ÉDITORIAL Les petits cancers du sein Small breast carcinomas B. Cutuli*, G. Boutet** B. Cutuli G. Boutet L a généralisation du dépistage mammographique au cours des dernières années a permis la détection d’un nombre sans cesse croissant de “petites” tumeurs du sein (1, 2). En France, le dépistage bisannuel pour les femmes âgées de 50 à 74 ans a été étendu à tout le territoire en 2004 (3). D’après les données de 2 observatoires nationaux successifs, le taux de cancers invasifs pT1a (< 5 mm) et pT1b (de 6 à 10 mm inclus) est passé de 18,9 % en 2001-2002 à 27,3 % en 2007-2008 (4, 5). Parallèlement, on notait pour les mêmes périodes une réduction de 34,2 % à 27 % des tumeurs pT2 (de 2 à 5 cm) et, surtout, une réduction globale de l’envahissement ganglionnaire de 44,4 % à 31,5 %. Pour la quasi-totalité, les tumeurs pT1a-b sont de découverte radiologique. En effet, dans les 2 études précédentes, les taux de tumeurs “infracliniques” sont passés de 8,6 % en 2001-2002 à 24,4 % en 2007-2008. Si l’on considère les données du programme national de dépistage organisé du cancer du sein (mises en ligne sur le site www.invs.sante.fr en mai 2011), 36,3 % des cancers invasifs dépistés en 2007 ont une taille inférieure ou égale à 10 mm, et 36,5 % de ceux dépistés en 2008. Les cancers invasifs de taille inférieure ou égale à 10 mm et N0 représentent respectivement 31,8 % des cancers dépistés en 2007 et 32,6 % de ceux dépistés en 2008. Globalement, ces petites lésions découvertes à la mammographie ont des caractéristiques histopathologiques favorables (6-9), avec des lésions le plus souvent de grade SBR1 et avec des récepteurs aux estrogènes (RO) et à la progestérone (RP) positifs. Toutefois, dans l’observatoire français, un envahissement ganglionnaire (pN+) axillaire (avec, en règle générale, moins de 3 ganglions atteints) est retrouvé dans 9 % des pT1a et 13,5 % des pT1b (5). Dans une étude américaine ayant analysé 12 950 cancers infracentimétriques, * Institut du cancer Courlancy, 51100 Reims. ** Cabinet de gynécologie, 28, rue de Norvège, 17000 La Rochelle. les taux de pN+ étaient quasiment identiques : 9,6 % pour les pT1a et 14,3 % pour les pT1b (10). Dans une autre série américaine (11) ayant inclus 919 patientes, les facteurs de risque d’envahissement ganglionnaire pour les lésions infracentimétriques étaient : la taille (pT1b versus pT1a), le haut grade (SBR3 versus SBR1-2), la présence d’emboles vasculaires ou lymphatiques, et l’âge inférieur à 40 ans. Certaines lésions infracliniques ont des caractéristiques histopronostiques défavorables (grade SBR3, emboles vasculaires, surexpression de HER2, KI-67 élevé) qui aggravent le pronostic à long terme et imposent un traitement adjuvant. Les lésions infracentimétriques ont donc des “profils” de pronostic assez variables, bien confirmés par les nouvelles classifications moléculaires mettant en évidence les groupes de pronostic favorable, mais également les tumeurs agressives comme les cancers triple-négatifs, et les tumeurs surexprimant HER2. Dans ce dossier thématique, J.M. Guinebretière et al. répondent à la question : “Y a-t-il des caractéristiques anatomopathologiques particulières des petites tumeurs du sein ?”, puis M. Boisserie-Lacroix et al. exposent la prise en charge diagnostique des cancers infiltrants de moins de 1 cm. L’analyse du pronostic des petites tumeurs du sein est présentée par P.H. Cottu, suivi du traitement chirurgical des cancers pT1a-b abordé par E. Fondrinier. Enfin, C. Cuvier et al. présentent les modalités optimales du traitement adjuvant, sous-tendues par la problématique d’en faire assez sans en faire trop. S’il semble exister des données suffisantes et assez homogènes pour les cancers pT1b, les indications pour les cancers pT1a restent discutées et, en l’absence de référentiels spécifiques, font le plus souvent appel à des décisions collégiales prises en réunion de concertation pluridisciplinaires (RCP) [12, 13]. Vous ne trouverez pas dans ce dossier d’article spécialement consacré à la radiothérapie. L’irradiation des tumeurs infracentimétriques est d’indication quasi systématique et ne présente pas de spécificité. L’efficacité de la radiothérapie 4 | La Lettre du Sénologue ̐ n° 53 - juillet-août-septembre 2011 Séno 53 sept 2011.indd 4 20/09/11 09:17 ÉDITORIAL après chirurgie conservatrice est indépendante de la taille et de l’âge, d’après les données de la méta-analyse du Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group (EBCTCG) [14]. La radiothérapie après chirurgie conservatrice a démontré qu’elle réduisait le risque de récidive locale de 19 % à 5 ans (7 % versus 26 %) et le risque de mortalité par cancer du sein à 15 ans de 5,4 % (30,5 % versus 35,9 %) [14]. Ces résultats portent sur l’irradiation totale du sein. La discussion d’une surimpression localisée du lit de la tumeur (boost) s’appuie sur les résultats d’un essai conduit par l’EORTC, qui montre qu’un boost de 16 Gy réduit significativement le risque de récidive locale avec un recul de 10,8 ans, sans effet sur la survie (15). À 10 ans, l’incidence cumulative de récidive locale est de 10,2 % sans boost versus 6,2 % avec boost (p < 0,0001). Le risque relatif de récidive locale est de 0,59 (0,46-0,76) en faveur du boost, sans interaction significative en fonction de l’âge. Toutefois, comme le risque absolu de récidive locale est plus élevé chez les sujets jeunes, la réduction absolue de risque à 10 ans semble plus importante chez les patientes de moins de 40 ans (13,5 % pour le groupe avec boost versus 23,9 % pour le groupe sans boost) alors que les résultats sont respectivement de 8,7 % versus 12,5 % dans le groupe des patientes de 41 à 50 ans, et de 4,9 % versus 7,8 % dans le groupe des patientes de 51 à 60 ans (15). Il est à noter que, dans cet essai randomisé, 11,8 % des patientes avaient une tumeur de taille inférieure à 1 cm dans le groupe traité versus 11,9 % dans le groupe non traité, sur un total respectif de 2 661 femmes traitées versus 2 657 femmes non traitées (15). Par ailleurs, il a été suggéré que le délai de mise en œuvre de la radiothérapie après chirurgie ne doit pas excéder 8 à 12 semaines, pour minimiser le risque de récidive locale (16). Si l’irradiation totale du sein est la modalité consensuelle de radiothérapie après chirurgie conservatrice, de nombreuses publications sont récemment apparues concernant l’irradiation partielle accélérée du sein (IPAS). Si l’irradiation totale dure habituellement 6 à 7 semaines avec un traitement quotidien du lundi au vendredi, délivrant une dose de 50 Gy à l’ensemble du sein éventuellement suivie d’un boost de 16 Gy supplémentaires sur le lit de la tumeur, un certain nombre de récidives locales persistent, le plus souvent sur le site de la tumeur initiale. L’IPAS est une voie de recherche alternative pour délivrer une radiothérapie localisée sur la zone considérée comme le plus à risque de récidive, pendant une période courte. Plusieurs revues récentes discutant des diverses modalités techniques d’IPAS sont disponibles, présentées de façon exhaustive et illustrées (17-20). L’IPAS traite, pendant une courte période, un volume mammaire limité à l’environnement immédiat de la zone d’exérèse tumorale. Le rationnel de cette approche est fondé sur le fait que la majorité des récidives locales précoces survient autour du site primitif du cancer, les bénéfices potentiels étant le raccourcissement du temps de traitement, avec l’avantage théorique d’une diminution de la dose de radiation délivrée aux organes adjacents. Comme l’un des désavantages potentiels de l’IPAS est la possibilité que des foyers tumoraux occultes, qui auraient été traités par une irradiation totale du sein, puissent se développer, la sélection des patientes pouvant bénéficier de l’IPAS est cruciale. La mise en œuvre de ces techniques ne semble pas envisageable actuellement en dehors d’un essai, en particulier dans la situation développée dans ce dossier thématique, et nous laisseront donc le lecteur se référer aux auteurs cités (17-20) et au consensus de l’American Society of Breast Surgeons mis en ligne le 15 août 2011 à l’adresse http://www.breastsurgeons.org/statements. Les essais randomisés ont confirmé l’efficacité de l’irradiation hypofractionnée selon les schémas de type canadien et anglais, en particulier chez les patientes âgées (21). La prévention des décès par cancer du sein grâce au dépistage repose sur le postulat que les prises en charge thérapeutiques sont plus efficaces lorsque le cancer est détecté à un stade précoce (22). Le comité de rédaction a souhaité présenter un dossier thématique exclusivement consacré aux petits cancers du sein, car ils seront de plus en plus fréquents dans la pratique et poseront aux médecins radiologues, dont le rôle est capital, et à tous les intervenants dans le diagnostic et dans la prise en charge thérapeutique, de nouveaux problèmes au fur et à mesure de l’essor du dépistage et du développement de techniques de plus en plus sophistiquées. Rappelons que “dépister” est un terme de chasse, qui désigne l’action de découvrir le gibier en suivant sa trace. L’idée de rechercher et découvrir ce qui est peu apparent est une extension tardive, et c’est bien cet usage que le corps médical a adopté, en oubliant souvent que dépister veut aussi dire détourner de la piste (23), c’est-à-dire mettre en défaut… Ce qui fait resurgir les questions du surdiagnostic et du surtraitement ! ■ La Lettre du Sénologue ̐ n° 53 - juillet-août-septembre 2011 | Séno 53 sept 2011.indd 5 5 20/09/11 09:17 ÉDITORIAL Références bibliographiques 1. Jensen AR, Garne JP, Storm HH et al. Stage and survival in breast cancer patients in screemed and non-screemed Danish and Swedish populations. Acta Oncol 2003;42: 701-9. 2. Wishart GC, Greenberg DC, Britton PD et al. Screendetected vs symptomatic breast cancer: is improved survival due the stage migration alone? Br J Cancer 2008;98;1741-4. 3. Séradour B, Ancelle-Park R. Dépistage organisé des cancers du sein : peut-on comparer les résultats du programme français aux résultats internationaux ? J Radiol 2006;87:1009-14. 4. 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E-mail : [email protected] http://www.senologie.com 6-10 décembre 2011, San Antonio, Texas, États-Unis The 2011 CTRC-AACR San Antonio Breast Cancer Symposium http://www.sabcs.org Tél. : 210-450-1550 Fax : 210-450-1560 E-mail : [email protected] 6 | La Lettre du Sénologue ̐ n° 53 - juillet-août-septembre 2011 Séno 53 sept 2011.indd 6 20/09/11 09:17