La guerre de course en récits (XVIe-XVIIIes). Terrains, corpus, séries
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disponible sur la littérature barbaresque2. Les trémolos des uns se joignent aux intérêts
économiques, politiques et diplomatiques des autres. Récits de captifs, voyages, cosmographies,
correspondances épistolaires, relations diplomatiques, canards, histoires, polémiques politiques,
mémoires, nourrissent et façonnent cet imaginaire double d’une Barbarie à la fois répulsive et
attractive. Des bribes éparses de cette hantise du Barbare sont disséminées jusque dans les
dédicaces d’ouvrages dont le contenu, sans rapport avec l’Orient, exhorte ou non le roi à agir contre
le fléau barbaresque.
A défaut d’exhaustivité, un échantillonnage aussi représentatif que possible permettra
d’envisager l’empreinte fixée dans l’imaginaire, celui du captif chrétien et du barbaresque, polarisé
en partie autour de ce miroir aux affects haineux. La représentation de l’autre servie par ce miroir
qu’est l’écriture3, épiphanie d’autrui, autorise la saisie d’une certaine représentation de l’autre,
modelée par l’effet de texte et la persuasion oratoire. Il conviendra de repérer une rhétorique de
l’altérité à l’œuvre dans le texte afin de rassembler « les règles opératoires de la fabrication de
l’autre4 » et de cerner cette fausse intelligibilité du faire voir, faire croire, par le prisme de ces
miroirs déformants. La mise en scène des affects haineux participe de cette dynamique de
l’exécration contre le « Turc », pourtant non uniforme, que favorise l’image du captif souffrant.
L’intentionnalité religieuse des sources centrées sur l’Empire ottoman est servie par cette écriture
d’action, attachée à la résurrection d’un mythe de croisade arrivé au XVIIe siècle, pense-t-on
aujourd’hui, à résipiscence.
Deux interprétations historiennes s’opposent à cet égard : celle d’Alphonse Dupront qui
étudie la culture de l’antagonisme entre chrétiens et musulmans par ce mythe de croisade5, sans
cesse réactivée sur une longue durée et celle de Géraud Poumarède qui estime que ce mythe ne
s’exprime plus que dans une « rhétorique désincarnée »6, adoptée par les politiques selon leurs
intérêts. La stratégie politique serait ainsi privilégiée au détriment de la croyance religieuse. Or cette
écriture pragmatique du politique s’exprime, dans le premier XVIIe siècle, par une opposition entre
les « Bons catholiques », défenseurs de la primauté du religieux et les « Bons Français », favorables
des cruels tourmens qu’endurent les Chrestiens Captifs parmy ces Infideles, seconde édition, Paris, Pierre Rocolet,
1649, in-4°, pp. 316-317, BnF M-19637.
2 Guy Turbet-Delof, Bibliographie Critique du Maghreb dans la littérature française (1532-1715), Publications de la
Bibliothèque nationale, S.N.E.D, Alger, 1976, 298p. Réédition en préparation dans la collection Mediterranea
(http://www.oroc-crlc.paris-sorbonne.fr/index.php/visiteur/Projet-CORSO/Publications)
3 Alexandra Merle, Le miroir ottoman. Une image politique des hommes dans la littérature géographique espagnole et
française (XVI-XVIIe siècles), Paris, PUPS, 2003, 283p.
4 François Hartog, Le miroir d’Hérodote. Essai sur la représentation de l’autre, Paris, Gallimard, Folio Histoire, 2001,
p. 328.
5 Alphonse Dupront, Le Mythe de croisade, Paris, Gallimard, 1997, 4 vol.
6 Géraud Poumarède, Pour en finir avec la croisade : mythe et réalité de la lutte contre les Turcs aux XVIe- XVIIe siècle,
Paris, PUF, 2004, p. 619.