N O U V E L L E S M O L É C U L E S 2003 : des progrès majeurs avec les molécules ciblées ● J. Medioni, I. Kloos, E. Raymond* aisant suite à la démonstration de l’effet de l’Herceptin® dans les cancer du sein HER2 3+ en association avec la chimiothérapie, l’année 2001-2002 avait été marquée par une nouvelle preuve du concept de l’efficacité des agents inhibiteurs de la signalisation grâce au Glyvec® dans le traitement de certaines pathologies rares comme la leucémie myéloïde chronique et le sarcome stromal digestif. L’année 2003 est à retenir comme un millésime encore plus remarquable au vu du nombre et de la qualité des médicaments nouveaux ayant montré une activité anticancéreuse. À ce titre, les présentations orales de l’ASCO pour les cancers colorectaux ont révélé deux médicaments anticancéreux (deux anticorps monoclonaux) extrêmement prometteurs : l’avastin et le cétuximab (Erbitux). Compte tenu de l’incidence du cancer colorectal et de la fréquence de l’évolution métastatique, ces résultats pourront permettre de répondre à un véritable problème de santé publique et de fournir aux cliniciens de nouvelles armes thérapeutiques. Malheureusement, il semble plus difficile d’améliorer la prise en charge des cancers bronchiques à un stade avancé, et nous évoquerons les résultats des études cliniques avec l’Iressa®. À une phase plus précoce de leur développement clinique, d’autres molécules s’affirment déjà comme prometteuses. C’est le cas d’autres agents inhibiteurs de la signalisation comme le SU11248, le RAD001 (dérivé de la rapamycine) et le CYC202 (dérivé de la roscovitine), ainsi que de nouveaux agents alkylants puissamment inducteurs d’apoptose comme l’irofulven. Bien que son efficacité soit démontrée dans le traitement du myélome, nous ne discuterons pas du Velcade (PS431), nouvel agent inhibiteur du protéasome, en raison de son activité à ce jour limitée aux hémopathies malignes. F INHIBITEURS DE LA SIGNALISATION DU RÉCEPTEUR À L’EGF (EPIDERMAL GROWTH FACTOR) Cétuximab (Erbitux, C 225) Le C 225 est un anticorps monoclonal de type IgG chimérique humain-souris antagoniste de l’epidermal growth factor (EGF), * Service d’oncologie médicale, hôpital Saint-Louis, 1, av. Claude-Vellefaux, 75010 Paris. 234 qui empêche l’activité de son récepteur (EGFR). Les activités kinases de l’EGFR sont bloquées, induisant une inhibition de la croissance cellulaire et parfois une apoptose, augmentant ainsi l’activité cytotoxique de la chimiothérapie conventionnelle et de la radiothérapie. Les effets indésirables le plus fréquemment rapportés sont un rash acnéique (caractéristique de l’activité des traitements anti-EGFR, dont la présence pourrait être un facteur indirect de réponse au traitement), une asthénie, des douleurs abdominales, des nausées et des vomissements. Enfin, des réactions allergiques sévères ont été observées. Le C 225 est pour l’instant surtout évalué dans le cancer du côlon, mais aussi dans le cancer du poumon, du pancréas, de l’ovaire et dans les tumeurs des voies aérodigestives supérieures. Les nouveautés principales de l’année 2003 pour cette molécule ont été présentées au trente-neuvième congrès de l’ASCO à Chicago en juin dernier ; aucun article complet n’a pour l’instant été publié en relation avec ces abstracts. D. Cunningham et al. (abstract 1012) ont présenté les résultats de l’essai 007 : il s’agit d’une étude de phase II multicentrique, randomisée à deux bras, avec Erbitux (400 mg/m2 à la première injection, puis 250 mg/m2 hebdomadaires ensuite) versus Erbitux à la même dose associé au CPT 11, à la dose à laquelle une progression avait été antérieurement notée, chez des patients atteints de cancer du côlon métastatique réfractaire au CPT 11 et ayant tous une tumeur surexprimant l’EGFR. Trois cent vingtneuf patients ont été inclus. Pour l’Erbitux en monothérapie, les taux de réponse ont été de 9,9 %, avec une durée médiane sans progression de 45 jours. Pour l’association CPT 11 + Erbitux, les taux de réponse ont été de 17,9 %, avec une durée médiane sans progression de 126 jours. Ces résultats tout à fait intéressants ont amené le laboratoire ImClone Systems et son partenaire pour le développement et la commercialisation de la molécule, Roche, à demander depuis août dernier une autorisation de mise sur le marché aux États-Unis en association avec le CPT 11. Dans le cancer du poumon non à petites cellules au stade avancé (stades IIIB et IV), quatre abstracts présentés au congrès de l’ASCO méritent d’être notés. Il s’agit de quatre essais d’association avec l’Erbitux et différents cytotoxiques. La Lettre du Cancérologue - Volume XII - no 6 - novembre-décembre 2003 L’essai LUCAS (Gatzemeir U et al., abstract 2582) est un essai de phase II randomisé évaluant d’une part le C 225 associé au cisplatine et à la vinorelbine et, d’autre part, le cisplatine et la vinorelbine seuls chez 61 patients naïfs de chimiothérapie. Le taux de réponse global est de 53,3 % dans le bras avec C 225 et de 29 % dans le bras sans C 225. L’essai se poursuit. Un essai de phase IB/IIA a étudié la toxicité et l’efficacité du C 225 en association avec la gemcitabine et le carboplatine (Robert F et al., abstract 2587). Trente-cinq patients ont été inclus. Chez 10 d’entre eux (28 %), une réponse partielle a été observée, et une stabilisation a été notée chez 10 autres (28 %). Ces résultats très intéressants ne doivent pas faire oublier que cette association a été suivie d’effets indésirables sévères, notamment hématologiques (thrombopénie de grade III ou IV dans 54 % des cas, neutropénie de grade III ou IV dans 20 % des cas et anémie de grade III ou IV dans 11 % des cas). K. Kelly et al. (abstract 2592) ont étudié l’association de C 225 avec le paclitaxel et le carboplatine chez 31 patients. Chez 11 d’entre eux (29 %), une réponse partielle a été notée, et chez 20 (64 %), une stabilisation de la maladie a été rapportée. La durée médiane de survie globale observée est de 472 jours. Enfin, S.E. Kim et al. (abstract 2581) ont évalué l’association de C 225 avec le docétaxel dans un essai de phase II chez 47 patients réfractaires à la chimiothérapie. Une réponse complète a été observée (2 %), ainsi que 11 réponses partielles (20 %) et 18 stabilisations (33 %). Les données de survie sont encore trop préliminaires pour tirer une conclusion. La toxicité a été modérée (21 % d’infections grade III). Gefitinib (Iressa®, ZD1839) L’Iressa® est un inhibiteur de l’EGFR à activité tyrosine kinase. Il poursuit son développement surtout dans le cancer du poumon non à petites cellules, mais aussi, notamment, dans le cancer du sein, des voies aérodigestives supérieures, du côlon, et dans le glioblastome. ● Les essais dans le cancer du poumon. Deux essais importants ont été publiés cette année. L’essai IDEAL 1, essai de phase II multicentrique et testant deux doses d’Iressa® (250 et 500 mg/j en continu) dans le cancer du poumon non à petites cellules métastatique en rechute et ayant déjà reçu du cisplatine (Fukuoka M et al., Multi-institutional randomized phase II trial of Gefitinib for previously treated patients with advanced non small cell lung cancer. JCO 2003 ; 21, 12 : 2237-46). Deux cent dix patients ont été inclus. Les résultats sont résumés dans le tableau I. La toxicité a été modérée. On note surtout de la diarrhée et des rashes cutanés de grade inférieur à 3. Le taux d’arrêt en raison d’effets indésirables a été de 1,9 % dans le bras faible dose et de 9,4 % dans le bras forte dose. Ces résultats vont permettre de considérer l’Iressa® à la dose de 250 mg/j comme une nouvelle possibilité thérapeutique chez les patients atteints de carcinome bronchique non à petites cellules métastatiques après échec des sels de platine. La Lettre du Cancérologue - Volume XII - no 6 - novembre-décembre 2003 Tableau I. Résultats de l’essai IDEAL 1. Iressa® à 250 mg/j Iressa® à 500 mg/j Taux de réponse (réponse partielle et totale) (%) 18,4 19 Amélioration des symptômes (%) Durée médiane jusqu’à progression (en mois) Durée médiane de survie (en mois) 40,3 2,7 37 2,8 7,6 8 Alors que l’essai IDEAL 1 était conçu pour évaluer le profil de toxicité comparatif de l’Iressa® à 250 et 500 mg, l’essai IDEAL 2 (JAMA 2003, sous presse) a, lui, été mis en œuvre pour évaluer la diminution des symptômes dans les deux groupes. Les critères d’inclusion étaient globalement les mêmes que pour l’essai IDEAL 1, et 216 patients ont été inclus. Les résultats de l’efficacité de l’essai IDEAL 2 sont résumés dans le tableau II. Tableau II. Résultats de l’essai IDEAL 2. Iressa® à 250 mg/j Iressa® à 500 mg/j Taux de réponse (réponse totale et partielle) (%) Bénéfice clinique (réponse totale, partielle et stabilisation) (%) Durée médiane de survie (en mois) 11,8 8,8 42,2 36 6 6 Ces résultats sont similaires à ceux observés dans l’essai IDEAL 1. Pour le bras Iressa® 500 mg, on a observé 5 % de diarrhée grade III ou IV et 3,5 % de rash acnéiforme de grade III ou IV. L’essai TRIAL 0054 a été présenté à la 10e World Conference on Lung Cancer (WCLC), à Vancouver, en août 2003, par C. Manegold et al. Il s’agit d’un essai de phase I/II où deux doses d’Iressa® (250 mg ou 500 mg de J2 à J21) ont été associées à du docétaxel (75 mg/m2 à J1). Six patients ont été inclus au palier 250 mg et 12 au palier 500 mg. Aucune toxicité dose-limitante n’a été observée à la dose de 250 mg. Deux toxicités dose-limitantes ont été observées à la dose de 500 mg (diarrhée grade III). Les autres toxicités observées ont été leucopénie, alopécie, asthénie, mucite, rash cutané et anorexie. À la dose de 250 mg, deux réponses partielles et une stabilisation ont été observées. À la dose de 500 mg, trois réponses partielles et une stabilisation ont été notées. Deux réponses ne sont pas connues à ce palier de dose. Manegold a insisté lors de sa présentation sur une possible interaction de nature pharmacocinétique entre le docétaxel et l’Iressa® liée au cytochrome P3A4. Enfin, d’autres essais se poursuivent : ✓ l’essai INTACT 1, essai de phase III randomisé en double aveugle, compare avec une planification à trois bras l’Iressa® à 235 N O U V E L L E S deux doses en association avec la gemcitabine et le cisplatine contre la gemcitabine et le cisplatine seuls ; ✓ une autre étude (INTACT 2) de phase III randomisée en double aveugle compare avec une planification à trois bras l’Iressa® à deux doses en association avec le paclitaxel et le carboplatine contre le paclitaxel et le carboplatine seuls ; ✓ un essai de phase III compare l’Iressa® avec des soins d’accompagnement aux soins d’accompagnements seuls ; ✓ l’essai TRIAL 0053, étude pilote chez des patients naïfs de chimiothérapie à quatre bras, compare deux doses d’Iressa® en association soit avec de la navelbine et du cisplatine, soit avec de la navelbine seule. ● Les essais dans d’autres localisations tumorales. Dans le cancer du côlon métastatique, l’Iressa® a été testé en monothérapie ou en association avec la capécitabine et l’irinotécan, ou avec la capécitabine et la mitomycine, ou avec la capécitabine et l’oxaliplatine ou avec l’irinotécan seul, ou encore la capécitabine seule (Dorlilgshaw O et al., ASCO 2003, abstract 1494). Quatorze patients ont été inclus. Chez la moitié d’entre eux, on a noté un rash acnéiforme. Les autres toxicités sont variables selon l’association reçue. Parmi les 10 patients évaluables, 2 ont eu une maladie stable sous Iressa®, capécitabine et irinotécan. L’expression de l’EGFR était positive chez l’un de ces deux patients et négative chez l’autre. Chez ces patients lourdement prétraités, le taux de réponse a été globalement très faible. Dans les carcinomes ORL en rechute ou métastatiques, l’Iressa® a été évalué à la dose de 500 mg/j (Cohen EEW et al. Phase II trial of ZD 1839 in recurrent or metastatic squamous cell carcinoma of the head and neck. JCO 2003 ; 21, 10 : 1980-7). Cinquante-deux patients ont été inclus. Ils recevaient de l’Iressa® jusqu’à progression ou toxicité inacceptable. Quarante-sept d’entre eux ont pu être évalués. Une réponse complète, quatre réponses partielles et vingt stabilisations ont été observées. La durée médiane de survie a été de 11,4 mois. La toxicité est habituelle (rash acnéiforme, onycholyse, diarrhée, cellulite et hypercalcémie). Dans cette étude, le délai jusqu’à progression a été fortement associé au performance status et à l’apparition d’une toxicité cutanée. Dans le glioblastome en rechute, un essai de phase I/II a évalué l’efficacité de l’Iressa® à la dose de 500 mg/j (Rich JN et al. Phase I/II of the epidermal growth factor receptor small molecule inhibitor ZD1839 [gefitinib] in patients with first relapse glioblastoma. Neuro Oncology 2003 ; 5, 4 : 356). Cinquante-sept patients ont été inclus et 52 ont pu être évalués. Vingt-deux stabilisations ont été observées, ainsi que 29 progressions. La toxicité est habituelle (rash cutané et diarrhée). Les données de survie ne sont pas disponibles. Enfin, l’Iressa® a été étudié dans d’autres cancers. Dans les études présentées à l’ASCO en 2003, on peut mentionner le cancer du sein, de l’ovaire, du col de l’utérus, de la prostate ou du rein. 236 M O L É C U L E S EFFETS ANTIANGIOGÉNIQUES DES INHIBITEURS DES RÉCEPTEURS AU VEGF (VASCULAR ENDOTHELIAL GROWTH FACTOR) Bevacizumab (Avastin, rhumabVEGF) L’Avastin est un anticorps qui reconnaît trois isoformes du VEGF (121, 165 et 189) avec une haute affinité. Sa demi-vie est de 17 jours. Ses principaux effets indésirables sont l’hypertension artérielle (présente dans 11 à 28 % des cas), les hémorragies (6 % des cas) et les thromboses ou embolies (présentes dans 13 à 26 % des cas). Il est actuellement étudié dans des essais de phase III dans le carcinome pulmonaire non à petites cellules métastatique en première ligne, dans le cancer du sein métastatique en première ligne et, en deuxième ligne, dans le cancer du côlon métastatique. Ces essais se poursuivent. Dans le cancer du rein métastatique, on a observé que la mutation du gène VHL, suppresseur de tumeur, est responsable d’une surexpression du VEGF. Un essai de phase II randomisé à trois bras a donc été conduit : un bras placebo, un bras Avastin faible dose (3 mg/kg) et un bras Avastin forte dose (10 mg/kg) (Yang JC et al. A randomized trial of bevacizumab, an anti-vascular endothelial growth factor antibody, for metastatic renal cancer. N Engl J Med 2003 ; 349, 5 ; 427-34). L’essai a été arrêté lors d’une analyse intermédiaire, après que 40 patients aient été inclus dans le groupe placebo, 37 dans le groupe faible dose et 39 dans le groupe forte dose. Il existait une différence en survie sans progression entre le groupe forte dose et le groupe placebo (p < 0,001). On atteignait la limite de la significativité entre le groupe placebo et le groupe faible dose (p = 0,053). Aucune différence entre le groupe faible dose et le groupe forte dose n’a été montrée. Enfin, il faut noter qu’aucune différence n’était observée en survie globale quelles que soient les comparaisons effectuées, vraisemblablement en raison du faible nombre d’événements réalisés. Les réponses observées sont modestes : quatre réponses partielles dans le groupe forte dose, aucune ailleurs (taux de réponse : 10 %). Dans le cancer du côlon métastatique, un essai de phase II randomisé avec un bras 5 fluoro-uracile, leucovorine et Avastin faible dose (5 mg/kg), un bras avec 5 fluoro-uracile, leucovorine et Avastin forte dose (10 mg/kg) et un bras 5 fluoro-uracile et leucovorine seuls a été publié (Kabbinavar F et al. Phase II randomized trial comparing bevacizumab plus fluorouracil [FU]/leucovorin [LV] with FU/LV alone in patients with metastatic colorectal cancer. JCO 2003 ; 21, 1 : 60-5). Trente-cinq patients ont été inclus dans le bras Avastin faible dose, 33 dans le bras forte dose et 36 dans le bras sans Avastin. Les résultats sont résumés dans le tableau III. On ne constate aucune différence entre le bras Avastin forte dose et le bras sans Avastin. Il faut remarquer que chez 2 des 22 patients ayant progressé dans le bras sans Avastin et ayant ensuite bénéficié d’un traitement par Avastin par crossover, des réponses partielles ont été notées. La Lettre du Cancérologue - Volume XII - no 6 - novembre-décembre 2003 5 FU et leucovorine avec Avastin faible dose Taux de réponse (réponse totale et partielle) (%) Durée médiane jusqu’à progression (en mois) Durée médiane de survie (en mois) 5 FU et leucovorine avec Avastin forte dose 5 FU et leucovorine seuls 24 7,2 16,1 17 5,2 13,8 40* 9* 21,5 Tableau III. Résumé des résultats de l’étude de phase II à trois bras avec 5 FU et leucovorine associés à de l’Avastin. * Différence entre le bras Avastin faible dose et le bras sans Avastin statistiquement significative (p < 0,05). Les principales toxicités de grade supérieur ou égal à 3 ont été, dans les bras Avastin, une diarrhée (chez 10 patients dans le bras faible dose et chez 10 dans le bras forte dose), une hypertension (chez 3 patients dans le bras faible dose et chez 8 dans le bras forte dose) et des thromboses ou embolies (chez 5 patients dans le bras faible dose et chez 2 dans le bras forte dose). Dans le bras sans Avastin, seuls 13 patients ont présenté une diarrhée de grade 3 ou de plus de 3. Un seul événement thrombotique a été noté. Une explication possible de ces phénomènes réside dans le fait que l’Avastin pourrait diminuer la capacité de renouvellement des cellules endothéliales ; néanmoins, une confirmation de l’augmentation des thromboses ou des embolies sous Avastin est encore nécessaire. Les essais de phase III en cours, avec leurs grands effectifs, pourront permettre de mieux répondre à cette question. Enfin, il faut citer deux abstracts présentés au congrès de l’ASCO cette année, l’abstract 975 (Benson AB et al.), présentant les résultats de toxicité de l’Avastin en association avec un FOLFOX 4 dans le traitement du cancer colorectal avancé, et l’abstract 1024 (Giantonio BJ et al.), présentant l’efficacité et la toxicité de l’Avastin en association avec un FOLFIRI. Dans le cancer du sein métastatique réfractaire, un essai de phase III comparant la capécitabine seule à la capécitabine associée à l’Avastin a été publié (Maung K et al. Capecitabine/bevacizumab compared to capecitabine alone in pretreated metastatic breast cancer : result of a phase III study. Clin Breast Cancer 2003 ; 375-7). Quatre cent soixante-deux patients ont été inclus. L’Avastin était administré à la dose de 15 mg/kg. Si le taux de réponse a été significativement meilleur dans le bras avec de l’Avastin (30,2 versus 19,1 %), aucune différence n’a été observée, ni en survie sans progression, ni en survie globale. Pour conclure, des abstracts ont aussi été présentés à l’ASCO cette année étudiant l’efficacité de l’Avastin dans le cancer du pancréas (abstract 1037) et dans le mélanome (abstract 2873). Le SU11248 (Sugen Inc.) Le SU11248 est le premier inhibiteur de la signalisation faisant appel à un nouveau concept d’agents inhibant simultanément plusieurs kinases, et susceptibles de bloquer la signalisation croisée entre plusieurs voies de survie cellulaire. Les résultats obtenus avec le SU11248 et présentés pour la première fois dans leurs versions préliminaires durant la réunion du NCI-EORTC-AACR fin 2002 à Francfort, ont été présentés et confirmés dans leur version finale durant l’ASCO 2003 (Raymond E et al.). Le SU1248 est un inhibiteur non sélectif de VEGFR, PDGFR et KIT facilement La Lettre du Cancérologue - Volume XII - no 6 - novembre-décembre 2003 absorbé par voie orale et présentant un profil pharmacocinétique compatible avec une seule prise quotidienne. Le schéma de l’étude française (Raymond E et al.) montre un profil de toxicité remarquable avec, comme principaux effets indésirables aux plus fortes doses, une asthénie, une hypertension artérielle facilement contrôlable, une thrombopénie et une toxicité cutanée de type syndrome main/pied. À la dose recommandée de 50 mg/j pendant 4 semaines toutes les 6 semaines, le médicament induit une décoloration progressive et réversible entre chaque cure des cheveux et des poils, permettant de confirmer sa bonne pénétration tissulaire. Le plus remarquable est sa capacité à induire des réponses tumorales majeures et prolongées dans plusieurs types distincts de tumeurs présentant une résistance spontanée ou acquise aux médicaments de chimiothérapie. Des réponses ont été observées par plusieurs groupes chez des patients porteurs de tumeurs stromales réfractaires au Glivec®, dans des cancers du rein, des tumeurs neuro-endocrines, et plusieurs adénocarcinomes avancés réfractaires aux chimiothérapies. Cet effet semble lié à une inhibition rapide et prolongée de l’angiogenèse, comme en témoignent les données du scanner et de l’échographie haute fréquence montrant une disparition quasi complète du flux sanguin intratumoral après seulement deux semaines de traitement. Cet effet doit être étroitement surveillé au risque de voir apparaître une nécrose tumorale rapide et des complications liées à cette nécrose. Cet effet antitumoral puissant, à la fois direct sur les tumeurs exprimant VEGFR, PDGFR et KIT et indirect par un effet antivasculaire, a été reconnu comme devant faire poursuivre les études dans plusieurs types de tumeurs réfractaires. LES MÉDICAMENTS INHIBITEURS DU CYCLE CELLULAIRE Le CYC202, médicament dérivé de la roscovitine Étudiés en détail par L. Meijer (Roscoff), la roscovitine et ses dérivés comme le CYC202 représentent des prototypes de médicaments inhibiteurs du cycle cellulaire inhibant la transition G1/S et capables d’induire l’apoptose de façon temps et concentrationdépendante. Administré par voie orale, sa toxicité aux plus fortes doses est digestive, caractérisée par des nausées et des vomissements et, chez certains patients, par une hypokaliémie transitoire associée à une élévation rapidement réversible de la créatininémie. Le CYC202 est actuellement en cours d’essais thérapeutiques (études de phase I et II) en monothérapie et en association avec des agents cytotoxiques et la radiothérapie. L’association de CYC202 à un signal de stress cellulaire provoqué par la chimiothérapie et/ou la radiothérapie est susceptible d’empêcher la cellule d’échapper à l’apoptose. Les résultats de ces études devraient être disponibles fin 2004. 237 N O U V E L L E S Le RAD001, médicament dérivé de la rapamycine La rapamycine et ses dérivés bloquent une protéine centrale sur la voie de signalisation de la PI3 kinase, régulatrice de la croissance cellulaire et contrôlant l’apoptose (mTOR). Cet effet conduit à un blocage du cycle cellulaire en G1/S et à l’induction d’apoptose. La rapamycine est un antibiotique naturel (sirolimus) ayant des effets multiples : effet antifongique, effet de prévention du rejet de greffe, effet préventif de la sténose coronarienne. Ses effets anticancéreux sont étudiés depuis peu. Les données biologiques récentes montrent un effet direct sur les cellules tumorales ayant PTEN (une phosphatase inhibant la PI3 kinase) non fonctionnel et bcl-2 inactivé. Un effet antitumoral indirect par inhibition de l’angiogenèse liée à VEGF est également possible, puisque la voie de signalisation de la PI3 kinase est aussi utilisée par les cellules endothéliales pour répondre aux signaux d’activation du récepteur à VEGF. Le RAD001 dérivé oral de la rapamycine a été étudié en phase I et a montré un effet cytostatique sur plusieurs types de tumeurs, ainsi qu’un effet cytotoxique permettant d’observer une diminution du volume tumoral. Ce médicament présente comme avantage d’avoir une excellente tolérance, avec comme seul effet indésirable de rares lésions cutanées ou muqueuses (aphtes), rapidement réversibles. Comme pour le CYC202, les combinaisons avec d’autres agents anticancéreux devraient potentialiser l’effet de stress cellulaire et renforcer l’effet antitumoral. UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE MÉDICAMENTS ALKYLANTS DE L’ADN L’irofulven (MGI-114) Il n’est plus utile de rappeler aujourd’hui le potentiel important des agents inhibiteurs de la synthèse et/ou de la réplication de l’ADN. L’irofulven représente un modèle de petites molécules alkylantes qui pénètre très rapidement et facilement les cellules tumorales et qui a un fort pouvoir proapoptotique. Son large spectre d’activité contre la plupart des tumeurs solides d’origine épithéliale ou glandulaire en fait une molécule attractive pour une utilisation seule ou combinée avec d’autres agents cytotoxiques. Les études de phase I en monothérapie (J. Alexandre, hôpital Cochin, Paris) et les données précliniques obtenues en collaboration avec le laboratoire du docteur A. Larsen (Institut Gustave-Roussy, Villejuif) ont permis de redéfinir son mode d’administration et son schéma d’injection 238 M O L É C U L E S en faveur d’une injection hebdomadaire ou tous les 15 jours en perfusion courte de 30 minutes. Une dose égale ou inférieure à 0,50 mg/kg a permis de s’affranchir de la toxicité digestive et des effets visuels (éblouissements et modifications de la vision des couleurs) du médicament. Les résultats des études en cours, notamment les études de combinaisons irofulven/irinotécan, irofulven/cisplatine et irofulven/capécitabine laissent entrevoir des résultats prometteurs dans de nombreux types de cancers. CONCLUSION La multiplicité des agents et l’incroyable diversité des mécanismes d’action laissent supposer que de nombreux développements sont possibles à partir des composés décrits ci-dessus. Trois voies de recherche sont actuellement particulièrement favorisées : ✓ Le ciblage thérapeutique de molécules en fonction de l’expression des cibles cellulaires des médicaments et de la connaissance des mécanismes et des multiples voies de signalisations impliquées conduisant à l’effet cytotoxique sur les cellules cancéreuses. Ce ciblage pourrait conduire à une utilisation des anticancéreux fondée sur une adaptation individuelle des traitements à partir des caractéristiques biologiques de la tumeur de chaque patient. ✓ La définition de paramètres intermédiaires de jugement d’activité fondés sur la biologie ou l’imagerie de façon à prédire précocement (dès le début du traitement) l’efficacité. ✓ La définition de combinaisons de médicaments permettant d’optimiser l’effet thérapeutique, d’élargir le spectre d’activité antitumorale et de limiter la probabilité d’émergence d’une résistance acquise. Cette problématique concerne à la fois les associations entre médicaments de chimiothérapie “classiques” inhibiteurs de la tubuline ou interagissant avec l’ADN, les associations entre molécules de chimiothérapie et agents inhibiteurs de la signalisation et les combinaisons d’agents inhibiteurs de la signalisation entre eux. Cette problématique est renforcée par la multiplicité des agents à étudier, qui rend nécessaire la mise au point de méthodes de criblage permettant d’éliminer les combinaisons et séquences inutiles lors des essais cliniques pour se concentrer sur les combinaisons ayant la plus grande chance d’avoir un effet ■ thérapeutique synergique. La Lettre du Cancérologue - Volume XII - no 6 - novembre-décembre 2003