Le temps dans l’algologie

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Société éditrice : DaTeBe SAS
Président-directeur général : Claudie Damour-Terrasson
Rédaction
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Rédactrices-réviseuses : Cécile Clerc, Sylvie Duverger
Muriel Lejeune, Catherine Mathis, Odile Prébin
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Premier rédacteur graphiste : Didier Arnoult
Responsable technique : Virginie Malicot
Rédactrices graphistes : Mathilde Aimée,
Christine Brianchon, Cécile Chassériau, Catherine Rousset
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Commercial
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Le temps dans l’algologie
Pain and time
Pr André Muller
(centre d’évaluation et de traitement de la douleur, hôpital civil, Strasbourg)
“Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître.”
Antoine de Saint-Exupéry
“Pourquoi se presser, le soleil se couche en même temps pour tous.”
Proverbe africain
Pourquoi cet éditorial ?
Pour plusieurs raisons :
➤ J’ai personnellement pris la mesure du “temps qui passe” avec l’âge,
un douloureux accident de cheval m’ayant contraint à réduire momentanément mes activités et à réfléchir à la durée nécessaire au rétablissement,
durée imposée par les contraintes de la biologie et de la physiologie.
Il m’a ensuite fallu, moi qui ne connaissais rien à l’éducation d’un jeune
ardennais de plus d’une tonne, réapprivoiser l’animal, au sens où l’entend
Antoine de Saint-Exupéry dans le Petit Prince (“[…] ça signifie créer des
liens.” ; “Il faut des rites.” ; “Il faut être patient.”).
➤ Depuis quelques années, et de façon de plus en plus pressante, j’ai
le sentiment de n’avoir plus le temps de me consacrer autant que je le
souhaiterais à la médecine et aux patients. Les réunions en tous genres (accréditation, évaluation des pratiques professionnelles, hôpital
2007, pôles d’activité, application de la T2A, projet d’établissement,
projets pédagogiques, etc.), organisées aux motifs, selon le thème, d’une
meilleure organisation du fonctionnement du service (“faire mieux”
avec les mêmes moyens, voire avec des économies), d’une participation
du corps médical à la gestion hospitalière (les administratifs font-ils des
consultations ?), de la rentabilité imposée par la T2A, me laissent bien
souvent l’impression d’une stérile perte de temps. Temps que j’essaie
de rattraper, toujours dans l’urgence des nouvelles tâches à faire (“pour
au plus tard le…”), avec une inefficacité et une fatigue accumulées qui
rappellent le syndrome d’épuisement professionnel ! Résultat d’une
mauvaise gestion de mon temps, diront certains.
Le temps est une notion subjective, aisément perceptible à l’aune d’une
montre, d’un calendrier, des saisons… Il est pour chacun compté, décompté
faudrait-il dire, ce décompte semblant s’accélérer avec le temps.
Le Courrier de l’algologie (5), n° 4, octobre-novembre-décembre 2006
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Le temps des médecins
Au-delà des contraintes évoquées ci-dessus, la
gestion du temps des médecins hospitaliers est, me
semble-t-il, caractérisée par trois contraintes.
➤ La multiplicité des tâches à remplir : leur nombre
va croissant, comme si le temps était extensible ;
on ne peut que travailler plus vite, donc moins
bien, à expédier toutes ces tâches.
➤ L’immédiateté des choses à faire, à laquelle
l’usage de la messagerie électronique n’est pas
étranger. Bien sûr, elle facilite la transmission des
informations, mais elle suppose, de façon perverse,
que tout courriel expédié est lu et intégré par son
destinataire dans l’instant. D’où des relances en
l’absence de réponse dans la minute, surtout si le
logiciel de messagerie est configuré pour accuser
réception.
➤ La rentabilité, laquelle s’insinue dans les pratiques sous plusieurs formes : celle des tableaux de
service qui, sans le dire, visent à tout savoir sur la
présence médicale ; celle de la T2A, au regard de
laquelle il ne suffit plus, quand on œuvre dans un
CHU, de s’occuper des patients les plus difficiles,
car il est aussi demandé de concurrencer le privé
sur le terrain des actes rentables !
Le temps des patients
Il a beaucoup été dit et écrit sur le terme de
“patient”, qui suppose qu’il aurait le temps. Cela
change : il devient dorénavant un usager de soins
avec toutes les exigences incluses dans la “charte
des droits des patients”, charte qui a oublié d’évoquer ses devoirs. Pour autant, et en particulier en
ce qui concerne les patients douloureux, sont-ils
mieux soignés ? Guérissent-ils plus vite ?
La douleur étire la durée du temps de celui qui
souffre. Elle détourne son esprit, accaparé par cette
douleur, des possibilités de penser plus loin, et
assombrit toutes ses potentialités de projets, ou
tout simplement de jouissance du quotidien.
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Le Courrier de l’algologie (5), n° 4, octobre-novembre-décembre 2006
La douleur aiguë n’a, par définition, qu’une
durée limitée. Il faut le temps de la guérison de la
lésion causale, ainsi que celui de la régression de
l’éventuelle hyperalgésie qui s’était installée. Cette
régression relève en partie de la guérison de la
cause, mais aussi de mécanismes actifs antihyperalgésiants qui peuvent parfois être défaillants, d’où
des douleurs qui perdurent bien après la guérison
tissulaire.
À l’opposé, la douleur chronique, avec sa notion
implicite de durée, ne laisse pas d’échappatoire
à celui qui en est affligé, et tout son temps est
rythmé par cette douleur. Ce “temps de la douleur
chronique” appelle plusieurs commentaires.
– Bien souvent, une douleur chronique fait suite
à une douleur aiguë “mal traitée”. Si cette notion
évoque en premier lieu une analgésie insuffisante,
d’autres facteurs jouent aussi un rôle, comme le
contexte de l’événement responsable de la douleur
aiguë, ou l’histoire de vie du patient. Il est un autre
facteur, souvent méconnu, à savoir celui du temps
nécessaire à la récupération : si la plaie opératoire
d’une cure de hernie discale guérit en un mois,
si l’on admet qu’il faut deux à trois mois pour
retrouver la mobilité du rachis, on oublie souvent
qu’un nerf qui a souffert met en moyenne trois
ans pour récupérer.
– La douleur chronique provoque une distorsion
du temps qui rappelle l’idée que “l’inconscient ne
connaît pas le temps”. Cela complique les choses
lors de l’entretien avec le patient, qui se souvient
mal des douleurs initiales et passées, et qui tend
à mettre en avant ses douleurs du moment, celles
qui l’empêchent de se souvenir ! De nombreuses publications sont consacrées aux difficultés
du souvenir des douleurs passées, car ce souvenir est d’abord affectif et émotionnel et il est, de
plus, parasité par les douleurs actuelles. Au dire
du patient, les douleurs sont constantes, diurnes
et nocturnes, évoluant depuis des années. Erreurs
cognitives, diront certains, alors que la douleur,
puissant attracteur de l’attention, fait oublier les
moments sans douleur.
– Qui n’a pas entendu des patients souffrant de
douleurs chroniques émettre avec nostalgie le
souhait de redevenir “comme avant” ? C’est qu’il
y a un “avant” qui, avec le recul, prend une
connotation névrotique de “bon vieux temps où
tout allait bien”, et un après, où le temps n’est
fait que de douleur. Renoncer au temps d’avant,
c’est déjà faire un pas vers l’acceptation de ce
qui arrive.
– C’est dire le temps qu’il faut pour s’occuper de
tels patients ! Temps non rentable au regard des
contraintes économiques (time is not money),
temps incompatible avec l’immédiateté de soulagement prônée par les discours médiatiques. Et
quand on manque de temps, la iatrogénie n’est
pas loin : combien de patients reçoivent-ils des
opioïdes forts de façon injustifiée, juste pour “faire
taire” (la plainte) ?
Accepter le temps biologique, le temps de l’inconscient, prendre le temps est incontournable
pour qui souhaite s’occuper de patients qui souffrent : les thérapies “brèves” (infiltratives, pharmacologiques, “psy”, etc.) risquent de faire plus
de mal que de bien. Comment faire pour avoir du
temps (un luxe), alors qu’on n’a jamais le temps,
et que si l’on ne se plie pas à toutes les exigences
chronophages du métier de médecin/gestionnaire
(“on n’a pas le choix” !), on risque de ne plus
avoir les moyens de travailler ? L’art de savoir dire
non suppose que l’on puisse exister en dehors
du regard des autres, car accepter la place que
vous assignent les autres n’est finalement qu’une
forme d’imposture !
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Le Courrier de l’algologie (5), n° 4, octobre-novembre-décembre 2006
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