JANV 98 MEP 27/04/04 14:07 Page 3564 Point de vue Autour de la mort M. Simonet (Caen) J e souhaite évoquer deux ouvrages traitant de l’Ethique de la fin de vie et du deuil en me situant du point de vue du psychiatre consultant dans un centre anticancéreux. En acceptant cette vacation, mon projet était d’être utile en traitant tel état dépressif lié à l’annonce du diagnostic ou d’une rechute, voire des états dissociatifs ou franchement délirants. Je n’imaginais pas que mon travail allait surtout être de parler des per tes, des deuils (du latin “dolore” souffrir). Décès annoncés des patients, ou uniquement craints, ou de leurs proches (parents, mari, femme) deuils symboliques ou réels. Lors de mon mémoire de psychiatrie qui avait porté sur l’analyse des certificats de décès des personnes suicidées, j’avais déjà rencontré le risque mortel que constitue la disparition d’un être proche (suicide des veufs et veuves dans les deux premières années du veuvage). M. Hanus et P. Cornillot (1) insistent sur le risque élevé de maladie physique ou psychique chez l’enfant ou l’adulte confronté à un deuil. Le développement psychologique et les grandes fonctions somatiques sont statistiquement fortement touchés. La synthèse prudente, qu’en fait P. Cornillot, nous donnerait envie de croire que telle pathologie (cardiovasculaire, AVC, maladie de peau) a pour origine le décès. En tout état de cause, cette approche n’est pas homogène avec la vérité du patient que j’ai en face de moi pour qui son cancer sera la conséquence de la souffrance que le défunt lui impose (comme s’il lui jetait sa mort à la figure) ou la conséquence de sa faiblesse, de son anxiété maladive... Et se mêlent l’histoire du cancer et ses récidives avec l’histoire de la famille du patient (décès antérieur par cancer, décès simultanés à la découverte du cancer, conflits intrafamiliaux...). Ces situations sont difficilement dénouables. Tout d’abord parce que la mort est niée par la société. Ce refoulement favorise l’éclosion massive de deuils pathologiques (remarquablement décrits par M.F. Bacque) (2). Le travail de deuil ne peut se faire que s’il s’appuie sur des structures sociales ou spirituelles solides (J. Kammerer) (3). Les premières consultations serviront, dans ce cas, à repérer les références culturelles chez le patient par rapport au processus de deuil afin de faciliter la mise en place des rituels relatifs aux décès des proches. Ce travail a pour but de désintriquer le vécu du deuil (d’un proche) du travail de deuil lié à la maladie cancéreuse. Parfois, l’annonce d’un cancer a un effet de sidération de souffle tel que le patient peut, pendant des mois, être dans un état de stress post-traumatique aigu. Ce sera là Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 206, janvier 1998 3564 plus un travail de “debriefing psychologique” afin de faire remonter les émotions vécues. Le cancer lui-même est une agression somatique et psychique qui équivaut, pour le malade, à la révélation, au sentiment palpable, que sa vie est en jeu, qu’il peut mourir même si ce sentiment est fugace, repoussé, dénié, vécu avec culpabilité (même si la guérison est certaine). Souvent les patients se satisfont de ce déni. Mais comme l’explique L.V. Thomas (4) : effacer les traces de la mort, c’est la mort des traces... La perte des repères intimes pour ce malade qui aura à se mobiliser avec lucidité pour traverser le cancer et reprendre une vie. Ne pas accepter la mort pour ce qu’elle est : de notre condition humaine, c’est se livrer désincarné à une médecine technicienne. Notre mort ne sera plus qu’un échec d’un progrès médical dont d’autres pourront bénéficier, grâce à nos souffrances, à l’acharnement thérapeutique dont nous sommes victimes. De façon répétitive, au cours de nombreux entretiens, les patients évoquent la crainte de la douleur, de l’acharnement thérapeutique. Apparaît alors la question de leur dignité avec comme seule solution envisagée par le malade de la bonne mort ou euthanasie. “Mais on ne peut plus longtemps cacher l’essentiel, même refoulée la mort est toujours une incontournable violence et il faut faire avec” (5). “Ce faire avec” a un effet de cadre et ouvre un remarquable chapitre sur l’approche juridique de la mort (Neirinck Claire (6) Université Droit Toulouse I). La société a beaucoup légiféré sur la mort. Ces lois ont un impact tel sur notre pratique “qu’une réponse législative sur l’euthanasie serait barbare en droit français alors qu’elle peut ne pas l’être dans d’autres systèmes législatifs”. Là s’opposent le monde romain marqué par le message judéo-chrétien et le système anglo-saxon (par exemple les PaysBas qui ont légiféré sur l’euthanasie de compassion mais qui imposent de fait un JANV 98 MEP 27/04/04 14:07 Page 3565 modèle citoyen de bonne conduite euthanasique aux personnes en proie à une lente agonie). En clinique, au fil de l’évolution de la maladie des patients, nous voyons les changements se faire. Les positions tranchées sur le “testament de vie, le droit à l’euthanasie” n’ont rien à voir avec l’évaluation que fait le même patient à la fin de sa vie sur ce qu’il juge acceptable comme qualité de vie. A la condition bien sûr que des soins palliatifs soient réellement apportés à cette personne. De ce point de vue, l’ouvrage “Ethique et fin de vie” est d’une aide précieuse. Fruit de la réflexion d’un groupe de travail du centre régional d’éthique (MidiPyrénées), sous la direction du Dr Marmet, chef de service d’une unité de soins palliatifs, cet ouvrage interroge notre pratique que l’on soit en cancérologie, chirurgie ou... psychiatrie. Son propos dépasse largement le problème de la fin de vie et interroge notre position éthique face à tout homme souffrant. Mon vécu personnel est que la mise en place des soins palliatifs n’évacue pas la question du sens de la souffrance, de la maladie. Dans cet ouvrage, Pascal Dupont (7), philosophe, nous rappelle à propos des nécessaires traitements antalgiques que la douleur prolongée se redouble en souffrance car elle perturbe la présence au monde du sujet, elle affecte la qualité même de l’acte d’exister, elle rompt les liens avec son semblable. Comment alors faire du lien entre l’être et sa souffrance ? D’après P. Dupont (7) citant Ricoeur et Levinas, la souffrance est “réfractaire à la conscience”, elle provoque “une dissolution” de la conscience d’être à soi-même et aux autres. Mais cette souffrance est appel. Si elle reçoit une réponse, si elle est écoutée “alors naît ce que Levinas appelle la socialité” (n’est-ce pas une bonne définition des soins en psychiatrie ?). A condition d’éviter que l’acte de soin palliatif ne soit aussi une façon de fuir le lieu, la présence soignante. Sinon le symptôme resurgira déplacé et perturbant. Cette attention à la souffrance, en évitant l’activisme technique et sa limite extrême l’euthanasie, permet avec compassion de redonner le statut de sujet au malade en ouvrant un espace de parole et de symbolisation. Ce pladoyer, axe-central des deux ouvrages évoqués (d’un côté la mort et les deuils, de l’autre la souffrance), permet d’espérer être utile en allant faire de la liaison (de la psychiatrie de...) chez nos confrères somaticiens. Retrouver le sujet à la place de l’organe ce serait peut-être retrouver la Médecine à la place de la Spécialité. Comment exiger de nos confrères qu’ils le fassent, que le psychiatre ne soit plus convoqué pour être l’âme manquant au technicien. Références 1) Parlons de la mort et du deuil : P. Cornillot, M. Hanus, Ed. Frison Roche, 1997. Les enfants en deuil. Morts et maladie du deuil. 2) In Parlons de la mort et du deuil. Vivre un deuil à l’âge adulte. M.F. Bacque. 3) Deuil et spiritualité : J. Kammerer. 4) In Parlons de la mort et du deuil. 5) In Ethique et fin de vie. Th. Marmet, Erès, 1997. 6) In Ethique et fin de vie. 7) In Ethique et fin de vie. La souffrance a-telle un sens ? L’homme malade et souffrant perd-t-il sa dignité ? Livres Des idées de Jackson à un modèle organo-dynamique en psychiatrie Henri Ey L'Harmattan, collection “Psychanalyse et civilisations”, Paris, 1997, 308 pages. Les passions du corps . La Psyché dans les addictions et les maladies auto-immunes : possessions et conflits d'altérité Gérard Pirlot PUF, le fil rouge, Paris, 1997, 323 pages. Au-delà du rationalisme morbide Eugène Minkowski L'Harmattan, “Psychanalyse et Civilisations”, Paris, 1997, 260 pages. Dictionnaire fondamental de la psychologie Larousse, “In Extenso”, Paris, 1997, 1440 pages. Les livres suivants sont tous édités par l’Institut Synthélabo pour le progrès de la connaissance, “Les Empêcheurs de Penser en Rond”, Distributeur : Distique - 1997 Henri Ey, 1900-1977, Cinquante ans de psychiatrie en France Patrick Clervoy Bergson et les neurosciences Sous la direction de Philippe Gallois et Gérard Forzy Bien que mon amour soit fou - Erotomanies : du regard à une écoute Benoît Dalle, Yves Edel et Alejandro Fernandez Ne craignez rien, Docteur, je ne vous ferai aucun mal Didier Weil Dis-moi comment tu dors. 12 000 personnes témoignent de leurs habitudes de sommeil en France, en Grande-Bretagne et au Québec. Maurice Ohayon et la collaboration de Catherine Bousquet 3565 ERRATUM Dans la mise au point du n° 204 de novembre 1997 intitulée : “Activation du processus familial en thérapie systémique”, l'auteur, Christian Legendre, nous signale deux erreurs dans l'introduction page 3496 : à la première ligne il fallait lire systémique et non systématique et 13 lignes avant la fin du paragraphe : observacteur et non observateur. Dans la 2e partie (parue page 3550 du n° 205 de décembre), le sous-titre Technique de supervision ne s'applique qu'au test de liberté. La Rédaction prie les lecteurs de bien vouloir excuser ces inexactitudes.