La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 3-4 - mai-juin-juillet-août 2012 | 83
Résumé
La politique spécifique de l’autisme a été source de progrès majeurs pour le diagnostic, l’évolution des
pratiques et la recherche. Cependant les pratiques actuellement développées à l’égard de l’autisme, notamment
celles auxquelles invitent les récentes recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), conduisent à
s’interroger sur les éventuelles conséquences du statut d’exception donné à l’autisme autant du point de
vue scientifique que pratique. Car les questions soulevées par l’autisme sont l’expression de problématiques
scientifiques, épistémologiques et techniques générales relatives à l’ensemble des sciences du fonctionnement
mental et du comportement humain : neurosciences, psychologie, psychiatrie et sciences de l’éducation. Une
redéfinition sociale et politique de l’autisme, telle qu’elle se dessine actuellement, conduit à ne saisir ces
problématiques que dans le seul champ de l’autisme, de manière réductrice et au prix de simplifications
abusives : si l’autisme est un objet privilégié de ces sciences, il ne peut fonder une science en soi.
Mots-clés
Autisme
Sciences
Éducation
Recommandations
Opinion
Social
Summary
The specific policy dedicated to
the autism has been a consid-
erable source of progress for
the diagnostic, the evolution of
the practices and the research.
However, the present evolution
of the practices dedicated to
autism, and, particularly those
advised by the reading of the
recent recommendations edited
by the “HAS”, lead to question
the possible consequences of a
situation of exception granted
to autism from different points
of view, practical and scientific
ones. For the questions raised
by the autism are the expres-
sion of general scientific,
epistemological and technical
problematics related to the
whole field of mental func-
tioning and human behavior
sciences: neuro sciences,
psychology, psychiatry and
sciences of the education. A
social and political redefinition
of autism, as it emerges at the
present time, leads to under-
stand this topic exclusively in
the field of autism, with a too
simple approach and abusive
simplifications: if autism can
be a privileged object for the
sciences, on the contrary it
cannot be in itself a ground
for a science.
Keywords
Autism
Sciences
Education
Recommendations
Opinion
Social
les contours sont fluctuants (et en extension actuel-
lement) n’est pas un objet en soi mais seulement
la partie d’un tout.
Or il semble bien que nous soyons confrontés à un
mouvement inverse : une hyperspécialisation qui
conduit à traiter des problématiques fondamentales,
communes à l’ensemble du champ de la psychiatrie
et des pratiques de l’éducation, comme si elles ne se
posaient et n’existaient que pour et par l’autisme.
Ainsi les recommandations récentes évacuent-
elles une question essentielle, celle de l’évaluation
des pratiques relationnelles, psychothérapiques,
éducatives et pédagogiques (question commune
à la psychiatrie et aux sciences de l’éducation) en
quelques lignes, sur la foi d’une lecture naïve de la
littérature qui surévalue les unes et ignore les autres.
Manque ici tout l’arrière-plan des recherches sur
l’évaluation des pratiques, qui concernent la psycha-
nalyse, les psychothérapies, l’éducation… Il n’est
pas surprenant qu’en ignorant les questions de fond
au profit de questions simplifiées, il soit plus facile
d’apporter des réponses simples. Au-delà, c’est le
problème majeur de l’application des critères de
l’evidence-based medicine (EBM) à la psychiatrie
qui est bien sûr posé. Ces critères, notamment ceux
de la preuve issus de l’étude du médicament, sont-
ils pertinents pour les pratiques relationnelles et
interactionnelles, qu’elles soient psychothérapiques
ou éducatives ? Peut-on faire ici l’économie d’une
réflexion sur la spécificité d’une science des pratiques
interpersonnelles et de ses critères, d’une science de
l’action donc, distinguée de la science fondamentale
qui s’applique à l’étude des pratiques biologiques et
physiques (médecine somatique, pharmacologie) ?
L’enjeu est la prise en compte de la subjectivité et
de l’intersubjectivité en sciences, et la définition
même de la scientificité pour l’étude de l’action et
de la psyché humaines.
Retenons que de ce point de vue il ne faut pas
opposer pratiques psychothérapiques et éducatives
ou pédagogiques mais au contraire les rapprocher
en tant que variantes d’un même type : celui des
pratiques interpersonnelles dont les caractéristiques
sont d’induire des changements psychologiques et
comportementaux durables par la seule influence
relationnelle du professionnel sur le sujet ; pratiques
reposant donc, quelles que soient leurs références
théoriques et leurs modèles, sur l’intersubjectivité,
l’empathie et l’apprentissage, c’est-à-dire sur des
mécanismes d’interaction interpersonnelle dont
la psychologie et les neurosciences commencent à
éclairer la nature.
Ce seul exemple montre combien l’opposition entre
psychothérapies et éducation existe du point de vue
social et économique, mais non du point de vue
scientifique. Pour les sciences du comportement, en
effet, il existe un continuum de pratiques, diverses
certes, mais qui exploitent des mécanismes psycho-
logiques et biologiques communs, bien qu’obéissant
à des objectifs et à des règles techniques différentes.
Ajoutons que, en ce qui concerne l’enfant et l’ado-
lescent, cette question en croise une autre : celle
du développement. Les pratiques relationnelles ont
en commun d’exercer leur action sur les processus
développementaux, normaux ou altérés. C’est donc
la problématique commune ou “transversale”, inter-
disciplinaire, des mécanismes d’une action inter-
personnelle facilitatrice du développement que
posent autant la psychothérapie que l’éducation
et la pédagogie.
Cette perspective scientifique éclaire un autre point
essentiel pour l’étude des pratiques sociales ou
interpersonnelles : ce qu’on appelle le plus souvent
l’“écart théoricoclinique”, c’est-à-dire l’écart entre
la réalité d’une pratique telle qu’elle est mise en
œuvre et la manière dont elle est comprise, théorisée
et transmise, c’est-à-dire dont ceux qui l’exercent
se la représentent. Cet écart se traduit par le fait
qu’aucune théorie ne rend compte de la totalité
d’une pratique, n’en épuise la réalité ; donc aussi
par le fait qu’une même pratique peut être théo-
risée de multiples manières – par exemple, il est
possible de décrire et comprendre une pratique dite
psychanalytique par une théorie comportementale,
et réciproquement, ou encore une pratique éducative
par une lecture systémique ou institutionnelle...
Plutôt que fondatrice d’une pratique, la théorie se
déploie comme un regard sur celle-ci, et il peut y
avoir plusieurs regards. Opposer les pratiques réfé-
rées à la psychanalyse à celles qui le sont au behavio-
risme n’a alors que peu de sens. On connaît bien, et
depuis longtemps, le rôle important que jouent dans
l’efficacité des psychothérapies ces facteurs dits “non
spécifiques” que sont la qualité de l’engagement du