les
vilayets
orientaux par de petits grou-
pes de
fédaïs,
chargĂ©s dâinitier lâautodĂ©-
fense des paysans arméniens contre les
prédateurs kurdes et autres.
La RĂ©volution jeune-turque (juillet
1908), qui proclame lâĂ©galitĂ© de tous les
citoyens ottomans et instaure un régime
semi-parlementaire, est accueillie avec
enthousiasme par les Arméniens. Mais
les grandes espérances de
« liberté, éga-
lité, fraternité et justice »
vont faire
place aux fractures. Le massacre des Ar-
mĂ©niens dâAdana, en mars-avril 1909
(20000 morts), instaure un climat de mé-
fiance entre les Arméniens et les Turcs
dont le nationalisme, déjà exacerbé par
les pertes territoriales en Europe (Bosnie-
Herzégovine, Bulgarie, CrÚte) et en Tri-
politaine, va sâaccroĂźtre durant les guer-
res balkaniques. La question agraire, la
dĂ©possession continue et lâinsĂ©curitĂ©
permanente des paysans arméniens
nâont pas trouvĂ© de solution. Au cours
de la premiĂšre guerre balkanique (1912)
la diplomatie russe relance la Question
arménienne. Appuyée par la France et la
Grande-Bretagne, elle triomphe de lâop-
position austro-allemande et arrache
aux Jeunes-Turcs, Ă la tĂȘte de lâĂtat de-
puis janvier 1913, et hostiles à toute ré-
forme spĂ©cifique, la signature dâun plan
de réformes dans
« les provinces armé-
niennes »,
sous le contrĂŽle de deux ins-
pecteurs européens (8 février 1914).
Avril 1915
D
Ús le début de la guerre en Europe
(2 août 1914), le gouvernement ot-
toman, dirigĂ© dâune main de fer
par les Jeunes-Turcs du CUP (Comité
Union et ProgrĂšs), sâest rangĂ©, en secret,
aux cĂŽtĂ©s de lâAllemagne et de lâAutriche-
Hongrie, contre les Ătats de lâEntente
(Russie, France, Grande-Bretagne). Une
configuration géopolitique qui va trans-
former les six
vilayets
orientaux en théù-
tres de guerre du « front oriental », en
territoire à reconquérir (Kars, Ardahan,
Batoum) et à « turciser » pour les natio-
nalistes turcs. En novembre 1914, lors-
que la Turquie entre en guerre, le Cheikh
el-Islam proclame la guerre sainte contre
les Ătats de lâEntente. Cet appel au
djihad
aura peu dâĂ©chos Ă lâextĂ©rieur mais, re-
layé par les imams dans les mosquées
dâAnatolie, il sera entendu par les musul-
mans les plus fanatiques, TchétchÚnes,
Kurdes et BĂ©douins, comme lâordre dâex-
terminer les Arméniens.
La grande majorité des Arméniens
appartiennent Ă lâĂglise armĂ©-
nienne apostolique (non-catholique),
ainsi nommée en référence aux apÎ-
tres Thaddée et Barthélemy qui
évangélisÚrent le Caucase, berceau
de ce peuple. Ă lâaube du VesiĂšcle,
cette Ăglise sâorganisa de façon au-
tonome, créant un patriarcat autocé-
phale, appelé « catholicossat ». Deux
raisons motivÚrent cette décision:
dâune part, lâaffirmation du particula-
risme culturel armĂ©nien, dâautre
part, le dĂ©sir dâĂ©chapper aux convoi-
tises rivales de lâEmpire romain
dâOrient et des Perses sassanides,
ces derniers cherchant Ă imposer
aussi bien leur pouvoir que leur reli-
gion païenne, le mazdéisme.
Confrontés à une situation inté-
rieure politiquement trĂšs troublĂ©e Ă
cause de la guerre contre les Perses
(449-484), les Ă©vĂȘques armĂ©niens ne
participĂšrent pas au concile de Chal-
cédoine (451) dont les définitions
dogmatiques, pourtant conformes Ă
leur théologie, leur furent communi-
quées de maniÚre si déformée par
des monophysites syriens (1) quâils
les crurent hérétiques. Un problÚme
de langue aggrava le malentendu.
Mais les sentiments anti-byzantins
qui se manifestaient en Arménie ren-
daient impossible toute explication
avec Constantinople. Câest ainsi
quâun synode armĂ©nien, rĂ©uni Ă Dvin
en 505, rejeta Chalcédoine. Le
schisme fut alors consommé.
MalgrĂ© son isolement, lâĂglise ar-
ménienne survécut aux vicissi-
tudes liées aux différentes invasions
de son territoire (Perses, Arabes,
Mongols, Turcs seldjoukides) et Ă la
disparition du royaume, au XIe
siÚcle; elle résista à la tentative
dâunion forcĂ©e que voulaient lui im-
poser les Byzantins, maĂźtres du pays
en 1054, et Ă©chappa mĂȘme Ă lâisla-
misation, ce dont elle est fiĂšre.
Ayant fondé, en 1073, une princi-
pauté de repli autour de Sis, en Cili-
cie (pour conserver une indépen-
dance deux ans aprĂšs que les Turcs
seldjoukides se furent emparés de
leur pays), oĂč sâĂ©tablit alors leur ca-
tholicossat, les chrétiens de cette
« Petite Arménie » (indépendante
jusquâen 1375) y bĂ©nĂ©ficiĂšrent de la
rencontre avec les Croisés établis
dans la principautĂ© dâAntioche avec
lesquels ils coopérÚrent. Ces circons-
tances favorisĂšrent des rapproche-
ments avec le SiĂšge de Pierre, mais
ce nâest quâau XVIIIesiĂšcle que na-
quit officiellement lâĂglise armĂ©-
nienne-catholique.
En 1740, des fidÚles arméniens
installĂ©s au Liban et en Syrie oĂč,
grĂące aux Capitulations qui les pla-
çaient sous la protection des consuls
de France, ils Ă©chappaient aux exac-
tions ottomanes, choisirent, en ac-
cord avec le Saint-SiĂšge, le premier
catholicos uni Ă Rome, Mgr Abra-
ham Ardzivian, archevĂȘque dâAlep.
Deux ans aprĂšs, le pape BenoĂźt XIV
créa pour lui le patriarcat dit « de Ci-
licie des Arméniens ». Son siÚge est
situé à Bzommar, dans le Mont-Li-
ban. Depuis 1999, son titulaire est
NersĂšs Bedros XIX, natif dâĂgypte,
pays oĂč les ArmĂ©niens-catholiques
ont un diocĂšse.
Au XXesiĂšcle, lâĂglise apostolique
dut se scinder en deux, en raison de
la mainmise des Soviétiques sur
lâArmĂ©nie Ă partir de 1918. Ă cĂŽtĂ© du
catholicossat historique dâEtchmiad-
zine, un catholicossat de la diaspora,
appelé « de Cilicie » comme celui de
la branche catholique, sâinstalla Ă
Antélias (Liban). Cette bicéphalie a
survĂ©cu au recouvrement de lâindĂ©-
pendance de lâArmĂ©nie, en 1991.
Le 13 décembre 1996, Jean-Paul II
et le catholicos dâArmĂ©nie KarĂ©kine
Ier ont signé à Rome une déclaration
tendant Ă dissiper les malentendus
hérités des controverses du passé en
matiĂšre de foi et de christologie.
Comme toutes les Ăglises non chal-
cĂ©doniennes, celle dâArmĂ©nie tient
toutefois à son indépendance par
rapport Ă Rome et Ă Constantinople,
ce qui ne lâempĂȘche pas de se consi-
dérer en pleine communion
de facto
avec ces deux siĂšges. Lâactuel catho-
licos, KarĂ©kine II, a assistĂ© Ă Rome Ă
lâintronisation du pape François.
Ă partir du XIXesiĂšcle, le protes-
tantisme a par ailleurs pénétré les
milieux arméniens, suite aux activi-
tés des missionnaires anglo-saxons
dans lâEmpire ottoman, ce qui a en-
traĂźnĂ© la crĂ©ation dâune « Ăglise
évangélique arménienne ».
Annie Laurent
â
(1) Le monophysisme professe lâabsorption
de la nature humaine du Christ par sa nature
divine.
Les chrétiens arméniens
LA NEF â N° 270 MAI 2015 23
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