Tirésias3et Homère sont les représentants de la caste des poètes si
importante dans la société grecque.
Dans cette société archaïque, trois personnages détiennent tous les
pouvoirs : le Roi, le poète et le devin (ou aède)4; le plus souvent, ces
deux derniers ne font qu’un.
Ces trois hommes dirigent le groupe, sans discussion ni opposition ;
tous leur obéissent sans réserve, je n’ose pas dire aveuglément : ils sont
« les maîtres de vérité » ! Bien sûr, ce titre leur a été attribué a posteriori
par les historiens modernes, mais il correspond bien à la réalité : au sein
de cette société ils sont les dépositaires d’une parole indiscutable ; cha-
cun à leur façon, ils sont des interlocuteurs privilégiés des Dieux ; cha-
cun, à des moments variables et en des circonstances particulières, repré-
sente un intermédiaire entre les Dieux et les hommes.
Leur parole est synonyme de vérité, car d’origine divine ; elle repré-
sente un concept les unissant aux Dieux.
Le premier nommé est le Roi : son nom indique son importance au
sein du groupe. C’est un meneur d’hommes, quelque chose comme un
pasteur ou un berger ; les lois et les grandes décisions qu’il prend dans
l’intérêt du groupe lui sont dictées par les Dieux ; elles sont idéales et
indiscutables.
Le devin (ou aède) est également en relation avec les Dieux ; il s’inté-
resse aux problèmes liés au temps, surtout à l’avenir, à titre individuel ou
collectif.
Et maintenant, place au poète. Pour commencer, un retour en arrière
s’impose ; remontons au sommet de l’Olympe afin d’y espionner Zeus !
Depuis sa victoire sur les titans, il y trône, impassible. Il est assis, pai-
sible, bercé par le doux chant des muses qui lui content inlassablement
ses exploits passés et l’histoire primordiale des olympiens. Tendons
l’oreille : peut-être capterons-nous quelques bribes de cette « divine
émission radiophonique » ! Malgré tous nos efforts, nous ne percevons
qu’un bourdonnement diffus, un brouhaha mélodieux mais totalement
« incompréhensible » ; le message des muses, destiné à Zeus, est codé !
Nous ne possédons pas les clés nécessaires à sa traduction : pourtant,
c’est cette information qui représente pour un grec la vérité à l’état pur ;
sa connaissance paraît primordiale aux hommes.
Le poète est détenteur non seulement de l’appareillage sensoriel per-
mettant de capter le « doux chant des muses » à distance, mais encore les
Dieux l’ont pourvu de l’équipement indispensable à sa traduction en
termes humainement compréhensibles. Par son chant, il est l’intermé-
diaire idéal entre les muses et les hommes.
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