Cholestérol et cancer Cholesterol and cancer Les origines du mal

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Éditorial
Cholestérol et cancer
Cholesterol and cancer
J. Ferrières*
Les origines du mal
Seuls certains d’entre nous se souviennent exactement
des origines de la rumeur. Dans l’étude de l’OMS publiée
en 1978 (1), les auteurs avaient comparé, en 1965, le
traitement par clofibrate au placebo. Dans le groupe
traité par clofibrate, on constatait une diminution de
20 % des infarctus du myocarde non mortels, mais une
augmentation de 28 % de la mortalité totale. Depuis
cette date, la baisse de la cholestérolémie est associée
à un risque existant mais mal défini. En 1987, la publication de l’étude Helsinki Heart Study (2) donnait de
l’espoir aux spécialistes des lipides. Le traitement par
gemfibrozil assurait une baisse des lipoprotéines athérogènes et améliorait significativement l’incidence de la
maladie coronaire par rapport au groupe placebo. Les
experts “anticholestérol” trouvaient dans cette étude
un motif de satisfaction, car la mortalité totale était
strictement identique dans les deux groupes, traités et
sous placebo. Depuis, le mal est resté, et le prescripteur
et ses patients gardent la mémoire du risque supposé
des hypocholestérolémiants au long cours.
L’ambiguïté des études
observationnelles
* Service de cardiologie B,
hôpital Rangueil,
CHU de Toulouse.
© La Lettre du Cardiologue
Risque Cardiovasculaire
n° 426 - juin 2009
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La masse considérable des études de cohorte
publiées à ce jour ne rassure pas forcément le lecteur amateur. Comme la plupart des variables
biologiques ou anthropométriques liées au risque d’athérosclérose coronaire, les relations observationnelles sont
complexes. Elles sont d’autant plus difficiles à analyser que
beaucoup d’études n’ont enregistré que le cholestérol total
et non le LDL-cholestérol, seul paramètre associé strictement au risque d’athérosclérose vasculaire. La relation
entre le cholestérol total et la maladie coronaire est positive
dès que le cholestérol total dépasse 1,80 g/l ; cependant,
les extrêmes de la distribution sont particuliers. Des valeurs
de cholestérol total extrêmement élevées, telles que celles
rencontrées dans l’hyper-cholestérolémie familiale hétérozygote, sont fortement associées au risque coronaire, et
ce facteur de risque isolé pèse très lourd dans le pronostic
à long terme. Les valeurs très basses du cholestérol total
sont dues à une diminution de l’espérance de vie, car elles
reflètent la présence d’une maladie chronique. Ainsi, l’obsession du clinicien face à des valeurs de cholestérol total
inférieures à 1,50 g/l doit être la recherche de pathologies
cancéreuses ou inflammatoires méconnues.
Les résultats des cohortes
de patients traités
par des hypocholestérolémiants
sont plutôt rassurants
Les cohortes de patients porteurs d’hypercholestérolémie familiale hétérozygote sont intéressantes à analyser,
puisqu’elles sont dominées par le risque d’athérosclérose
coronaire. Dans une étude publiée récemment (3), A. Neil
et al. montrent que la prise en charge de cette affection à
haut risque améliore le pronostic coronaire et permet une
diminution de la mortalité totale ainsi qu’une diminution
de la mortalité par cancer par rapport à la population
générale. La moindre mortalité par cancer dans ce sousgroupe de patients provient probablement d’un meilleur
dépistage et d’une meilleure prise en charge des cancers.
Il n’en reste pas moins que le risque de cancer sous traitement médicamenteux plane en population générale.
La recherche de notre équipe portait sur les événements
cardiovasculaires et les décès, à partir d’une cohorte de
7 722 Français suivis pendant 10 ans (4). Par rapport aux
sujets dyslipidémiques non traités, les sujets traités par
fibrates ou par statines ont bénéficié d’une amélioration de
leur espérance de vie ainsi que d’une diminution significative de la mortalité par cancer. Puisqu’il s’agit d’une étude
observationnelle, les conclusions doivent être considérées
avec précaution, bien que cet article permette d’affirmer,
en population générale, l’absence de toxicité des thérapeutiques prescrites en prévention primaire.
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIII - n° 4 - juillet-août 2009
éditorial
Le retour du mal
La paix est-elle possible ?
L’année 2008 nous a fait replonger dans les cauchemars qui hantaient nos nuits dans les années 1980.
Une première méta-analyse (5), contestée depuis,
a montré une relation inverse entre le LDLcholestérol sous traitement et l’incidence par cancer.
Curieusement, le traitement par statines n’était pas
associé à la mortalité par cancer. Les idées noires se
sont ravivées avec la publication récente de l’étude
SEAS (6). On avait affaire à des patients porteurs d’un
rétrécissement aortique asymptomatique chez lesquels on pensait que l’utilisation de simvastatine
40 mg et d’ézétimibe 10 mg allait ralentir la progression de la maladie par rapport au groupe placebo. Non seulement il n’y a pas eu d’efficacité de
l’association hypolipidémiante sur l’évolution de la
maladie aortique, mais on a assisté à une augmentation significative de l’incidence des cancers dans
le groupe traité avec 105 cas contre 70 cas dans le
groupe placebo. On a alors fait appel à un expert
mondialement reconnu dans le domaine du cancer
pour réaliser une méta-analyse de l’ensemble des
études en cours avec l’ézétimibe (7).
En ce qui concerne le risque cardiovasculaire, la prévention primaire doit être rigoureuse et ne peut tolérer le
moindre effet indésirable significatif au long cours. Dans
une méta-analyse récente (8), les auteurs ont évalué
l’impact du traitement par statines sur le pronostic en
prévention primaire. Ce travail indique que les statines
augmentent l’espérance de vie en prévention primaire
et que l’incidence des cancers n’est pas affectée par
la prescription de statines. Dans l’étude JUPITER (9),
le LDL-cholestérol traité par rosuvastatine atteint la
valeur de 0,55 g/l, niveau qui nous aurait scandalisés
dans les années 1980. Heureusement, l’étude JUPITER
montre que le groupe traité accuse une amélioration de
l’espérance de vie par rapport au groupe placebo.
En conclusion, l’incidence et la mortalité par cancer sous
traitement hypocholestérolémiant doit rester une préoccupation du clinicien. Les thérapeutiques hypocholestérolémiantes utilisées par les prescripteurs français
ne sont pas associées à un surrisque d’incidence ou de
mortalité par cancer. Au fur et à mesure que les sujets
en prévention primaire et en prévention secondaire
seront mieux soignés, le risque cardiovasculaire aura
des chances de passer au second plan au profit du traitement de la première cause de mortalité en France, c’està-dire les cancers. Par conséquent, il est probablement
hautement justifié de traiter agressivement les sujets à
haut risque cardiovasculaire. En revanche, traiter avec
un hypocholestérolémiant les sujets à très faible risque
cardiovasculaire au long cours, rien n’est moins sûr. ■
Les études SEAS, SHARP et IMPROVE-IT ont enregistré,
à ce jour, 313 cas de cancer dans le groupe traité contre
326 cas dans le groupe témoin, soit une différence non
significative. En outre, l’équipe de R. Peto a souligné
que cette incidence de nouveaux cancers n’affecte pas
un type de cancer et qu’il n’y a pas d’effet-dose entre
l’hypocholestérolémie et la survenue des cancers.
Références
1.  A
co - operative trial in the primar y prevention
of ischaemic heart disease using clofibrate. Report
f ro m t h e Co m m i t t e e o f Pr i n c i p a l I n ve s t i g a t o r s.
Br Heart J 1978;40:1069-118.
2. Frick MH, Elo O, Haapa K et al. Helsinki Heart Study: primary-prevention trial with gemfibrozil in middle-aged men
with dyslipidemia. Safety of treatment, changes in risk factors, and incidence of coronary heart disease. N Engl J Med
1987;317:1237-45.
3. Neil A, Cooper J, Betteridge J et al. Reductions in all-cause,
cancer, and coronary mortality in statin-treated patients with
heterozygous familial hypercholesterolaemia: a prospective
registry study. Eur Heart J 2008;29:2625-33.
4. Gardette V, Bongard V, Dallongeville J et al. Ten-year all-
cause mortality in presumably healthy subjects on lipid-lowering drugs (from the PRIME Prospective Cohort). Am J Cardiol
2009;103:381-86.
5. Alsheikh-Ali AA, Trikalinos TA, Kent DM, Karas RH. Statins,
low-density lipoprotein cholesterol, and risk of cancer. J Am
Coll Cardiol 2008;52:1141-7.
6. Rossebø AB, Pedersen TR, Boman K et al.; SEAS Investigators.
Intensive lipid lowering with simvastatin and ezetimibe in
aortic stenosis. N Engl J Med 2008; 359:1343-56.
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7. Peto R, Emberson J, Landray M et al. Analyses of cancer data
from three ezetimibe trials. N Engl J Med 2008;359:1357-66.
8. Mills EJ, Rachlis B, Wu P, Devereaux PJ, Arora P, Perri D.
Primary prevention of cardiovascular mortality and events
with statin treatments: a network meta-analysis involving more
than 65,000 patients. J Am Coll Cardiol 2008; 52:1769-81.
9. Ridker PM, Danielson E, Fonseca FA et al.; JUPITER Study
Group. Rosuvastatin to prevent vascular events in men
and women with elevated C-reactive protein. N Engl J Med
2008;359:2195-207.
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