L’annonce du diagnostic de schizophrénie à la famille J.M. Havet* L’entourage des patients, en particulier celui de ceux qui sont les plus perturbés, que l’on qualifie habituellement de “psychotiques”, ne manque jamais de s’enquérir de ce dont leur parent souffrent. Et quoi de plus naturel ? Le diagnostic permet de sortir de la confusion générée par l’indifférenciation et a donc un aspect rassurant. Il permet de transformer ce qui avait un caractère effrayant par ses aspects inconnus, irrationnels et imprévisibles (la folie) en quelque chose de connu, de rationnel et de prévisible, permettant la mise en œuvre d’une action efficace. C’est dans ce climat que l’on a vu se multiplier ces dernières années des programmes destinés à informer les patients et leur entourage sur les troubles présentés (Pro-familles, Pact, Alliance, Soleduc). L’idée sous-jacente et commune à tous ces programmes est qu’une bonne information permettra de mieux traiter un patient qui aura pris conscience du cours de l’affection dont il souffre et de la nécessité de la poursuite d’une thérapeutique. Notons que cet appel à la raison, qui repose sur l’idée que l’être humain est guidé dans son comportement par des raisonnements logiques et cohérents, semble méconnaître toute la dimension affective, irrationnelle et souvent inconsciente des motivations qui conduisent à l’action, que le sujet soit “sain” ou “malade”. Annoncer le diagnostic psychiatrique suppose dans un premier temps d’avoir réfléchi aux implications de celui-ci. Nous en avons relevé six. Fermeture Le diagnostic psychiatrique a un effet de focalisation et de cadrage : à partir d’une situation de départ dominée par l’indétermination et la multiplicité des ouvertures, il limite le nombre des choix possibles et des directions dans lesquelles l’évolution est susceptible de se faire : il oriente donc la prise en charge qui légitimement en découle dans un sens qu’il sera souvent difficile de modifier. *Service de psychiatrie des adultes, CHU hôpital Robert-Debré, Reims. Individu Le diagnostic psychiatrique renvoie à une conception individuelle de la pathologie : le sujet est à la fois lieu et origine du trouble. Le corollaire logique sur le plan thérapeutique en est donc la prise en charge individuelle, même si parfois une origine exogène a pu être attribuée aux symptômes présentés par le patient (dépression réactionnelle, névrose post-traumatique, etc.). Dans cette perspective, la famille ne fait que réagir aux troubles portés par le patient et engendrés par la maladie. Représentation Le diagnostic psychiatrique induit chez celui qui le pose une représentation en rapport, d’une part, avec ce qu’il sait – ou croit savoir – du trouble qu’il a identifié et, d’autre part, avec les expériences passées qu’il a pu avoir avec d’autres patients du même type. Le diagnostic psychiatrique n’est pas un pur acte intellectuel : il comporte une dimension affective avec laquelle le thérapeute aura à composer. C’est ce que les psychanalystes appellent le contre-transfert et d’autres les résonances. Le diagnostic de schizophrénie s’accompagne souvent de l’idée de chronicité. Cela peut être désespérant pour le thérapeute qui devra abandonner tout espoir de guérir un jour son patient et qui devra, dans le meilleur des cas, se contenter d’une stabilisation et d’un aménagement des conditions d’existence de ce dernier. Cela peut être confortable dans la mesure où cela dégage – au moins partiellement – le thérapeute de la responsabilité de l’évolution s’il est convaincu d’avoir donné au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, ainsi que le lui prescrit l’article 32 du Code de déontologie médicale. Ce même diagnostic de schizophrénie peut également comporter l’idée d’une dangerosité, d’autant plus inquiétante qu’elle est imprévisible, conduisant le thérapeute à privilégier les mesures sécuritaires plutôt que les mesures thérapeutiques. Comment soigner quand on est prisonnier de la peur ? Enfin le diagnostic psychiatrique induit chez les parents du patient et chez le sujet une représentation qui ne peut manquer d’avoir Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19), n° 10, décembre 2002 L es rapports soignants-soignés ont évolué au fil des ans. En cette période de transparence, rien d’étonnant à ce que, en France, la loi du 4 mars 2002 ait édicté que : “Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé”. Le patient, devenu un “usager”, devrait ainsi, en consommateur éclairé, pouvoir donner son consentement aux soins qui lui sont prodigués. Selon cette même loi, le patient a maintenant un droit d’accès direct à son dossier médical, dont il peut se faire communiquer une copie, en dehors des informations concernant des tiers, ce qui, en psychiatrie, pose un problème majeur, puisque la pathologie psychiatrique étant la plus relationnelle de toutes les pathologies, il est difficile, voire impossible, d’envisager de ne pas prendre en compte l’entourage du patient lors de la prise en charge. Toutes ces évolutions récentes transforment radicalement la relation soignants-soignés : le soignant se voit ainsi conduit petit à petit vers un rôle de prestataire de services. des répercussions au niveau de la prise en charge et qu’il conviendra donc d’explorer. Labéllisation Une fois qu’un diagnostic a été porté et accepté, tout comportement ultérieur du sujet risque d’être rapporté à ce diagnostic. À l’extrême, le sujet sera réduit à l’étiquette qui lui a été attribuée : le diagnostic crée une réalité qui engloutit le sujet ; il ne sera plus Monsieur X ou Madame Y, mais un schizophrène déficitaire, une hystérique, ou un dépressif parmi d’autres. Le diagnostic peut, sinon tuer, du moins asphyxier la relation que l’on a avec le sujet. Passivité Le diagnostic psychiatrique implique une position de passivité de la part du patient, qui s’attend à ce que la solution à ses problèmes vienne de l’extérieur, qu’il s’agisse de médicaments ou d’un changement de comportement de la part de ceux dont il considère qu’ils l’ont rendu malade. 279 Vie professionnelle Vie professionnelle Responsabilité Le fait d’être atteint d’une maladie qui détermine le comportement dédouane le sujet des conséquences de ses actes. Un autre point, non moins important, réside dans la question de la valeur de vérité du diagnostic psychiatrique. On sait que les classifications psychiatriques ont évolué au fil du temps et qu’elles ne se recoupent pas parfaitement d’un point à un autre de la planète, en dépit des efforts déployés par l’OMS dans sa classification internationale des maladies. Lennart Jansson (1) a identifié quinze systèmes diagnostiques différents pour la schizophrénie dans la littérature de ces trente dernières années. Il a montré, dans son étude, que le nombre des patients pouvant être diagnostiqués comme schizophrènes dans un échantillon de 155 patients variait en fonction du système diagnostique employé. On pourrait donc imaginer de dire à des parents venant s’informer de ce dont souffre leur enfant : “Madame, Monsieur, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle : la bonne nouvelle c’est que, selon les critères de recherche de Vienne, votre fils n’est pas schizophrène ; la mauvaise nouvelle c’est que, selon les critères de Saint-Louis, il l’est” ! En fin de compte, la question reste : pourquoi annoncer le diagnostic de schizophrénie au patient et à sa famille ? C’est-à-dire, pour quelles raisons et, surtout, dans quel but ? Celui-ci ne peut-être uniquement d’ordre médico-légal. L’objectif éthique ne peut être que d’ordre thérapeutique. Le “droit à l’information” peut ainsi prendre un sens. Cela suppose que celui qui fait l’annonce du diagnostic sache de quelle place il parle : “expert” ou “thérapeute”. Annoncer un diagnostic de schizophrénie n’est pas équivalent à annoncer un diagnostic de grippe ou même de cancer, diagnostics qui – quelle que soit leur gravité – laissent au sujet qui en est atteint la possibilité de s’en distancier, de conserver, comme le disait Henri Ey, la station debout. Afin d’illustrer la façon dont le diagnostic psychiatrique peut être utilisé dans une position thérapeutique, je voudrais brièvement évoquer les réactions d’une famille à cette annonce et le travail effectué lors d’une séance de thérapie familiale autour de cette question. Tous les membres de la famille furent convaincus de la réalité de l’affection : quelque chose avait pris possession de l’esprit de leur frère et fils. Tous, patient compris, se mirent à étudier la question : ils achetèrent des livres en espérant trouver la clef de ce comportement qui leur avait toujours posé problème et face auquel ils se demandaient encore comment se situer et quoi faire. Pour le frère du patient, la question était de savoir si tous les troubles du comportement qu’il présentait étaient ou non dus au fait qu’il soit schizophrène. En d’autres termes, fallait-il donc en quelque sorte l’excuser pour tout ce qu’il faisait d’inacceptable ? Le père du patient, scientifique et porté à la rationalité, fut rassuré par le fait que l’on ait pu donner un cadre aux troubles du comportement de son fils. Il eut le sentiment, sinon lui-même de comprendre, du moins que les autres, les professionnels, comprenaient ce dont il s’agissait et donc qu’une action en rapport avec ce trouble pouvait être mise en place pour le contrôler. La mère du patient réagit différemment. Elle se sentit “assommée” par l’annonce et affolée par les conséquences qu’une telle affection pouvait avoir sur l’avenir de son fils. Après avoir vu une émission de télévision sur la schizophrénie, elle me demanda pourquoi on n’avait pas encore fait d’IRM à son fils, la vision des “gros ventricules” aurait permis, à ce qu’en disaient les spécialistes et à ce qu’elle en avait compris, de faire un diagnostic avec certitude. Elle avait envie encore d’être rassurée. Elle voulait qu’on lui confirme preuve à l’appui que son fils était bien schizophrène, tout en espérant que les examens les plus poussés démontreraient le contraire. Lors d’une séance de thérapie, le frère du patient me demanda de quel type de schizophrénie souffrait son frère. Puisqu’il avait étudié la question, je lui demandai ce qu’il en pensait. Il ne sut quoi répondre et je me tournai alors vers le patient. Celui-ci me répondit : “Je ne sais pas”, puis, après un temps d’hésitation, “une forme… normale”. Tous les participants à la séance, sans exception, éclatèrent de rire. Le patient poursuivit : “Mon frère me dit souvent que je devrais avoir des hallucinations parce que c’est obligatoire quand on est schizophrène”. Et il n’en avait pas. Ce n’était donc pas pour son frère une forme “normale”. Le frère alors rapporta qu’il avait vu une autre émission de télévision dans laquelle “ils insistaient sur le fait que le schizophrène avait nécessairement des hallucinations, des voix”. Le discours médiatique s’était appuyé sur le DSM. Là encore il fallut remettre les pendules à l’heure et expliquer que le DSM n’était pas un manuel de psychiatrie, mais qu’il était destiné aux statistiques, à l’épidé- miologie, aux essais thérapeutiques, à la planification en matière de santé mentale et aux assureurs, afin qu’ils sachent ce qu’ils allaient – ou non – rembourser. Le frère revint à la charge : il voulait absolument savoir en quoi consistait l’affection de son frère. À nouveau, je soulignai que l’important me paraissait plutôt être de chercher comment on pouvait l’aider. Je lui indiquais que sa présence ici, celle de ses parents, tout ce travail qu’ils faisaient depuis des années étaient importants et qu’il fallait commencer par le considérer comme un être humain plutôt que comme un schizophrène. Le frère n’en démordait pas : il voulait comprendre pourquoi il agissait de telle ou telle manière, comment il fonctionnait. Je lui dis que l’on pouvait faire des hypothèses et que l’important était de comprendre que quand un être humain agit, il a en général un but, même s’il n’en a pas totalement conscience : la cause n’est pas derrière, elle est devant. Le patient confirma qu’il avait bien un but, des objectifs dans la vie, même s’il ne put expliciter plus avant cela devant les membres de sa famille. Cependant, il avait ainsi montré qu’il n’était pas si différent des autres, même s’il était en difficulté. Conclusion Informer et être informé est fondamental. Mais il ne saurait s’agir d’un phénomène que l’on pourrait détacher du contexte dans lequel il se produit, sauf à déboucher sur ce que Joël de Rosnay appelle l’“infopollution”. La question qui doit toujours être présente à l’esprit de celui qui informe est celle de la pertinence des informations et de l’usage qui en sera fait. Dire à un patient, et à son entourage, qu’il est schizophrène est au mieux sans intérêt, au pire lourd de conséquences si cette annonce ne s’accompagne pas d’un travail de réflexion autour de ce que cela signifie. L’exemple que nous avons voulu donner, démontre, s’il en était besoin, que les patients et leurs familles sont prêts à effectuer cette démarche. Référence 1. Jansson L, Handest P, Nielsen J et al. Exploring boundaries of schizophrenia : a comparison of ICD-10 with other diagnostic systems in first-admitted patients. World Psychiatry 2002 ;1 (2). 280 Vie professionnelle Vie professionnelle