Revue de presse Psychiatrie et cultures E. Bacon, chercheur Inserm U 405, clinique psychiatrique, CHU de Strasbourg Nouvelles orientations de la recherche sur les syndromes liés à la culture Rutgers (États-Unis) I l y a plusieurs raisons de s’intéresser aux syndromes liés à la culture. On ne peut que constater la diversité culturelle des personnes requérant des soins de santé mentale, qui reflète la diversité culturelle croissante des sociétés occidentalisées. Les migrations, avec leur cortège d’adaptation culturelle et d’exposition potentielle à des expériences traumatisantes, constituent un défi pour la santé mentale. Historiquement, les migrations ont eu pour origine des motifs divers : économiques, politiques, culturels ou religieux. Elles ont pour effet la séparation d’avec la famille, la mère patrie, souvent la perte du statut social et des biens. Émigrer amène la personne dans un environnement culturel qui ne lui est pas familier, implique la nécessité d’adaptation au nouvel environnement et entraîne souvent un sentiment de rejet, ainsi qu’une certaine confusion en ce qui concerne le rôle, la valeur et l’identité, tous facteurs importants pour la santé mentale des migrants. Le statut d’immigré est souvent considéré comme un facteur de risque de développer des troubles psychiatriques. Les migrants peuvent arriver avec une pathologie préexistante, aussi bien que souffrir de symptômes provoqués ou intensifiés par les difficultés des événements récents. Une autre raison de s’intéresser aux syndromes liés à la culture se trouve dans le fait que les éditions du DSM sont aujourd’hui devenues des documents de référence internationaux, et le DSM-IV inclut des syndromes liés à la culture, ce qui devrait élargir l’utilité de ce manuel. 67 Le DSM-IV renferme les descriptions symptomatiques de 25 syndromes liés à la culture, tels que l’Amok, le Latah et le Koro, définis par le Groupe sur la culture et le diagnostic de l’Institut national américain de santé mentale. La définition du syndrome lié à la culture, présentée dans l’introduction du glossaire des syndromes liés à la culture, dans l’appendice I du DSM-IV, est la suivante : “Le terme syndrome lié à la culture désigne des ensembles de caractéristiques récurrentes, spécifiques d’une région, de comportement aberrant et d’expérience inquiétante, qui peuvent ou non être reliés à une catégorie particulière de diagnostic du DSM-IV. Bon nombre de ces profils sont considérés par les indigènes comme des ‘maladies’, ou au moins comme des afflictions, et portent un nom local (...). Les syndromes liés à la culture sont généralement limités à des sociétés spécifiques ou des zones culturelles et sont des catégories de diagnostic localisées, populaires, qui attribuent des significations cohérentes pour certains ensembles d’observations et d’expériences répétitives et troublantes.” La diversité ethnique et culturelle croissante de la population des États-Unis, mais aussi de la plupart des pays occidentaux, et le fait que les éditions du DSM soient devenues des documents de référence internationaux justifient de développer des approches véritablement transculturelles de santé mentale, tant en ce qui concerne la recherche que les services de soins. (Research on culture-bound syndromes : New directions. American Journal of Psychiatry 1999 ; 156 : 1322-7). P. Guarnaccia et L. Rogler font la critique Revue de presse des analyses antérieures de la relation entre les syndromes liés à la culture et les diagnostics psychiatriques. Le problème des classifications précédentes était de tenter d’incorporer les syndromes liés à la culture dans des catégories psychiatriques préexistantes, plutôt que les étudier en tant que tels. Pour pouvoir comprendre les syndromes liés à la culture dans leur contexte culturel et pouvoir analyser leur relation avec les troubles psychiatriques, les auteurs proposent un programme de recherche fondé sur quatre questions clés et l’illustrent avec la présentation d’un syndrome culturel latino-caraïbe dénommé Ataques de Nervos. La première question interroge la nature du phénomène : une manière d’étudier un syndrome lié à la culture est de se référer à la littérature de recherche en anthropologie et en psychiatrie. La deuxième question a trait à la localisation socioculturelle du syndrome. Il s’agit d’identifier les caractéristiques sociales des personnes souffrant de cette pathologie. Le contexte permet de spécifier les situations sociales dans lesquelles un syndrome lié à la culture pourrait apparaître. Les Ataques de Nervos, par exemple, sont provoquées par des menaces pesant sur l’environnement social local du patient, comme la famille. La troisième question vise à déterminer comment le syndrome lié à la culture peut être empiriquement mis en relation avec un trouble psychiatrique. Si des recherches systématiques ont permis d’identifier des relations fortes entre des syndromes liés à la culture et certains critères de diagnostic psychiatrique, on observe rarement une relation simple entre un syndrome culturel et un trouble psychiatrique prédéfini. Les syndromes liés à la culture coexistent souvent avec un ensemble de troubles psychiatriques, comme coexistent entre eux bon nombre de troubles psychiatriques, et la question de la comorbidité est ici aussi posée. Le quatrième aspect à prendre en compte est Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) - n° 3 - mars 2000 l’histoire sociale et psychiatrique du syndrome au cours de la vie du patient. La recherche sur les syndromes liés à la culture a une utilité stratégique dans l’intégration des connaissances culturelles et psychiatriques, permettant des avancées tant dans l’universalité des diagnostics que pour la spécificité culturelle. Mots clés : DSM-IV - Syndrome lié à la culture. Ethnicité et évolution de la psychose Londres (Grande-Bretagne) Au Royaume-Uni, l’incidence de la schizophrénie est plus élevée dans la population noire que chez les Blancs. N. Goater et ses collaborateurs présentent les résultats de la première étude prospective sur cinq ans de premiers épisodes de psychose, réalisée auprès de différents groupes ethniques en GrandeBretagne (Goater N., King M., Cole E. et coll. Ethnicity and outcome of psychosis. British Journal of Psychiatry 1999 ; 175 : 34-42). Faisaient partie du recrutement toutes les personnes âgées de 16 à 54 ans, résidant dans l’aire géographique d’un hôpital psychiatrique londonien et ayant eu un premier contact avec un tel service entre juin 1991 et juin 1992. Il s’agissait d’une population urbaine, dont 28 % étaient considérés comme provenant d’une minorité ethnique. Les patients ont passé des entretiens à cette époque, et à nouveau un an puis cinq ans plus tard. Les auteurs ont utilisé un questionnaire semi-structuré incluant des données démographiques et biographiques. Les symptômes psychiatriques étaient évalués à l’aide de la 9e édition du PSE (Present State Examination) et du SCL (Syndrome Checklist). Un certain nombre d’autres informations (contact avec les services hospitaliers, avec la 68 police, observance du traitement, etc.) ont été recueillies à un an et cinq ans. Les patients étaient répartis en plusieurs groupes : Blancs, Noirs, Asiatiques et autres, pour les calculs des taux d’incidence. Pour les autres analyses, les Asiatiques ont été combinés avec les “autres”. Parmi les 93 patients, 39 étaient des Blancs, 38 des Noirs, 11 des Asiatiques et 5 d’autres groupes ethniques. L’âge moyen au moment du recrutement était de 30 ans, et 42 % d’entre eux étaient nés à l’étranger (immigrants de première génération). Les taux d’incidence de schizophrénie et de psychose non affective étaient supérieurs à ceux des Blancs dans tous les groupes ethniques et à toutes les dates. À cinq ans, cet excès était statistiquement significatif pour la schizophrénie dans les populations asiatique et noire. Pour 24 % des patients, l’évolution de la maladie était positive (récupération complète sans épisode ultérieur) à la première date du suivi, mais cela restait le cas pour seulement 8 de ces sujets au bout de cinq ans. Les auteurs n’observent pas d’association entre les scores à l’échelle SANS (symptômes négatifs) et le groupe ethnique. L’ethnicité n’était pas associée avec le décours de la maladie ou la stabilité du diagnostic sur cinq ans, et le suivi des patients était similaire pour tous les groupes. En revanche, les données confirment l’excès de cas de schizophrénie et de psychoses non affectives chez des sujets noirs vivant en GrandeBretagne. Au cours des cinq années, 48 patients (54 %) ont été amenés à l’hôpital au moins une fois par la police. La cinquième année, tous les 6 patients amenés par la police étaient de race noire et 5 d’entre eux étaient schizophrènes. Les patients noirs avaient également, plus que les autres, été retenus à l’hôpital et reçu des injections d’urgence. L’explication des situations plus difficiles vécues par les patients noirs pourrait trouver son origine dans l’expression de la maladie, qui peut varier d’un groupe ethnique à l’autre, ou dans la perception et les actions des autres. Les auteurs ont observé des preuves indirectes mais évidentes de mise en œuvre, par les psychiatres, de discrimination ou d’images stéréotypées des patients. Une autre observation importante est le fait que les personnes issues de groupes ethniques minoritaires étaient moins susceptibles d’être admises à l’hôpital et que l’observance du traitement au début de la maladie était plus faible chez les Noirs. Ces patients et leurs familles pourraient avoir plus de répugnance que les Blancs à admettre l’admission à l’hôpital, ou peut-être sontce les professionnels qui demandent moins souvent l’hospitalisation. Ces observations renforcent l’importance d’unités spécialisées dans les premiers épisodes de psychose. Mots clés : Psychose - Schizophrénie Minorités ethniques - Étude prospective. Un outil de comparaison pour les enfants de différentes cultures Rotterdam (Pays-Bas) Des procédures solides et transculturelles d’établissement des caractéristiques des sujets peuvent permettre de faciliter la recherche, la formation et la communication des professionnels de santé mentale de différentes cultures. Elles sont également utiles pour aider les cliniciens dans l’évaluation de la santé des nombreux enfants réfugiés ou immigrants. La présente étude a été mise au point afin de tester les variations interculturelles de syndromes pour douze cultures (Crijnen A., Achenbach T., Verhulst F. Problems reported by parents of children in multiple cultures : the child behavior checklist syndrome construct. American Journal of Psychiatry 1999 ; 156 : 569-74). En comparant toutes les cultures avec le même outil d’analyse, l’intention des auteurs était d’identifier celles qui dévient significativement d’un score moyen omniculturel pour chaque syndrome. Les Child behavior checklists ont été analysés pour 13 700 enfants et adolescents de 6 à 17 ans, issus de la population générale d’Autriche, de Belgique, de Chine, d’Allemagne, de Grèce, d’Israël, de la Jamaïque, des PaysBas, de Porto Rico, de Suède, de Thaïlande et des États-Unis. Les problèmes comportementaux et émotionnels des enfants étaient rapportés par les parents et concernaient 8 syndromes. Les effets et les interactions de l’âge et du sexe ont également été pris en compte dans les calculs. Neuf de ces cultures ont fourni les données permettant d’étudier les 8 syndromes dans les 4 groupes d’âge et pour les deux sexes. Les études belge, chinoise et grecque n’incluant pas suffisamment d’adolescents, leurs données n’ont été prises en compte que dans les deux groupes d’âge inférieur (6-8 ans et 9-11 ans). Les ANOVAS ont révélé des effets significatifs de la culture pour chacun des 8 syndromes : des effets modérés pour le repli et les problèmes sociaux, des effets de faible amplitude pour les plaintes somatiques, les problèmes anxieux ou dépressifs, les problèmes de pensée, d’attention, les comportements délinquants et agressifs. Les scores des enfants portoricains étaient les plus élevés, cependant que les Suédois avaient les scores les plus bas pour presque tous les syndromes. Toutefois, les différences entre ces deux populations reflètent peutêtre des différences d’échantillonnage : la population portoricaine provenait de toute l’île, cependant que l’échantillon suédois provenait uniquement des régions de Stockholm et d’Uppsala, et le niveau socio-économique du groupe suédois était supérieur. Les filles avaient des scores plus élevés que les garçons en ce qui concerne les plaintes somatiques, les troubles anxieux et dépressifs, mais des scores plus faibles pour les problèmes 69 attentionnels, les comportements délinquants et agressifs, et ce avec une grande stabilité transculturelle. Quoique remarquablement cohérentes à travers les cultures, les caractéristiques développementales variaient selon le syndrome. Les différences dans les scores relativement faibles observées parmi les douze cultures indiquent qu’une évaluation standardisée empirique est possible et peut fournir aux cliniciens une base solide pour évaluer les scores des différents syndromes obtenus par des enfants de cultures diverses. Il est toutefois indispensable d’intégrer la connaissance des variations interculturelles des différents syndromes, de garder à l’esprit les variations possibles dans l’estimation des problèmes d’un enfant (des parents de cultures différentes peuvent avoir des critères différents pour rapporter des types de problèmes particuliers) et de se renseigner sur les caractéristiques familiales, pour juger de la nécessité d’une intervention. Mots clés : Culture - Enfance. Comparaisons interculturelles des symptômes dépressifs chez les personnes âgées en Europe (CEE) Que les personnes âgées soient généralement déprimées, misérables et fatiguées est une opinion largement répandue en Europe, tant auprès des services de soin et d’aide sociale que de la population générale. Il est aisé de croire que les personnes âgées n’ont pas grand-chose à attendre de l’avenir, qu’elles ont peu de centres d’intérêt et que leurs activités sont restreintes par des niveaux divers de douleur et d’incapacité. Cette attitude encourage un certain pessimisme thérapeutique et une demande de Revue de presse redistribution des ressources vers ceux qui sont supposés pouvoir en retirer plus de bénéfice. La dépression et la démence sont les deux maladies mentales les plus importantes de la fin de vie. Toutes deux sont destructrices de la qualité de vie. La dépression n’est toutefois pas totalement répandue, en ce sens qu’elle affecte entre 9 et 24 % des personnes de plus de 65 ans, comme montré par une étude initiée par les communautés européennes (programme Biomed). De 76 à 91 % des personnes âgées n’ont à aucun moment souffert de dépression. Toutefois, il est possible qu’une proportion substantielle de symptômes dépressifs puisse être constatée chez des sujets que les médecins ont considérés comme ne nécessitant pas de traitement. S’il existe en Europe des différences culturelles dans l’expression de la dépression, susceptibles de rendre plus difficile sa mise en évidence, il est important de les identifier. Les auteurs de cet article ont étudié la prévalence et la distribution des symptômes dépressifs dans les centres européens participant au programme Eurodep (Copeland J., Beekman A., Dewey M. et coll. Cross-cultural comparison of depressive symptoms in Europe does not support stereotypes of ageing. British Journal of Psychiatry 1999 ; 174 : 322-9). Ils se sont intéressés aux personnes âgées de 65 ans et plus, classées ou non comme dépressives, et ont essayé de répondre aux questions suivantes : la proportion de symptômes dépressifs dans ces populations est-elle élevée ? Existe-t-il des différences dans la distribution des symptômes parmi les personnes dépressives de différents pays d’Europe ? Peut-on identi- fier un ensemble de symptômes qui seraient communs à tous les sujets dans tous les centres ? Enfin, la prévalence des symptômes dépressifs augmente-telle avec l’âge ? Neuf centres ont participé à l’étude (un aux Pays-Bas, 2 en Allemagne, 2 en Grande-Bretagne, 2 en Espagne, un en Irlande et un en Islande). La proportion de symptômes dépressifs variait considérablement selon les centres. Beaucoup de symptômes étaient plus fréquents chez les femmes, et les symptômes clairement identifiés comme souvent associés à l’âge étaient rares. Dans les centres présentant une faible prévalence, les symptômes étaient également moins nombreux chez les sujets “en bonne santé”, mais on observait quelques contradictions. Ainsi, des taux faibles de symptômes parmi la population bien portante ne prédisaient pas nécessairement des taux plus faibles chez les déprimés. Il n’y avait pas de consensus entre les centres en ce qui concerne l’augmentation de prévalence de la dépression avec l’âge. Dans certains centres seulement, la prévalence de symptômes dépressifs augmentait avec l’âge, mais non la dépression diagnostiquée. Peu parmi les nondéprimés considéraient que la vie ne vaut pas d’être vécue. Pour plus de 60 % des personnes âgées de la population générale, les taux de symptômes dépressifs étaient faibles, les stéréotypes concernant l’âge ne sont donc pas confirmés. Il faut toutefois garder à l’esprit que la population rurale n’était pas bien représentée dans l’échantillonnage. Mots clés : Vieillissement - Culture Europe - Dépression. Pour en savoir plus ➙ Cheng A,. Chang J. Mental health aspects of culture and migration. Current Opinion in Psychiatry 1999 ; 12 : 217-22. Des études récentes suggèrent que le support social et l’intégration culturelle, plutôt que l’acculturation, constituent des facteurs protecteurs pour les immigrants. ➙ Iancu I., Spivak B., Mester R. Weizman A. Belief in transmigration of the soul and psychopathology in Israeli Druze. Psychopathology 1998 ; 31 : 52-8. Une des croyances centrales de la religion druze est la transmigration de l’âme. Dans de rares cas, comme ceux présentés dans cet article, cette croyance peut être reliée à une psychopathologie ou provoquer une incapacité temporaire à fonctionner normalement. ➙ Kirov G. Murray R. Ethnic differences in the presentation of bipolar affective disorder. Eur Psychiatry 1999 ; 14 199204. Une étude des caractéristiques cliniques de trois groupes ethniques (anglais, afrocaraïbes, africain) de patients traités par le lithium. ➙ Harrison G., Amin S., Singh P. et coll. Outcome of psychosis in people of african-carribean family origin. British Journal of Psychiatry 1999 ; 175 :43-9. Le but des auteurs était de tester l’hypothèse, non confirmée par leur étude, selon laquelle les nombreux cas de psychose rapportés parmi les populations afro-caraïbes vivant en Grande-Bretagne pourraient être le fait d’un excès de psychoses affectives avec un pronostic favorable. Le thème de la revue de presse du mois d’avril sera : Alcool et psychopathologie Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) - n° 3 - mars 2000 70