oraux.
»» Enfin, le secret médical s’impose à tout médecin, qui ne peut en aucun cas divulguer la maladie de son
patient à un médecin du travail, quel que soit le niveau de risque de la profession exercée.
Il n’est pas toujours facile, sur les seuls éléments de
l’examen clinique, de se prononcer sur l’aptitude ou
non à la conduite. Contre-indiquer la conduite automobile à un patient reste une situation délicate, car
elle risque d’exposer celui-ci à un isolement, surtout
lorsqu’il habite en zone rurale, et, par conséquent,
d'augmenter sa dépendance aux autres. Lorsque le
médecin se sent isolé ou hésite sur l’aptitude de
son patient, il doit faire appel à tous les spécialistes
susceptibles de l’aider à se forger une conviction :
rythmologue, ORL, ophtalmologue, neurologue, etc.
De façon prospective, lorsque l’on détecte un déclin
des aptitudes physiques ou neuropsychologiques, il
est important de commencer à préparer psychologiquement le patient au fait qu’un jour, il ne pourra
peut-être plus conduire. Avec l’âge, ou lorsqu’il existe
une pathologie débutante, il convient peut-être déjà,
dans un premier temps, de déconseiller certaines
situations à risque : longs déplacements, conduite
nocturne, etc. Il ne faut pas hésiter à dresser pour
le patient la liste de ses atteintes extracardiaques :
cela lui permettra de mieux prendre conscience du
risque encouru. Si la situation est trop difficile à
trancher et si le patient est compliant, le médecin
peut toujours lui conseiller de se rendre auprès d’un
médecin agréé pour la visite des permis de conduire
(médecins libéraux désignés par les préfets), ou bien
de passer devant la commission médicale primaire
des permis de conduire (2 médecins généralistes qui
peuvent faire appel à un spécialiste).
Par la suite, lorsque la situation médicale devient
délicate et que le patient se montre réticent, il est
impératif de le sensibiliser à ses responsabilités :
s’il devait être à l’origine d’un accident sur la voie
publique, celui-ci serait d’abord grave pour lui sur
le plan physique (blessures liées au choc, parfois
aggravées par la prise d’antiagrégants ou d’anticoagulants), mais également sur le plan des décompensations de la maladie pour laquelle il est suivi.
En plus des conséquences physiques pour lui, la perte
du contrôle du véhicule peut aussi entraîner des
blessures pour ses passagers (conjoints, enfants)
et les personnes percutées, ou leur décès. Elle
peut également occasionner des dégâts matériels
majeurs. S’il survit à l’accident, le conducteur peut
avoir à assumer personnellement la réparation financière des dommages matériels et corporels de ses
victimes, s’il est prouvé qu’il n’a pas tenu compte de
son état de santé et des conseils donnés. En cas de
décès, ce sont ses ayants droit qui pourraient être
mis à contribution.
On comprend bien alors le rôle majeur du médecin
et l’importance de sa responsabilité face à la découverte d’une maladie susceptible de remettre en cause
l’aptitude à la conduite. Si le médecin traitant ou
le cardiologue ne peut pas concrètement empêcher son patient de prendre le volant, il a un devoir
d’information dont il devra prouver la matérialité,
notamment par des annotations dans le dossier
médical attestant qu’il a conseillé de réduire ou de
cesser la conduite automobile.
Lorsque le patient vient accompagné de membres
de sa famille, il ne faut pas hésiter à les prendre à
témoin et à leur recommander de débattre ensemble
la question. Il est important de mentionner cette
discussion et cette recommandation dans le dossier
médical, ainsi que dans les courriers échangés avec
le médecin traitant ou les autres praticiens sollicités. Ces différents écrits sont autant de preuves des
conseils donnés sur l’arrêt de la conduite automobile.
Si l’on doute du suivi des conseils, il convient de
passer à la vitesse supérieure, à savoir envoyer
au patient un courrier recommandé le menaçant
d’arrêter son suivi médical s’il persiste à conduire
malgré les différentes mises en garde. Cette dernière
mesure reste bien entendu exceptionnelle, et il est
préférable de privilégier le dialogue avec son patient,
en lui expliquant les risques. La famille peut servir
de relais. Elle peut aussi, de son côté, saisir directement le préfet qui convoquera le patient pour un
examen d’aptitude.
Concernant les conducteurs professionnels (routier,
conducteur de train, pilote, etc.), la responsabilité
du médecin et du cardiologue est encore plus importante, puisqu’un accident peut avoir des conséquences encore plus lourdes en raison du nombre
de passagers transportés ou du véhicule conduit. La
traçabilité de l’information du patient est capitale.
Si l’on est face à un patient récalcitrant, qui n’a
manifestement pas l’intention de se soumettre aux
examens légaux ou qui cherche à cacher son état,
il ne faut pas hésiter non plus à prescrire un arrêt
de travail prolongé − ce qui déclenchera automatiquement une visite à la reprise −, ou bien à le faire
Mots-clés
Secret médical
Information
Traçabilité
Highlights
Patients must be informed of
their physiological limitations
when a disease is discovered.
For legal reasons, physicians
need to perform a systematic
traceability of the informations
they have given to patients
(medical record, mail to general
practitioners, etc.), otherwise
their liability could be involved
if their patients have ignored
medical advices and have
provoked an accident.
Whatever the risks of patient’s
work, physicians must always
respect medical confidentiality.
Care physicians can not have
direct communication with
occupational physicians.
Keywords
Medical confidentiality
Information
Traceability
La Lettre du Cardiologue • n° 447 - septembre 2011 | 23 mise au point
Aptitudes et certificats en pratique médicale quotidienne
hospitaliser − ce qui permettra peut-être, devant la
multiplicité des praticiens et leur autorité, de finalement réussir à le convaincre.
Aptitude au travail
Liens utiles
www.preventionroutiere.asso.fr
www.legifrance.gouv.fr
Les cardiologues sont très souvent sollicités pour
donner leur avis sur la poursuite d’une activité
professionnelle.
Il convient d’abord de faire la différence entre l’inaptitude et l’invalidité.
Une inaptitude professionnelle est décidée par la
médecine du travail. Le rôle du médecin traitant ou
du cardiologue est d’expliquer le plus précisément
possible le stade de la maladie, ses risques, ainsi que
les possibilités fonctionnelles résiduelles du patient.
Le médecin du travail, qui, lui, connaît le milieu dans
lequel évolue le patient, va, en fonction des informations médicales transmises par les soignants, évaluer la
possibilité de maintenir ou non un patient à un poste
de travail, avec éventuellement des aménagements.
Bien que l’inaptitude et l’invalidité soient souvent
corrélées, cette dernière est validée par le médecin
de la Sécurité sociale, qui se fonde sur l’analyse des
handicaps pouvant altérer la capacité à exécuter des
travaux professionnels, et cela indépendamment du
contexte précis de l’entreprise dans laquelle évolue
le patient.
Dans la mesure où le médecin du travail n’a pas de
mission de soins, il n’existe pas de secret médical
partagé entre lui et les médecins traitants ou le
cardiologue.
Même s’il est assez fréquent que le médecin du
travail interroge par courrier le médecin traitant
ou le cardiologue, ces derniers ne doivent pas tomber
dans le piège de lui répondre directement, car la
divulgation d’informations médicales peut entraîner
un licenciement.
Les médecins soignants sont tenus au secret médical.
Seul le patient est dépositaire de son dossier médical,
et toute information d’ordre médical doit donc impérativement transiter par le patient lui-même.
Face aux interrogations de la médecine du travail, et
pour la sécurité de son patient, le médecin soignant doit
se demander si la difficulté du travail effectué risque de
provoquer une décompensation de sa maladie.
La maladie peut-elle évoluer de façon brutale et
mettre le patient en danger alors qu’il occupe son
poste de travail ? Lui, ses collègues ou le matériel
sous sa responsabilité sont-ils exposés à un risque ?
Au terme de cette réflexion, le médecin soignant a
une obligation d’information vis-à-vis de son patient.
24 | La Lettre du Cardiologue • n° 447 - septembre 2011
Il doit lui réexpliquer la maladie et ses évolutions
possibles, mais également les risques liés aux traitements qu’il prend. Il doit l’inviter à se mettre en
contact avec la médecine du travail s’il s’agit d’une
maladie découverte nouvellement, ou si une maladie
chronique ancienne vient de présenter une décompensation. Le patient restant maître de la divulgation
ou non de ces informations à la médecine du travail,
le médecin traitant ou le cardiologue doit impérativement garder une traçabilité de tous les conseils
prodigués concernant la reprise professionnelle et ses
risques (notes dans le dossier, courriers échangés avec
d’autres soignants ou remis au patient [contresignés]).
Afin d’être le plus informatif possible, le médecin
rédigera un courrier circonstancié qu’il remettra
à son patient en lui demandant de le transmettre
à la médecine du travail. Il est vivement conseillé
d’inscrire à la fin de ce courrier que le document a
été remis en main propre, mais également que le
patient a été informé des conséquences liées à la
production de ce courrier.
Pour prouver que le patient a bien eu connaissance
de ce courrier et qu’il a bien transité par lui, il est
d’autant plus utile de faire contresigner ce type de
document que son contenu peut avoir des conséquences graves (licenciement, reclassement, etc.).
Aptitude aux loisirs
Les médecins, d’une manière générale, et les cardiologues en particulier, sont souvent sollicités pour
délivrer des certificats de non-contre-indication à la
pratique de tel ou tel sport. Ces derniers sont souvent
perçus comme une tracasserie administrative et une
formalité sans enjeu par des personnes se considérant
habituellement comme étant en “bonne santé”, et les
certificats de complaisance sont malheureusement
fréquents, dans le cadre familial ou amical.
Qu’il s’agisse d’une pratique en amateur ou de
compétition, il convient de se soumettre de façon
impérative aux règles en vigueur.
La première de ces règles est de toujours délivrer un
certificat après un examen effectif et complet de la
personne, voire un bilan paraclinique, et de connaître
les modalités de la pratique du sport en question.
Celui-ci est-il susceptible de déstabiliser la maladie
sous-jacente, ou bien la maladie peut-elle se manifester brutalement pendant l'activité physique ?
Chez le patient coronarien ou ayant une part d’insuffisance cardiaque, une réévaluation récente de
l’épreuve d’effort tombe sous le sens. La prise au long
cours d’antiagrégants plaquettaires ou d’anticoagu-
lants est peu compatible avec des sports exposant
aux traumatismes. Les pathologies qui exposent à
un risque de malaises ne sont pas compatibles avec
des sports pouvant amener le patient à se retrouver
seul sans pouvoir être secouru : plongée sous-marine,
sport aérien, avion de tourisme, etc.
Malgré la passion du patient pour son loisir, il faut
rester ferme et refuser de délivrer un certificat si l’on
estime que la pratique de cette discipline présente
un risque. C’est toujours lorsque les conditions de
délivrance ont été approximatives qu’apparaissent
des accidents et des plaintes.
Lorsqu’un accident grave survient, entraînant
des dommages importants, les liens familiaux ou
amicaux ne résistent pas, et la responsabilité du
médecin est recherchée.
S’il est indispensable de refuser un certificat à un
patient lorsque les conditions ne sont pas réunies
pour le sport sollicité, cela ne suffit cependant pas
toujours. En effet, un cardiologue a été poursuivi pour
s’être contenté d’un simple refus de délivrance d’un
certificat pour la pratique du karaté à un adolescent
de 15 ans atteint d’une cardiopathie hypertrophique
obstructive. Peu de temps après, l’adolescent a présenté
une mort subite lors d’une séance de sport à l’école. Le
cardiologue a été condamné pour défaut de conseil,
car la famille a dénoncé l’absence d’explications, et
rien dans le dossier (notes ou courriers échangés) n'a
permis de penser qu’une information avait été délivrée.
SFAR
SFAR
Congrès national de la Société française
d’anesthésie et de réanimation
Paris
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21-24 septembre 2011
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ejournaux/SFAR/2011/
Conclusion
Le médecin interrogé sur l’aptitude d’un patient se
doit de vérifier si les capacités résiduelles de celui-ci et
les risques évolutifs de sa maladie sont en adéquation
avec la pratique qu’il sollicite. En cas d’inaptitude, le
médecin ne peut en aucun cas avertir l'employeur, la
médecine du travail (par un courrier direct) ou le préfet
(conduite automobile) en raison du secret médical.
Dans tous les cas, le médecin est astreint à une obligation d’information de son patient sur les risques induits
par la poursuite de son activité. Une fois informé et
conseillé, c’est au patient de prendre ses responsabilités.
En raison des enjeux, en cas d’accident provoqué par le
patient, les médecins doivent impérativement veiller
à conserver par tous les moyens (dossier, courriers
aux soignants, lettre recommandée au patient) une
traçabilité de leurs conseils. Le patient doit rester le
passage obligé entre la médecine de soins et celle du
travail. C’est à lui de décider de communiquer ou non
les courriers de ses soignants, qui peuvent avoir des
répercussions sur son avenir professionnel
■.
À bientôt
sur le net
E n
p a r t e n a r i a t
a v e c
La Lettre du Cardiologue • n° 447 - septembre 2011 | 25 
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