vol VII/n°3 juin C 23/04/04 A N 9:07 C Page 127 É R O L O G I E E T S O C I É T É À l’occasion de l’ASCO, grand rendez-vous international de la cancérologie, nous avons voulu savoir si l’attitude des patients et des médecins outre-Atlantique était différente de celle constatée dans notre pays. Nous avons donc donné la parole au Dr Eric Raymond, cancérologue à l’Institut Gustave-Roussy, dont l’expérience dans un centre de cancérologie aux États-Unis permet ce double regard vis-à-vis de l’annonce du cancer. L’ANNONCE DU CANCER : UN REGARD DIFFÉRENT ENTRE LA FRANCE ET LES ÉTATS-UNIS États-Unis : une approche pragmatique du côté du patient comme du côté du médecin Au stade de l’annonce diagnostique, il existe, pour des raisons culturelles, des différences tant en ce qui concerne les demandes du patient que l’attitude du médecin. En France, les patients ne souhaitent pas toujours entendre les mots “cancer, tumeurs, métastases” et veulent rarement connaître réellement le pronostic. Si certains posent des questions en termes de thérapeutique ou de pronostic, ils ne vont pour ainsi dire jamais rechercher l’information par eux-mêmes. En revanche, aux États-Unis, les patients posent des questions, attendent des réponses et le médecin se doit de les informer. De plus, ils n’hésitent pas à consulter la banque de données du NCI (National Cancer Institute) afin d’obtenir toute l’information sur leur maladie, sa prise en charge et son pronostic. Cette banque de données permet en effet une information du grand public et aborde aussi bien les aspects cliniques et pronostiques que les différents types de protocoles thérapeutiques en fonction des indications. Une liste des centres pratiquant les différents types de protocoles complète ces données. Le comportement des médecins est tout aussi différent. Si, dans notre pays, nous hésitons à prononcer le mot “cancer”, et ce d’autant plus qu’il s’agit d’un cancer métastatique, les médecins américains ont une attitude beaucoup plus directe. Ils répondent largement aux questions, considérant que le patient a le droit de savoir et de connaître le pronostic afin de pouvoir s’adapter et prendre les mesures nécessaires dans sa vie privée et professionnelle. Les différents protocoles thérapeutiques lui seront exposés ainsi que leurs effets indésirables et le patient pourra donner son avis ou aller prendre conseil auprès d’un autre médecin sans que cela soit mal perçu. Le patient établit alors un véritable contrat avec son médecin, qui lui remet une notice d’information, voire des références bibliographiques. Une fois le cancer annoncé ainsi que son pronostic, il n’existe pas, comme dans certains centres en France, de structures capables d’assurer un suivi psychologique. Les patients doivent assumer seuls l’annonce de la maladie et, s’ils désirent un soutien psychologique, ils devront faire eux-mêmes la démarche car celui-ci n’est que rarement proposé par le médecin. Cette différence peut s’expliquer par le fait que, contrairement aux médecins français, nos confrères américains ne se sentent pas une obligation de résultats. En France, si la guérison n’est pas possible, les médecins se sentiront dans l’obligation d’assurer la prise en charge psychologique et bien souvent sociale du patient. Le rôle des associations de patients Aux États-Unis, les associations de patients sont beaucoup plus dynamiques et font l’objet de dons beaucoup plus importants qu’en France. Elles jouent un rôle politique et économique et sont à l’origine du financement de projets de recherche. Des évolutions prévisibles En France, l’information est maintenant disponible à travers le réseau Internet. Si, à ce jour, elle reste encore peu utilisée par le grand public, nous savons que son accès va se développer de plus en plus. L’attitude des patients français va donc évoluer et se rapprocher de celle des Américains. Il faut savoir qu’une évolution a déjà été notée, la confiance aveugle dans le prescripteur ayant disparu, y compris en ce qui concerne les médecins spécialistes, qui font maintenant l’objet d’un jugement critique. Il est donc important de donner une information la plus complète possible afin que le patient comprenne les exigences de sa maladie. Cela est d’autant plus important que, dans notre pays, la plupart des procès impliquant des médecins sont liés à un manque d’information. Enfin, les patients ne se limitent plus à vouloir une prise en charge adaptée de leur maladie mais souhaitent, à juste titre, un service de qualité. Les patients seront donc de plus en plus souvent amenés à apprécier les services du médecin, ce qui implique qu’ils soit, bien informés et que le médecin soit, en contrepartie, crédible et bien compris. Propos recueillis par le Dr C. Despierre avec le soutien de : La Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 3 - juin 1998 127