I N S U F F I S A N C E C A R D I A Q U E Insuffisance cardiaque ● M. Komajda* FACTEURS NEUROHORMONAUX Points forts Dans le domaine de l’insuffisance cardiaque, les résultats de deux essais thérapeutiques étaient très attendus : ■ L’étude ELITE II a comparé le losartan 50 mg à 150 mg de captopril chez les patients principalement de classes II et III et âgés (âge moyen 71,4 ans). Il n’y a pas eu de différence significative sur la mortalité toutes causes par insuffisance cardiaque, par mort subite ou infarctus du myocarde. Une tendance non significative a été observée en faveur du captopril. Le losartan a été accompagné d’une moindre fréquence d’effets secondaires ayant nécessité une interruption du traitement (9,4 contre 14,5 %). Une interaction positive a été retrouvée avec les bêtabloquants, particulièrement forte avec l’inhibiteur de l’enzyme de conversion. Ces résultats ne confirment pas les résultats de l’étude ELITE I, qui suggèrent une supériorité du losartan par rapport au captopril. Ils indiquent un effet d’amplitude similaire sur la mortalité toutes causes et sur différents paramètres d’efficacité secondaire. Compte tenu de ces résultats, le losartan ne détrône pas l’inhibiteur de l’enzyme de conversion comme traitement de première intention dans l’insuffisance cardiaque. Cela conduit à souligner l’extrême prudence qui s’impose dans l’interprétation des résultats d’un essai de petite taille (ELITE I). ■ L’étude BEST a étudié le bucindolol dans l’insuffisance cardiaque sévère. L’essai a été interrompu prématurément, du fait de l’absence de modification significative en faveur du bêtabloquant sur la mortalité toutes causes. Il entraîne néanmoins une réduction significative des décès cardiovasculaires et des hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Une analyse en sous-groupes suggère que les patients de classe IV et de race noire ne tirent aucun bénéfice du bêtabloquant. Ces résultats intéressants doivent conduire à une extrême prudence dans la prescription des bêtabloquants chez les insuffisants cardiaques sévères, et rappeler que les classes IV ne sont pas une indication reconnue dans l’AMM. * Service de cardiologie, hôpital La Salpêtrière, Paris. 52 Le mécanisme de l’effet hypertrophique de l’angiotensine II demeure l’objet de débats, et certains auteurs pensent que l’action antihypertrophique des inhibiteurs de l’enzyme de conversion et des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine est liée à un simple effet hypotenseur. P. Paradis (Montréal, 43) a essayé de répondre à cette question en utilisant des animaux génétiquement modifiés (souris transgéniques surexprimant le récepteur de type I de l’angiotensine). Il a été observé l’apparition d’une hypertrophie cardiaque et d’un phénomène de remodelage ventriculaire avec augmentation du collagène interstitiel et diminution des cardiomyopathies. Les animaux développaient une insuffisance cardiaque voisine de celle observée chez l’homme et faisaient des morts subites. Ces effets ont été observés sans modification de la pression artérielle systolique. Le rôle trophique de l’angiotensine II est ainsi démontré de façon certaine, indépendamment de l’effet sur la pression artérielle. ASPECTS INFLAMMATOIRES DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE D. Mac Namara (Pittsburgh, 104) rapportait un essai thérapeutique utilisant des immunoglobulines par voie intraveineuse deux jours consécutifs sur un groupe de 62 patients présentant une cardiomyopathie dilatée d’installation récente avec ou sans signe de myocardite. L’objectif primaire de l’étude était un accroissement de la fraction d’éjection à 6 mois et 12 mois. Aucune variation significative de celle-ci n’a été observée entre le groupe placebo et le groupe traité par immunoglobuline et, d’ailleurs, la fraction d’éjection a augmenté de 25 à 40 % à 12 mois dans les deux groupes. Il n’y a pas eu de différence entre les deux groupes pour ce qui concerne le pic de consommation d’oxygène, le nombre de décès, de transplantations ou la nécessité de mise en place d’une assistance circulatoire. La survie à un an était d’ailleurs excellente (90 %). Ainsi cette nouvelle étude (IMAC) apporte-telle une nouvelle fois des résultats négatifs aux essais d’immunomodulation dans les cas des cardiomyopathies dilatées suspectes d’être des myocardites. B. Bozkurt (Houston, 105) a rapporté les premiers résultats d’une étude avec un antagoniste du récepteur soluble du TNFα, cytokine pro-inflammatoire augmentée dans l’insuffisance cardiaque. L’étanercept a été testé chez 44 patients à la dose de 5 ou 12 mg/m2 par voie sous-cutanée de façon bihebdomadaire contre placebo. Au terme de trois mois, il a été observé une diminution d’une cytokine pro-inflammatoire (interleukine 1ß), une augmentation de l’interleukine 10, anti-inflammatoire. Ces modifications, dans La Lettre du Cardiologue - n° 323 - janvier 2000 I N S U F F I S A N C E un sens favorable, des cytokines sont associées à une amélioration du confort de vie et de la durée d’exercice mesurée par le test de marche de 6 minutes. Ces résultats encourageants devront être confirmés dans un essai de mortalité de plus grande envergure. S. Adamopoulos (Athènes, 108) a étudié l’impact de l’entraînement physique sur des marqueurs d’inflammation sur un groupe d’insuffisants cardiaques d’origine ischémique ou non ischémique. Au terme d’un programme de 12 semaines d’entraînement physique, les auteurs ont retrouvé une diminution significative de la concentration plasmatique de certains marqueurs d’inflammation endothéliale. Cet effet bénéfique a été corrélé à l’amélioration de la performance physique. Cette observation intéressante suggère un rôle pathogène des cytokines et de l’inflammation endothéliale dans l’évolution de l’insuffisance cardiaque. RECHERCHES DANS LE DOMAINE DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE Une session entière a été consacrée aux voies de recherche dans l’insuffisance cardiaque. C. Lenfant (Bethesda) insistait sur le poids socio-économique de cette pathologie, non seulement en termes de mortalité, mais également en termes de coût des hospitalisations récurrentes. Il a ainsi indiqué qu’en 1995, aux ÉtatsUnis, le taux d’hospitalisations chez les patients âgés de 65 ans ou plus était de 200 pour 10 000, et que l’insuffisance cardiaque était directement responsable de 40 000 décès en 1997. D. Mann (Houston) a fait le point sur la recherche dans le domaine des cytokines. Il a ainsi rappelé que le myocarde défaillant surexprime le TNF et que, par contre, les récepteurs de type I ou II sont régulés vers le bas. Ces modifications s’accompagnent d’une réduction de la force contractile. Récemment, un modèle d’animal transgénique surexprimant le TNF dans le cœur a été développé, qui aboutit à un tableau comparable à la cardiomyopathie dilatée humaine. Dans le domaine thérapeutique, D. Mann a exposé les premiers résultats avec l’étanercept à trois mois et a montré que l’injection par voie sous-cutanée de cette protéine, qui empêche la fixation du TNFα sur ses récepteurs myocardiques, s’accompagne d’une augmentation de la fraction d’éjection et d’une diminution du volume ventriculaire avec amélioration d’un critère clinique composite. Après cette étude exploratoire, deux études ont été lancées, les études RENAISSANCE et RECOVER, qui sont en cours aux États-Unis et en Europe. R. Rockman (Chapel Hill) a fait le point sur la voie de signalisation adrénergique dans le myocarde défaillant. En utilisant des animaux génétiquement modifiés, il a montré combien cet outil pouvait être précieux pour comprendre les modifications pathologiques induites par les changements survenant dans la voie de signalisation bêta-adrénergique. C’est sur ces animaux génétiquement modifiés qu’a insisté également G. Dorme (Cincinnati) pour montrer de quelle manière l’on décortique actuellement les événements moléculaires qui aboutissent à l’insuffisance cardiaque clinique. À l’évidence, les équipes américaines sont très en avance sur les équipes européennes. La manipulation d’animaux permet de vérifier des hypothèses physiopathologiques précises, et enfin de voir si les interventions thérapeutiques ciblées peuvent ou non inverser les phénomènes observés. La Lettre du Cardiologue - n° 323 - janvier 2000 C A R D I A Q U E TRAITEMENTS MÉDICAMENTEUX DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE Dans l’étude RALES (B. Pitt, Ann Arbor, 1559), l’influence de la spironolactone a été étudiée selon la valeur de la fraction d’éjection. Les auteurs ont retrouvé que les patients ayant une fraction d’éjection inférieure à 26 % avaient une réduction de mortalité moindre (22 %) que les patients ayant une fraction d’éjection comprise entre 26 % et 35 %. Ces résultats suggèrent donc un effet maximal de la spironolactone chez les patients avec une fraction d’éjection non effondrée. Les effets comparés de l’omapatrilat et d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion ont été étudiés sur un modèle animal de dysfonction ventriculaire gauche précoce par H. Chen (Rochester, 1560). Rappelons que l’omapatrilat est un double inhibiteur de l’enzyme de conversion et de l’enzyme qui dégrade les peptides natriurétiques, l’endopeptidase neutre. Après administration intraveineuse, la réponse natriurétique induite par l’omapatrilat est plus importante que celle obtenue par l’inhibiteur de l’enzyme de conversion (fosinopril). L’inhibiteur mixte a également entraîné une augmentation de l’ANP et du BNP plasmatiques ainsi que du cGMP urinaire et de la filtration glomérulaire. Seul l’inhibiteur mixte entraîne une chute de la pression capillaire pulmonaire. Au plan neurohormonal, et de façon intéressante, cette action natriurétique ne s’accompagne pas d’une augmentation de l’activité rénine plasmatique et de l’aldostérone. Ces résultats expérimentaux sont intéressants en ce sens qu’ils suggèrent une action natriurétique sans action neurohormonale délétère. L’action de l’inhibiteur mixte a été testée par R. Troghton (Christchurch, 1569) sur un modèle d’insuffisance cardiaque obtenu par stimulation ventriculaire rapide. L’administration intraveineuse de l’omapatrilat entraîne une augmentation du débit cardiaque, une baisse des pressions de remplissage, une augmentation des peptides natriurétiques et du GMP cyclique plasmatique, une diminution de l’angiotensine II et de l’aldostérone. Les effets d’un antagoniste des récepteurs de types I et II de la vasopressine ont été rapportés sur une petite série préliminaire de 6 patients en attente de transplantation cardiaque (W. Abraham, Ann Arbor, 1562). Tous ces patients présentaient une natrémie inférieure à 132 mEq/l. L’administration du produit entraîne une augmentation de la natrémie, une baisse de l’osmolarité urinaire et un accroissement de la clairance de l’eau libre. Cette étude initiale suggère que les antagonistes de l’arginine-vasopressine peuvent être une nouvelle classe intéressante dans l’insuffisance cardiaque associée à une hyponatrémie importante, situation rencontrée essentiellement dans l’insuffisance cardiaque sévère. Les premiers résultats expérimentaux avec un agoniste des récepteurs de la bradykinine, agent vasodilatateur participant à l’action des inhibiteurs de l’enzyme de conversion, ont été rapportés par M. Mathier (Pittsburgh, 1564). Le modèle était une stimulation ventriculaire rapide chez le chien. Après quatre semaines d’administration, on observe une augmentation significative du débit cardiaque, du débit coronaire, une chute des résistances systémiques, sans modification significative de la pression artérielle moyenne. Le blocage de la NO synthase atténue les effets de ce médicament. 53 I N S U F F I S A N C E C A R D I A Q U E ELITE II Les résultats de l’étude ELITE II étaient parmi les plus attendus de la 72e session de l’American Heart Association. Cette étude a inclus 3 152 patients et a comparé 50 mg/j de losartan à 150 mg/j de captopril. Elle avait été entreprise à la suite des résultats inattendus de l’étude ELITE I effectuée sur les sujets âgés, qui avait comparé également 50 mg de losartan à 150 mg de captopril et dont l’objectif primaire n’était pas la mortalité mais la tolérance rénale. Un objectif secondaire constitué de décès et/ou d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque avait montré une réduction significative de la mortalité toutes causes en faveur de l’antagoniste des récepteurs de l’angiotensine. ELITE II est allée à son terme, avec un suivi moyen de 555 jours. Mille cinq cent soixante-quatorze patients ont été placés sous captopril, 1 578 sous losartan. L’essai thérapeutique était guidé par le nombre d’événements, et il avait été prédéfini que la survenue de 510 décès entraînerait son interruption. L’objectif primaire était que le losartan réduit la mortalité toutes causes par rapport au captopril, l’objectif secondaire était que le losartan réduit la mort subite et/ou les arrêts cardiaques ressuscités par rapport au captopril. D’autres objectifs secondaires avaient été définis, en particulier la mortalité toutes causes et/ou les hospitalisations, et la mortalité cardiovasculaire et/ou les hospitalisations. L’âge moyen de la population incluse dans ELITE II était de 71 ans. Il y avait, comme d’habitude, une forte prédominance masculine (70 %). La fraction d’éjection moyenne était de 31 %. La répartition selon les classes fonctionnelles montrait 49 % de patients en classe II, 45 % en classe III et 6 % en classe IV. L’étiologie de l’insuffisance cardiaque était à 80 % ischémique. Vingtquatre pour cent des patients ont reçu un bêtabloquant. Le résultat sur l’objectif primaire est neutre, avec un risque relatif non significatif de 0,88 (captopril versus losartan) sur la mortalité toutes causes. Deux cent cinquante événements ont été observés sous captopril (15,9 %) et 280 sous losartan (17,7 %). Lorsque les causes spécifiques de mortalité sont étudiées, il n’y a pas de différence significative pour l’insuffisance cardiaque, la survenue d’un infarctus du myocarde, d’un accident vasculaire cérébral, ni pour la mort subite, bien qu’il y ait une tendance favorable en faveur du captopril. Il n’y a pas eu non plus de différence entre les deux traitements en ce qui concerne les sous-groupes prédéfinis (selon l’âge, le sexe, la classe fonctionnelle). Une interaction a été détectée avec les bêtabloquants, qui entraînent un bénéfice dans les deux groupes (mais supérieur dans le groupe captopril). En ce qui concerne l’objectif secondaire (mort subite, arrêt cardiaque ressuscité), il y a une tendance non significative en faveur du captopril (risque relatif : 0,80, p = 0,08). Pour ce qui concerne les hospitalisations ou les phénomènes liés à l’insuffisance cardiaque, incluant hospitalisations, décès, arrêts de traitement, aucune différence n’est observée entre les deux drogues. Pour le critère combiné mortalité ou hospitalisation toutes causes, le risque relatif est de 0,94 (captopril versus losartan), p = 0,21. Pour ce critère combiné, il n’y a pas de différence selon l’âge, le sexe, la classe fonctionnelle mais, là encore, les bêtabloquants indiquent une tendance plus favorable pour le captopril (risque relatif 0,73, p = 0,21). 54 En ce qui concerne la tolérance, il y a eu significativement plus d’effets secondaires sous captopril (15 %) que sous losartan (10 %). Les effets secondaires liés aux médicaments ont été en particulier nettement plus fréquents. De façon non surprenante, il y a eu davantage de phénomènes de toux sous captopril. De même, les arrêts de traitement pour effets secondaires ont été plus fréquents sous inhibiteurs de l’enzyme de conversion. Conclusion. Ces résultats conduisent les investigateurs à conclure que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion demeurent le traitement de choix de l’insuffisance cardiaque, mais que les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine peuvent être envisagés chez les patients intolérants aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou qui présentent une contre-indication. Ce “match” IEC/antagonistes des récepteurs de l’angiotensine, qui se traduit par un résultat nul, voire légèrement favorable pour le captopril, va certainement susciter de nombreuses controverses et explications. BÊTABLOQUANTS ET INSUFFISANCE CARDIAQUE S. Goldstein (Detroit, 1041) a donné de nouveaux résultats de l’étude MERIT HF, qui a utilisé le métoprolol dans l’insuffisance cardiaque. Il a indiqué que 87 % des malades avaient pu atteindre un dosage supérieur ou égal à 100 mg/j, et 64 % un dosage supérieur ou égal à 200 mg/j. Les résultats sur la mortalité sont connus : réduction de 41 % de la mort subite, de 40 % de la mortalité par insuffisance cardiaque ; les hospitalisations ont été réduites de 19 % et le critère combiné mortalité/insuffisance cardiaque de 31 %. Cette réduction est observée de façon homogène dans les différentes catégories de patients (classe II, III ou IV). Les auteurs ont rappelé que l’adjonction du métoprolol s’accompagnait d’une réduction de 36 % du nombre de jours d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque. Le nombre d’arrêts prématurés du traitement a été moins important dans le groupe métoprolol que dans le groupe placebo. Parmi les effets secondaires, les bradycardies ont été plus importantes sous bêtabloquants (0,8 % contre 0,2 %), de même que les hypotensions (0,6 % contre 0,2 %), le pourcentage absolu restant acceptable. Ces nouveaux chiffres confirment l’intérêt des bêtabloquants dans le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique. E. Wolfel (Denver, 1042) a étudié l’influence du carvédilol et du métoprolol sur les capacités à l’exercice chez les patients ayant une cardiomyopathie dilatée en insuffisance cardiaque. Après 6 mois de traitement, les auteurs n’ont retrouvé aucune différence entre le groupe placebo et les deux groupes de bêtabloquants, malgré l’amélioration de la fraction d’éjection. L’interruption du bêtabloquant n’a pas entraîné de modification significative de la durée d’exercice dans les groupes traités. Une intéressante étude explicative sur les effets bénéfiques des bêtabloquants a été entreprise par H. Sabbah (Detroit, 1043). Un modèle animal d’insuffisance cardiaque (chien avec microemboles coronaires) a été développé. Après traitement par métoprolol, les auteurs ont retrouvé un effet favorable sur l’expression de la caspase 3, marqueur d’apoptose (mort cellulaire programmée). Ainsi, dans ce modèle, l’administration d’un bêtabloquant chez un animal en insuffisance cardiaque pourrait prévenir la survenue de ce phénomène de mort cellulaire programmée. La Lettre du Cardiologue - n° 323 - janvier 2000 I N S U F F I S A N C E P. Binkley (Colombus, 1047) a étudié la variabilité sinusale sur un groupe de patients traités par carvédilol. Les auteurs ont retrouvé que l’administration du bêtabloquant entraînait une amélioration de la composante parasympathique (haute fréquence), comme cela avait déjà été démontré avec le bisoprolol. H. Krum (Prahran, 1048) a réalisé une méta-analyse des essais disponibles avec les bêtabloquants spécifiquement sur les sujets en classe IV. Seuls les essais ayant inclus des malades pour une période supérieure à trois mois ont été analysés. Les auteurs ont ainsi retrouvé une réduction du risque de mortalité de 29 % sur ce sous-groupe de malades dont les effectifs demeurent d’ailleurs modérés (environ 6 % des 10 000 malades inclus dans les essais étudiés). Selon cette méta-analyse, l’effet observé chez les patients de classe IV est d’une amplitude identique à celle de l’effet observé chez les sujets de classe II ou III et est indépendant de la drogue testée (carvédilol, bisoprolol, métoprolol). Ces résultats suggèrent donc que, chez les patients de classe IV inclus dans ces essais thérapeutiques, l’effet bénéfique des bêtabloquants est maintenu. Une étude à large échelle (COPERNICUS) est actuellement en cours pour étudier spécifiquement, sur ces patients de classe IV, l’influence des traitements bêtabloquants. T. Ramanhi (New Haven, 1049) a cherché à identifier des facteurs prédictifs de réponse aux traitements bêtabloquants. Sur un groupe de 19 patients avec cardiomyopathie dilatée, les auteurs ont constaté que l’augmentation de la fraction d’éjection après injection de dobutamine était prédictive de l’amélioration de ce paramètre sous carvédilol en traitement chronique. Une équipe japonaise (T. Ohtsuka, Ehime, 1050) a étudié l’influence d’un traitement bêtabloquant par métoprolol ou bisoprolol sur 25 patients ayant une cardiomyopathie dilatée. Les auteurs ont retrouvé que l’administration du bêtabloquant réduit la concentration plasmatique de TNFα et du récepteur soluble de type II, suggérant ainsi que l’un des mécanismes d’action potentiels des bêtabloquants pourrait passer par une réduction de la synthèse des cytokines. Étude BEST Une autre étude très attendue était l’étude BEST (Bucindolol dans l’insuffisance cardiaque sévère). Elle a été présentée par Eichhorn (Dallas). Les critères d’inclusion étaient des patients de classe III ou IV avec une fraction d’éjection inférieure à 35 %. Les patients ont été randomisés entre placebo et bucindolol de 3 à 50 mg deux fois par jour si le poids était inférieur à 75 kg ou 100 mg deux fois par jour si le poids était supérieur à 75 kg, sur une période de 6 à 8 semaines. Il y a eu un suivi à 3, 6, 9 et 12 mois. Rappelons que le bucindolol est un bêtabloquant non sélectif doté de propriétés vasodilatatrices α1-bloquantes. Le critère primaire d’efficacité était la mortalité toutes causes, les critères secondaires la mortalité cardiovasculaire, les hospitalisations, les décès ou transplantations, la qualité de vie et la fraction d’éjection. Deux mille sept cent huit patients ont été recrutés. Le Comité de surveillance a décidé, en juillet 1999, d’interrompre l’essai du fait de sa neutralité. En effet, lors du dernier pointage, il y avait une réduction de risque de 10 %, non significative (p = 0,11). Dans le contexte du bénéfice démontré des bêtabloquants dans l’insuffisance cardiaque et de la nécessité d’augmenter les effectifs de façon considérable pour pouvoir atteindre une puissance sufLa Lettre du Cardiologue - n° 323 - janvier 2000 C A R D I A Q U E fisante, le Comité de surveillance a donc recommandé l’interruption de l’essai. L’analyse des critères secondaires montre une réduction de la mortalité cardiovasculaire de 12,5 %, donc significative (p = 0,04). En revanche, il n’y a pas de modification significative de la mortalité par décès subit, par insuffisance cardiaque ou par infarctus du myocarde. Il y a une tendance à une réduction des hospitalisations toutes causes. Les hospitalisations pour insuffisance cardiaque sont réduites, de 42 % à 35 % (p = 0,001). De même, le critère combiné décès ou transplantation est réduit significativement, de 35 % à 31,6 % (p = 0,042). Les analyses en sous-groupes suggèrent que les patients de classe III et avec une fraction d’éjection supérieure à 20 % ont une meilleure survie sous bucindolol que les patients de classe IV et avec une fraction d’éjection inférieure à 20 %, qui ne tirent pas bénéfice du bêtabloquant. Il n’y a pas de différence suivant que l’insuffisance cardiaque est d’origine ischémique ou non ischémique. Enfin, une donnée intéressante montre que les sujets de race noire ont un surrisque sous bêtabloquant, avec un odds-ratio de 1,17. Conclusion. Les auteurs ont conclu de ces résultats qu’il y avait une réponse hétérogène aux bêtabloquants, avec une tendance à un bénéfice chez les patients de classe III. Par contre, chez les patients d’origine africaine ou de classe IV, il n’y a pas d’évidence que les bêtabloquants apportent un bénéfice. Ainsi l’interruption de l’étude BEST apporte-t-elle de nouvelles informations. Cette étude confirme l’extrême réserve nécessaire dans la prescription d’un bêtabloquant chez un patient très sévère de classe IV. Il sera intéressant d’attendre les résultats de l’étude COPERNICUS menée chez de tels patients en Europe pour les comparer à ceux de l’étude BEST. APPROCHE NON PHARMACOLOGIQUE DU TRAITEMENT DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE A.J. Moskowitz (New York, 2707) a rapporté les résultats de l’étude PREMATCH destinée à étudier la faisabilité d’une étude de plus grande envergure sur l’utilisation au long cours d’une assistance ventriculaire gauche. C’est le TCI 1000 VE qui a été choisi. Vingt et un patients en classe IV et présentant une insuffisance cardiaque sévère définie par un certain nombre de critères (fraction d’éjection, pression capillaire pulmonaire, index cardiaque, VO2, hospitalisation et support par inotrope) ont été inclus. Il s’agissait majoritairement de patients âgés et ne pouvant donc pas bénéficier d’une transplantation cardiaque. Onze ont été randomisés pour l’assistance ventriculaire, et les 10 autres ont reçu un traitement médical conventionnel. Il n’y a pas eu de différence de mortalité entre les deux groupes, mais la survie était seulement de 40 % à un an dans le groupe Assistance et de 22 % dans le groupe Médical. Les causes de décès ont été, dans le groupe Assistance, un accident vasculaire cérébral (deux fois), une infection (huit fois), une défaillance multi-organes (une fois) ; 9 décès ont été observés dans le groupe Médical, tous en relation avec l’insuffisance cardiaque. Ainsi, cette étude préliminaire montre qu’il n’y a pas de mortalité excessive par rapport au traitement médical lors de l’assistance ventriculaire gauche prolongée. Malgré les fréquentes complications, elle a permis de lancer une étude de plus grande envergure, l’étude REMATCH, dont les résultats seront présentés d’ici un à deux ans. 55 I N S U F F I S A N C E C A R D I A Q U E J. Young (Birmingham, 2708) a présenté les résultats à 6 mois de l’étude C-SMART, qui a utilisé la cardiomyoplastie dynamique. Initialement prévue pour inclure 400 patients (200 dans le groupe traitement médical, 200 dans le groupe cardiomyoplastie), cette étude a dû être interrompue en raison du faible recrutement, qui s’est limité à 103 malades. Les critères d’inclusion étaient des patients de classe III, recevant un traitement médical optimal, avec une altération de la fraction d’éjection à moins de 40 %. La survie a été identique entre les deux groupes, à 6 mois et à 12 mois. La classe fonctionnelle NYHA était améliorée dans le groupe traité par cardiomyopathie dynamique. Le périmètre de marche de 6 minutes a été augmenté dans le groupe cardiomyoplastie par rapport au traitement médical. Il est difficile de conclure sur cette étude, qui n’a permis d’inclure qu’un quart des effectifs escomptés. Nous ne savons donc pas, aujourd’hui, si la cardiomyoplastie dynamique a un effet purement placebo ou un véritable effet sur cette population d’insuffisants cardiaques sévères. P. McCarthy (Cleveland, 2709) s’est intéressé aux résultats de la chirurgie mitrale chez des patients à mauvaise fonction ventriculaire gauche. La limite de cette étude est qu’elle est rétrospective. Elle a inclus des patients avec une fraction d’éjection inférieure à 35 % et une insuffisance mitrale importante due à une cardiomyopathie dilatée, une maladie valvulaire ou une cardiopathie ischémique. Quarante-neuf malades ont ainsi pu être identifiés. La survie à un an était de 89 % et la survie à 5 ans de 65 %. Ces résultats intéressants laissent à penser que la chirurgie mitrale (réparation ou remplacement suivant les cas) chez des patients en mauvaise fonction ventriculaire gauche est associée à une bonne survie et à une bonne qualité de vie (réduction spectaculaire du nombre de réadmissions). Il est regrettable qu’aucune étude contrôlée n’ait été faite dans cette population de malades à haut risque. Une intéressante méthode expérimentale de réduction de la taille de l’infarctus et du volume ventriculaire a été présentée par M. Ratcliff (San Francisco, 2710) sur un modèle ovin d’infarctus du myocarde. L’idée ingénieuse est que le collagène “rétrécit” lorsqu’il est chauffé. Le principe a donc été d’appliquer une sonde à radiofréquence pour chauffer la zone du territoire infarci à une température de 95 °C, puis de mettre un patch pour consolider la zone. Les auteurs ont retrouvé, à 10 semaines, une réduction significative du volume télédiastolique, une amélioration de la fraction d’éjection et une réduction de la taille de l’infarctus d’environ 30 %. Cette méthode ingénieuse devra maintenant faire ses preuves sur un plus grand échantillon d’animaux avant que l’on envisage son application à l’homme. 56 P. McCarthy (Cleveland, 2711) a présenté une méthode de reconstruction ventriculaire chirurgicale après infarctus du myocarde antérieur chez 45 patients ayant une insuffisance cardiaque et une altération sévère de la fraction d’éjection à 24 %. La mortalité hospitalière à été de 4,4 %, la survie à 12 mois de 89 %. Cette technique a permis de diminuer le volume télédiastolique du ventricule gauche et d’améliorer la fraction d’éjection. Cette modification favorable des dimensions ventriculaires s’est accompagnée d’une amélioration de la classe fonctionnelle. Dans l’expérience de l’équipe, la présence d’une akinésie s’est avérée moins favorable que l’existence d’une dyspnée franche. De même, les malades dépendant d’inotropes ont eu un risque plus important d’échec que les autres patients. Cette technique intéressante mérite maintenant d’être appliquée à une plus grande population. Les résultats de l’étude INSYNC ont été présentés par D. Gras (Saint-Cloud, 2714) et A. Dang (Ottawa, 2715). L’étude INSYNC inclut 103 patients de classe III ou IV avec QRS de plus de 150 ms, fraction d’éjection abaissée < 35 % et dilatation ventriculaire à 60 mm ou plus. Le taux de succès de l’implantation d’un stimulateur multisites (oreillette et ventricule droit, ventricule gauche par l’intermédiaire d’une sonde dans le sinus coronaire) a été de 87 %. Treize pour cent d’échecs ont été observés en raison d’une anatomie difficile du sinus coronaire. La délocalisation de la sonde du sinus coronaire a été notée dans 12 % des cas et a fait l’objet d’une nouvelle intervention. La réduction de la durée du QRS est maintenue à 12 mois alors qu’une amélioration de la classe NYHA est constatée. Il y a également une augmentation du périmètre de marche de 6 minutes et une amélioration de la qualité de vie. Les auteurs ont indiqué que l’existence d’une insuffisance mitrale a pu être réduite dans environ 50 % des cas par la synchronisation ventriculaire. Au plan pronostique, 20 décès ont été observés à 6 mois, 10 par mort subite, 7 pour insuffisance cardiaque et 3 pour autres causes vasculaires. Cela représente une mortalité à 6 mois de 18 % environ. Les facteurs suivants distinguent les survivants des non-survivants : moindre insuffisance mitrale à l’état basal, moindre degré d’extrasystolie ventriculaire ou d’accès de tachycardie ventriculaire. Ces résultats intéressants suggèrent donc que la synchronisation ventriculaire par stimulation multisites pourrait constituer une alternative aux techniques chirurgicales chez des patients ayant une insuffisance cardiaque grave, même si de nombreux problèmes techniques doivent encore être réglés, concernant notamment le taux d’échec de la procédure ou de déplacement de la sonde. ■ La Lettre du Cardiologue - n° 323 - janvier 2000