Troubles de l’humeur : maladie décalée m Mood disorders: shifted illness

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La Lettre du Psychiatre - Vol. IV - n° 2 - mars-avril 2008
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Troubles de l’humeur : maladie décalée
Mood disorders: shifted illness
 P. Delbrouck*
RÉSUMÉ
Les arguments impliquant des perturbations des rythmes
circadiens dans la physiopathologie des troubles de l’humeur
sont chaque jour plus nombreux, faisant de ces troubles
un modèle de maladie décalée. Même si la nature exacte
de ces relations reste à préciser, notamment en termes de
causalité, la régulation de ces dysfonctionnements constitue
une étape indispensable à la guérison et à la prévention des
récidives.
Mots-clés : Dépression – Chronobiologie – Hormones –
Sommeil.
SUMMARY. Arguments involving disruption of circadian
rhythms in the pathophysiology of mood disorders are more
likely every day, making these disorders a shifted” disease model.
Although the exact nature of these relationships remains to
be claried, particularly in terms of causality, the regulation of
these problems is an essential step to healing and prevention
of recurrence.
Keywords: Depression – Chronobiology – Hormones – Sleep.
* Service de psychiatrie, centre hospitalier d’Heinlex, Saint-Nazaire.
L
es troubles de l’humeur constituent un groupe hétérogène
de pathologies dont les mécanismes physiopathologiques
restent encore en grande partie mal connus. Ils partagent
cependant de nombreux points communs, notamment en termes
de perturbations chronobiologiques.
D’une façon générale, les rythmes sont répartis en fonction
de leur période, cest-à-dire de la durée séparant deux ampli-
tudes maximales (ou minimales). On définit ainsi des rythmes
infradiens, dont la période est supérieure à 24 heures, comme
le cycle menstruel, des rythmes ultradiens, dont la période est
inférieure à 24 heures, comme les rythmes cardiaques, respira-
toires, électroencéphalographiques (EEG), etc., et des rythmes
circadiens dont la période se situe autour de 24 heures, comme
l’alternance veille-sommeil.
Le dérèglement de ce dernier type de rythme est fréquemment
constadans les troubles de l’humeur tels que la dépression, la
manie ou le trouble affectif saisonnier. Ces anomalies peuvent
correspondre à des avances, à des retards de phase, à des varia-
tions damplitude ou encore à une irrégularité des rythmes d’un
jour à lautre. Ce sont ces différentes anomalies que nous allons
détailler.
PERTURBATIONS HORMONALES
On sait depuis l’Antiquité que l’humeur est variable, fluctuant
sur le nycthémère, de même que l’intensité de la symptomato-
logie dépressive (1).
Des études récentes ont montré des perturbations dans les profils
de sécrétions hormonales. Ainsi, 30 à 45 % des patients déprimés
présentent une diminution de la réponse au test de stimulation par
la thyrotropin releasing hormone (TRH) [réaction peu spécifique],
ainsi qu’une diminution de l’amplitude du rythme de sécrétion
de la thyréostimuline (TSH) associée à une avance de phase qui
serait plus marquée chez les patients unipolaires (2).
De même, on a décrit une diminution de l’amplitude et des
anomalies de phase (notamment chez les bipolaires) de la sécré-
tion de prolactine et de l’hormone de croissance.
En ce qui concerne le cortisol, on constate de nombreuses pertur-
bations de laxe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (axe central
dans les liens entre le stress, l’immunité et l’humeur) au décours
d’un épisode dépressif. On décrit une diminution de l’amplitude
et une avance de phase du pic de sécrétion et de son minimum.
Par ailleurs, on retrouve globalement une hypersécrétion chez
près de 50 % des patients, d’autant plus marquée qu’il s’agit de
récidives dépressives. Ces anomalies se normalisent lors de la
guérison de l’épisode (3, 4).
Le tabolisme de la mélatonine est également perturbé. Sa
sécrétion, exclusivement nocturne, se trouve avancée dans les
troubles de l’humeur. On constate également une réduction de
l’amplitude du rythme de crétion, avec une inversion ou une
absence de pic nocturne (2, 4).
D’autres variables cycliques sont perturbées, dont la plus
fquente est la température. À ce niveau, on assiste à une
diminution de l’amplitude, avec un minimum nocturne élevé
et une augmentation moyenne de la température corporelle
(lors des épisodes dépressifs et des accès maniaques). Il existe
ainsi une réduction de la période (± 23 heures), une apparition
précoce de lacrophase en fin d’après-midi et du minimum dans
la première partie de nuit (avance de phase par rapport au cycle
veille/sommeil). encore, ces perturbations se normalisent
lors de la guérison (4).
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Pour autant, la question de savoir si ces perturbations sont
la cause ou la conséquence des troubles de l’humeur reste
discutée. On sait que l’hypercortisolémie retrouvée chez les
patients dépressifs est associée à une diminution de lencodage
mnésique réalisé durant les phases de sommeil paradoxal et
pourrait expliquer, en partie, les plaintes cognitives des patients
déprimés (5).
PERTURBATIONS DU SOMMEIL
Lors du dernier congrès de l’European College of Neuropsy-
chopharmacology (ECNP), qui s’est tenu à Vienne du 13 au
17 octobre 2007, G. Hajak (Regensburg, Allemagne) a préci
les liens existant entre les rythmes circadiens et les troubles de
l’humeur, notamment lors du sommeil.
Le cycle veille-sommeil est l’un des rythmes les mieux connus
chez l’homme. Il doit se concevoir selon trois dimensions : une
dimension circadienne (alternance repos/activité), une dimen-
sion ultradienne (alternance des différentes phases du sommeil
avec une périodicité moyenne de 90 mn) et une répartition sur
la nuit différenciant la première moitié, qui privilégie le sommeil
lent, de la seconde, associée au sommeil paradoxal.
L’architecture globale du sommeil associe donc des périodes
de réduction de l’activité cérébrale (sommeil lent), réparties
en quatre stades et durant lesquelles est sécrétée l’hormone de
croissance (stades 3 et 4), et des périodes d’activité cérébrale
élevée (sommeil paradoxal ou période rapid eye movement
[REM]) durant lesquelles se ferait le traitement cognitif des
informations diurnes et qui serait le temps d’une “reprogram-
mation génétique” responsable de notre sentiment d’unicité.
Cette architecture se répète toutes les 90 mn, interrompue par
des périodes d’éveil plus ou moins prolongées selon l’âge.
Les perturbations du sommeil sont considérées comme centrales
dans les dépressions endogènes (6, 7).
Au niveau clinique, on décrit principalement une insomnie
avec veil précoce fréquemment associée à une somnolence
diurne, somnolence souvent confondue avec l’apragmatisme
ou l’asthénie.
Au niveau polysomnographique, on constate :
une réduction de l’efficacité du sommeil, caractérisée par une
multiplication des éveils ;
une diminution de la latence d’apparition du sommeil para-
doxal, rapportée à la fois dans les dépressions unipolaires et
dans les dépressions bipolaires ;
une disparition des stades 3 et 4 de sommeil lent profond,
durant lesquels est crétée l’hormone de croissance et, qui
pourrait être en rapport avec l’asthénie rapportée par les patients
dépressifs.
Ces troubles du sommeil sont également des indices de récidives
et sont fréquemment associés aux idéations suicidaires (8). Les
rapports de causalité entre ces deux types de perturbations
restent discutés.
MANIPULATIONS THÉRAPEUTIQUES
La manipulation de ces rythmes à des fins thérapeutiques a été
réalisée de multiples façons.
D’abord, de façon directe, furent mises en œuvre des privations
totales ou partielles de sommeil, dont lefficacité est aujourd’hui
clairement démontrée (9, 10). Toutefois, outre le fait qu’elles
sont de mise en place difficile sur le long terme, elles sont
constamment suivies d’une rechute dès les premières périodes
d’endormissement.
La photothérapie, en permettant de recaler les calages de
phase, reste un traitement de choix dans les dépressions saison-
nières, de même que le renforcement du rôle des synchroniseurs
externes constitue un appoint important dans la stabilité des
troubles bipolaires.
De façon moins directe, les traitements antidépresseurs et
les hypnotiques classiques affectent aussi les rythmes circa-
diens, notamment au travers de leur action sur les phases du
sommeil.
Enfin, de nouvelles molécules antidépressives qui, à travers
leurs fonctions homéostatique et chronobiotique, restaurent
le sommeil des patients déprimés ainsi que son architecture,
sont en cours d’évaluation. Elles pourraient constituer une pers-
pective nouvelle dans lapproche thérapeutique des troubles de
l’humeur.
RéféRences bibliogRaPhiques
1. Haffen E, Sechter D. Les dépressions saisonnières. Paris : John Libbey, 2006.
2. Rubin RT. Pharmacoendocrinology of major depression. Eur Arch Psychiatry
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6. Buysse DJ et al. In: Stein DJ, Kupfer DJ, Schatzberg AF (eds). Textbook of Mood
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8. Agargün MY, Kara H, Solmaz M. Subjective sleep quality and suicidality in
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9. Wirz-Justice A, Van den Hoofdakker RH. Sleep deprivation in depression:
what do we know, where do we go? Biol Psychiatry 1999;46:445-53.Biol Psychiatry 1999;46:445-53.
10. Wu C, Bunney WE. e biological basis of an antidepressant response to
sleep deprivation and relapse: review and hypothesis. Am J Psychiatry 1990;147:
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