D O S S I E R T H É M A T I Q U E Aspects physiopathologiques Pathophysiological aspects ● B. Fromenty, P. Lettéron, D. Pessayre* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ Les stéatoses sont la conséquence de diverses perturbations du métabolisme des acides gras (AG) et des triglycérides (TG). ■ Les stéatoses microvésiculaires, lésions hépatiques potentiellement graves, sont la conséquence d’une inhibition sévère de la β-oxydation mitochondriale des AG. ■ L’inhibition de la β-oxydation mitochondriale peut avoir comme origine une inhibition de la β-oxydation en ellemême par inhibition enzymatique et/ou déplétion en cofacteurs (L-carnitine, coenzyme A), un dysfonctionnement de la chaîne respiratoire, ou des altérations qualitatives et/ou quantitatives du génome mitochondrial. ■ Les stéatoses macrovacuolaires peuvent être la conséquence d’une augmentation de l’entrée des AG ou de leur synthèse dans le foie, d’une altération de la formation et/ou de la sécrétion des VLDL ou d’une inhibition modérée de la β-oxydation mitochondriale. ■ À plus ou moins long terme, la stéatose macrovacuolaire peut progresser chez certains individus vers une stéatohépatite. ■ Cette progression fait intervenir différents facteurs ou événements favorisant la mort cellulaire, l’inflammation et la fibrogenèse, tels que la surproduction d’espèces réactives de l’oxygène (ERO), de produits réactifs de la peroxydation lipidique et diverses cytokines. ■ La survenue des stéatoses et des stéatohépatites semble être favorisée chez certains individus par des mutations pathogéniques ou des polymorphismes génétiques modifiant la fonction mitochondriale, le métabolisme des lipides, ainsi que la production d’ERO et de cytokines. * INSERM U-481, Hôpital Beaujon Clichy. 12 i les principales causes des stéatoses et des stéatohépatites sont maintenant bien connues (1, 2), force est de constater que nos connaissances sur la physiopathologie de ces lésions sont encore fragmentaires. Ce manque de connaissances est en fait plus ou moins marqué en fonction des étiologies (i.e. alcool, obésité, VHC). Cela pourrait être dû à des efforts de recherche clinique et expérimentale non uniformément répartis (les travaux sur l’alcool ne sont plus à la mode) ou mis en œuvre relativement récemment (VHC, par exemple). Notons que les nouvelles technologies dites à haut débit (e.g. transcriptome, protéomique) ou l’utilisation d’animaux génétiquement modifiés devraient permettre des avancées importantes dans la compréhension des mécanismes de ces lésions hépatiques. Certaines données physiopathologiques présentées dans cet article pourraient ainsi évoluer rapidement dans un proche avenir. S STÉATOSES MICROVÉSICULAIRES Les étiologies des stéatoses microvésiculaires sont les suivantes (2, 3) : • Traitements par divers médicaments : acide valproïque (Dépakine®), anti-inflammatoires non stéroïdiens de la famille des acides 2-arylpropioniques (ibuprofène, pirprofène) ou des salicylés (aspirine, acide salicylique), antiangineux tels que l’amiodarone (Cordarone®) ou la perhexiline (Pexid®), antidépresseurs tricycliques (amineptine, tianeptine), antibiotiques du groupe des tétracyclines, antirétroviraux utilisés dans le traitement du sida, tels que la zidovudine (Retrovir®), la stavudine (Zerit®) et la didanosine (Videx®). • Intoxications involontaires par l’hypoglycine (un poison contenu dans les fruits d’un arbre de la Jamaïque, le Bighlia Sapida), le diméthyl-formamide (un solvant très utilisé dans l’industrie chimique), la toxine émétique de Bacillus cereus. • Intoxication alcoolique : les formes sévères, voire mortelles, de stéatose microvésiculaire (encore appelée stéatose spongiocytaire) alcoolique semblent assez rares. • Déficits enzymatiques congénitaux : déficits génétiques en enzymes de la β-oxydation mitochondriale, anomalies de la phosphorylation oxydative (appelées cytopathies mitochondriales) induites par des mutations au niveau de l’ADN nucléaire ou mitochondrial, maladie de Wilson liée à la présence de mutations sur un gène nucléaire codant pour une protéine de transport du cuivre. La lettre du l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VI - janvier-février 2003 D O S S I E R T • Infections virales : fièvre jaune, hépatites dues au virus delta et hépatites chroniques liées au virus de l’hépatite C. • La stéatose hépatique aiguë gravidique et le syndrome de Reye : il semble que divers facteurs (génétiques, infectieux, environnementaux) soient impliqués dans la physiopathologie de ces formes idiopathiques de stéatose microvésiculaire. De nombreux travaux suggèrent que les stéatoses microvésiculaires, quelles que soient leurs étiologies, sont la conséquence d’une inhibition sévère de la ß-oxydation mitochondriale des acides gras (2, 3). Les principales caractéristiques de cette voie métabolique majeure seront brièvement rappelées dans les deux paragraphes suivants. La β-oxydation mitochondriale dégrade les acides gras en molécules d’acétyl-coenzyme A à deux carbones et en “équivalents réduits” (NADH et FADH2). Cette voie catabolique fait intervenir de nombreuses enzymes et des cofacteurs, tels que la L-carnitine et la coenzyme A (CoA). La carnitine est essentielle à la pénétration des acides gras à chaîne longue dans les mitochondries. Les équivalents réduits formés lors de la β-oxydation (et lors du cycle de Krebs) doivent être réoxydés en NAD+ et FAD par la chaîne respiratoire mitochondriale pour pouvoir être réutilisés dans ces réactions d’oxydoréduction. En cas d’altération de la chaîne respiratoire, le NADH peut s’accumuler, inhibant alors secondairement certaines enzymes de la ß-oxydation et du cycle de Krebs. L’énergie générée lors de l’oxydation des équivalents réduits par la chaîne respiratoire permet la phosphorylation de l’ADP en ATP (principal vecteur d’énergie dans les cellules). Ce processus métabolique complexe, appelé phosphorylation oxydative, survient dans la membrane interne des mitochondries. Treize protéines impliquées dans la phosphorylation oxydative sont codées par l’ADN mitochondrial (ADNmt), une petite molécule d’ADN circulaire, présente à plusieurs centaines de copies dans les cellules (sauf dans les hématies). Des altérations de l’ADNmt peuvent aboutir à un dysfonctionnement de la chaîne respiratoire et de la ß-oxydation mitochondriale (2, 4). La β-oxydation mitochondriale des acides gras est une source primordiale d’énergie pour l’organisme, particulièrement chez les nouveau-nés et en période de jeûne. Lors d’un jeûne, les réserves de glucides (glycogène) sont rapidement épuisées, et l’organisme utilise alors les lipides comme source d’énergie. En effet, la diminution des taux sanguins d’insuline s’accompagne d’une dégradation des graisses du tissu adipeux (lipolyse périphérique), provoquant ainsi la libération d’acides gras dans la circulation sanguine. Dans le foie, les molécules d’acétyl-CoA provenant de la β-oxydation de ces acides gras permettent la formation de corps cétoniques, libérés dans la circulation sanguine et utilisés préférentiellement comme substrats énergétiques par certains tissus extra-hépatiques (muscles, cœur, reins). La β-oxydation des H É M A T I Q U E acides gras dans le foie stimule la synthèse de glucose à partir de certains dérivés endogènes (lactate et alanine principalement). Une inhibition sévère de la β-oxydation dans le foie entraîne un déficit énergétique dans les hépatocytes mais aussi dans certains tissus extra-hépatiques du fait de la baisse de production des corps cétoniques et du glucose. Les conséquences de l’inhibition de la β-oxydation mitochondriale hépatique seront plus marquées lors d’une diminution de la prise alimentaire ou lors d’un jeûne (du fait d’une infection, par exemple). Le blocage de la β-oxydation mitochondriale des acides gras entraîne également une accumulation hépatique des acides gras sous forme de triglycérides (molécules de glycérol estérifiées par trois acides gras) et d’acides gras libres (AGL) (2). Il est possible que la petite taille des vésicules lipidiques observée au cours des stéatoses microvésiculaires soit due à la formation de micelles entre les triglycérides et les AGL. L’accumulation des AGL semble jouer un rôle primordial dans la physiopathologie des stéatoses microvésiculaires (2). En effet, en quantité anormalement élevée, ces dérivés sont toxiques pour les cellules et les mitochondries (2). Les différents mécanismes pouvant être impliqués dans l’inhibition de la β-oxydation mitochondriale des acides gras sont les suivants (2-4) (tableau I) : Tableau I. Origines possibles de l’inhibition de la β-oxydation mitochondriale des acides gras au cours des stéatoses microvésiculaires. 1. Inhibition directe (ou défaut de synthèse) d’une, ou de plusieurs, enzyme(s) impliquée(s) dans la β-oxydation mitochondriale. 2. Déplétion en L-carnitine et/ou en CoA, deux facteurs indispensables à la β-oxydation mitochondriale. 3. Accumulation de cofacteurs réduits (e.g. NADH) par excès de production (e.g. métabolisme de l’alcool) et/ou par défaut d’utilisation (e.g. dysfonctionnement de la chaîne respiratoire). 4. Altérations qualitatives (mutations) et/ou quantitatives (déplétion) de l’ADN mitochondrial. • Inhibition, ou déficit, d’une (ou de plusieurs) enzyme mitochondriale impliquée dans la β-oxydation. C’est, par exemple, le cas de l’acide valproïque, dont un métabolite réactif (généré par le cytochrome P-450 microsomal) inhibe de façon irréversible (par fixation covalente) une des enzymes de la ß-oxydation mitochondriale (2). • Déplétion en cofacteurs (L-carnitine, coenzyme A) indispensables à la pénétration ou à l’oxydation des acides gras dans les mitochondries. C’est le cas de l’acide valproïque, des acides 2-arylpropioniques et des salicylés. La séquestration du CoA et/ou La lettre du l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VI - janvier-février 2003 13 D O S S I E R T de la L-carnitine par ces dérivés (présentant tous une fonction acide carboxylique) empêche l’oxydation mitochondriale des acides gras naturels (2). • Accumulation de NADH dans la mitochondrie par excès de production ou par blocage de son oxydation par la chaîne respiratoire (2, 3). L’excès de production peut s’observer au cours de l’intoxication alcoolique, car le métabolisme de l’alcool produit du NADH, au niveau cytosolique et mitochondrial, par l’action de l’alcool déshydrogénase et l’aldéhyde déshydrogénase respectivement. Le blocage de l’oxydation du NADH par la chaîne respiratoire peut s’observer au cours de l’intoxication alcoolique (qui a de nombreux effets délétères sur les mitochondries) ou être induit par des médicaments tels que l’amiodarone et la perhexiline (2). • Altérations de l’ADNmt. Ces altérations peuvent être congénitales (par exemple, au cours de certaines cytopathies mitochondriales) ou acquises (comme cela peut être le cas au cours des traitements par les analogues nucléosidiques antirétroviraux qui sont capables d’inhiber la réplication de l’ADNmt dans divers tissus dont le foie, induisant ainsi une déplétion de l’ADNmt). Il est important de noter que ces mécanismes peuvent coexister dans certaines situations. De plus, l’inhibition de la β-oxydation mitochondriale peut être associée à d’autres anomalies métaboliques favorisant l’accumulation des triglycérides, telle l’inhibition de la sécrétion des VLDL induite par les tétracyclines (2). Enfin, il est à noter que la déplétion de l’ADNmt induite par les analogues antirétroviraux entraîne (par l’intermédiaire de l’altération de l’activité de la chaîne respiratoire) non seulement une inhibition de la β-oxydation, mais aussi une inhibition de l’oxydation du pyruvate, ce qui peut entraîner une acidose lactique (5). STÉATOSES MACROVACUOLAIRES Les causes principales des stéatoses macrovacuolaires sont les suivantes (1) : • Traitements par certains médicaments : méthotrexate et certains médicaments entraînant également des stéatoses microvésiculaires (e.g. amiodarone,tétracyclines,analogues antirétroviraux). • Intoxication alcoolique : même modérée, elle est une cause fréquente de stéatose macrovacuolaire. Elle est régressive en cas d’abstinence. • Obésité, diabète de type 2, hyperlipidémies et syndrome métabolique : du fait d’une alimentation riche en sucres et graisses et d’un manque d’exercice physique, ces causes de stéatose macrovacuolaire sont de plus en plus fréquentes dans les pays développés, non seulement chez les adultes mais aussi chez les adolescents et les enfants. • Alimentation parentérale. • Court-circuit jéjuno-iléal, et perte de poids rapide. 14 H É M A T I Q U E Les mécanismes des stéatoses macrovacuolaires semblent variés et pourraient inclure (tableau II) : • Une augmentation de la lipolyse au niveau du tissu adipeux blanc entraînant une élévation des acides gras libres plasmatique (6). Captés en excès par le foie, ces acides gras peuvent être estérifiés en triglycérides qui sont stockés ou sécrétés. Un afflux accru d’acides gras vers le foie s’observe lors de régimes alimentaires entraînant une perte de poids trop rapide ou au cours du diabète de type 2 (du fait de la résistance à l’insuline favorisant la lipolyse). • Une augmentation de la synthèse des acides gras et/ou des triglycérides hépatiques. Une augmentation de la synthèse de novo d’acides gras est observée en cas d’hyperinsulinisme, car l’insuline active l’acétyl-CoA carboxylase, une enzyme responsable de la synthèse de malonyl-CoA, un métabolite utilisé comme précurseur dans la synthèse des acides gras (7). • Une altération de la formation et/ou de la sécrétion des VLDL. Cela peut être la conséquence d’un effet sur : la synthèse ou la dégradation des apolipoprotéines (plus particulièrement apoB) ; l’association de l’apoB avec les lipides (principalement triglycérides et phospholipides) grâce à la microsomal triglyceride transfer protein (MTP), une enzyme située dans la lumière du réticulum endoplasmique ; la sortie des VLDL du foie. Les tétracyclines pourraient inhiber la synthèse des apolipoprotéines et altérer l’association entre les triglycérides et les apoprotéines (2). L’hyperinsulinisme entraîne une augmentation de la dégradation de l’apoB (7) et une diminution de l’expression de la MTP (8), induisant une accumulation de triglycérides. La résistance à l’insuline semble en revanche entraîner une augmentation de la stabilité et de la demi-vie de l’apoB ainsi qu’une élévation de l’expression de la MTP, favorisant la production des VLDL (7, 9). Au cours de l’alimentation parentérale, un déficit en acides aminés et en choline (un précurseur de la phosphatidylcholine, phospholipide essentiel à la synthèse des VLDL) jouerait un rôle important dans la survenue de la stéatose (10). Un régime déficient en choline peut être utilisé chez le rongeur pour induire une stéatose (11). • Une diminution (modérée) de l’oxydation des acides gras par les mitochondries. Comme indiqué précédemment, la β-oxydation mitochondriale des acides gras peut être inhibée par certains médicaments et par l’alcool. L’hyperinsulinisme, par l’intermédiaire d’une augmentation des taux de malonyl-CoA intrahépatique, entraîne une diminution de l’activité de la carnitine palmitoyl-transférase I (CPT-I), une enzyme clé de l’oxydation mitochondriale des acides gras à chaîne longue. Chez les sujets insulinorésistants, la β-oxydation mitochondriale hépatique semble augmentée, probablement par perte de la sensibilité de la CPT-I à son inhibiteur physiologique, le malonyl-CoA (12). Cependant, l’augmentation d’oxydation ne pourrait suffire à éliminer l’excès d’acides gras présents dans le foie. La lettre du l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VI - janvier-février 2003 D O S S I E R T Dans le cas des stéatoses macrovacuolaires induites par l’alcool, plusieurs des mécanismes cités ci-dessus pourraient coexister (13). Récemment, il a été montré que l’alcool pouvait diminuer l’expression de la MTP (14) et perturber la fixation du récepteur nucléaire PPAR-α sur sa séquence cible d’ADN (15). Étant donné que le PPAR-α est un facteur de transcription régulant l’expression de nombreuses enzymes mitochondriales, peroxisomales et microsomales impliquées dans l’oxydation des acides gras (11), ce mécanisme pourrait jouer un rôle important dans la survenue des stéatoses alcooliques. Tableau II. Mécanismes impliqués dans la survenue des stéatoses macrovacuolaires. 1.Stimulation anormale de la lipolyse au niveau du tissu adipeux, responsable d’une entrée excessive d’acides gras dans le foie. 2. Augmentation de la synthèse de novo d’acides gras et/ou de triglycérides au niveau hépatique. 3. Anomalies de la formation et/ou de la sécrétion des VLDL, par modification des taux intrahépatiques d’apolipoprotéine B (apoB), et/ou par altération de l’expression de la microsomal triglyceride transfer protein (MTP), une enzyme impliquée dans l’assemblage des différents constituants des VLDL. 4. Réduction (modérée) de l’oxydation mitochondriale des acides gras. STÉATOHÉPATITES La stéatose peut, chez certains individus, évoluer à plus ou moins long terme vers la stéatohépatite, qui comprend non seulement une stéatose (macrovacuolaire ou mixte) mais aussi un infiltrat inflammatoire, la présence de nécrose et d’apoptose, une fibrose et des corps de Mallory (16, 17). La stéatohépatite peut évoluer vers une cirrhose et le décès du patient. Les étiologies des stéatohépatites sont les mêmes que pour les stéatoses macrovacuolaires (voir ci-dessus). En ce qui concerne les mécanismes de survenue des stéatohépatites, de nombreuses études permettent d’établir les conclusions suivantes (11, 16, 17) : – La physiopathologie des stéatohépatites non alcooliques semble similaire à celle des stéatohépatites alcooliques ; – En plus de la stéatose, d’autres événements délétères doivent survenir au niveau hépatique pour qu’il y ait progression vers la stéatohépatite, tels qu’une augmentation du stress oxydant et/ou une surproduction de certaines cytokines ; – Il existe des facteurs génétiques qui favorisent la survenue des stéatohépatites. Du fait de la similitude de nombreux aspects physiopathologiques entre les stéatohépatites alcooliques et non alcoo- H É M A T I Q U E liques et par souci de concision, ces aspects seront abordés ensemble. L’augmentation du stress oxydant au niveau hépatique est un événement majeur dans la physiopathologie des stéatohépatites (11, 16, 17). La surproduction des espèces réactives de l’oxygène (ERO) semble provenir principalement de l’induction de certains cytochromes P-450 (1, 17) et de l’altération de la chaîne respiratoire mitochondriale (12, 16). Le cytochrome P-450 2E1 est induit au cours de l’intoxication alcoolique, ainsi qu’au cours du diabète de type 2 et de l’obésité (1). L’alcool a de nombreux effets délétères sur les fonctions mitochondriales, en particulier sur l’ADNmt et la chaîne respiratoire (2, 18). L’altération du transfert des électrons le long de cette chaîne respiratoire entraîne une réduction anormale de l’oxygène au niveau de certains constituants de cette chaîne (coenzyme Q notamment), avec formation d’ERO (comme l’anion superoxyde) au lieu de l’H2O normalement formée au niveau du complexe IV de la chaîne (2, 6). La présence d’altérations mitochondriales dans les stéatohépatites non alcooliques a été documentée (19), mais l’origine de ces altérations reste hypothétique. Certaines cytokines pourraient jouer un rôle important (voir ci-dessous). La production accrue d’ERO dans un environnement riche en triglycérides (stéatose) entraîne une peroxydation lipidique, un processus qui dégrade les acides gras en molécules plus ou moins petites, mais toutes très réactives. Ces produits de la peroxydation lipidique, tels que le malondialdéhyde (MDA) ou le 4-hydroxynonénal (HNE), ont de nombreux effets délétères sur les cellules hépatiques (16, 17). Ces deux aldéhydes réactifs peuvent être directement toxiques ou générer une réaction immunitaire en se fixant sur – et en modifiant – les protéines hépatiques. Le MDA et le HNE sont capables d’ “attacher” les protéines entre elles, et cela pourrait contribuer à la formation des corps de Mallory, qui sont principalement constitués de cytokératines agrégées. Le MDA et le HNE stimulent, par ailleurs, la synthèse de collagène par les cellules étoilées (i.e. cellules de Ito), tandis que le HNE a un pouvoir chémo-attracteur pour les polynucléaires neutrophiles. Enfin, la peroxydation de certains lipides mitochondriaux (en particulier la cardiolipine, un phospholipide retrouvé en grande quantité dans la membrane interne mitochondriale) pourrait favoriser la dissociation du cytochrome c (un constituant de la chaîne respiratoire) de la cardiolipine et sa sortie dans le cytosol (20). La sortie mitochondriale du cytochrome c peut avoir pour conséquence, en fonction du contexte cellulaire, une diminution de la synthèse d’ATP (entraînant une nécrose) ou une activation de la caspase 9 (aboutissant à une apoptose) (16). Certaines cytokines (ou des protéines apparentées) semblent jouer un rôle prépondérant dans la physiopathologie des stéatohépatites (tableau III). Parmi ces peptides, on citera plus particulièrement TNF-α, Fas-ligand (Fas-L), TGF-β et leptine (1, 16, 17). La lettre du l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VI - janvier-février 2003 15 D O S S I E R T Tableau III. Cytokines et protéines apparentées jouant un rôle dans la physiopathologie des stéatohépatites. 1. TNF-α : produit par les cellules de Kuppfer activées et le tissu adipeux, le TNF-α favorise la synthèse des lipides hépatiques, augmente la production des espèces réactives de l’oxygène en altérant les fonctions mitochondriales, et favorise la mort des hépatocytes par apoptose ou nécrose. 2. Fas-ligand (Fas-L) : l’expression anormalement élevée de Fas-L à la surface des hépatocytes (induit, par exemple, par le stress oxydant) peut être responsable de la mort des cellules avoisinantes après fixation de Fas-L aux récepteurs Fas (CD95), normalement exprimés sur la membrane plasmatique. É M A T I Q U E La leptine, une hormone principalement synthétisée par les adipocytes, régule l’appétit et les dépenses énergétiques par une action centrale et périphérique (22). Les taux plasmatiques de leptine sont augmentés chez les sujets obèses, ce qui pourrait refléter un état de résistance à la leptine au niveau hypothalamique (22). Une augmentation de la leptine a été retrouvée chez des sujets alcooliques présentant une cirrhose (23). La leptine semble activer la fibrogenèse, peut-être en agissant de façon synergique avec le TGF-β sur les cellules étoilées (24). Un dernier aspect de la physiopathologie des stéatohépatites est la formation possible d’anticorps dirigés contre diverses structures cellulaires. L’acétaldéhyde et d’autres dérivés de l’éthanol (comme le radical hydroxyéthyle), produits au cours de l’intoxication alcoolique, réagissent “avidement” avec des protéines de l’hépatocyte, en particulier au niveau de la membrane plasmique (25). La formation d’anticorps dirigés contre ces protéines modifiées pourrait aussi expliquer la persistance de certaines lésions hépatiques malgré l’abstinence. La formation de tels anticorps au cours des stéatohépatites non alcooliques est plausible, car les dérivés aldéhydiques générés lors de la peroxydation lipidique (voir ci-dessus) pourraient, eux aussi, former des néoantigènes, après fixation covalente à des protéines hépatiques. 3.TGF-β : cette cytokine, produite par diverses cellules hépatiques activées (cellules endothéliales et de Kuppfer), stimule la fibrogenèse par les cellules étoilées et présente des propriétés cytotoxiques sur les hépatocytes. 4. Leptine : cette hormone, produite en excès par le tissu adipeux hyperplasique, semble jouer un rôle important dans la fibrogenèse. Le TNF-α peut être produit en excès par certaines cellules hépatiques activées (cellules de Kuppfer, par exemple), mais aussi par le tissu adipeux, lorsque celui-ci est hyperplasique, comme c’est le cas chez les sujets obèses. Le TNF-α peut être produit en excès par les cellules de Kuppfer chez les sujets présentant des taux sanguins élevés d’endotoxines bactériennes (telles que le lipopolysaccharide, ou LPS), ce qui survient chez les sujets alcooliques, les diabétiques et ceux ayant subi un court-circuit jéjunoiléal. Le TNF-α présente différents effets délétères qui pourraient contribuer aux lésions des stéatohépatites (16, 17) : il favorise la synthèse des lipides hépatiques ; il entraîne divers dysfonctionnements mitochondriaux et augmente la production mitochondriale d’ERO ; il présente des effets cytotoxiques, en particulier en induisant la sortie mitochondriale de cytochrome c. Le rôle de Fas-L (un peptide anormalement exprimé à la surface des hépatocytes dans certaines circonstances) dans la mort des hépatocytes induite par l’intoxication alcoolique a été montré dans plusieurs travaux (16, 21). Son rôle au cours des stéatohépatites non alcooliques est possible (mais reste à déterminer), car l’expression de Fas-L semble être induite par le stress oxydant (16). Le TGF-β est une cytokine produite par différentes cellules hépatiques activées, telles que les cellules endothéliales sinusoïdales, les cellules de Kuppfer et les cellules étoilées (16). Cette cytokine pourrait jouer un rôle important dans la fibrogenèse (i.e. synthèse accrue de collagène par les cellules étoilées), dans la génération des corps de Mallory et dans la mort cellulaire (12, 16). 16 H SUSCEPTIBILITÉ GÉNÉTIQUE L’implication de divers facteurs génétiques dans la survenue des stéatoses (microvésiculaires ou macrovacuolaires) et des stéatohépatites a été documentée. Différentes anomalies génétiques de la mitochondrie semblent augmenter le risque de stéatose microvésiculaire induite par l’acide valproïque, ou lors du syndrome de Reye et la stéatose aiguë gravidique (26). Un polymorphisme de la manganèse superoxyde-dismutase (une enzyme mitochondriale neutralisant l’anion superoxyde) pourrait moduler le stress oxydant intrahépatique et la survenue de certaines lésions hépatiques d’origine alcoolique (stéatose microvésiculaire, stéatohépatite et cirrhose) (12). Des polymorphismes génétiques modulant la production de certaines cytokines, en particulier du TNF-α, semblent favoriser la survenue de stéatohépatites alcooliques ou non alcooliques (16). Enfin, des facteurs génétiques favorisant l’obésité ou le diabète de type 2 pourraient avoir un rôle dans la physiopathologie des stéatohépatites non alcooliques (1, 16). PERSPECTIVES De nouveaux facteurs jouant un rôle important dans la physiopathologie des stéatoses et des stéatohépatites seront sans aucun doute découverts prochainement. Par exemple, des protéines sécrétées par le tissu adipeux, récemment identifiées, telles que l’adiponectine et la résistine, semblent avoir un rôle majeur dans le métabolisme des graisses, l’expression de diverses cytokines La lettre du l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VI - janvier-février 2003 D O S S I E R T et la sensibilité à l’insuline. L’étude de leur implication éventuelle dans la physiopathologie des stéatoses et des stéatohépatites non alcooliques ne devrait pas tarder. ■ Mots clés. Mitochondrie - Lipides - Stress oxydant Cytokines. H É M A T I Q U E 12. Pessayre D, Mansouri A, Fromenty B. Nonalcoholic steatosis and steatohepatitis V. Mitochondrial dysfunction in steatohepatitis. Am J Physiol Gastrointest Liver Physiol 2002 ; 282 : G193-9. 13. Reitz RC. 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