Dossier : Génomique, recherche et thérapie en endocrinologie Maladies endocriniennes et essais de thérapie génique D. Marot* thérapie génique représente une nouLêtreavelle alternative thérapeutique qui peut définie comme le transfert de matériel génétique vers une cellule cible afin d’interférer avec la fonction d’un gène, de restaurer une fonction perdue ou d’initialiser une nouvelle fonction. De grands efforts ont été accomplis ces dix dernières années pour parvenir à un transfert de gène efficace et durable, avec l’espoir de réussir là où les thérapeutiques usuelles avaient échoué. Cette approche novatrice soulève de grands espoirs pour le traitement des maladies monogéniques et des tumeurs endocriniennes. Les vecteurs de thérapie génique (tableau) Conceptuellement, le transfert d’ADN dans des cellules de mammifères ne diffère pas de l’administration de médicaments conventionnels. Les principaux paramètres de la vectorologie – l’équivalent de la galénique – sont la nature du gène “thérapeutique”, le choix du vecteur et le ciblage du transfert. Les vecteurs appartiennent à deux grandes familles possédant des qualités et des inconvénients différents : les vecteurs viraux et les vecteurs synthétiques. Les vecteurs viraux Historiquement, les vecteurs viraux ont été les premiers utilisés pour le transfert de gènes. En effet, les virus ont une capacité naturelle à détourner à leur profit la machinerie cellulaire pour survivre. Grâce à l’avancée de la biologie moléculaire, il a été possible d’en modifier le génome en supprimant leur capacité de réplication. Ces virus recombinants sont donc capables de véhiculer une cassette d’expression contenant un transgène et son promoteur, d’infecter différents types cellulaires et d’induire l’expression du gène d’intérêt par les cellules cibles. Cinq grandes familles de virus sont utilisées en thérapie génique : les rétrovirus, les adénovirus, les virus associés à l’adénovirus (AAV), les herpes virus (HSV) et les poxvirus utilisés dans des stratégies vaccinales. La plupart des vecteurs rétroviraux dérivent du virus de la leucémie murine de Moloney (MoMuLV), dont les gènes gag, pol et env sont remplacés par une cassette d’expression (1). La pérennisation de l’expression génique est l’atout principal de ces vecteurs qui ont suscité un grand nombre d’essais cliniques chez l’homme. En revanche, ils présentent certaines limites : le tropisme restreint aux Tableau. Avantages et inconvénients des principaux vecteurs utilisés en thérapie génique. Adénovirus Taille de l’insert Expression Infection cellulaire Réponse immunitaire * Service d’hormonologie et biologie moléculaire, hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre. cellules en division, la capacité de l’insert limitée, les titres viraux obtenus relativement faibles, l’inactivation des rétrovirus murins par le complément, l’apparition de particules virales compétentes pour la réplication dans les stocks viraux et, enfin, le risque de mutagenèse insertionnelle. Toutefois, bien que le lieu d’intégration de l’ADN viral dans le génome de la cellule hôte soit aléatoire, le risque de mutagenèse insertionnelle reste faible, car moins de 2 % du génome humain est transcrit. Les vecteurs adénoviraux (Ad) sont issus de souches de virus responsables essentiellement d’affections des voies respiratoires chez l’homme (2, 3). Les régions E1 et E3 de leur génome sont remplacées par une cassette d’expression pour l’obtention de virus défectifs et non réplicatifs. L’Ad constitue un vecteur viral très efficace pour le transfert de gènes, car il possède un large tropisme cellulaire et une capacité d’infection à tous les stades du cycle cellulaire. De plus, contrairement aux rétrovirus, le génome de l’Ad ne s’intègre pas dans le génome de l’hôte, minimisant ainsi les risques d’oncogenèse insertionnelle. Enfin, la production de stocks viraux est simple à mettre en œuvre pour des titres élevés, indispensables pour des essais cliniques chez l’homme. Ces vecteurs adénoviraux ∆E1∆E3 sont cependant confrontés à trois inconvénients majeurs : d’une part, la perte progressive de l’expression du transgène dans les tissus en division ; d’autre part, la réaction immunitaire induite par les protéines de la capside et, enfin, l’émergence de particules virales capables de se répliquer, ou RCA Production virale Sécurité virale Rétrovirus Lentivirus AAV ADN nu ou complexé > 20 kb < 7,5 kb < 8 kb < 8 kb < 4,5 kb transitoire intégration intégration transitoire tous les stades quiescente tous les stades tous les stades +++ + + + - élevée moyenne moyenne moyenne très élevée virus réplicatifs virus helper - virus réplicatifs virus réplicatifs tous les stades 250 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 6, novembre-décembre 2002 Dossier : Génomique, recherche et thérapie en endocrinologie (Replication Competent Adenovirus) lors de l’obtention du stock viral. Différentes équipes se sont attachées, ces dernières années, à éliminer d’autres gènes viraux pour augmenter la capacité de clonage de l’Ad (les Ad de 3e génération ∆E1∆E3∆E4 [4] ou ces vecteurs minimaux “gutless” délétés de toutes les régions codantes de l’Ad [5]) ainsi qu’à diminuer les réponses immunitaires contre ce type de vecteur par modification de la capside. Ces nouveaux vecteurs adénoviraux sont toutefois beaucoup plus difficiles à produire. Plus récemment, d’autres types de vecteurs viraux ont été développés avec des résultats préliminaires prometteurs : les AAV ainsi que les lentivirus. L’AAV est un petit parvovirus, dont six souches ont été isolées chez l’homme (6). La principale caractéristique des AAV est la présence obligatoire, lors de leur réplication, d’un virus auxiliaire, ou “helper”, tel qu’un adénovirus. Plusieurs propriétés des AAV les rendent attractifs : un large tropisme cellulaire et une capacité d’infection à tous les stades du cycle, une expression du transgène à long terme due à une intégration dans le génome de l’hôte. Toutefois, la taille de la cassette d’expression du transgène n’excède pas 4,5 kb dans les vecteurs AAV. De plus, les premiers essais cliniques montrent une expression à court terme. Les lentivirus recombinants possèdent les mêmes propriétés que les rétrovirus (intégration de leur génome) mais peuvent provoquer, contrairement aux rétrovirus, la transduction des cellules à n’importe quel stade du cycle cellulaire (1). Les premiers vecteurs ont été dérivés à partir de lentivirus humains HIV-1 et de HIV-2 (7, 8). Plus récemment, d’autres équipes ont mis au point des vecteurs capables d’infecter les cellules humaines, dérivés de lentivirus du singe (SIV) (9) ou de lentivirus du chat (FIV) (10). Le caractère potentiellement dangereux de ces vecteurs pour la santé humaine rend leur maniement extrêmement délicat. L’optimisation et la sécurisation des systèmes de production restent des étapes préliminaires à l’utilisation de ces vecteurs dans des protocoles cliniques chez l’homme. Les vecteurs non viraux Les méthodes physicochimiques pour le transfert de gènes (soit d’ADN nu, soit d’ADN complexé) présentent certains avantages, comme une toxicité et une immunogénicité faibles, une capacité théorique de transfert de gène illimitée ainsi qu’un faible coût à grande échelle. Les quelques essais de thérapie génique, principalement à visée antitumorale, utilisant les vecteurs non viraux, tels que les plasmides pCOR d’ADN nu (Conditional Origin of Replication), qui ne contiennent ni séquence de réplication d’origine bactérienne, ni séquence de résistance aux antibiotiques, ainsi que les vecteurs synthétiques complexant l’ADN (les polymères cationiques et les lipides cationiques) (11), sont pour le moins décevants. Certes, la tolérance de ces nouveaux médicaments se révèle acceptable chez les patients traités, mais elle est malheureusement associée à un manque d’efficacité réelle. Actuellement, des équipes développent l’électroperméabilisation, une technique améliorant l’efficacité du transfert d’ADN nu grâce à un champ électrique bref d’intensité élevée, qui déstabilise la membrane cytoplasmique du tissu visé et permet ainsi le passage facilité de l’ADN plasmidique nu (12). Les résultats encourageants obtenus dans les tissus musculaires permettent d’envisager l’extension de ce procédé au traitement des tumeurs (13, 14). Une nouvelle stratégie, l’interférence des ARN (RNAi), est en train d’émerger comme un outil potentiellement utilisable pour l’inhibition de l’expression de gènes dans les cellules de mammifères (15). Une stratégie de régulation transcriptionnelle a été initialement développée, utilisant des ARN antisens principalement dirigés contre des transcrits d’oncogènes. Ces molécules d’ARN préviennent l’assemblage des ribosomes par fixation sur les séquences d’ARN messager complémentaires et stoppent ainsi la translation du codon. Cependant, le faible nombre de résultats positifs recensés en pratique résulte principalement de la difficulté d’obtention des séquences d’ARN antisens efficaces. En revanche, des systèmes stables d’expression de séquences courtes d’ARN doublebrin (dsRNAs), évalués dans les cellules de mammifères, donnent des résultats préliminaires très prometteurs (16). La RNAi, cette nouvelle régulation post-transcriptionnelle, est un mécanisme de dégradation des ARN via un processus impliquant des séquences d’ARN double-brin (17). Ce processus a été mis en évidence après transfection d’ARN double-brin dans une grande variété d’organismes (ceanorhabditis elegans, drosophila, neurospora, plantes, zebrafish) (18). Récemment, il a été montré que la transfection de courtes séquences de dsRNAs (< 30 nt) induit un silence spécifique des gènes cibles dans les cellules mammifères (15). Bien que cette réduction d’expression génique ne soit que partielle et transitoire avec les systèmes actuels, une application dans les tumeurs mammaires surexprimant des oncogènes, comme la tyrosine-kinase erbB2, ainsi que dans les pathologies endocriniennes avec hyperproduction hormonale paraît envisageable dans un avenir proche. Les applications potentielles de la thérapie génique en endocrinologie De multiples mécanismes sont à l’origine de désordres entraînant soit une hyper- soit une hypofonction des tissus endocriniens, dont une production anormale d’hormone, des anomalies du métabolisme et du transport de l’hormone ou encore une résistance à l’action de l’hormone. Dans un certain nombre de cas, les approches thérapeutiques conventionnelles, notamment la substitution hormonale, ne permettent pas une guérison complète du patient. Tout d’abord, lors d’un déficit en hormone ou en récepteur, la thérapie génique corrective représente une alternative avantageuse à l’administration répétée de protéines (19). En effet, plusieurs paramètres sont en faveur d’une meilleure pharmacocinétique de cette 251 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 6, novembre-décembre 2002 Dossier : Génomique, recherche et thérapie en endocrinologie stratégie : le contrôle transcriptionnel tissuspécifique de certains gènes (séquences enhancer ou promoteur) et le ciblage des vecteurs de transfert de gènes par des protéines de surface tissu-spécifiques (comme les récepteurs hormonaux). De plus, le coût d’un oligonucléotide de synthèse est bien inférieur à celui d’une protéine recombinante. Les inconvénients sont l’absence de contrôle physiologique de la sécrétion de la protéine et la nécessité d’une administration répétée du transgène. Ce dernier impératif rend préférable l’utilisation de vecteurs non viraux qui n’induisent pas de réponse immunitaire. Par ailleurs, les pathologies liées à une surexpression d’hormones sont de bonnes candidates pour les stratégies de régulation transcriptionnelle (ARN antisens, ARN interférents). Enfin, la thérapie génique, initialement envisagée comme une approche thérapeutique des maladies héréditaires, s’est orientée vers des visées antitumorales qui représentent, à l’heure actuelle, plus de la majorité des essais cliniques de thérapie génique dans le monde (d’après www.wiley.co.uk/genetherapy/clinical). Différentes approches de thérapie génique, principalement médiées par des vecteurs adénoviraux, ont été évaluées dans les tumeurs endocriniennes : l’utilisation d’un gène “suicide” utilisant essentiellement le gène de la thymidine-kinase du virus de l’Herpes simplex de type 1 (HSV1-TK) dans des tumeurs pituitaires (20), l’immunothérapie antitumorale via des cytokines telles que l’interleukine-2 (IL-2) dans des carcinomes thyroïdiens (21), l’induction de l’apoptose par introduction du gène sauvage p53 dans les lignées tumorales thyroïdiennes (22, 23). De plus, les tumeurs endocriniennes néovascularisées (les carcinomes thyroïdiens ou adrénocorticaux, les phéochromocytomes malins) sont des cibles potentielles pour les approches antiangiogéniques, via l’inhibition de l’expression de protéines pro-angiogéniques, telles VEGF, ou via la surexpression de molécules antiangiogéniques, parmi lesquelles l’angiostatine qui montre une bonne efficacité (24, 25). Enfin, dans le cas des tumeurs de la thyroïde, le transfert du gène du transporteur des iodures NIS permet une efficacité accrue de la radiothérapie 131I en améliorant la capacité de concentration intracellulaire de ces ions (26). Les résultats encourageants observés lors de ces expériences in vitro suggèrent un développement futur de la thérapie génique des maladies endocriniennes. Perspectives Le monde médical est entré dans l’ère de la génétique moderne en rendant possible l’expression d’une protéine, d’origine endogène ou exogène, par transfert de gène dans la cellule-cible, ainsi que l’inhibition d’un gène surexprimé. Certes, les premières études de phase I sont décevantes, mais il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur l’absence d’efficacité de la thérapie génique. Des essais convaincants nécessitent l’inclusion d’un nombre suffisant de malades dans des essais multicentriques (actuellement, quelques dizaines de patients pour la thérapie génique, opposés à quelques centaines pour les traitements anticancéreux, par exemple). La délivrance d’un gène dans un corps humain soulève encore beaucoup de problèmes techniques, mais qui ne semblent plus insurmontables : dans le cas particulier des maladies endocriniennes, comment respecter le rythme circadien hormonal ainsi que les cycles biologiques ? Comment cibler les bonnes cellules ? Le facteur limitant de la thérapie génique demeure le transfert de gène, dont l’efficacité reste faible quel que soit le type de vecteur utilisé. L’amélioration du vecteur de transfert de gène, le développement de nouvelles stratégies comme les RNAi, ainsi que la combinaison de plusieurs approches de thérapie génique sont des voies à explorer dans l’avenir. Les futurs essais cliniques devront prendre en compte des critères comme la clinique et la biologie, mais également un nouveau paramètre : les cartes d’expression génique issues des puces à ADN. À chaque pathologie, il sera possible d’associer un traitement spécifique par son administration, son vecteur et son gène d’intérêt. Le domaine subit incontestablement une maturation permettant de mieux recentrer les grandes stratégies thérapeutiques potentielles. Il ne faut pas, après une période d’euphorie où la thérapie génique était présentée comme la panacée à toutes les maladies, verser dans une morosité, voire une diabolisation, de ce concept. Certes, les incidents survenus aux États-Unis, où un jeune homme est décédé après avoir reçu une dose très élevée d’adénovirus recombinants et, plus récemment, en France avec le diagnostic d’une leucémie chez un enfant atteint d’un déficit immunitaire combiné sévère (DICS) traité par thérapie cellulaire par l’équipe du Pr A. Fisher, remettent en cause le déroulement des essais cliniques mais certainement pas leur fondement scientifique et médical. En effet, le rapport américain “Varmus” du NIH prône un retour à la recherche fondamentale en thérapie génique après avoir établi un état des lieux scientifique et clinique. En dépit des deux incidents récents, la somme des nombreuses connaissances acquises sur les mécanismes hormonodépendants des désordres endocriniens suggère que ceux-ci sont de bons candidats pour cette future médecine à la carte (27). Références 1. Masset M, Marty M, Cohen-Haguenauer O. Vecteurs rétroviraux : technologie, sécurité, applications. In : La thérapie génique. Paris : éditions Tec & Doc, 2001 : 36-72. 2. Benihoud K, Yeh P, Perricaudet M. Adenovirus vectors for gene delivery. Curr Opin Biotechnol 1999 ; 10 (5) : 440-7. 3. Russell WC. Update on adenovirus and its vectors. J Gen Virol 2000 ; 81 (11) : 2573-604. 4. Yeh P et al. 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Claudie Damour -Terrasson et son équipe vous remercient de votre fidélité et vous souhaitent Meilleurs voeux 2003 spécialités notre Groupe de presse et d’édition santé spécialité Les Lettres . Les Actualités . Les Correspondances . Les Courriers . Professions Santé . Les pages de la pratique médicale 253 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 6, novembre-décembre 2002