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La Lettre du Gynécologue - n° 254 - septembre 2000
Les difficultés de communication autour du cancer lui-même
ressortent de façon criante : “Ma sœur n’a jamais voulu me
dire qu’elle avait eu un cancer du sein. Je l’ai deviné et il n’est
pas question que je lui en parle directement”.
Les questions relatives à la causalité du cancer surgissent :
“Ma tante a toujours dit haut et fort qu’elle était sûre que son
cancer du sein était dû au stress. Je ne me vois pas aller la cher-
cher en lui disant que c’est plutôt dû à un gène qu’elle aurait
hérité et peut-être aussi transmis à ses enfants”, disait très jus-
tement une autre consultante, soulevant finement le problème
de la culpabilisation qu’une telle démarche risquerait d’intro-
duire chez quelqu’un qui n’a pas du tout envisagé la question
de la transmission.
Comme on le voit, il vaudrait mieux que toute personne se ren-
dant à une consultation d’oncogénétique ait bien réfléchi aux
incidences que cette consultation pourrait avoir sur ses rapports
familiaux, et qu’elle ait une idée claire de la façon dont elle
pourra parler de cette consultation aux proches concernés.
RÉSULTAT DU PRÉLÈVEMENT SANGUIN
Plusieurs mois après cette consultation et le prélèvement, par-
fois plus d’une année après, le résultat est disponible et la
consultante en est informée par courrier.
Pour certaines de ces consultantes, le temps écoulé a rendu
caduque la recherche génétique (2) : d’autres réponses leur ont
été apportées par la vie, ou bien elles préfèrent ne pas savoir,
ayant peur de ne pas arriver à manier une telle information par
rapport à leurs enfants et apparentés.
● Lorsque le prélèvement est négatif : pour certaines consul-
tantes chez qui l’anomalie à rechercher n’était pas connue,
l’oncogénéticien devra expliquer qu’un résultat négatif ne
signifie pas forcément qu’elles ne sont pas porteuses d’une
altération. Ce “faux négatif” possible les laisse ainsi dans une
non-clarification de leur attente. On leur proposera, dans le
doute, de bénéficier du même protocole de surveillance que
celui des femmes chez qui on a décelé une anomalie.
Pour les consultantes chez qui la mutation était connue, ce
résultat négatif est une réponse claire et définitive qui les sort
totalement du doute, et c’est sans doute un des bénéfices
importants qu’apporte le test de prédisposition : il permet de
rassurer une femme sur le fait qu’elle ne court pas un risque
supplémentaire à celui de la population générale, et qu’elle n’a
pas transmis ce risque à ses enfants.
● Lorsque le prélèvement est positif : en ce qui concerne les
consultantes ayant eu un cancer, ce résultat n’est souvent que
la confirmation de ce qu’elles avaient pressenti ; il leur permet
de sortir d’un doute angoissant et de bénéficier d’un sentiment
de maîtrise intellectuelle. Cependant, il les plonge instantané-
ment dans le problème de la transmission éventuelle de cette
mutation à leurs enfants et elles demandent alors comment
elles doivent faire : comment leur dire ? À quel âge ? Quel type
de surveillance peut-on leur proposer, etc.
Elles expriment souvent directement leur angoisse et leur senti-
ment de culpabilité, qui peuvent les pousser soit à un non-dit
pesant soit à la divulgation directe et crue d’une information
que personne n’attendait et qui plonge la famille dans une
crise.
En ce qui concerne les consultantes indemnes, le résultat ne
vient que confirmer, là aussi, leurs craintes et leurs présuppo-
sés.
Il y a des consultantes dont l’histoire familiale des cancers du
sein est telle que le résultat apporte un véritable soulagement,
celui-ci permettant de sortir du doute et de prendre des déci-
sions de façon plus tranquille.
Cependant, les consultantes ont du mal à comprendre que,
même si l’on est sûr qu’elles sont porteuses d’une anomalie
génétique, il n’est pas sûr qu’elles développent la maladie.
Cette notion de pénétrance et de probabilité entre, là aussi, en
contradiction avec la logique psychique, l’intuition et l’identi-
fication inconsciente et consciente à certains membres de la
famille.
PROBLÈME DES PROPOSITIONS DE SURVEILLANCE,
DÉPISTAGE ET PROPHYLAXIE
Il est bien évident que les consultantes chez qui l’on découvre
une anomalie sont demandeuses d’actions efficaces leur per-
mettant au pire un dépistage le plus précoce possible du cancer,
au mieux une prévention de ce cancer.
Or, le problème actuel est qu’on n’a pas encore prouvé l’effica-
cité totale des chirurgies prophylactiques, même si on les pra-
tique déjà depuis plusieurs années. Quant au dépistage, on sait
aussi que la mammographie n’est pas toujours suffisante pour
le cancer du sein, et on connaît bien la difficulté du dépistage
précoce d’un cancer ovarien.
On est donc obligé de proposer des protocoles de surveillance
et de dépistage dont l’aspect sécurisant varie chez les consul-
tantes en fonction de leur expérience du cancer de leurs
proches : une femme ayant observé que le cancer de sa mère
ou de sa sœur a été diagnostiqué tard malgré des mammogra-
phies régulières ne sera absolument pas rassurée par la proposi-
tion de mammographies et auto-palpation. C’est ce type de
femmes qui va réclamer des mesures plus draconiennes,
comme une ablation des seins ou des ovaires.
Les nombreux articles médicaux sur les indications des mas-
tectomies ou ovariectomies prophylactiques témoignent de la
difficulté de telles décisions (3). Certaines équipes ont publié
des guides décisionnels (4) pour faire face aux demandes de
chirurgie prophylactique des consultantes reconnues à risque.
Dans tous les cas, il est recommandé de prendre plusieurs avis,
et d’avoir à différentes reprises une explication détaillée avec
la consultante, des limites et des risques d’une telle chirurgie.
La prise de décision doit être appuyée par une expertise pluri-
disciplinaire dans laquelle un psychologue doit s’inscrire (5).
CONCLUSION
Doit-on inciter les femmes à consulter en oncogénétique ?
Pour l’instant, la grande majorité des femmes qui consultent
ont le sentiment d’être porteuses d’une anomalie génétique. La
question qui se pose à l’heure actuelle est celle de l’incidence
d’un test ou d’une consultation génétique chez quelqu’un qui
ne se sentirait pas à risque, ou qui ne s’interrogerait pas sur
l’aspect éventuellement héréditaire de son cancer (6).