Cancer de la prostate métastatique avec mutation de BRCA2 intermittentes

CAS CLInIQuE
La Lettre du Cancérologue Vol. XVIII - n° 3 - mars 2009 | 171
Cancer de la prostate métastatique
avec mutation de BRCA2
et réponse à des chimiothérapies
intermittentes
Metastatic prostate cancer with BRCA2 mutation and response
to intermittent chemotherapy
P. Beuzeboc*, G. Roubaud*, N. Pinto**, J.M. Ferrero**
* Service d’oncologie médicale, institut Curie, Paris.
** Centre Antoine-Lacassagne, Nice.
Observation
M. L, né en novembre 1932, est adressé en consultation, en
mars 2002 pour la prise en charge d’un cancer de la prostate en
échappement hormonal.
Il est porteur d’une mutation délétère du gène BRCA2 (c.2041 insA,
p.615X) mise en évidence en 2005 chez ses deux sœurs atteintes
d’un cancer du sein. Cette mutation a pour conséquence un
décalage du cadre de lecture, avec l’apparition d’un codon-stop
prématuré.
Le diagnostic initial de son cancer avait été porté en 1993. Le
taux d’antigène prostatique spécifique (PSA) était de 32 ng/ml.
Vu l’atteinte ganglionnaire ilio-obturatrice droite sur le curage,
le patient avait été traité par radiothérapie et triptoréline seule
jusqu’en 1996. Un blocage androgénique complet avait été institué
en 1999 devant une remontée du taux de PSA à 5,71 ng/ml, alors
que le patient était asymptomatique.
À la suite d’un nouvel échec biologique (remontée en mars 2002
du taux de PSA à 33 ng/ml) et de l’absence de syndrome de retrait,
une chimiothérapie orale associant cyclophosphamide et étopo-
side avait été décidée, les lésions étant limitées à une discrète
majoration de la fixation de la région sus-cotyloïdienne droite à
la scintigraphie osseuse. Cette chimiothérapie allait permettre
d’obtenir une diminution du taux de PSA de 45 à 0,49 ng/ ml entre
avril 2002 et mars 2003.
En septembre 2003, devant un nouvel échappement biologique
avec un taux de PSA à 5 ng/ml, un traitement sous forme orale
par vinorelbine et phosphate d’estramustine a été instauré, le
patient étant toujours très actif et asymptomatique, avec des
lésions métastatiques minimes. L’échec de ce traitement allait
être confirmé en avril 2004, après une stabilisation transitoire
(PSA = 22 ng/ml). La scintigraphie montrait alors l’apparition d’un
foyer hyperfixant au niveau de T7 et de la sixième côte droite.
Une chimiothérapie par docétaxel (75 mg/m²/21 j) a été instaurée,
permettant d’obtenir une baisse du taux de PSA à 3 ng/ml. Une
hormonothérapie par aminogluthétimide était prescrite en relais
après échec du bicalutamide, permettant une relative stabilisation
du taux de PSA jusqu’en juillet 2005 (PSA = 28 ng/ml), date à
laquelle il fut décidé de reprendre le traitement par docétaxel
associé à du phosphate d’estramustine (6 comprimés par jour
pendant 5 jours) et à du zolédronate. Après 8 cycles, le taux de
PSA était redescendu à 6,9 ng/ml.
En avril 2006, en raison d’une nouvelle progression, un traitement
par mitoxantrone (14 mg/m
2
/21 j) fut commencé, et il se poursuivit
jusqu’en novembre 2006, date à laquelle un relais par distilbène
(3 mg/j) fut décidé, en raison d’une remontée franche et rapide
du marqueur de 16 à 25 ng/ml en 6 semaines.
En février 2007, le traitement par docétaxel était repris une troisième
fois, associé de nouveau au phosphate d’estramustine (en raison d’un
taux de PSA continuant à augmenter après un premier cycle de docé-
taxel seul et de l’aggravation des lésions osseuses à la scintigraphie).
Cela permettait de faire baisser le taux de PSA de 39 à 18 ng/ ml
après 6 mois de traitement. Un traitement de relais par le phos-
phate d’estramustine et le zolédronate était poursuivi, combiné à
l’irradiation d’un volumineux paquet ganglionnaire lombo-aortique
gauche associé à une atteinte osseuse de L2. Le taux de PSA allait
baisser jusqu’à un nadir de 11,4 ng/ml en février 2007.
mots-clés
Cancer de la prostate - Mutation de BRCA2 - Sensibilité à la chimiothérapie
Keywords
Prostate cancer -BRCA2 mutation - Sensitivity to chemotherapy
50
PSA
40
30
20
Taux de PSA (ng/ml)
10
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Années
0
ETO + CPM
VIN + EMP
DOC + EMP
Décapeptyl
ETO + CPM : étoposide + cyclophosphamide ; VIN + EMP : vinorelbine + phosphate d'estramustine ; DOC + EMP : docétaxel + phosphate d'estramustine.
DOC + EMP DOC + EMP DOC + EMP
Figure. Évolution du PSA en fonc-
tion des traitements (graphique
tracé par le patient).
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En raison d’une nouvelle progression symptomatique ganglionnaire
sus- et sous-diaphragmatique et osseuse, le traitement par docé-
taxel était repris une quatrième fois, toujours avec du phosphate
d’estramustine, pendant 5 jours, permettant ainsi une nouvelle
réponse biologique avec un taux de PSA baissant de 39 ng/ml à
18 ng/ml après 8 cycles.
La gure (tracée par le patient) qui montre l’évolution du PSA
en fonction des différents traitements illustre bien les réponses
thérapeutiques aux chimiothérapies intermittentes.
Le patient était toujours en vie en octobre 2008.
Discussion
L’aspect génétique des cancers de la prostate est complexe et
multifactoriel (1). De nombreuses altérations géniques ont été
décrites. Le gène HPC1 codant pour la protéine RNase-L (un
médiateur de l’action de l’interféron jouant un rôle dans l’in-
ammation) avait été identifi é à partir des études de linkage.
Plus récemment, d’autres loci ont été impliqués comme facteurs
de susceptibilité (2), et J.T. Dong a publié récemment une revue
générale des mutations prévalentes (3). Dans une étude anglaise
portant sur 263 hommes dont le cancer de la prostate avait été
diagnostiqué avant 55 ans, seuls 2,3 % (IC95 : 0,8-5) présentaient
une mutation de BRCA2 (4).
BRCA2 est un gène suppresseur de tumeur impliqué dans la répa-
ration de l’ADN, dont les mutations confèrent une susceptibilité
augmentée de développer un cancer du sein, de l’ovaire, de la pros-
tate mais aussi de l’utérus et du haut appareil urinaire. Il existe une
grande diversité de mutations BRCA2 (432 mutations délétères).
Si les mutations de BRCA2 sont associées à une augmentation
du risque de cancer de la prostate, on ne sait pas si elles sont
impliquées dans la progression de la maladie et la réponse théra-
peutique. À côté de son rôle dans les mécanismes de réparation
de l’ADN, de nombreuses données suggèrent que BRCA2 joue un
rôle suppresseur de la croissance cellulaire (5).
Dans les cancers de l’ovaire, les patientes porteuses de mutations
de BRCA1 ou BRCA2 ont, à stade égal, un pronostic meilleur. Ceci
est peut-être lié à une évolutivité clinique particulière ou à une
sensibilité thérapeutique différente aux dérivés du platine et au
paclitaxel (6).
En cas de mutation de BRCA2, le cancer de la prostate survient
à un âge plus précoce (7) et présente des caractéristiques plus
agressives, avec en règle général un score de Gleason élevé.
Une équipe islandaise (8) a relevé dans une étude portant sur
30 patients, appariés chacun à deux patients témoins non mutés,
que les porteurs de la mutation BRCA2 999 del 5 présentaient un
âge moins élevé (69 ans versus 74 ans), un stade plus avancé au
diagnostic (79,3 % de stade III-IV versus 38,6 %), une tumeur de
grade plus élevé (84 % de grade 3-4 versus 52,7 %) et une médiane
de survie plus courte (2,1 ans versus 12,4 ans). Le risque de décès
spécifi que était plus élevé chez les patients mutés.
Dans deux études récentes, il a aussi été retrouvé un pronostic
plus péjoratif en cas de BRCA2 muté (9, 10), en particulier dans
l’étude IMPACT (Identifi cation of Men with genetic predisposition to
ProstAte Cancer and its clinical Treatment collaborators) conduite
au Royaume-Uni.
Des réponses itératives à des chimiothérapies intermittentes
ont été rapportées avec un traitement à base de docétaxel dans
plusieurs études (11, 12), en particulier dans l’étude rétrospective
française RETAX (13).
À la suite de cette observation, il pourrait être important de
confi rmer une chimio-sensibilité particulière des cancers de la
prostate avec mutation de BRCA2, pour permettre une meilleure
prise en charge dans le futur.
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Références bibliographiques
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