Ê T R E E T S A V O I R Enjeux éthiques de la collecte d’éléments et produits du corps humain dans la recherche médicale Collection and storage of human samples in biobank research: ethical issues © La Lettre du Pneumologue (VIII), n° 6, novembre-décembre 2005. ● G. Moutel* Mots-clés : Déontologie médicale - Législation Collection d’échantillons biologiques - Recherche biomédicale - Information - Consentement. Keywords: Medical ethics - Health legislation - Biobank Biomedical research - Information - Consent. a généralisation des pratiques de dissection dans l’Italie du XIVe siècle, avec Vésale notamment, opère un glissement dans les esprits et amène à associer le corps non plus à l’être mais à l’avoir. Objet de savoir ou de curiosité, le corps se désolidarise progressivement de la personne. Avec Descartes, la vision mécaniste du corps vient encore accentuer la rupture. Ainsi, entre le XVIe et le XVIIe siècle, notamment avec l’entreprise anatomiste, la voie est ouverte qui déprécie les savoirs populaires et légitime en revanche le savoir biomédical naissant. Une différence nette se crée alors entre les futurs tenants de la vision scientifique moderne du corps (qui le matérialise) et certaines représentations populaires qui continuent à considérer ce corps comme étant en lien avec l’homme qu’il supporte et comme vecteur de la personne tout autant que l’interface entre celle-ci et la société. Ainsi, et ceci est encore vrai aujourd’hui, pour beaucoup, le corps incarne la personne. Actuellement, la dissémination des organes, des tissus, des cellules et des fluides, le morcellement possible du corps conduisent à une vision que, conformément aux traditions philosophique et médicale occidentales, on pourrait qualifier de “mécaniste”. Le corps-machine aux rouages interchangeables fait rêver en même temps qu’il effraie. Dans ce contexte, la société, comme la majorité des participants interrogés à ce sujet lors de travaux de recherche en éthique médicale, donne une valeur centrale au consentement L * Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale, faculté de médecine, université Paris-V, Paris. Secrétaire général de la Société française et francophone d’éthique médicale (SFFEM). Rédacteur en chef du Courrier de l’Éthique. 34 aux prélèvements. Ce consentement et l’information qui le précède sont considérés comme la base d’un contrat social, même s’il ne revêt pas au premier abord de dimension juridique. Il s’agit donc de la demande d’un véritable contrat de raison qui installe patient et médecin-chercheur dans une éthique communicationnelle et de transparence. Le consentement constitue alors un moyen d’information pour les patients, mais aussi une façon de se responsabiliser vis-à-vis de ces échantillons. À cet égard, les patients sont, d’après ces travaux, motivés pour transmettre tout changement de données les concernant, afin de faciliter le suivi des résultats et d’améliorer les recherches. Il est à souligner qu’ils désirent rester informés du devenir de leurs échantillons, désir qui s’associe à la volonté du maintien du lien entre l’échantillon et eux-mêmes. Le fait que la majorité des participants souhaite que ce lien demeure codé montre par ailleurs à la fois la revendication d’un contrôle sur le prélèvement, qui passe par une “anonymisation”, et l’intérêt porté aux résultats de la recherche. Dans ce sens, il est possible de rapprocher la conception de “don social” d’un retour des résultats pouvant s’apparenter à une contrepartie du don effectué. Ces résultats mettent par ailleurs en évidence la forte valeur sociale de la participation aux recherches. L’acte de don luimême, dans son objectif de santé publique, associé à la nature du matériel prélevé pour la recherche, fait du consentement à la recherche une démarche personnelle s’inscrivant dans un contexte de bienfait pour la collectivité. Plus qu’un simple engagement au titre d’une cause, la participation aux recherches assure à l’individu une reconnaissance minimale : son action ne se perd pas dans le flot des actions ramenées à la même cause ; l’unicité du matériel prélevé cristallise l’unicité de l’individu lui-même, et apporte par là une légitimité supplémentaire à cette participation. La démarche – et son corollaire, les résultats des recherches – prend d’autant plus de valeur que la personne a donné “un peu d’elle-même” pour la rendre possible. Le caractère particulier de l’individu subsiste dans l’universalité de la recherche. On comprend d’autant mieux l’intérêt porté à la fois aux résultats et à l’utilisation qui est faite des échantillons. Les résultats concernent les patients, leur santé ou celle de leur famille. La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 1 - janvier-février 2006 Ainsi, la recherche médicale sur l’être humain prend souvent appui sur des collections d’échantillons biologiques prélevés lors des démarches de soins. Il peut s’agir soit de prélèvements réalisés pour le soin et réutilisés secondairement dans la recherche, soit de prélèvements réalisés au moment du soin mais dans une finalité unique de recherche. Ces échantillons peuvent être issus de tissus solides, du sang, de la salive, du liquide bronchique et de tout autre tissu ou fluide vecteur d’information biologique, génétique ou non. Dans certaines situations, cette information peut aider à caractériser ou à mieux connaître une partie de l’évolution de la maladie du sujet ou une de ses caractéristiques physiopathologiques. Cette information a donc un lien direct avec la personne, ce qui explique dès lors la prise en considération de règles éthiques vis-à-vis des patients chez lesquels des prélèvements sont effectués en vue d’un stockage. De plus, ces ressources biologiques sont le plus souvent associées à des fichiers (éventuellement informatisés), contenant des données nominatives, anonymes ou codées sur l’origine des donneurs et leur filiation, ainsi que des données cliniques et biologiques. Ces informations sont indispensables à l’exploitation de la collection, mais en augmentent le caractère sensible et imposent le respect du secret et de la confidentialité, conformément aux règles édictées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Schématiquement, les échantillons peuvent avoir, en l’état actuel, trois origines : ❯ des personnes vivantes dans le cadre d’une activité de soin ou d’un diagnostic (exérèses opératoires, biopsies, placenta, tube de sang, recueil d’urine, etc.), l’échantillon faisant alors l’objet d’une requalification à finalité scientifique ; ❯ des personnes vivantes dans le cadre d’une recherche biomédicale ; ❯ des personnes décédées dans le cadre d’un don à visée scientifique ou dans celui d’une autopsie médicale. La réalisation de collections comporte plusieurs étapes majeures : collecte et conservation, utilisation primaire, puis devenir de ces collections suivant différents cas de figure : destruction, utilisations secondaires ultérieures, transfert vers un organisme de conservation ou cession. Nous nous intéresserons ici aux enjeux éthiques liés à la collecte des échantillons auprès des patients. QU’ENTEND-ON PAR “COLLECTION D’ÉLÉMENTS OU DE PRODUITS DU CORPS HUMAIN” ? Qu’est-ce qu’une collection ? En fonction des textes, des intervenants et de leur discipline, plusieurs termes sont utilisés pour décrire la conservation de matériels biologiques humains à des fins de recherche : banque de matériel biologique, banque d’échantillons biologiques humains, banque de ressources biologiques, banque de prélèvements biologiques, biothèque, biobanque, collection, centre de ressources biologiques, etc. Il faut associer à cette conservation de matériel biologique humain les données qui s’y rapportent et qui concernent les sujets des prélèvements. On parle alors de base de données, de banque de données, de fichier automatisé, de registre. La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 1 - janvier-février 2006 Le code de la santé publique (le “CSP”) donne une définition des collections dans le cadre des recherches : “la réunion, à des fins de recherche, de prélèvements biologiques effectués sur un groupe de personnes identifiées et sélectionnées en fonction des caractéristiques cliniques ou biologiques d’un ou plusieurs membres du groupe, ainsi que des dérivés de ces prélèvements”. Une collection permet donc de conserver du matériel biologique et de le transformer à des fins de recherche, mais aussi d’exercer des activités de distribution, de mise à disposition et de cession. Il faut souligner l’importance des notions de service et d’échange attachées au terme de banque, et noter le petit nombre de structures présentes sur le territoire français et pouvant effectivement prétendre à cette dénomination. Par ailleurs, les bases de données qui sont associées à l’exploitation du matériel biologique contiennent des informations biologiques, cliniques, généalogiques sur les sujets des prélèvements, concourant à l’interprétation des résultats. En pratique, on distingue deux situations : ❯ lorsque les collections sont directement associées à un protocole de recherche dit de “loi Huriet-Sérusclat”, elles relèvent de l’encadrement de la recherche et des “Comités de protection des personnes” (CPP) chargés du respect des principes éthiques ; ❯ mais il existe des recherches ou des études qui n’entrent pas dans ce cadre et que l’on appelle “essais non interventionnels”. Il s’agit de recherches dans lesquelles : tous les actes sont pratiqués de manière habituelle ; les produits sont utilisés de manière habituelle également ; l’étude ne comporte que des risques “négligeables” et aucune procédure supplémentaire ou inhabituelle de diagnostic ou de surveillance n’est appliquée. Dans ce contexte, le stockage des échantillons nécessite également la prise en compte de principes éthiques dès lors que des questions fondamentales sont en jeu (confidentialité, nécessité ou non de retour d’information si celle-ci est bénéfique à la prise en charge du patient ou de sa famille, respect des principes de non-commercialisation, définition de règles de stockage, durée, devenir des échantillons et transparence des pratiques, etc.). De ce fait, les concepts de protection des personnes et de respect des valeurs collectives liés aux éléments et produits du corps humain doivent être pris en compte. QUELLE VALIDATION ÉTHIQUE ? Notre code civil, suivant en ce sens la déontologie médicale, énonce qu’“il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne”. En outre, il énonce que le prélèvement d’éléments du corps humain et la collecte de ses produits ne peuvent avoir lieu qu’avec le consentement préalable du donneur, et que ce consentement est révocable à tout moment. L’atteinte à l’intégrité physique est donc permise dans le cadre thérapeutique ou diagnostique : c’est la pratique médicale 35 Ê T R E E T habituelle, après que chaque praticien a informé son patient et recueilli son consentement, explicite ou implicite selon les situations. Elle est également possible dans le cadre des dispositions relatives aux recherches biomédicales. C’est le cadre de la recherche sur l’être humain, après aval d’un comité de protection des personnes (CPP, anciennement CCPPRB), qui valide les critères permettant de porter atteinte à l’intégrité du corps humain sans nécessité médicale pour la personne. Parmi ces critères, le consentement de la personne et des règles spécifiques de protection (prérequis scientifiques valides, évaluation de la balance risque/bénéfice, compétence des équipes, règles de sécurité, prise en charge des aléas, droit de retrait sans préjudice, etc.). Mais aujourd’hui, en pratique, une troisième possibilité existe : celle de la collecte d’échantillons (sang, salive, urine, prélèvement bronchique, prélèvement de peau, etc.) prélevés dans certaines recherches sans nécessité médicale pour la personne mais également sans protocole dit “loi Huriet-Sérusclat”. Cet état de fait concerne les situations où les cliniciens chercheurs collectent des échantillons pour étudier des cohortes d’éléments biologiques sans autres interventions sur les patients. Pour cette pratique, il n’existait pas de procédure claire ni de protection des personnes, pas de passage devant un CPP, ces recherches étant à la limite du légal. Elles entrent désormais dans le cadre de la loi et doivent passer un CPP. ÉCHANTILLONS PRÉLEVÉS NON POUR LE SOIN, MAIS D’EMBLÉE DANS UNE FINALITÉ DE RECHERCHE Cette pratique est très répandue, en particulier pour le sang et ses composants dans le cadre de cohortes observationnelles (pratique dite du “tube supplémentaire”). En réponse à la demande de nombreux chercheurs a été proposée, en 2004, la création d’un régime spécifique au prélèvement de sang et de ses composants dans le cadre de telles activités de recherche. La situation des autres fluides n’a pas été clarifiée, mais, d’un point de vue éthique, nous recommandons que les règles applicables au sang leur soient extrapolées dès lors que l’on recherche une démarche qualité et que l’on a le souci de la protection des personnes. Il est important de comprendre que le législateur crée ainsi, depuis 2004, un régime spécifique afin, d’une part, de clarifier une situation jusqu’alors floue et, d’autre part, d’assurer une évaluation simplifiée, moins contraignante que l’application telle quelle de la loi Huriet-Sérusclat. La question est alors de savoir quels sont les critères exacts à appliquer pour déterminer si la constitution d’une collection composée d’échantillons de sang entre dans la catégorie activité de recherche biomédicale de type loi Huriet ou au contraire dans la catégorie de ce régime spécifique avec procédure simplifiée. Tout d’abord, le régime spécifique doit de fait concerner les situations de recherche dans lesquelles les médecins/chercheurs effectuent un prélèvement isolé, sans aucune autre démarche de recherche auprès du patient. Les règles à respecter sont alors les suivantes : 36 S A V O I R ❯ le prélèvement ne peut être effectué qu’avec le consentement du donneur ; les démarches effectuées en dehors de la démarche de soins classique, le type et le but du stockage, ses droits d’opposition et de rectification et ses droits en cas d’informatisation de données le concernant doivent lui être précisés ; ❯ le prélèvement doit être effectué par un médecin ou sous sa direction et sa responsabilité ; ❯ le caractère bénévole du don est rappelé. En revanche, si, pour des projets de recherche biomédicale intégrant une collection, d’autres actes de recherche sont réalisés auprès du patient, les dispositions issues de la loi HurietSérusclat s’appliquent totalement, la collection ne pouvant alors être dissociée des autres actions réalisées (souvent des essais thérapeutiques dans lesquels la collection tient une place centrale). Dans ce dernier cas, l’évaluation de la collection se fera dans le même temps que l’évaluation du projet de recherche biomédicale par le CPP. Dans tous les cas, la mission des CPP, dans le cadre de la constitution d’une collection d’échantillons biologiques par un organisme pour les besoins de ses propres programmes de recherche, sera à l’avenir d’évaluer “la qualité de l’information des participants, les modalités de recueil du consentement, et la pertinence éthique et scientifique du projet”. Pour le cas spécifique des collections créées à partir d’échantillons en provenance de populations vulnérables, le législateur a chargé le CPP de déterminer si la collection ne pourrait pas être constituée sur une autre catégorie de la population avec une efficacité comparable. Le rôle des comités sera alors primordial pour analyser et suivre, au cours de la vie d’une collection, ses utilisations successives. Il sera intéressant et essentiel de réfléchir à des moyens simples et rapides permettant de soumettre des projets d’utilisation et de réutilisation d’une collection à un comité. L’évaluation initiale du projet est bien sûr fondamentale, et des saisines par procédure simplifiée permettraient de suivre la vie de la collection. Va ainsi progressivement se mettre en place une procédure de validation de ces démarches, et les CPP vont devoir évoluer dans leurs missions. Pour les collections, ils devront valider les procédures d’information et de consentement, et s’assurer de la légitimité de l’étude et de l’absence de risque pour les personnes. Pour les prélèvements effectués sur des personnes vulnérables (femmes enceintes, mères qui allaitent, mineurs, majeurs faisant l’objet d’une mesure de protection légale ou hors d’état d’exprimer leur consentement, personnes privées de liberté, personnes hospitalisées sans leur consentement, personnes admises dans un établissement sanitaire ou social à d’autres fins que la recherche), le CPP devra en outre s’assurer que la collection ne pourrait être effectuée sur une autre catégorie de la population avec une efficacité comparable. Mais certains points sont à discuter. Si le prélèvement est réalisé en vue de la création directe d’une collection, il faut, nous l’avons mentionné, qu’il ne comporte que des “risques négligeables”. Cette précision est essentielle étant donné que le régime spécifique simplifié a pour but d’alléger le niveau de La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 1 - janvier-février 2006 protection des patients en sortant du cadre strict de la loi Huriet. Une telle dérogation n’apparaît donc acceptable que si les risques sont réellement négligeables ; le cas échéant, le risque de dérive serait possible, avec un glissement insidieux tendant à une logique de minimisation des risques. De nombreuses questions restent donc en suspens. Parle-t-on de risque par rapport au geste de prélèvement (qui, en effet, ne présente en tant que tel souvent pas de risque accru par rapport au geste clinique classique) ou de risque par rapport aux utilisations qui en seront faites (qui, elles, peuvent receler des dérives telles que des ruptures de la confidentialité et du secret médical, des dérives marchandes, la non-information d’un patient sur un résultat essentiel à sa santé, etc.) ? Qui évaluera ces risques, et qui en sera garant ? Enfin, qui gérera la notion de risques pour les utilisateurs, c’est-à-dire les risques sanitaires liés au stockage d’échantillons biologiques ? Il est certain que l’attitude responsable des médecins et professionnels de santé sera là au cœur de la responsabilité éthique, dans la mesure où ce sont eux qui sont le plus à même de protéger leurs patients. ÉCHANTILLONS DÉJÀ PRÉLEVÉS POUR LE SOIN ET QUI PEUVENT DONNER LIEU À D’AUTRES UTILISATIONS La loi prévoit de permettre expressément l’utilisation des échantillons à une fin autre que celles prévues au moment du prélèvement si des critères de protection des personnes sont respectés lors de cette nouvelle orientation donnée aux prélèvements. Cette évolution permettrait enfin d’établir un cadre clair face à une pratique courante en recherche et qui, à ce jour se fait sans procédure bien définie. Il s’agit notamment de l’utilisation à visée de recherche d’exérèses (pièces et déchets) opératoires, mais également du sang, des urines ou de tout autre fluide corporel. Ainsi, cette utilisation à une fin autre que clinique serait possible si la personne en est dûment informée au préalable et qu’elle n’émet pas d’opposition (principe de non-opposition après information claire, loyale et explicite ; s’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur sous tutelle, la faculté d’opposition appartient alors aux titulaires de l’autorité parentale ou au tuteur). On peut donc conseiller au clinicien/chercheur d’anticiper ces choix et de les aborder avec le patient à l’occasion du consentement qui accompagne le moment du prélèvement. Deux dérogations à l’information peuvent se discuter pour les collections existantes : quand il est impossible de retrouver la personne concernée ou qu’elle est décédée ; lorsqu’un CPP, consulté par le responsable de la recherche, n’estime pas cette information nécessaire. (Ces dérogations ne seraient pas admises en cas de prélèvements de tissus ou de cellules germinaux, compte tenu de leur caractère sensible.) L’intérêt d’aborder ces questions avec les patients est, au-delà du respect dû aux personnes, de les faire participer à la démarche de recherche, de les associer dans un esprit de transparence, de permettre une meilleure “traçabilité” des patients (changement d’adresse notamment). Cela est fondamental au cas où un élément informatif devrait leur être communiqué La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 1 - janvier-février 2006 (donnée informative pour le devenir du patient ou pour ses proches) mais aussi au cas où des éléments nécessaires à la recherche manqueraient (qu’il seraient alors à même de fournir lorsqu’on les contacterait). Les travaux scientifiques associant les patients à travers des procédures d’information claires voient ainsi leur niveau de qualité scientifique s’améliorer. Tout concourt à suggérer qu’un patient qui a été correctement associé à un processus de recherche est mieux sensibilisé et plus facile à contacter à moyen et long terme. ÉCHANTILLONS QUI DOIVENT DONNER LIEU À DES ANALYSES GÉNÉTIQUES : D’AUTRES PRINCIPES DOIVENT ÊTRE PRIS EN COMPTE Pour les individus, il semble que la valeur accordée au génome dépasse largement la simple notion de propriété, probablement parce que le matériel génétique est perçu comme une caractéristique inaliénable de la personne. Il ne peut faire l’objet d’aucune destitution. Il ne peut être revendiqué par nul autre que la personne qu’il caractérise. La valeur sociale qui lui est conférée dès lors qu’il devient objet de recherche est d’autant plus grande symboliquement. C’est certainement la raison pour laquelle notre société met en place plus de protection et de règles quand il s’agit d’étudier des données génétiques. Tout d’abord, le patient doit recevoir une information sur la nature et la finalité de l’examen, puis il doit donner dans ce cas un consentement exprès, écrit, sachant que ce consentement est révocable à tout moment. Mais ces nouvelles règles seront-elles applicables dans tous les cas d’analyse d’une molécule d’ADN humain ? Il faut en effet, en termes de protection, distinguer l’étude des caractéristiques génétiques d’une personne (fortement caractérisantes et identifiantes, potentiellement stigmatisantes) de l’étude de mutations sporadiques de cellules (par exemple, tumorales) qu’on ne retrouvera pas dans l’ensemble du patrimoine génétique de l’individu. La réflexion doit donc porter sur la protection de la personne par rapport à des données génétiques identifiantes, données qui comportent des spécificités individuelles et caractérisantes. L’ADN est en effet sensible uniquement si la donnée génétique étudiée est : stigmatisante et discriminante (profil de pathologie, appartenance à des groupes à risque) ; révélatrice d’une identité ou d’une caractéristique familiale ; identifiante par la séquence des gènes et leur organisation. Dans l’ADN tumoral, ce qui est en jeu essentiellement, c’est une caractéristique de la tumeur et non de l’individu. Une donnée génétique d’une tumeur est donc un élément certes stigmatisant, car elle peut discriminer un pronostic positif ou négatif, mais ni plus ni moins que tout élément du dossier médical. Il nous semble donc, d’un point de vue formel, que la donnée génétique de la tumeur n’est pas plus stigmatisante qu’un autre élément clinique, biologique ou radiologique lié à une pathologie. CONCLUSION Si l’on considère la notion de dignité, plutôt que d’invoquer celle-ci comme un droit de la personne, nous préférons y voir 37 Ê T R E E T une définition de la personne fondée sur sa faculté de relation à l’autre et sa capacité à adhérer à des pratiques sociales et à des choix de société, dont la recherche médicale fait partie. Une personne est parce qu’elle est apte à entrer en communication avec ses semblables pour décider, choisir, comprendre, agir et évoluer. Négliger cette dimension serait négliger à la fois la raison et la relation à l’autre ; la prendre en compte (malgré les contraintes), c’est comprendre comment la personne est réellement prise en considération dans la société aujourd’hui. Cela est un enjeu éthique majeur pour la médecine, d’autant que les citoyens placent en elle ces valeurs et que des déceptions pourraient nourrir des oppositions et des contestations à son endroit. Il est donc nécessaire d’entreprendre à présent une observation de la façon dont le corps a été considéré au fil du temps, et de la façon dont nous devons le considérer aujourd’hui en tenant compte du rapport social dont il est le médiateur. ■ S A V O I R ■ CCNE. Avis n° 77 du 20 mars 2003. Problèmes éthiques posés par les collections de matériel biologique et les données d’information associées : “biobanques”, “biothèques”. ■ Caze de Montgolfier S. Collecte, stockage et utilisation des produits du corps humain dans le cadre des recherches en génétique : état des lieux, historique, éthique et juridique. 2002. Thèse d’éthique médicale. Consultable en ligne sur le réseau Rodin : www.inserm.fr/ethique. ■ Leroux N et al. Les collections de ressources biologiques humaines pour la recherche : de la réglementation à la mise en place d’un guide de bonnes pratiques du collectionneur. Rev Med Interne 2003;24:803-14. ■ De Montgolfier S, Moutel G, Hervé C. Development of bioethics. Analysis of practices in 20 hospital departments. Presse Med 2000;29(32):1752-8. ■ Moutel G et al. Study of the implication of research ethics committees in the constitution and use of biobanks in France. Pharmacogenetics 2004;14:195-8. ■ Cambon-Thomsen A, Rial-Sebbag E. Aspects éthiques des banques d’échantillons biologiques. Rev Epidemiol Sante Publique 2003;51:101-10. ■ Callies I, Moutel G et al. 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P 38 O U R E N S A V O I R P L U S … La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 1 - janvier-février 2006