C A S C L I N I Q U E Ostéosarcome primitif du sein. Revue de la littérature à propos d'un cas Primary osteosarcoma of the breast. A case report and review of the literature ● P. Beuzeboc*, S. Ropert*, A. Vincent-Salomon**, J. Couturier***, K. Clough****, X. Sastre**, P. Pouillart* RÉSUMÉ. L’ostéosarcome primitif du sein représente une entité très rare, caractérisée par l'absence habituelle d'atteinte ganglionnaire axillaire et par un mauvais pronostic lié à une diffusion hématogène rapide. La mastectomie représente le traitement standard local. Les données actuelles justifient une chimiothérapie adjuvante en cas de tumeur volumineuse survenant chez une patiente jeune. Mots-clés : Sarcome du sein - Ostéosarcome extra-osseux - Ostéosarcome primitif du sein. ABSTRACT. Primary osteosarcoma of the breast is a very rare disease, usually associated with an absence of axillary lymph node involvement, a poor prognosis due to the early metastatic spread. The mastectomy is the standard local treatment. At the present time, an adjuvant chemotherapy is indicated in case of large tumor in young patients. Keywords: Breast sarcoma - Extraosseous osteosarcoma - Primary osteosarcoma of the breast. es ostéosarcomes extrasquelettiques sont définis comme des tumeurs mésenchymateuses malignes produisant de l’os ou du tissu ostéoïde néoplasique survenant dans des tissus mous sans os sous-jacent (1). La plupart des tumeurs mammaires avec différenciation osseuse correspondent à des carcinomes métaplasiques avec composante hétérologue sarcomateuse osseuse ou à des tumeurs phyllodes malignes. Les ostéosarcomes primitifs du sein sont très rares et doivent être distingués des sarcomes radio-induits après traitement de cancer du sein, qui peuvent être de nature ostéogénique (2-4). La prévalence des sarcomes primitifs non phyllodes du sein représente moins d’un pour cent de toutes les tumeurs malignes mammaires (5, 6) et, parmi ces sarcomes, les ostéosarcomes primitifs du sein ne constituent qu’une faible proportion. L’incidence exacte de l'ostéosarcome primitif du sein est incertaine, mais la majorité des auteurs la situent autour de 0,2-0,3 % des cancers du sein ( 7 ). Dans une série de la Mayo Clinic, récemment publiée, de 55 sarcomes primitifs du sein, Blanchard et al. (8) relevaient trois cas. Dans la série rétrospective de 59 sarcomes primitifs non phyllodes enregistrés en 40 ans au M.D. Anderson (9), il était également retrouvé trois cas d’ostéosarcomes. Dans les données du Los Angeles Tumor Center (10), les sarcomes représentaient L * Département d'oncologie médicale ; ** département d'anatomopathologie ; *** unité de cytogénétique ; **** département de chirurgie, Institut Curie, 26, rue d'Ulm, 75005 Paris. La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - n° 2 - mars-avril 2004 0,24 % de toutes les tumeurs malignes du sein et, parmi ces sarcomes 12,5 % étaient de nature ostéogénique. Zelek (11) a rapporté deux cas dans une série rétrospective de 83 patientes de l’IGR entre 1954 et 1991. OBSERVATION Nous rapportons le cas d’une patiente sans antécédents particuliers, opérée en février 1998, à l’âge de 64 ans, d’un volumineux nodule du sein droit mesurant 6 cm. Sur la mammographie, il se présentait sous forme d’une image bilobée, et sur l’échographie comme une lésion mixte liquidienne et solide. La cytologie du liquide ne montrait pas d’anomalies suspectes. L’histologie de la pièce opératoire concluait à une tumeur phyllode de grade II à développement intrakystique d’exérèse complète. Un caryotype réalisé dans le cadre d’un programme de recherche avait montré la présence d’un clone hyperdiploïde complexe, témoin d’une tumeur très évoluée sur le plan génétique. L’hybridation génomique comparative (CGH) montrait des déséquilibres chromosomiques, mais aucune des anomalies caractérisant les tumeurs phyllodes, gain de 1q, pertes de 3p et de 6q (12). En octobre 1999, la patiente est réopérée en raison de la réapparition d’une masse de 7 x 6 cm au niveau du sein droit évoluant depuis mai 1999. La mammographie montrait un nodule calcifié de 32 mm de diamètre, qui, déjà en mai 1999, apparaissait bien limité, calcifié et mesurait 18 mm de diamètre. Le scanner thoracique préopératoire était normal. Sur la pièce de tumorectomie 81 C A S C L I N I était porté le diagnostic d’ostéosarcome ostéoblastique correspondant vraisemblablement à la récidive de la tumeur phyllode ayant évolué en un authentique sarcome. L’examen macroscopique montrait une tumeur arrondie très dure mesurant 5,5 x 5 cm. Histologiquement, la tumeur présentait un aspect homogène, avec des travées d’os tumoral et d’ostéoïde néoplasique plus ou moins épaisses, bordées d’ostéoblastes tumoraux à l’index mitotique élevé (16 mitoses pour 10 champs au grossissement 400) sans secteur de nécrose ; il n’était pas observé de contingent épithélial ni de contingent sarcomateux fusiforme ou chondroblastique. Une mastectomie avec curage a été réalisée dans un deuxième temps : il n’a pas été retrouvé de tissu tumoral résiduel ni d’atteinte ganglionnaire. La patiente a ensuite reçu six cycles d’une chimiothérapie adjuvante selon le protocole ostéosarcome en cours à l’Institut Curie (OS 5) (sans méthotrexate compte tenu de l’âge) associant en alternance toutes les trois semaines de la doxorubicine (70 mg/m2) et du cisplatine (100 mg/m2) avec du cyclophosphamide à fortes doses (4 g/m2) avec du mesnum et sous couvert de G-CSF. En octobre 2003, lors du bilan à quatre ans, la patiente est toujours en rémission complète avec un examen clinique, une mammographie controlatérale et une radiographie pulmonaire normaux. DISCUSSION Les données rapportées dans la littérature concernent essentiellement le diagnostic, peu les traitements et le suivi. Le traitement optimal reste toujours à définir. Une soixantaine de cas ont été publiés depuis 1950 selon une revue générale récente (13), la plupart sous forme de cas isolés (14-19). L'âge moyen est de 64 ans, ce qui est très différent du cas des ostéosarcomes osseux. La majorité des tumeurs sont volumineuses (mesurant de 5 à 25 cm, en moyenne 10 cm), mais sans métastases axillaires. Une élévation des phosphatases alcalines peut être présente, régressant après la chirurgie. À la mammographie, la tumeur se présente sous forme d'une lésion dense calcifiée. Ces macrocalcifications retrouvées sur des mammographies antérieures ont parfois été considérées comme bénignes… Curiosité également, cette tumeur peut fixer à la scintigraphie au phosphate de technétium. L’examen histologique montre des aspects variés. Les tumeurs présentent le plus souvent un contingent sarcomateux à cellules fusiformes avec des atypies nucléaires marquées et, en revanche, un index mitotique variable. Les tumeurs avec différenciation chondroïde sont plus rares que celles avec différenciation osseuse. Il n’existe pas de contingent de différenciation épithéliale, ni en morphologie standard, ni après étude immunohistochimique à l’aide de marqueurs de différenciation épithéliale. Il s'agit en règle de tumeurs de haut grade ou de grade intermédiaire. La différenciation est importante à prendre en compte, considérer car les ostéosarcomes fibroblastiques ont une meilleure survie que les autres types histologiques. 82 Q U E ✓ Leur histogenèse ainsi que leur rapport à d’autres lésions ne sont pas clairs. Dans la majorité des cas, il n'existe pas d'antécédent particulier, mais il faut relever que 6 % des patientes présentent un antécédent de traumatisme du sein. Il a été décrit des ostéosarcomes après radiothérapie (20). Notre cas est voisin d’une observation récemment rapportée d’une récidive opérée deux fois d’une tumeur phyllode sous forme d’un ostéosarcome télangiectasique (21). Tous deux posent le problème controversé de la relation entre certaines lésions stromales bénignes (fibroadénomes) ou borderline (tumeurs phyllodes) et des tumeurs mésenchymateuses malignes qui pourraient être la conséquence de la transformation progressive maligne de certains éléments du stroma. Dans ce cadre, les anomalies cytogénétiques existant au niveau de la tumeur initiale de notre observation suggéraient déjà une transformation et un potentiel évolutif malin. Les données de la CGH n’évoquent pas une parenté génétique de cette tumeur avec une tumeur phyllode. ✓ Au plan évolutif, les ostéosarcomes du sein sont des tumeurs évolutives caractérisées par des récidives précoces et une diffusion hématogène le plus souvent pulmonaire (80 %), mais aussi osseuse (25 %) et hépatique (17 %). Le taux de récidive des ostéosarcomes extra-osseux est d'environ 43 % à u n a n ; la survie à 5 ans est de 38 % dans cette série de 60 patientes. ✓ Les recommandations thérapeutiques sont difficiles vu l'évolution au cours du temps des techniques et l'extrême rareté de la maladie. Au plan local, le traitement consiste en une mastectomie. Comme pour d'autres sarcomes, il ne semble pas nécessaire, en l'absence d'adénopathies, de lui associer un curage axillaire, ces tumeurs donnant rarement des métastases par voie lymphatique (22-24). Au contraire des ostéosarcomes osseux, il n’y a pas de place pour un traitement de chimiothérapie néoadjuvante dans les formes localisées opérables. Dans les sarcomes mammaires, la place de la radiothérapie et de la chimiothérapie adjuvante est actuellement discutée (8, 9). Dans le cadre spécifique de ces ostéosarcomes, il n'y a pas d'argument pour penser qu'une radiothérapie postopératoire devrait être indiquée de principe si les berges chirurgicales sont saines (25). ✓ Concernant la chimiothérapie, même si le parallèle avec les ostéosarcomes osseux ne repose pas sur des données tangibles (si l'âge est différent, l'évolution métastatique pulmonaire sans atteinte lymphatique est comparable), il paraît difficile de faire abstraction de la chimiosensibilité et des progrès réalisés dans le traitement systémique de ces tumeurs. Ces dernières années ont montré que la chimiothérapie adjuvante améliorait considérablement le pronostic des ostéosarcomes osseux (26) avec des chimiothérapies à base de doxorubicine, cisplatine et méthotrexate à fortes doses. Les données concernant les chimiothérapies adjuvantes dans les ostéosarcomes du sein sont évidemment très limitées, vu l’excessive rareté de la maladie, mais plusieurs études ont suggéré qu’une chimiothérapie adjuvante pouvait être utile chez des patientes sélectionnées jeunes présentant des tumeurs volumineuses et agressives… Dans une analyse en 1993 de 18 cas présentant une histoire clinique documentée, Kaiser et al. (27) ont fait une analyse des La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - n° 2 - mars-avril 2004 C A S C L I N I traitements et de l’évolution. Le traitement habituel consistait en une mastectomie avec curage axillaire. Seules deux patientes présentaient une atteinte ganglionnaire, dans les deux cas associés à une infiltration importante de la paroi thoracique. Des métastases pulmonaires sont survenues dans la moitié des cas (9/18), des métastases hépatiques dans un cas et des métastases osseuses dans un cas également. Parmi les 12 patientes non traitées par chimiothérapie, 8 sont décédées de l’évolution de leur maladie avec une médiane de survie de 12 mois à partir du diagnostic. Les 4 patientes traitées par radiothérapie seule sont décédées d’évolution tumorale. Même si les données sont très limitées, il semble logique de proposer en cas de tumeur volumineuse, agressive, survenant chez une patiente suffisamment jeune, une chimiothérapie adjuvante orientée par les expérience des ostéosarcomes osseux à base de ■ doxorubicine et de cisplatine. Q U E 10. Jerstöm P, Lindberg L, Medland ON. Osteogenic sarcoma of the mammary gland. Am J Clin Pathol 1963;40:512-26. 11. Zelek L, Llombart-Cussac A, Terrier P et al. A. Prognostic factors in primary breast sarcomas: a series of patients with long-term follow-up. J Clin Oncol 2003;21,13:2583-8. 12. Lu YJ, Birdsall S, Osin P, Gusterson B, Shipley J. Phyllodes tumors of the breast analyzed by comparative genomic hybridization and association of increased 1q copy number with stromal overgrowth and recurrence. Genes, Chromosomes and Cancer 1997;20,3:275-81. 13. Vorobiof G, Hariparsad G, Freinkel W, Said H, Vorobiof DA. Primary osteosarcoma of the breast: a case report. Breast J 2003;9:231-3. 14. Anani PA, Baumann RP. Osteosarcoma of the breast. Virchows Arch 1972;357:213-8. 15. Mertens HH, Langnickel D, Staedler F. Primary osteogenic sarcoma of the breast. Acta Cytologica 1982;26:512-6. 16. Lumsden AB, Harrisson D, Chetty U, Going JJ, Muir B. Osteogenic sar coma – a rare primary tumour of the breast. Eur J Surg Oncol 1985;11:183-6. 17. Muller AGS, van Zyl JA. Primary osteosarcoma of the breast. J Surg Oncol 1993;52:135-6. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Rao U, Cheng A, Didolkar MS. Extraosseous osteogenic sarcoma. Cancer 1978;41:1488-96. 2. Blanchard KD, Reynolds C, Grant CS, Farley DR, Donohue JH. Radiationinduced breast carcinoma. Am J Surg 2002;184:356-8. 3. Karlsson P, Holmberg E, Samuelsson A et al. Soft tissue sarcoma after treat - 18. Remadi S, Doussis-Anagnostopoulu I, Mac Gee W. Primary osteosarcoma of the breast. Pathol Res Pract 1995;191,5:471-4. 19. Silver SA, Tavassoli FA. Primary osteogenic sarcoma of the breast. Am J Surg Pathol 1998;22:925-33. 20. Enzinger FM, Weiss SW, eds. Soft tissue tumours, 3rd ed.New York: CV, 1995. 21. Graadt van Roggen JF, Zonderland HM, Welvaart K, Peterse JL, Hogendoorn PC. Local recurrence of a phyllodes tumour of the breast presenting with widespread differentiation to a telangiectatic osteosarcoma. J Clin Pathol 1998;51,9:706-8. ment for breast cancer – a Swedish population-based study. Eur J Cancer 1998; 34:2068-75. 22. Rodier-Bruant C, Jaeck D, Dufour P, Oberling F, Renaud R. Les ostéosar comes mammaires. Rev Fr Gynecol Obstet 1991;86:43-6. 4. Kirova YM, Feuillade F, Calitchi E et al. Radiation-induced sarcoma after 23. Pollard SG, Marks PV, Temple LN, Thompson HH. Breast sarcoma: a clinicopathologic review of 25 cases. Cancer 1990;13:39-48. 5. Norris HJ, Taylor HB. Sarcomas and related mesenchymal tumors of the breast. Cancer 1968;22:22-8. 24. Terrier P, Terrier LM, Mourisse H et al. Primary breast sarcoma: a review of 33 cases with immunohistochemistry and prognostic factors. Br J Cancer Res Treat 1989;13:39-48. 6. Kennedy T, Biggart JD. Sarcoma of the breast. Br J Cancer 1967;21:635-44. 7. Farrugia DC, Rashid AM, Parker MC. Primary osteosarcoma of the breast. 25. McGowan TS, Cummings BJ, O'Sullivan B et al. N analysis of 78 breast sarcoma patients without distant metastases at presentation. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2000;46:383-90. 8. Blanchard KD, Reynolds C, Grant CS, Donohue JH. Primary nonphylloides 26. Link MP, Goorin AM, Miser AW et al. The effect of adjuvant chemotherapy on relapse-free survival in patients with osteosarcoma of the extremity. N Engl J Med 1986;314,25:1600-6. breast cancer. A propos of 8 cases and review of the literature. Cancer Radio ther 1998;2:381-6. Eur J Surg Oncol 1995;21:686-8. breast sarcomas. Am J Surg 2003;186:359-61. 9. Barrow BJ, Janjan NA, Gutman H et al. Role of radiotherapy in sarcoma of the breast – a retrospective review of the M.D. Anderson experience. Radiother Oncol 1999;52:173-8. La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - n° 2 - mars-avril 2004 27. Kaiser U, Barth P, Duda V, Pfluger KH, Havemann K. Primary osteosar coma of the breast – case report and review of the literature. Acta Oncol 1994;33,1:74-6. Review. 83