Directeur de la publication : Claudie Damour-Terrasson Rédacteur en chef : Éric Viel (Nîmes) Comité de rédaction A. Bioy (Le Kremlin-Bicêtre), F. Bonnet (Paris), A. Cahana (Genève), M. Gentili (Rennes), J.M. Gomas (Paris), S. Jaber (Montpellier), F. Lakdja (Bordeaux), A. Muller (Strasbourg), M. Raucoules-Aimé (Nice), C. Wood (Paris) Conseiller scientifique : J.J. Eledjam (Montpellier) Comité scientifique D. Annequin (Paris), S. Blond (Lille), B. Calvino (Paris), F. Cesselin (Paris), M. Chauvin (Boulogne-Billancourt), A. Delbos (Toulouse), A. Eschallier (Clermont-Ferrand), B. Griene (Alger), M. Lantéri-Minet (Nice), J. Pélissier (Nîmes), R. Trèves (Limoges) Comité de lecture M.S. Ben Ammar (Tunis), L. Beydon (Angers), A. Borgeat (Zurich), H. Bouaziz (Nancy), D. Bouhassira (Boulogne-Billancourt), L. Brasseur (Boulogne-Billancourt), J. Chevallier (Montpellier), F. Clergue (Genève), C. Créac’h (Saint-Étienne), P. Drolet (Montréal), J.L. Ducassé (Toulouse), C. Ecoffey (Rennes), M. Enjalbert (Cerbère), B. Fergane (Besançon), D. Fletcher (Garches), C. Hérisson (Montpellier), P. Labauge (Nîmes), B. Laurent (Saint-Étienne), W. Maazouzi (Rabat), C. Mann (Montpellier), M. Meignier (Nantes), F. Navarro (Montpellier), M. Nejmi (Rabat), E. Pélissier (Besançon), S. Perrot (Paris), P. Queneau (Saint-Étienne), L. Rambaud (Lyon), J. Ripart (Nîmes), J. Rodineau (Paris), P. Saltel (Lyon), F. Syngelin (Bruxelles), J.C. Verdié (Toulouse), Y. Yapobi (Abidjan), P. Zetlaoui (Le Kremlin-Bicêtre) Société éditrice : DaTeBe SAS Président-directeur général : Claudie Damour-Terrasson Rédaction Directeur délégué de la rédaction : Béatrice Hacquard-Siourd Secrétaire générale de la rédaction : Magali Pelleau Rédactrices-réviseuses : Cécile Clerc, Sylvie Duverger Muriel Lejeune, Catherine Mathis, Odile Prébin Infographie Premier rédacteur graphiste : Didier Arnoult Responsable technique : Virginie Malicot Rédactrices graphistes : Mathilde Aimée, Christine Brianchon, Cécile Chassériau, Catherine Rousset Dessinateurs d’exécution : Stéphanie Dairain, Antoine Palacio Commercial Directeur du développement commercial : Sophia Huleux-Netchevitch Directeur des ventes : Chantal Géribi Régie publicitaire et annonces professionnelles : Vincent Le Divenach Tél. : 01 46 67 62 92 - Fax : 01 46 67 63 10 Abonnements : Florence Lebreton - Tél. : 01 46 67 62 87 2, rue Sainte-Marie - 92418 Courbevoie Cedex Tél. : 01 46 67 62 00 - Fax : 01 46 67 63 10 E-mail : [email protected] Site internet : www.edimark.fr Le temps dans l’algologie Pain and time Pr André Muller (centre d’évaluation et de traitement de la douleur, hôpital civil, Strasbourg) “Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître.” Antoine de Saint-Exupéry “Pourquoi se presser, le soleil se couche en même temps pour tous.” Proverbe africain Pourquoi cet éditorial ? Pour plusieurs raisons : ➤ J’ai personnellement pris la mesure du “temps qui passe” avec l’âge, un douloureux accident de cheval m’ayant contraint à réduire momentanément mes activités et à réfléchir à la durée nécessaire au rétablissement, durée imposée par les contraintes de la biologie et de la physiologie. Il m’a ensuite fallu, moi qui ne connaissais rien à l’éducation d’un jeune ardennais de plus d’une tonne, réapprivoiser l’animal, au sens où l’entend Antoine de Saint-Exupéry dans le Petit Prince (“[…] ça signifie créer des liens.” ; “Il faut des rites.” ; “Il faut être patient.”). ➤ Depuis quelques années, et de façon de plus en plus pressante, j’ai le sentiment de n’avoir plus le temps de me consacrer autant que je le souhaiterais à la médecine et aux patients. Les réunions en tous genres (accréditation, évaluation des pratiques professionnelles, hôpital 2007, pôles d’activité, application de la T2A, projet d’établissement, projets pédagogiques, etc.), organisées aux motifs, selon le thème, d’une meilleure organisation du fonctionnement du service (“faire mieux” avec les mêmes moyens, voire avec des économies), d’une participation du corps médical à la gestion hospitalière (les administratifs font-ils des consultations ?), de la rentabilité imposée par la T2A, me laissent bien souvent l’impression d’une stérile perte de temps. Temps que j’essaie de rattraper, toujours dans l’urgence des nouvelles tâches à faire (“pour au plus tard le…”), avec une inefficacité et une fatigue accumulées qui rappellent le syndrome d’épuisement professionnel ! Résultat d’une mauvaise gestion de mon temps, diront certains. Le temps est une notion subjective, aisément perceptible à l’aune d’une montre, d’un calendrier, des saisons… Il est pour chacun compté, décompté faudrait-il dire, ce décompte semblant s’accélérer avec le temps. Le Courrier de l’algologie (5), n° 4, octobre-novembre-décembre 2006 75 Le temps des médecins Au-delà des contraintes évoquées ci-dessus, la gestion du temps des médecins hospitaliers est, me semble-t-il, caractérisée par trois contraintes. ➤ La multiplicité des tâches à remplir : leur nombre va croissant, comme si le temps était extensible ; on ne peut que travailler plus vite, donc moins bien, à expédier toutes ces tâches. ➤ L’immédiateté des choses à faire, à laquelle l’usage de la messagerie électronique n’est pas étranger. Bien sûr, elle facilite la transmission des informations, mais elle suppose, de façon perverse, que tout courriel expédié est lu et intégré par son destinataire dans l’instant. D’où des relances en l’absence de réponse dans la minute, surtout si le logiciel de messagerie est configuré pour accuser réception. ➤ La rentabilité, laquelle s’insinue dans les pratiques sous plusieurs formes : celle des tableaux de service qui, sans le dire, visent à tout savoir sur la présence médicale ; celle de la T2A, au regard de laquelle il ne suffit plus, quand on œuvre dans un CHU, de s’occuper des patients les plus difficiles, car il est aussi demandé de concurrencer le privé sur le terrain des actes rentables ! Le temps des patients Il a beaucoup été dit et écrit sur le terme de “patient”, qui suppose qu’il aurait le temps. Cela change : il devient dorénavant un usager de soins avec toutes les exigences incluses dans la “charte des droits des patients”, charte qui a oublié d’évoquer ses devoirs. Pour autant, et en particulier en ce qui concerne les patients douloureux, sont-ils mieux soignés ? Guérissent-ils plus vite ? La douleur étire la durée du temps de celui qui souffre. Elle détourne son esprit, accaparé par cette douleur, des possibilités de penser plus loin, et assombrit toutes ses potentialités de projets, ou tout simplement de jouissance du quotidien. 76 Le Courrier de l’algologie (5), n° 4, octobre-novembre-décembre 2006 La douleur aiguë n’a, par définition, qu’une durée limitée. Il faut le temps de la guérison de la lésion causale, ainsi que celui de la régression de l’éventuelle hyperalgésie qui s’était installée. Cette régression relève en partie de la guérison de la cause, mais aussi de mécanismes actifs antihyperalgésiants qui peuvent parfois être défaillants, d’où des douleurs qui perdurent bien après la guérison tissulaire. À l’opposé, la douleur chronique, avec sa notion implicite de durée, ne laisse pas d’échappatoire à celui qui en est affligé, et tout son temps est rythmé par cette douleur. Ce “temps de la douleur chronique” appelle plusieurs commentaires. – Bien souvent, une douleur chronique fait suite à une douleur aiguë “mal traitée”. Si cette notion évoque en premier lieu une analgésie insuffisante, d’autres facteurs jouent aussi un rôle, comme le contexte de l’événement responsable de la douleur aiguë, ou l’histoire de vie du patient. Il est un autre facteur, souvent méconnu, à savoir celui du temps nécessaire à la récupération : si la plaie opératoire d’une cure de hernie discale guérit en un mois, si l’on admet qu’il faut deux à trois mois pour retrouver la mobilité du rachis, on oublie souvent qu’un nerf qui a souffert met en moyenne trois ans pour récupérer. – La douleur chronique provoque une distorsion du temps qui rappelle l’idée que “l’inconscient ne connaît pas le temps”. Cela complique les choses lors de l’entretien avec le patient, qui se souvient mal des douleurs initiales et passées, et qui tend à mettre en avant ses douleurs du moment, celles qui l’empêchent de se souvenir ! De nombreuses publications sont consacrées aux difficultés du souvenir des douleurs passées, car ce souvenir est d’abord affectif et émotionnel et il est, de plus, parasité par les douleurs actuelles. Au dire du patient, les douleurs sont constantes, diurnes et nocturnes, évoluant depuis des années. Erreurs cognitives, diront certains, alors que la douleur, puissant attracteur de l’attention, fait oublier les moments sans douleur. – Qui n’a pas entendu des patients souffrant de douleurs chroniques émettre avec nostalgie le souhait de redevenir “comme avant” ? C’est qu’il y a un “avant” qui, avec le recul, prend une connotation névrotique de “bon vieux temps où tout allait bien”, et un après, où le temps n’est fait que de douleur. Renoncer au temps d’avant, c’est déjà faire un pas vers l’acceptation de ce qui arrive. – C’est dire le temps qu’il faut pour s’occuper de tels patients ! Temps non rentable au regard des contraintes économiques (time is not money), temps incompatible avec l’immédiateté de soulagement prônée par les discours médiatiques. Et quand on manque de temps, la iatrogénie n’est pas loin : combien de patients reçoivent-ils des opioïdes forts de façon injustifiée, juste pour “faire taire” (la plainte) ? Accepter le temps biologique, le temps de l’inconscient, prendre le temps est incontournable pour qui souhaite s’occuper de patients qui souffrent : les thérapies “brèves” (infiltratives, pharmacologiques, “psy”, etc.) risquent de faire plus de mal que de bien. Comment faire pour avoir du temps (un luxe), alors qu’on n’a jamais le temps, et que si l’on ne se plie pas à toutes les exigences chronophages du métier de médecin/gestionnaire (“on n’a pas le choix” !), on risque de ne plus avoir les moyens de travailler ? L’art de savoir dire non suppose que l’on puisse exister en dehors du regard des autres, car accepter la place que vous assignent les autres n’est finalement qu’une forme d’imposture ! ■ Le Courrier de l’algologie (5), n° 4, octobre-novembre-décembre 2006 77