
Le Courrier des addictions (11) – n ° 2 – avril-mai-juin 2009
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Plus jamais ça !
Comment et pourquoi
j’ai appris à poser la question
des consommations de produits
Généraliste en 1977, je n’avais pas appris à po-
ser la question des consommations de produits
dangereux pour la santé mentale ou physique, ni
à annoncer une nouvelle difficile à entendre ou à
dire (un cancer, une séropositivité, etc.). Ne po-
sant pas la question, je n’avais parmi les patients,
ni fumeurs de cannabis, ni consommateurs d’al-
cool ou autres drogues. Jusqu’au jour où j’ai été
confrontée à des problèmes que je n’avais pas
appris à résoudre ! David, 17 ans, est mort dans
les toilettes d’un café, avenue d’Italie, d’une over-
dose. Je n’avais pas mesuré le danger du passage
à l’acte. Il avait tout négocié et vendu dans la mai-
son de ses parents qui se plaignaient de ses crises
d’anxiété et de ses vols. Je me suis dit : "Plus ja-
mais ça ! je suis généraliste, médecin de famille, je
vais chercher comment améliorer ma pratique !"
J’ai cherché... à ne pas rester seule
...Et à mieux choisir les formations proposées
aux professionnels, ouvrir les yeux et les oreilles
pour m’informer, écouter les patients.
J’ai retrouvé la mémoire de mon engagement
d’étudiante en militant au planning familial en
1972, avant la loi "Simone Veil", en participant
à la revue du Comité de liaison et d’information
sur la santé et les conditions de travail (CLI-
SACT). J’avais appris alors l’écoute active dans
les échanges avec les femmes en difficulté, les
ouvriers de Ferrodo touchés par l’amiante, les
mineurs silicosés de Liévin. Tous étaient avides
de connaissances, mais donnaient les leurs en
échange. Et cette mutualisation faisait avancer
tout le monde.
* PA MG UFR Paris-XI, présidente du réseau RAVMO,
Réseau addictions Val-de-Marne Ouest-RAVMO, 9, rue
Guynemer, 94800 Villejuif. Tél. : 01 46 77 02 11. Fax :
Poser d’emblée la question
des consommations
Mireille Becchio*
Qu’ils soient "addicts" ou aient des problèmes psychiatriques, le plus important est que
les patients soient pris en charge, simplement, sans jugement. Comme n’importe lequel
des patients qui viennent consulter dans un cabinet médical. Comme tous les patients
souffrant de pathologies chroniques, parfois difficiles "à manager" dans la durée. Un
plaidoyer pour une pratique humble mais efficace de la présidente du Réseau Val-de-
Marne-Ouest, RAVMO.
L’expérience des patients
et des usagers
L’enseignement des patients
séropositifs
Les premiers patients VIH + soignés dans les
années 1980 "qui en savaient plus que nous",
annonçaient leur diagnostic, leur pronostic en
disant tranquillement "je vais mourir, j’orga-
nise mon après". Après les avoir pleurés, nous
n’avons plus jamais évité de "dire la vérité" si
le patient le désirait et pouvait le supporter,
y compris pour les autres maladies, cancers,
maladies chroniques. J’ai repris alors mon bâ-
ton de montagnarde, participé à la formation
des professionnels de santé à Villejuif, des
étudiants à la faculté Paris-XI et tout naturel-
lement à la création du réseau RAVMO, puis
DEP SUD, car cela répondait à un besoin per-
sonnel et de terrain.
La rencontre, les échanges avec les profession-
nels exerçant de manière différente de ma pra-
tique, les formations "réseau" ont enrichi mon
expérience et mes capacités d’écoute, de refor-
mulation et de connaissance de mes patients.
L’expérience des usagers
D’emblée, ce qui m’a plu dans le travail en ré-
seau comme nous l’avons imaginé et "osé" c’est
que les usagers, ex-usagers, faisaient partie
intégrante du travail et des projets. La com-
mission alcool, la plus active depuis les débuts
du réseau a associé dès le début des repré-
sentants d’associations d’entraide d’usagers
dépendant à l’alcool. Les groupes de parole
pour les fumeurs ont invité des ex-fumeurs,
mais aussi des experts et des professionnels
qui viennent se former à la tabacologie.
Les fiches "protocoles de bonnes pratiques"
sont le fruit du travail commun des usagers,
patients, ex-usagers, professionnels formés
ou en formation sur les addictions, les mala-
dies mentales.
Respecter le déni, sans jugement
ni banalisation
Ce sont les ex-dépendants d’alcool qui nous
ont appris à mieux poser les questions : "j’ai
attendu pendant de trop longues années que
mon médecin me pose la question de mes
consommations d’alcool". Les patients ex-fu-
meurs ont donné des clés "pour parler sans
juger ni banaliser, en acceptant le déni, en re-
venant plus tard si besoin".
Tous nous ont appris avec leur parcours chao-
tique, leur trajectoire de vie, leurs antécédents.
Tous nous ont convaincus que ce qui compte
c’est l’empathie du soignant, la relation méde-
cin-patient, pouvoir échanger avec le soignant
qui "s’assoit pour parler", regarde dans les yeux,
ne dévie pas son regard, ni son écoute. Et ac-
cepte le patient "tel qu’il se présente". Y compris
avec son déni ! Au départ, ce n’est pas le produit
qui compte, ni de savoir s’il y a plusieurs pro-
duits utilisés, mais le patient avec sa souffrance,
son vécu dans sa globalité. Et, toujours, "laisser
la porte ouverte" à la possibilité de parler des
consommations de produits.
Il ne s’agit pas de s’attacher à un produit pour en
réduire ou arrêter sa consommation, sans pren-
dre en charge le patient dans sa globalité. Sans
chercher avec lui la voie sur laquelle il va s’en-
gager "pour se reconstruire différemment, sans
produit". Arrêter le produit par un sevrage "sec”,
c’est exposer ce patient à une reconsommation,
voire au passage à un autre produit. Certains
patients vont parler spontanément, d’autres at-
tendront une consultation ultérieure, voire des
mois plus tard. Nous aurons posé la question et
tous saurons que "nous sommes à l’écoute".
Humbles et efficaces
Le message minimal
On pose la question : "Fumez vous ?" Si le pa-
tient répond "Oui", on peut lui demander de-
puis quand, dans quelles conditions, à quelle
fréquence, combien de cigarettes, puis : "Avez-
vous pensé à diminuer, voire à arrêter vos
consommations ?" Enfin, on conclut : "Le jour où
vous voudrez vous arrêter, je peux vous aider...
ou vous donner des adresses". Si nous, les profes-
sionnels, soignants ou non, assistants sociaux,
dentistes, infirmiers, pharmaciens, médecins...
posons cette simple question, nous avons tou-
tes les chances d’obtenir qu’un patient sur dix
diminue spontanément sa consommation d’al-
cool ou de cannabis, un sur vingt celle de tabac,
sans rien faire de plus ! Cela nous rend humbles,
mais combien efficaces !
Pour l’alcool, le message minimal consiste à poser
la question, puis à demander "connaissez-vous les
normes OMS au sujet des consommations maxi-
males conseillées ?" Réponse très simple, elle
aussi : deux verres par jour pour une femme, trois
verres pour un homme et pouvoir se passer de
consommation un ou deux jours par semaine.
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