La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 2 - vol. V - mars-avril 2002 87
qui du fait de la persistance de certaines propagations et de relaxa-
tions transitoires du sphincter inférieur conservées dans 75% des
déglutitions, ne permettait pas de retenir le diagnostic d’achala-
sie. En revanche, l’association de ces troubles manométriques au
contexte clinique d’un sujet âgé de plus de 55ans, présentant une
dysphagie progressive et une altération de l’état général, fait évo-
quer une pseudo-achalasie.
Cette entité clinique peut être très délicate à distinguer de l’acha-
lasie primitive, que ce soit en termes de clinique, d’endoscopie
ou de manométrie. Cependant, certains signes cliniques doivent
faire évoquer le diagnostic de pseudo-achalasie plutôt que celui
d’achalasie primitive : un âge de début des troubles supérieur à
55 ans, une perte de poids supérieure à 10% du poids originel,
mais surtout une vitesse d’amaigrissement rapide, et une dys-
phagie évoluant depuis moins d’un an (1,2). Ces caractéristiques
étaient retrouvées dans notre observation. De même, une fibro-
scopie œsogastroduodénale macroscopiquement normale, mais
au cours de laquelle la jonction œsogastrique n’est franchie que
difficilement (3),doit inciter à la prudence dans ce contexte cli-
nique et à la réalisation de profondes biopsies cardiales, même
si celles-ci restent le plus souvent négatives. Il n’existe pas de
critère manométrique fiable pour distinguer une pseudo-achala-
sie d’une achalasie. Même un tracé typique avec un apéristal-
tisme œsophagien et une altération des relaxations du SIO en
réponse aux déglutitions ne permet pas d’écarter le diagnostic de
pseudo-achalasie. De plus, le contexte de survenue des troubles
doit conduire à la poursuite des investigations.
L’exploration d’un malade présentant un tableau de pseudo-acha-
lasie comporte la réalisation d’un examen tomodensitométrique
abdomino-thoracique. Le scanner peut aider au diagnostic en
montrant un épaississement de la paroi œsophagienne dont le
caractère asymétrique ou supérieur à 10 mm est évocateur d’in-
filtrat tumoral. Le diagnostic peut être plus aisé comme dans notre
observation où une masse para-œsophagienne, responsable de la
symptomatologie, est reconnue (4). La réalisation de cet examen
permet également d’orienter vers les possibilités d’exérèse, même
si notre observation en est un contre-exemple.
L’échoendoscopie œsophagienne et cardiale a une sensibilité plus
élevée que l’examen tomodensitométrique dans cette indication,
mais nécessite une anesthésie générale. Dans notre cas, elle met-
tait en évidence l’infiltration de la musculeuse œsophagienne.
Elle permet également un bilan préopératoire précis et une clas-
sification standardisée de la lésion tumorale.
Les étiologies des pseudo-achalasies sont dominées par les
adénocarcinomes du cardia, qui représentent plus de 50% des
causes de pseudo-achalasie. Ces lésions peuvent infiltrer la région
cardiale sans avoir un développement endoluminal évident en
endoscopie. Les carcinomes épidermoïdes sont plus rarement en
cause. Ce type de cancer de l’œsophage a, en effet, un dévelop-
pement endoluminal qui échappe rarement à l’examen endosco-
pique. Il ne faut pas hésiter à réaliser de nouvelles biopsies au
cours d’un second examen endoscopique si la première série est
négative, et la rétrovision pour l’étude de la région cardiale doit
être réalisée soigneusement. Des causes exceptionnelles de
pseudo-achalasie ont été décrites, comme des envahissements par
une tumeur primitive bronchique ou un cancer ORL, une tumeur
mésenchymateuse œsophagienne ou encore un pseudo-kyste pan-
créatique. Une exploration chirurgicale diagnostique, si l’endo-
scopie, la tomodensitométrie et l’échoendoscopie se sont révé-
lées insuffisantes, est recommandée ; son utilisation en pratique
reste exceptionnelle dans cette situation clinique (3). Dans notre
observation, la pseudo-achalasie était due à une tumeur neu-
roendocrine à grandes cellules. Ces lésions sont très rares, leur
potentiel évolutif semble lent, et la stratégie de leur traitement,
comme de leur suivi, n’est pas codifiée.
Le mécanisme physiopathologique qui rend compte des troubles
moteurs œsophagiens n’est pas non plus bien élucidé. En effet,
si une hyperpression ou des relaxations incomplètes du SIO peu-
vent trouver leur cause dans une masse para-œsophagienne, l’ab-
sence de propagation des ondes péristaltiques est plus difficile à
expliquer. Dans notre observation, l’échoendoscopie a permis de
mettre en évidence une infiltration pariétale œsophagienne attei-
gnant la musculeuse et remontant sur l’œsophage thoracique. On
évoque un rôle possible de l’infiltration des plexus myentériques
pour expliquer la cause de la dysphagie dans les pseudo-achala-
sies. Ces données ont même conduit certains auteurs à proposer
avec un succès symptomatique la toxine botulinique en traite-
ment palliatif de la dysphagie chez un malade atteint de pseudo-
achalasie par envahissement tumoral locorégional (5). En dehors
de cette observation anecdotique, le traitement de ces pseudo-
achalasies reste un traitement étiologique, s’il est réalisable au
moment du diagnostic. Dans notre observation, la résection chi-
rurgicale projetée n’a pu être effectuée, et l’histologie définitive
de la lésion a conduit à proposer une surveillance simple jusqu’à
ce jour. ■
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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OBSERVATION DIALOGUÉE