P o i n t d e ... Autour de la mort

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JANV 98 MEP
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Point de vue
Autour de la mort
M. Simonet (Caen)
J
e souhaite évoquer deux
ouvrages traitant de
l’Ethique de la fin de vie et
du deuil en me situant du
point de vue du psychiatre
consultant dans un centre
anticancéreux. En acceptant cette vacation, mon
projet était d’être utile en
traitant tel état dépressif lié
à l’annonce du diagnostic
ou d’une rechute, voire des
états dissociatifs ou franchement
délirants.
Je
n’imaginais pas que mon
travail allait surtout être de
parler des per tes, des
deuils (du latin “dolore”
souffrir). Décès annoncés
des patients, ou uniquement craints, ou de leurs
proches (parents, mari,
femme) deuils symboliques
ou réels.
Lors de mon mémoire de psychiatrie qui
avait porté sur l’analyse des certificats de
décès des personnes suicidées, j’avais
déjà rencontré le risque mortel que constitue la disparition d’un être proche (suicide
des veufs et veuves dans les deux premières années du veuvage).
M. Hanus et P. Cornillot (1) insistent sur
le risque élevé de maladie physique ou
psychique chez l’enfant ou l’adulte
confronté à un deuil. Le développement
psychologique et les grandes fonctions
somatiques sont statistiquement fortement touchés. La synthèse prudente,
qu’en fait P. Cornillot, nous donnerait
envie de croire que telle pathologie (cardiovasculaire, AVC, maladie de peau) a
pour origine le décès.
En tout état de cause, cette approche n’est
pas homogène avec la vérité du patient
que j’ai en face de moi pour qui son cancer sera la conséquence de la souffrance
que le défunt lui impose (comme s’il lui
jetait sa mort à la figure) ou la conséquence de sa faiblesse, de son anxiété
maladive...
Et se mêlent l’histoire du cancer et ses
récidives avec l’histoire de la famille du
patient (décès antérieur par cancer, décès
simultanés à la découverte du cancer,
conflits intrafamiliaux...).
Ces situations sont difficilement
dénouables. Tout d’abord parce que la
mort est niée par la société. Ce refoulement favorise l’éclosion massive de deuils
pathologiques (remarquablement décrits
par M.F. Bacque) (2). Le travail de deuil
ne peut se faire que s’il s’appuie sur des
structures sociales ou spirituelles solides
(J. Kammerer) (3).
Les premières consultations serviront,
dans ce cas, à repérer les références culturelles chez le patient par rapport au processus de deuil afin de faciliter la mise en
place des rituels relatifs aux décès des
proches. Ce travail a pour but de désintriquer le vécu du deuil (d’un proche) du travail de deuil lié à la maladie cancéreuse.
Parfois, l’annonce d’un cancer a un effet
de sidération de souffle tel que le patient
peut, pendant des mois, être dans un état
de stress post-traumatique aigu. Ce sera là
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 206, janvier 1998
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plus un travail de “debriefing psychologique” afin de faire remonter les émotions
vécues.
Le cancer lui-même est une agression
somatique et psychique qui équivaut, pour
le malade, à la révélation, au sentiment
palpable, que sa vie est en jeu, qu’il peut
mourir même si ce sentiment est fugace,
repoussé, dénié, vécu avec culpabilité
(même si la guérison est certaine).
Souvent les patients se satisfont de ce
déni. Mais comme l’explique L.V.
Thomas (4) : effacer les traces de la mort,
c’est la mort des traces...
La perte des repères intimes pour ce malade qui aura à se mobiliser avec lucidité
pour traverser le cancer et reprendre une
vie.
Ne pas accepter la mort pour ce qu’elle est
: de notre condition humaine, c’est se
livrer désincarné à une médecine technicienne. Notre mort ne sera plus qu’un
échec d’un progrès médical dont d’autres
pourront bénéficier, grâce à nos souffrances, à l’acharnement thérapeutique
dont nous sommes victimes.
De façon répétitive, au cours de nombreux entretiens, les patients évoquent la
crainte de la douleur, de l’acharnement
thérapeutique.
Apparaît alors la question de leur dignité
avec comme seule solution envisagée par
le malade de la bonne mort ou euthanasie.
“Mais on ne peut plus longtemps cacher
l’essentiel, même refoulée la mort est toujours une incontournable violence et il
faut faire avec” (5).
“Ce faire avec” a un effet de cadre et ouvre
un remarquable chapitre sur l’approche
juridique de la mort (Neirinck Claire (6)
Université Droit Toulouse I).
La société a beaucoup légiféré sur la mort.
Ces lois ont un impact tel sur notre pratique “qu’une réponse législative sur l’euthanasie serait barbare en droit français
alors qu’elle peut ne pas l’être dans
d’autres systèmes législatifs”.
Là s’opposent le monde romain marqué
par le message judéo-chrétien et le système anglo-saxon (par exemple les PaysBas qui ont légiféré sur l’euthanasie de
compassion mais qui imposent de fait un
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modèle citoyen de bonne conduite euthanasique aux personnes en proie à une
lente agonie).
En clinique, au fil de l’évolution de la
maladie des patients, nous voyons les
changements se faire. Les positions tranchées sur le “testament de vie, le droit à
l’euthanasie” n’ont rien à voir avec l’évaluation que fait le même patient à la fin de
sa vie sur ce qu’il juge acceptable comme
qualité de vie.
A la condition bien sûr que des soins palliatifs soient réellement apportés à cette
personne.
De ce point de vue, l’ouvrage “Ethique et
fin de vie” est d’une aide précieuse. Fruit
de la réflexion d’un groupe de travail du
centre régional d’éthique (MidiPyrénées), sous la direction du Dr
Marmet, chef de service d’une unité de
soins palliatifs, cet ouvrage interroge
notre pratique que l’on soit en cancérologie, chirurgie ou... psychiatrie. Son propos dépasse largement le problème de la
fin de vie et interroge notre position
éthique face à tout homme souffrant.
Mon vécu personnel est que la mise en
place des soins palliatifs n’évacue pas la
question du sens de la souffrance, de la
maladie.
Dans cet ouvrage, Pascal Dupont (7), philosophe, nous rappelle à propos des
nécessaires traitements antalgiques que la
douleur prolongée se redouble en souffrance car elle perturbe la présence au
monde du sujet, elle affecte la qualité
même de l’acte d’exister, elle rompt les
liens avec son semblable.
Comment alors faire du lien entre l’être et
sa souffrance ?
D’après P. Dupont (7) citant Ricoeur et
Levinas, la souffrance est “réfractaire à la
conscience”, elle provoque “une dissolution” de la conscience d’être à soi-même
et aux autres. Mais cette souffrance est
appel.
Si elle reçoit une réponse, si elle est écoutée “alors naît ce que Levinas appelle la
socialité” (n’est-ce pas une bonne définition des soins en psychiatrie ?).
A condition d’éviter que l’acte de soin
palliatif ne soit aussi une façon de fuir le
lieu, la présence soignante. Sinon le
symptôme resurgira déplacé et perturbant.
Cette attention à la souffrance, en évitant
l’activisme technique et sa limite extrême
l’euthanasie, permet avec compassion de
redonner le statut de sujet au malade en
ouvrant un espace de parole et de symbolisation.
Ce pladoyer, axe-central des deux
ouvrages évoqués (d’un côté la mort et les
deuils, de l’autre la souffrance), permet
d’espérer être utile en allant faire de la
liaison (de la psychiatrie de...) chez nos
confrères somaticiens. Retrouver le sujet
à la place de l’organe ce serait peut-être
retrouver la Médecine à la place de la
Spécialité. Comment exiger de nos
confrères qu’ils le fassent, que le psychiatre ne soit plus convoqué pour être
l’âme manquant au technicien.
Références
1) Parlons de la mort et du deuil : P. Cornillot,
M. Hanus, Ed. Frison Roche, 1997. Les enfants
en deuil. Morts et maladie du deuil.
2) In Parlons de la mort et du deuil. Vivre un
deuil à l’âge adulte. M.F. Bacque.
3) Deuil et spiritualité : J. Kammerer.
4) In Parlons de la mort et du deuil.
5) In Ethique et fin de vie. Th. Marmet, Erès,
1997.
6) In Ethique et fin de vie.
7) In Ethique et fin de vie. La souffrance a-telle un sens ? L’homme malade et souffrant
perd-t-il sa dignité ?
Livres
Des idées de Jackson à un modèle organo-dynamique en psychiatrie
Henri Ey
L'Harmattan, collection “Psychanalyse et civilisations”, Paris, 1997, 308 pages.
Les passions du corps . La Psyché dans les
addictions et les maladies auto-immunes :
possessions et conflits d'altérité
Gérard Pirlot
PUF, le fil rouge, Paris, 1997, 323 pages.
Au-delà du rationalisme morbide
Eugène Minkowski
L'Harmattan, “Psychanalyse et Civilisations”,
Paris, 1997, 260 pages.
Dictionnaire fondamental de la psychologie
Larousse, “In Extenso”, Paris, 1997, 1440 pages.
Les livres suivants sont tous édités par l’Institut
Synthélabo pour le progrès de la connaissance, “Les
Empêcheurs de Penser en Rond”, Distributeur :
Distique - 1997
Henri Ey, 1900-1977, Cinquante ans de psychiatrie en France
Patrick Clervoy
Bergson et les neurosciences
Sous la direction de Philippe Gallois et Gérard
Forzy
Bien que mon amour soit fou - Erotomanies : du
regard à une écoute
Benoît Dalle, Yves Edel et Alejandro Fernandez
Ne craignez rien, Docteur, je ne vous ferai aucun
mal
Didier Weil
Dis-moi comment tu dors. 12 000 personnes témoignent de leurs habitudes de sommeil en France, en
Grande-Bretagne et au Québec.
Maurice Ohayon et la collaboration de Catherine Bousquet
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ERRATUM
Dans la mise au point du n° 204 de
novembre 1997 intitulée : “Activation du
processus familial en thérapie systémique”,
l'auteur, Christian Legendre, nous signale
deux erreurs dans l'introduction page 3496 :
à la première ligne il fallait lire systémique et
non systématique et 13 lignes avant la fin du
paragraphe : observacteur et non observateur.
Dans la 2e partie (parue page 3550 du n° 205
de décembre), le sous-titre Technique de
supervision ne s'applique qu'au test de liberté. La Rédaction prie les lecteurs de bien
vouloir excuser ces inexactitudes.
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