Responsabilité
Le fait d’être atteint d’une maladie qui
détermine le comportement dédouane le
sujet des conséquences de ses actes.
Un autre point, non moins important, réside
dans la question de la valeur de vérité du
diagnostic psychiatrique. On sait que les
classifications psychiatriques ont évolué au
fil du temps et qu’elles ne se recoupent pas
parfaitement d’un point à un autre de la pla-
nète, en dépit des efforts déployés par
l’OMS dans sa classification internationale
des maladies. Lennart Jansson (1) a identifié
quinze systèmes diagnostiques différents
pour la schizophrénie dans la littérature de
ces trente dernières années. Il a montré, dans
son étude, que le nombre des patients pou-
vant être diagnostiqués comme schizo-
phrènes dans un échantillon de 155 patients
variait en fonction du système diagnostique
employé. On pourrait donc imaginer de dire
à des parents venant s’informer de ce dont
souffre leur enfant : “Madame, Monsieur,
j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle : la
bonne nouvelle c’est que, selon les critères
de recherche de Vienne, votre fils n’est pas
schizophrène ; la mauvaise nouvelle c’est que,
selon les critères de Saint-Louis, il l’est” !
En fin de compte, la question reste : pour-
quoi annoncer le diagnostic de schizophrénie
au patient et à sa famille ? C’est-à-dire, pour
quelles raisons et, surtout, dans quel but ?
Celui-ci ne peut-être uniquement d’ordre
médico-légal. L’objectif éthique ne peut être
que d’ordre thérapeutique. Le “droit à l’in-
formation” peut ainsi prendre un sens. Cela
suppose que celui qui fait l’annonce du dia-
gnostic sache de quelle place il parle :
“expert” ou “thérapeute”. Annoncer un dia-
gnostic de schizophrénie n’est pas équiva-
lent à annoncer un diagnostic de grippe ou
même de cancer, diagnostics qui – quelle
que soit leur gravité – laissent au sujet qui en
est atteint la possibilité de s’en distancier, de
conserver, comme le disait Henri Ey, la sta-
tion debout.
Afin d’illustrer la façon dont le diagnostic
psychiatrique peut être utilisé dans une posi-
tion thérapeutique, je voudrais brièvement
évoquer les réactions d’une famille à cette
annonce et le travail effectué lors d’une
séance de thérapie familiale autour de cette
question.
Tous les membres de la famille furent
convaincus de la réalité de l’affection :
quelque chose avait pris possession de l’es-
prit de leur frère et fils. Tous, patient com-
pris, se mirent à étudier la question : ils
achetèrent des livres en espérant trouver la
clef de ce comportement qui leur avait tou-
jours posé problème et face auquel ils se
demandaient encore comment se situer et
quoi faire.
Pour le frère du patient, la question était de
savoir si tous les troubles du comportement
qu’il présentait étaient ou non dus au fait
qu’il soit schizophrène. En d’autres termes,
fallait-il donc en quelque sorte l’excuser
pour tout ce qu’il faisait d’inacceptable ?
Le père du patient, scientifique et porté à la
rationalité, fut rassuré par le fait que l’on ait
pu donner un cadre aux troubles du compor-
tement de son fils. Il eut le sentiment, sinon
lui-même de comprendre, du moins que les
autres, les professionnels, comprenaient ce
dont il s’agissait et donc qu’une action en
rapport avec ce trouble pouvait être mise en
place pour le contrôler. La mère du patient
réagit différemment. Elle se sentit “assom-
mée” par l’annonce et affolée par les consé-
quences qu’une telle affection pouvait avoir
sur l’avenir de son fils. Après avoir vu une
émission de télévision sur la schizophrénie,
elle me demanda pourquoi on n’avait pas
encore fait d’IRM à son fils, la vision des
“gros ventricules” aurait permis, à ce qu’en
disaient les spécialistes et à ce qu’elle en
avait compris, de faire un diagnostic avec
certitude. Elle avait envie encore d’être ras-
surée. Elle voulait qu’on lui confirme preuve
à l’appui que son fils était bien schizophrè-
ne, tout en espérant que les examens les plus
poussés démontreraient le contraire.
Lors d’une séance de thérapie, le frère du
patient me demanda de quel type de schizo-
phrénie souffrait son frère. Puisqu’il avait
étudié la question, je lui demandai ce qu’il
en pensait. Il ne sut quoi répondre et je me
tournai alors vers le patient. Celui-ci me
répondit : “Je ne sais pas”, puis, après un
temps d’hésitation, “une forme… normale”.
Tous les participants à la séance, sans excep-
tion, éclatèrent de rire. Le patient
poursuivit : “Mon frère me dit souvent que
je devrais avoir des hallucinations parce que
c’est obligatoire quand on est schizophrène”.
Et il n’en avait pas. Ce n’était donc pas pour
son frère une forme “normale”. Le frère
alors rapporta qu’il avait vu une autre émis-
sion de télévision dans laquelle “ils insis-
taient sur le fait que le schizophrène avait
nécessairement des hallucinations, des
voix”. Le discours médiatique s’était appuyé
sur le DSM. Là encore il fallut remettre les
pendules à l’heure et expliquer que le DSM
n’était pas un manuel de psychiatrie, mais
qu’il était destiné aux statistiques, à l’épidé-
miologie, aux essais thérapeutiques, à la pla-
nification en matière de santé mentale et aux
assureurs, afin qu’ils sachent ce qu’ils
allaient – ou non – rembourser.
Le frère revint à la charge : il voulait absolu-
ment savoir en quoi consistait l’affection de
son frère. À nouveau, je soulignai que l’im-
portant me paraissait plutôt être de chercher
comment on pouvait l’aider. Je lui indiquais
que sa présence ici, celle de ses parents, tout
ce travail qu’ils faisaient depuis des années
étaient importants et qu’il fallait commencer
par le considérer comme un être humain
plutôt que comme un schizophrène.
Le frère n’en démordait pas : il voulait com-
prendre pourquoi il agissait de telle ou telle
manière, comment il fonctionnait. Je lui dis
que l’on pouvait faire des hypothèses et que
l’important était de comprendre que quand
un être humain agit, il a en général un but,
même s’il n’en a pas totalement conscience :
la cause n’est pas derrière, elle est devant.
Le patient confirma qu’il avait bien un but,
des objectifs dans la vie, même s’il ne put
expliciter plus avant cela devant les
membres de sa famille. Cependant, il avait
ainsi montré qu’il n’était pas si différent des
autres, même s’il était en difficulté.
Conclusion
Informer et être informé est fondamental.
Mais il ne saurait s’agir d’un phénomène
que l’on pourrait détacher du contexte dans
lequel il se produit, sauf à déboucher sur ce
que Joël de Rosnay appelle l’“infopollu-
tion”. La question qui doit toujours être pré-
sente à l’esprit de celui qui informe est celle
de la pertinence des informations et de
l’usage qui en sera fait. Dire à un patient, et
à son entourage, qu’il est schizophrène est
au mieux sans intérêt, au pire lourd de
conséquences si cette annonce ne s’accom-
pagne pas d’un travail de réflexion autour de
ce que cela signifie. L’exemple que nous
avons voulu donner, démontre, s’il en était
besoin, que les patients et leurs familles sont
prêts à effectuer cette démarche.
Référence
1. Jansson L, Handest P, Nielsen J et al.
Exploring boundaries of schizophrenia : a com-
parison of ICD-10 with other diagnostic sys-
tems in first-admitted patients. World Psychiatry
2002 ;1 (2).
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