Mise au point
La Lettre du Psychiatre - Vol. IV - n° 2 - mars-avril 2008
Mise au point
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Pour autant, la question de savoir si ces perturbations sont
la cause ou la conséquence des troubles de l’humeur reste
discutée. On sait que l’hypercortisolémie retrouvée chez les
patients dépressifs est associée à une diminution de l’encodage
mnésique réalisé durant les phases de sommeil paradoxal et
pourrait expliquer, en partie, les plaintes cognitives des patients
déprimés (5).
PERTURBATIONS DU SOMMEIL
Lors du dernier congrès de l’European College of Neuropsy-
chopharmacology (ECNP), qui s’est tenu à Vienne du 13 au
17 octobre 2007, G. Hajak (Regensburg, Allemagne) a précisé
les liens existant entre les rythmes circadiens et les troubles de
l’humeur, notamment lors du sommeil.
Le cycle veille-sommeil est l’un des rythmes les mieux connus
chez l’homme. Il doit se concevoir selon trois dimensions : une
dimension circadienne (alternance repos/activité), une dimen-
sion ultradienne (alternance des différentes phases du sommeil
avec une périodicité moyenne de 90 mn) et une répartition sur
la nuit différenciant la première moitié, qui privilégie le sommeil
lent, de la seconde, associée au sommeil paradoxal.
L’architecture globale du sommeil associe donc des périodes
de réduction de l’activité cérébrale (sommeil lent), réparties
en quatre stades et durant lesquelles est sécrétée l’hormone de
croissance (stades 3 et 4), et des périodes d’activité cérébrale
élevée (sommeil paradoxal ou période rapid eye movement
[REM]) durant lesquelles se ferait le traitement cognitif des
informations diurnes et qui serait le temps d’une “reprogram-
mation génétique” responsable de notre sentiment d’unicité.
Cette architecture se répète toutes les 90 mn, interrompue par
des périodes d’éveil plus ou moins prolongées selon l’âge.
Les perturbations du sommeil sont considérées comme centrales
dans les dépressions endogènes (6, 7).
Au niveau clinique, on décrit principalement une insomnie
avec réveil précoce fréquemment associée à une somnolence
diurne, somnolence souvent confondue avec l’apragmatisme
ou l’asthénie.
Au niveau polysomnographique, on constate :
✓ une réduction de l’efficacité du sommeil, caractérisée par une
multiplication des éveils ;
✓ une diminution de la latence d’apparition du sommeil para-
doxal, rapportée à la fois dans les dépressions unipolaires et
dans les dépressions bipolaires ;
✓ une disparition des stades 3 et 4 de sommeil lent profond,
durant lesquels est sécrétée l’hormone de croissance et, qui
pourrait être en rapport avec l’asthénie rapportée par les patients
dépressifs.
Ces troubles du sommeil sont également des indices de récidives
et sont fréquemment associés aux idéations suicidaires (8). Les
rapports de causalité entre ces deux types de perturbations
restent discutés.
MANIPULATIONS THÉRAPEUTIQUES
La manipulation de ces rythmes à des fins thérapeutiques a été
réalisée de multiples façons.
D’abord, de façon directe, furent mises en œuvre des privations
totales ou partielles de sommeil, dont l’efficacité est aujourd’hui
clairement démontrée (9, 10). Toutefois, outre le fait qu’elles
sont de mise en place difficile sur le long terme, elles sont
constamment suivies d’une rechute dès les premières périodes
d’endormissement.
La photothérapie, en permettant de recaler les décalages de
phase, reste un traitement de choix dans les dépressions saison-
nières, de même que le renforcement du rôle des synchroniseurs
externes constitue un appoint important dans la stabilité des
troubles bipolaires.
De façon moins directe, les traitements antidépresseurs et
les hypnotiques classiques affectent aussi les rythmes circa-
diens, notamment au travers de leur action sur les phases du
sommeil.
Enfin, de nouvelles molécules antidépressives qui, à travers
leurs fonctions homéostatique et chronobiotique, restaurent
le sommeil des patients déprimés ainsi que son architecture,
sont en cours d’évaluation. Elles pourraient constituer une pers-
pective nouvelle dans l’approche thérapeutique des troubles de
l’humeur. ■
RéféRences bibliogRaPhiques
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