La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVI - n° 1 - janvier-février 2011 | 5
ÉDITORIAL
serait faire preuve du même dogmatisme que celui qu’on
retrouve chez les groupes “anti-capotes”, qui avançaient
comme argument que l’abstinence est moins chère, moins
risquée et plus efficace que les préservatifs. Il faut regarder
en face la situation d’échec global des mesures de préven-
tion actuellement proposées. Alors que la prise en charge
des patients infectés par le VIH s’est améliorée de manière
spectaculaire, avec l’extension de l’accès aux trithérapies
dans les pays en développement et les excellents résultats
obtenus dans les pays dits développés avec des traite-
ments simplifiés et mieux tolérés, le nombre de personnes
qui se contamine chaque année est un échec flagrant. Si
cette situation d’échec se prolonge, elle sera de plus en
plus difficile à gérer, avec l’augmentation du nombre de
patients à traiter, l’absence de perspective de traitement
curatif à moyen terme et toutes les difficultés financières
prévisibles dans ce contexte. Pourtant, de toute évidence,
ce qu’on propose comme prévention en 2011 ne permet
pas de protéger toutes les populations. La prophylaxie pré-
exposition pourrait être une solution, par exemple, pour les
femmes qui n’ont pas les moyens d’imposer le préservatif
à leurs partenaires.
Les données issues de l’étude iPrEx ne sont donc pas à
jeter aux oubliettes. Les efforts consentis pour cette étude
par le National Institute of Health’s Division of AIDS, les
investigateurs, le soutien de la fondation Bill and Melinda
Gates et les 2 499 hommes qui ont accepté de participer à
cette étude au Pérou, en Équateur, au Brésil, aux États-Unis,
en Thaïlande et en Afrique du Sud méritent mieux que les
critiques acerbes entendues lors de la parution de l’étude.
On peut, certes, reprocher aux auteurs de ne pas avoir dit
clairement qu’il s’agit d’un nouvel échec, ce qui transparaît
pourtant lorsqu’on lit que le calcul d’effectif était fondé
sur une protection espérée à 60 %, alors qu’elle n’est au
final que de 44 %. Le même reproche peut être adressé
à l’éditorialiste, qui titre son papier “Une nouvelle flèche
dans le carquois de la prévention du VIH ?” (2). L’absence
de sa reconnaissance semble avoir inhibé la réflexion sur la
principale cause de cet échec : la très mauvaise observance
au traitement proposé, bien documentée par les dosages
pharmacologiques effectués au cours de l’étude.
Une des règles d’or de la gestion de l’échec d’un traitement
antirétroviral chez un patient infecté est de ne pas passer au
traitement suivant sans analyser attentivement la cause de
l’échec du précédent. La même règle aurait dû s’appliquer ici,
face à cette population caractérisée par une très mauvaise
adhésion à l’usage des préservatifs : 60 % des hommes rappor-
taient au moins un rapport anal réceptif non protégé au cours
des 3 mois précédant leur inclusion dans l’étude. Savoir pour-
quoi ces hommes n’utilisaient pas les préservatifs aurait peut-
être permis de leur proposer des mesures adaptées aux causes
de cette non-adhésion. L’échec de l’outil de prévention proposé
dans cette étude, la chimioprophylaxie pré-exposition, s’ex-
plique de nouveau par la non-adhésion, bien plus que par les
propriétés intrinsèques de la prophylaxie proposée. On aurait
aimé savoir si la carence d’utilisation du préservatif dans cette
population très exposée était liée à un manque d’information,
à de l’insouciance, au goût du risque, à la prise de toxiques,
ou à des contraintes extérieures. Cette étape relativement
simple pourrait permettre de mieux cibler la population à qui
la prophylaxie pré-exposition rendrait un véritable service.
Une prise de traitement est également un comportement : la
communauté médicale vit trop dans l’illusion que la prévention
biomédicale s’opposerait aux préventions comportementales
et ne buterait pas sur les mêmes difficultés à convaincre les
populations qu’on souhaite protéger.
Il est coutume de terminer un papier par une phrase passe-
partout du type “Des études supplémentaires sont néces-
saires pour mieux préciser l’intérêt de cette intervention
et la population susceptible d’en bénéficier”. Cette phrase
trouve ici tout son sens. Les associations de patients ne
s’y sont pas trompées, qui semblent, pour la plupart, avoir
intégré les résultats d’iPrEx parmi les arguments qui les inci-
tent à demander plus, de la part de la communauté scien-
tifique et des autorités, en vue de développer de nouveaux
outils de prévention (http://www.trt-5.org/article328.
html). Les données apportées par cette étude incitent à
poursuivre dans cette voie à travers de nouvelles études,
avec des méthodes et des populations cibles repensées,
mais certainement pas à inclure la chimioprophylaxie pré-
exposition dans la boîte à outils des mesures de prévention
à proposer aux populations. ■
Références bibliographiques
1. Grant RM, Lama JR, Anderson PL et al. Preexposure chemoprophylaxis for HIV
prevention in men who have sex with men. N Engl J Med 2010;363:2587-99.
2. Michael NL. Oral preexposure prophylaxis for HIV – Another arrow in the
quiver? N Engl J Med 2010;363:2663-5.