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Enjeux éthiques de la collecte d’éléments et produits
du corps humain dans la recherche médicale
Collection and storage of human samples in biobank research:
ethical issues
● G. Moutel*
Mots-clés : Déontologie médicale - Législation - Collection d’échantillons biologiques - Recherche biomédicale Information - Consentement.
Keywords: Medical ethics - Health legislation - Biobank Biomedical research - Information - Consent.
a généralisation des pratiques de dissection dans l’Italie
du XIVe siècle, avec Vésale notamment, opère un glissement dans les esprits et amène à associer le corps non
plus à l’être mais à l’avoir. Objet de savoir ou de curiosité, le corps
se désolidarise progressivement de la personne. Avec Descartes,
la vision mécaniste du corps vient encore accentuer la rupture.
Ainsi, entre le XVIe et le XVIIe siècle, notamment avec l’entreprise
anatomiste, la voie est ouverte qui déprécie les savoirs populaires
et légitime en revanche le savoir biomédical naissant. Une différence nette se crée alors entre les futurs tenants de la vision scientifique moderne du corps (qui le matérialise) et certaines représentations populaires qui continuent à considérer ce corps comme étant
en lien avec l’homme qu’il supporte et comme vecteur de la personne tout autant que l’interface entre celle-ci et la société. Ainsi,
et ceci est encore vrai aujourd’hui, pour beaucoup, le corps incarne
la personne.
Actuellement, la dissémination des organes, des tissus, des cellules
et des fluides, le morcellement possible du corps conduisent à une
vision que, conformément aux traditions philosophique et médicale occidentales, on pourrait qualifier de “mécaniste”. Le corpsmachine aux rouages interchangeables fait rêver en même temps
qu’il effraie.
Dans ce contexte, la société, comme la majorité des participants
interrogés à ce sujet lors de travaux de recherche en éthique médicale, donne une valeur centrale au consentement aux prélèvements.
Ce consentement et l’information qui le précède sont considérés
comme la base d’un contrat social, même s’il ne revêt pas au pre-
L
* Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale, faculté de médecine,
université Paris-V, Paris. Secrétaire général de la Société française et francophone d’éthique médicale (SFFEM). Rédacteur en chef du Courrier de l’Éthique.
La Lettre du Pneumologue - Volume VIII - no 6 - novembre-décembre 2005
mier abord de dimension juridique. Il s’agit donc de la demande
d’un véritable contrat de raison qui installe patient et médecinchercheur dans une éthique communicationnelle et de transparence.
Le consentement constitue alors un moyen d’information pour les
patients, mais aussi une façon de se responsabiliser vis-à-vis de
ces échantillons. À cet égard, les patients sont, d’après ces travaux,
motivés pour transmettre tout changement de données les concernant, afin de faciliter le suivi des résultats et d’améliorer les
recherches. Il est à souligner qu’ils désirent rester informés du
devenir de leurs échantillons, désir qui s’associe à la volonté du
maintien du lien entre l’échantillon et eux-mêmes. Le fait que la
majorité des participants souhaite que ce lien demeure codé montre
par ailleurs à la fois la revendication d’un contrôle sur le prélèvement, qui passe par une “anonymisation”, et l’intérêt porté aux
résultats de la recherche. Dans ce sens, il est possible de rapprocher la conception de “don social” d’un retour des résultats pouvant s’apparenter à une contrepartie du don effectué. Ces résultats
mettent par ailleurs en évidence la forte valeur sociale de la participation aux recherches. L’acte de don lui-même, dans son objectif
de santé publique, associé à la nature du matériel prélevé pour la
recherche, fait du consentement à la recherche une démarche personnelle s’inscrivant dans un contexte de bienfait pour la collectivité. Plus qu’un simple engagement au titre d’une cause, la
participation aux recherches assure à l’individu une reconnaissance
minimale : son action ne se perd pas dans le flot des actions ramenées à la même cause ; l’unicité du matériel prélevé cristallise
l’unicité de l’individu lui-même, et apporte par là une légitimité
supplémentaire à cette participation. La démarche – et son corollaire, les résultats des recherches – prend d’autant plus de valeur
que la personne a donné “un peu d’elle-même” pour la rendre
possible. Le caractère particulier de l’individu subsiste dans l’universalité de la recherche. On comprend d’autant mieux l’intérêt porté
à la fois aux résultats et à l’utilisation qui est faite des échantillons. Les résultats concernent les patients, leur santé ou celle de
leur famille.
Ainsi, la recherche médicale sur l’être humain prend souvent
appui sur des collections d’échantillons biologiques prélevés lors
des démarches de soins. Il peut s’agir soit de prélèvements réalisés
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pour le soin et réutilisés secondairement dans la recherche, soit de
prélèvements réalisés au moment du soin mais dans une finalité
unique de recherche. Ces échantillons peuvent être issus de tissus
solides, du sang, de la salive, du liquide bronchique et de tout autre
tissu ou fluide vecteur d’information biologique, génétique ou non.
Dans certaines situations, cette information peut aider à caractériser ou à mieux connaître une partie de l’évolution de la maladie
du sujet ou une de ses caractéristiques physiopathologiques. Cette
information a donc un lien direct avec la personne, ce qui explique
dès lors la prise en considération de règles éthiques vis-à-vis des
patients chez lesquels des prélèvements sont effectués en vue d’un
stockage. De plus, ces ressources biologiques sont le plus souvent
associées à des fichiers (éventuellement informatisés), contenant
des données nominatives, anonymes ou codées sur l’origine des
donneurs et leur filiation, ainsi que des données cliniques et biologiques. Ces informations sont indispensables à l’exploitation de
la collection, mais en augmentent le caractère sensible et imposent
le respect du secret et de la confidentialité, conformément aux
règles édictées par la Commission nationale de l’informatique et
des libertés (CNIL).
Schématiquement, les échantillons peuvent avoir, en l’état actuel,
trois origines :
– des personnes vivantes dans le cadre d’une activité de soin ou
d’un diagnostic (exérèses opératoires, biopsies, placenta, tube de
sang, recueil d’urine, etc.), l’échantillon faisant alors l’objet d’une
requalification à finalité scientifique ;
– des personnes vivantes dans le cadre d’une recherche biomédicale ;
– des personnes décédées dans le cadre d’un don à visée scientifique ou dans celui d’une autopsie médicale.
La réalisation de collections comporte plusieurs étapes majeures :
collecte et conservation, utilisation primaire, puis devenir de ces
collections suivant différents cas de figure : destruction, utilisations
secondaires ultérieures, transfert vers un organisme de conservation ou cession.
Nous nous intéresserons ici aux enjeux éthiques liés à la collecte
des échantillons auprès des patients.
QU’ENTEND-ON PAR “COLLECTION D’ÉLÉMENTS
OU DE PRODUITS DU CORPS HUMAIN” ?
Qu’est-ce qu’une collection ? En fonction des textes, des intervenants et de leur discipline, plusieurs termes sont utilisés pour décrire
la conservation de matériels biologiques humains à des fins de
recherche : banque de matériel biologique, banque d’échantillons
biologiques humains, banque de ressources biologiques, banque
de prélèvements biologiques, biothèque, biobanque, collection,
centre de ressources biologiques, etc. Il faut associer à cette conservation de matériel biologique humain les données qui s’y rapportent
et qui concernent les sujets des prélèvements. On parle alors de
base de données, de banque de données, de fichier automatisé, de
registre.
Le code de la santé publique (le “CSP”) donne une définition des
collections dans le cadre des recherches : “la réunion, à des fins
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de recherche, de prélèvements biologiques effectués sur un groupe
de personnes identifiées et sélectionnées en fonction des caractéristiques cliniques ou biologiques d’un ou plusieurs membres du
groupe, ainsi que des dérivés de ces prélèvements”.
Une collection permet donc de conserver du matériel biologique
et de le transformer à des fins de recherche, mais aussi d’exercer
des activités de distribution, de mise à disposition et de cession.
Il faut souligner l’importance des notions de service et d’échange
attachées au terme de banque, et noter le petit nombre de structures
présentes sur le territoire français et pouvant effectivement prétendre
à cette dénomination. Par ailleurs, les bases de données qui sont
associées à l’exploitation du matériel biologique contiennent des
informations biologiques, cliniques, généalogiques sur les sujets
des prélèvements, concourant à l’interprétation des résultats.
En pratique, on distingue deux situations :
– lorsque les collections sont directement associées à un protocole
de recherche dit de “loi Huriet-Sérusclat”, elles relèvent de l’encadrement de la recherche et des “Comités de protection des personnes” (CPP) chargés du respect des principes éthiques ;
– mais il existe des recherches ou des études qui n’entrent pas dans
ce cadre et que l’on appelle “essais non interventionnels”. Il s’agit
de recherches dans lesquelles : tous les actes sont pratiqués de
manière habituelle ; les produits sont utilisés de manière habituelle
également ; l’étude ne comporte que des risques “négligeables”
et aucune procédure supplémentaire ou inhabituelle de diagnostic
ou de surveillance n’est appliquée.
Dans ce contexte, le stockage des échantillons nécessite également la prise en compte de principes éthiques dès lors que des
questions fondamentales sont en jeu (confidentialité, nécessité ou
non de retour d’information si celle-ci est bénéfique à la prise en
charge du patient ou de sa famille, respect des principes de noncommercialisation, définition de règles de stockage, durée, devenir des échantillons et transparence des pratiques, etc.). De ce fait,
les concepts de protection des personnes et de respect des valeurs
collectives liés aux éléments et produits du corps humain doivent
être pris en compte.
QUELLE VALIDATION ÉTHIQUE ?
Notre code civil, suivant en ce sens la déontologie médicale, énonce
qu’“il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain
qu’en cas de nécessité médicale pour la personne”. En outre, il
énonce que le prélèvement d’éléments du corps humain et la collecte de ses produits ne peuvent avoir lieu qu’avec le consentement
préalable du donneur, et que ce consentement est révocable à tout
moment.
L’atteinte à l’intégrité physique est donc permise dans le cadre thérapeutique ou diagnostique : c’est la pratique médicale habituelle,
après que chaque praticien a informé son patient et recueilli son
consentement, explicite ou implicite selon les situations.
Elle est également possible dans le cadre des dispositions relatives
aux recherches biomédicales. C’est le cadre de la recherche sur l’être
humain, après aval d’un comité de protection des personnes (CPP,
anciennement CCPPRB), qui valide les critères permettant de porter atteinte à l’intégrité du corps humain sans nécessité médicale pour
la personne. Parmi ces critères, le consentement de la personne •••
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••• et des règles spécifiques de protection (prérequis scientifiques
valides, évaluation de la balance risque/bénéfice, compétence des
équipes, règles de sécurité, prise en charge des aléas, droit de
retrait sans préjudice, etc.).
Mais aujourd’hui, en pratique, une troisième possibilité existe :
celle de la collecte d’échantillons (sang, salive, urine, prélèvement
bronchique, prélèvement de peau, etc.) prélevés dans certaines
recherches sans nécessité médicale pour la personne mais également sans protocole dit “loi Huriet-Sérusclat”. Cet état de fait
concerne les situations où les cliniciens chercheurs collectent des
échantillons pour étudier des cohortes d’éléments biologiques sans
autres interventions sur les patients. Pour cette pratique, il n’existait pas de procédure claire ni de protection des personnes, pas de
passage devant un CPP, ces recherches étant à la limite du légal.
Elles entrent désormais dans le cadre de la loi et doivent passer
un CPP.
ÉCHANTILLONS PRÉLEVÉS NON POUR LE SOIN,
MAIS D’EMBLÉE DANS UNE FINALITÉ DE RECHERCHE
Cette pratique est très répandue, en particulier pour le sang et ses
composants dans le cadre de cohortes observationnelles (pratique
dite du “tube supplémentaire”). En réponse à la demande de nombreux chercheurs a été proposée, en 2004, la création d’un régime
spécifique au prélèvement de sang et de ses composants dans le
cadre de telles activités de recherche. La situation des autres
fluides n’a pas été clarifiée, mais, d’un point de vue éthique, nous
recommandons que les règles applicables au sang leur soient
extrapolées dès lors que l’on recherche une démarche qualité et
que l’on a le souci de la protection des personnes.
Il est important de comprendre que le législateur crée ainsi, depuis
2004, un régime spécifique afin, d’une part, de clarifier une situation
jusqu’alors floue et, d’autre part, d’assurer une évaluation simplifiée, moins contraignante que l’application telle quelle de la loi
Huriet-Sérusclat.
La question est alors de savoir quels sont les critères exacts à appliquer pour déterminer si la constitution d’une collection composée
d’échantillons de sang entre dans la catégorie activité de recherche
biomédicale de type loi Huriet ou au contraire dans la catégorie
de ce régime spécifique avec procédure simplifiée.
Tout d’abord, le régime spécifique doit de fait concerner les situations de recherche dans lesquelles les médecins/chercheurs effectuent un prélèvement isolé, sans aucune autre démarche de
recherche auprès du patient. Les règles à respecter sont alors les
suivantes :
– le prélèvement ne peut être effectué qu’avec le consentement
du donneur ; les démarches effectuées en dehors de la démarche
de soins classique, le type et le but du stockage, ses droits d’opposition et de rectification et ses droits en cas d’informatisation de
données le concernant doivent lui être précisés ;
– le prélèvement doit être effectué par un médecin ou sous sa
direction et sa responsabilité ;
– le caractère bénévole du don est rappelé.
En revanche, si, pour des projets de recherche biomédicale intégrant
une collection, d’autres actes de recherche sont réalisés auprès du
patient, les dispositions issues de la loi Huriet-Sérusclat s’appliquent
La Lettre du Pneumologue - Volume VIII - no 6 - novembre-décembre 2005
totalement, la collection ne pouvant alors être dissociée des autres
actions réalisées (souvent des essais thérapeutiques dans lesquels
la collection tient une place centrale). Dans ce dernier cas, l’évaluation de la collection se fera dans le même temps que l’évaluation
du projet de recherche biomédicale par le CPP.
Dans tous les cas, la mission des CPP, dans le cadre de la constitution d’une collection d’échantillons biologiques par un organisme
pour les besoins de ses propres programmes de recherche, sera à
l’avenir d’évaluer “la qualité de l’information des participants,
les modalités de recueil du consentement, et la pertinence éthique
et scientifique du projet”.
Pour le cas spécifique des collections créées à partir d’échantillons
en provenance de populations vulnérables, le législateur a chargé
le CPP de déterminer si la collection ne pourrait pas être constituée sur une autre catégorie de la population avec une efficacité
comparable.
Le rôle des comités sera alors primordial pour analyser et suivre,
au cours de la vie d’une collection, ses utilisations successives.
Il sera intéressant et essentiel de réfléchir à des moyens simples
et rapides permettant de soumettre des projets d’utilisation et de
réutilisation d’une collection à un comité. L’évaluation initiale du
projet est bien sûr fondamentale, et des saisines par procédure simplifiée permettraient de suivre la vie de la collection.
Va ainsi progressivement se mettre en place une procédure de
validation de ces démarches, et les CPP vont devoir évoluer dans
leurs missions.
Pour les collections, ils devront valider les procédures d’information et de consentement, et s’assurer de la légitimité de l’étude et
de l’absence de risque pour les personnes. Pour les prélèvements
effectués sur des personnes vulnérables (femmes enceintes, mères
qui allaitent, mineurs, majeurs faisant l’objet d’une mesure de
protection légale ou hors d’état d’exprimer leur consentement, personnes privées de liberté, personnes hospitalisées sans leur consentement, personnes admises dans un établissement sanitaire ou social
à d’autres fins que la recherche), le CPP devra en outre s’assurer
que la collection ne pourrait être effectuée sur une autre catégorie
de la population avec une efficacité comparable.
Mais certains points sont à discuter. Si le prélèvement est réalisé en
vue de la création directe d’une collection, il faut, nous l’avons mentionné, qu’il ne comporte que des “risques négligeables”. Cette précision est essentielle étant donné que le régime spécifique simplifié a pour but d’alléger le niveau de protection des patients en
sortant du cadre strict de la loi Huriet. Une telle dérogation n’apparaît donc acceptable que si les risques sont réellement négligeables ;
le cas échéant, le risque de dérive serait possible, avec un glissement insidieux tendant à une logique de minimisation des risques.
De nombreuses questions restent donc en suspens. Parle-t-on de
risque par rapport au geste de prélèvement (qui, en effet, ne présente
en tant que tel souvent pas de risque accru par rapport au geste clinique classique) ou de risque par rapport aux utilisations qui en
seront faites (qui, elles, peuvent receler des dérives telles que des
ruptures de la confidentialité et du secret médical, des dérives marchandes, la non-information d’un patient sur un résultat essentiel à
sa santé, etc.) ? Qui évaluera ces risques, et qui en sera garant ? Enfin,
qui gérera la notion de risques pour les utilisateurs, c’est-à-dire les
risques sanitaires liés au stockage d’échantillons biologiques ?
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Il est certain que l’attitude responsable des médecins et professionnels de santé sera là au cœur de la responsabilité éthique, dans la
mesure où ce sont eux qui sont le plus à même de protéger leurs
patients.
ÉCHANTILLONS DÉJÀ PRÉLEVÉS POUR LE SOIN
ET QUI PEUVENT DONNER LIEU
À D’AUTRES UTILISATIONS
La loi prévoit de permettre expressément l’utilisation des échantillons à une fin autre que celles prévues au moment du prélèvement
si des critères de protection des personnes sont respectés lors de
cette nouvelle orientation donnée aux prélèvements.
Cette évolution permettrait enfin d’établir un cadre clair face à une
pratique courante en recherche et qui, à ce jour se fait sans procédure bien définie. Il s’agit notamment de l’utilisation à visée de
recherche d’exérèses (pièces et déchets) opératoires, mais également du sang, des urines ou de tout autre fluide corporel.
Ainsi, cette utilisation à une fin autre que clinique serait possible
si la personne en est dûment informée au préalable et qu’elle n’émet
pas d’opposition (principe de non-opposition après information
claire, loyale et explicite ; s’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur
sous tutelle, la faculté d’opposition appartient alors aux titulaires
de l’autorité parentale ou au tuteur). On peut donc conseiller au
clinicien/chercheur d’anticiper ces choix et de les aborder avec
le patient à l’occasion du consentement qui accompagne le moment
du prélèvement.
Deux dérogations à l’information peuvent se discuter pour les collections existantes : quand il est impossible de retrouver la personne
concernée ou qu’elle est décédée ; lorsqu’un CPP, consulté par
le responsable de la recherche, n’estime pas cette information
nécessaire. (Ces dérogations ne seraient pas admises en cas de
prélèvements de tissus ou de cellules germinaux, compte tenu de
leur caractère sensible.)
L’intérêt d’aborder ces questions avec les patients est, au-delà du
respect dû aux personnes, de les faire participer à la démarche de
recherche, de les associer dans un esprit de transparence, de permettre une meilleure “traçabilité” des patients (changement
d’adresse notamment). Cela est fondamental au cas où un élément informatif devrait leur être communiqué (donnée informative pour le devenir du patient ou pour ses proches) mais aussi
au cas où des éléments nécessaires à la recherche manqueraient
(qu’il seraient alors à même de fournir lorsqu’on les contacterait). Les travaux scientifiques associant les patients à travers des
procédures d’information claires voient ainsi leur niveau de qualité scientifique s’améliorer. Tout concourt à suggérer qu’un
patient qui a été correctement associé à un processus de recherche
est mieux sensibilisé et plus facile à contacter à moyen et long
terme.
ÉCHANTILLONS QUI DOIVENT DONNER LIEU
À DES ANALYSES GÉNÉTIQUES : D’AUTRES PRINCIPES
DOIVENT ÊTRE PRIS EN COMPTE
Pour les individus, il semble que la valeur accordée au génome
dépasse largement la simple notion de propriété, probablement
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parce que le matériel génétique est perçu comme une caractéristique
inaliénable de la personne. Il ne peut faire l’objet d’aucune destitution. Il ne peut être revendiqué par nul autre que la personne qu’il
caractérise. La valeur sociale qui lui est conférée dès lors qu’il devient
objet de recherche est d’autant plus grande symboliquement. C’est
certainement la raison pour laquelle notre société met en place plus
de protection et de règles quand il s’agit d’étudier des données
génétiques.
Tout d’abord, le patient doit recevoir une information sur la nature
et la finalité de l’examen, puis il doit donner dans ce cas un consentement exprès, écrit, sachant que ce consentement est révocable à
tout moment. Mais ces nouvelles règles seront-elles applicables
dans tous les cas d’analyse d’une molécule d’ADN humain ? Il faut
en effet, en termes de protection, distinguer l’étude des caractéristiques génétiques d’une personne (fortement caractérisantes et
identifiantes, potentiellement stigmatisantes) de l’étude de mutations sporadiques de cellules (par exemple, tumorales) qu’on ne
retrouvera pas dans l’ensemble du patrimoine génétique de l’individu. La réflexion doit donc porter sur la protection de la personne
par rapport à des données génétiques identifiantes, données qui
comportent des spécificités individuelles et caractérisantes. L’ADN
est en effet sensible uniquement si la donnée génétique étudiée
est : stigmatisante et discriminante (profil de pathologie, appartenance à des groupes à risque) ; révélatrice d’une identité ou d’une
caractéristique familiale ; identifiante par la séquence des gènes
et leur organisation.
Dans l’ADN tumoral, ce qui est en jeu essentiellement, c’est
une caractéristique de la tumeur et non de l’individu. Une donnée génétique d’une tumeur est donc un élément certes stigmatisant, car elle peut discriminer un pronostic positif ou négatif, mais ni plus ni moins que tout élément du dossier médical.
Il nous semble donc, d’un point de vue formel, que la donnée
génétique de la tumeur n’est pas plus stigmatisante qu’un
autre élément clinique, biologique ou radiologique lié à une
pathologie.
CONCLUSION
Si l’on considère la notion de dignité, plutôt que d’invoquer celleci comme un droit de la personne, nous préférons y voir une définition de la personne fondée sur sa faculté de relation à l’autre et
sa capacité à adhérer à des pratiques sociales et à des choix de
société, dont la recherche médicale fait partie. Une personne est
parce qu’elle est apte à entrer en communication avec ses semblables pour décider, choisir, comprendre, agir et évoluer. Négliger
cette dimension serait négliger à la fois la raison et la relation à
l’autre ; la prendre en compte (malgré les contraintes), c’est comprendre comment la personne est réellement prise en considération dans la société aujourd’hui. Cela est un enjeu éthique majeur
pour la médecine, d’autant que les citoyens placent en elle ces
valeurs et que des déceptions pourraient nourrir des oppositions
et des contestations à son endroit.
Il est donc nécessaire d’entreprendre à présent une observation
de la façon dont le corps a été considéré au fil du temps, et de la
façon dont nous devons le considérer aujourd’hui en tenant
compte du rapport social dont il est le médiateur.
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Le site internet issu du partenariat entre l’Inserm, le laboratoire d’éthique
médicale de la faculté de médecine Paris-V et la SFFEM peut également être
consulté : www.inserm.fr/ethique.
DE L ’ INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE
Communiqués des conférences de presse, symposiums, manifestations organisés par l’industrie pharmaceutique
L’asthme, côté patient...
Résultats de l’étude Inspire
L’asthme reste, en 2005, une maladie chronique
fréquente (10 à 15 % dans certaines classes
d’âge), dont la prévalence ne cesse d’augmenter (+ 40 % pour les enfants âgés de 14 ans entre
1983 et 1998) (1).
L’asthme altère la qualité de vie des patients, et
30 % d’entre eux doivent restreindre leurs activités. Aujourd’hui encore, le pronostic vital peut
être mis en jeu lorsqu’un épisode d’asthme aigu
grave survient (1).
Malgré des traitements efficaces, le contrôle de
la maladie asthmatique reste mal assuré (1).
L’étude internationale Inspire (International
Asthma Patient Insight Research), réalisée à
l’initiative du laboratoire AstraZeneca, a évalué
le contrôle de l’asthme et les attitudes thérapeutiques spontanées des patients (2, 3).
Ainsi, 1 921 patients adultes ont été interrogés
par téléphone sur leurs perceptions et leurs attitudes face à la maladie dans huit pays européens.
Tous présentaient un asthme persistant et traité
par corticoïdes inhalés.
Malgré leur traitement de fond, seuls 32 % des
patients sont bien contrôlés, tandis que 21 % sont
insuffisamment contrôlés et que 47 % sont non
contrôlés.
Soixante et onze pour cent des patients utilisent
un bêta-2-mimétique de courte durée d’action
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(ß2-CDA) de façon quotidienne (pour 33 %,
plus de 3 inhalations/jour).
Les patients non contrôlés ont eu en moyenne
14 périodes d’aggravation de leur maladie dans
le courant de l’année précédente, contre 7 épisodes
pour les patients insuffisamment et bien contrôlés.
Près d’un patient sur deux (47 %) a présenté au
moins une exacerbation nécessitant une intervention médicale lors de l’année écoulée.
Soixante et un pour cent des patients reconnaissent les signes précoces d’une aggravation
de leur asthme et 88 % des patients pensent être
capables d’adapter leur traitement, si nécessaire,
sans consultation médicale.
Le délai moyen entre le début et le pic d’une
période d’aggravation est de 6 jours.
Durant cette période, la majorité des patients
ajustent spontanément leur traitement en augmentant d’abord les ß2-CDA, puis dans une moindre
mesure en augmentant les corticoïdes inhalés au
moment du pic de l’aggravation.
Cette étude montre donc :
– la persistance du contrôle insuffisant de
l’asthme malgré un traitement de fond ;
– la fréquence des épisodes d’aggravation même
chez les patients bien contrôlés ;
– une bonne perception, chez la majorité des
patients, des signes précoces d’aggravation de
leur asthme et une adaptation thérapeutique
spontanée en réponse à ces signes ;
– l’existence d’un délai de quelques jours avant
le pic de l’aggravation permettant une adaptation thérapeutique susceptible de réduire les
symptômes, voire d’éviter l’exacerbation.
L’étude Inspire confirme l’intérêt des patients
pour une implication active de leur part, comme
préconisé par les recommandations de l’ANAES
et du GINA (4, 5), avec, en particulier, le recours
à un plan de traitement écrit afin de mieux affronter les périodes d’aggravation de la maladie.
RÉ F É R E N C E S
BIBLIOGRAPHIQUES
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