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La brevetabilité du vivant
Béatrice Orès, Fabienne Paris, Lionel Vial
Conseils en Propriété Industrielle (CPI)
Présentation
L’aube de la biotechnologie se lève en 1978-1980 sur une recherche essentiellement
universitaire et sur de petites structures, les futures « start up de Biotech ».
Dès le début, il apparaît que le domaine roi de la biotechnologie pourrait être la
pharmacie. Mais les Majors de la pharmacie ne croient pas vraiment à l’avenir de
cette technologie, ou en tout cas ne souhaitent pas développer cette technique
interne. Pour les laboratoires universitaires ou les start up, le développement d’un
médicament n’est bien entendu pas envisageable. Dès le début, ces structures
savent qu’elles vont devoir passer la main.
Mais comment passer la main dans les meilleures conditions ?
C’est simple, il faut pouvoir négocier avec les Majors dans les meilleures conditions
et en l’occurrence il faut avoir protégé sa matière grise par les seuls moyens
disponibles : la propriété industrielle et les contrats.
Ceci explique le développement de stratégies de propriété industrielle et de contrat
très agressives, aussi bien dans les universités, les organismes publics ou para
publics, que chez les start up.
De fait, les investisseurs considèrent que le premier critère d’investissement en
biotechnologie est « a strong patent position », c’est-à-dire un fort positionnement en
propriété industrielle, le second critère étant le management.
35 ans plus tard, les résultats de cette révolution thérapeutique rendue possible par
les droits de propriété industrielle sont : 4 des 6 premiers médicaments à
prescription médicale obligatoire les plus vendus (en valeur, données 2013) sont
désormais des médicaments issus des biotechnologies.
Questions-réponses
Délivre-t-on des brevets sur la vie ?
Il n'existe pas de « brevets sur la vie ». La vie en tant que création n'est pas
protégeable. Ce n'est pas l'être vivant en tant que tel qui est breveté, mais un
enseignement technique. Le brevet ne confère pas de droit de propriété sur la
matière biologique. Il ne fait que permettre au titulaire d'interdire à des tiers d'utiliser
commercialement son invention. Le brevet est un droit d'exclusivité. Il se distingue
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fondamentalement d'un droit de propriété sur un être vivant. De surcroît, le brevet ne
se prononce pas sur le fait de savoir si l'invention brevetée peut faire l'objet d'une
utilisation commerciale.
Est-ce que les gènes sont brevetables ?
En Europe, la brevetabilité de la matière biologique est encadrée par la Directive
98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, votée
par le Parlement Européen le 6 juillet 1998, à l’issue de discussions houleuses ;
cette Directive définit la matière biologique comme étant une matière contenant des
informations génétiques et qui est autoreproductible ou reproductible dans un
système biologique.
Cette Directive définit les limites légales de la brevetabilité du « vivant », en
décidant qu’un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé
technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène est brevetable,
et ce, même si la structure de cet élément est identique à celle d’un élément naturel,
à la condition que l’application industrielle de cette séquence de gène soit
complètement exposée dans la demande de brevet, (Article 5 §§ 2 et 3).
Ainsi, la matière biologique est reconnue comme brevetable si elle répond aux
conditions générales de brevetabilité que sont la nouveauté, l’activité inventive et
l’application industrielle, ainsi qu’aux conditions suivantes :
(i) Elle doit être isolée ; à cet égard, le considérant 21 de la Directive précise que
l’élément isolé du corps humain ou autrement produit n’est pas exclu de la
brevetabilité puisqu’il est, par exemple, le résultat de procédés techniques l’ayant
identifié, purifié, caractérisé et multiplié en dehors du corps humain, techniques que
seul l’être humain est capable de mettre en œuvre et que la nature est incapable
d’accomplir par elle-même ; et
(ii) Il faut que l’application industrielle soit concrètement exposée dans la demande
de brevet.
Ainsi sont brevetables, concernant notre sujet, les gènes et molécules d’acides
nucléiques (par exemple gènes liés à des maladies et utilisés à des fins de
diagnostic, ou molécules de type siARN ou anti-sens utilisées à des fins
thérapeutiques). Par contre ne sont pas brevetables les séquences d’ADN
dépourvues de fonction connue (par exemple marqueur de séquence exprimée EST
(Expressed Sequence Tag) résultant d’un séquençage automatisé.
La Directive fait ainsi le distinguo entre la simple découverte d’un des éléments du
corps humain (non brevetable) et l’invention correspondant au même élément, isolé
cette fois.
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La position de l’Office Européen des Brevets
Les dispositions de cette Directive ont été introduites sans modifications dans la
Convention sur le Brevet Européen (Règles 26 à 29, CBE), qui délivre donc des
brevets relatifs à des gènes, si toutes les conditions exposées ci-dessus sont
remplies.
La position française
Les dispositions de cette Directive ont été transposées imparfaitement en droit
français dans le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) par la loi n°2004-1338 du 8
décembre 2004 (Article L. 611-18 du CPI). Sans rentrer dans les détails de l’article L.
611-18 du CPI, il convient de relever que la loi française est plus limitative sur la
protection, puisqu’il y est précisé que "seule une invention constituant l’application
technique d’une fonction d’un élément du corps humain peut être protégée par
brevet" et que "cette protection ne couvre l’élément du corps humain que dans la
mesure nécessaire à la réalisation et à l’exploitation de cette application particulière".
Ainsi, concernant le génome, le texte français prend ses distances : alors que la
Directive accepte la protection des éléments du génome, les séquences, le d) de
l’alinéa 2 de l’article L. 611-18 du code de la propriété intellectuelle privilégie
l’application et exclut donc de la brevetabilité le gène en tant que tel. Il faut noter que
ces différences sont source de difficulté. Malgré des débats aux niveaux national et
communautaire sur cette question, le législateur français n’a pas modifié la loi
française à l’occasion de la révision de la loi sur la bioéthique par la loi du 6 août
2013.
Est-ce que les cellules souches embryonnaires sont brevetables ?
Les cellules souches sont présentes chez tous les êtres vivants multicellulaires, et
notamment chez l’être humain. Ce sont des cellules indifférenciées, qui ont la
capacité de s'auto-renouveler dans l’organisme ou en culture, et de se différencier
pour générer des types cellulaires spécialisés, par exemple des cellules cardiaques,
des cellules de rétine, des cellules neuronales, etc. C’est d’ailleurs la différentiation
de cellules souches qui permet le développement de l’embryon, puis du fœtus.
Le potentiel des cellules souches est tel que l’on peut par exemple induire en
laboratoire la différentiation de cellules souches en cellules cardiaques, pour ensuite
administrer ces cellules cardiaques à un patient [1]. On pourrait aussi imaginer
induire la différentiation de cellules souches en cellules neuronales, puis utiliser ces
cellules neuronales en laboratoire pour tester des médicaments contre la maladie de
Parkinson, le tout sans avoir recours à un modèle animal. Les applications
envisageables sont vastes et font naître d’énormes espoirs thérapeutiques.
[
1
] La première implantation de cellules cardiaques préalablement générées par différentiation de cellules souches embryonnaires a été
réalisée en octobre 2014 à l’hôpital européen Georges Pompidou sur une femme de 68 ans atteinte d’insuffisance cardiaque sévère.
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La recherche médicale s’est donc efforcée d’isoler des cellules souches en
laboratoire pour analyser et tenter de maîtriser leur potentiel de différentiation.
Or, la première source connue de cellules souches est l’embryon humain. Ce sont
donc des embryons humains surnuméraires, qui ont d’abord été utilisés pour tenter
d’isoler des cellules souches savoir, des embryons surnuméraires obtenus par
fécondation in vitro ne faisant plus l’objet d’un projet parental, après information et
consentement écrit du couple concerné) [2].
Le premier isolement de cellules souches embryonnaires a été réalisé en 1998 [3].
Cette réussite scientifique a ouvert la voie à de très prometteuses recherches à visée
thérapeutique, mais aussi à de profondes questions éthiques et juridiques.
En effet, les premières techniques mises en œuvre pour isoler des cellules souches
à partir d’un embryon conduisaient à le rendre non viable, c’est-à-dire à détruire
l’embryon.
En Europe, l’utilisation d’un embryon humain à des fins industrielles ou commerciales
a été exclue de la brevetabilité dès juillet 1998 [4].
En 2008, la Grande Chambre de Recours de l’Office Européen des Brevets (OEB) a
confirmé qu’un brevet européen ne pouvait être délivré pour des produits qui, à la
date de dépôt de la demande de brevet, ne pouvaient être obtenus qu’en détruisant
des embryons humains [5].
Néanmoins, une partie des inventions dans le domaine furent menées non pas
directement à partir d’un embryon humain, mais à partir de lignées cellulaires de
cellules souches qui avaient été préétablies bien avant l’invention, mais qui avaient
nécessité la destruction d’embryons humains. Pour réaliser ce type d’invention, la
destruction de l’embryon n’avait donc pas été faite spécifiquement pour, et au
moment de l’invention, mais avait été réalisée bien avant l’invention et sans avoir de
rapport direct avec cette invention ou avec les inventeurs.
En 2011, la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) a jugé que la
législation de l’Union Européenne « exclut la brevetabilité d’une invention dès lors
que l’enseignement technique qui a fait l’objet de la demande de brevet requiert la
destruction d’embryons humains ou leur utilisation comme matériau de départ, quel
que soit le stade auquel celles-ci interviennent et même si la description de
l’enseignement technique revendiqué ne mentionne pas l’utilisation d’embryons
humains » [6].
[
2
] En France, aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans
autorisation (Article L. 2151-5 du Code la Santé Publique ; Lois relatives à la bioéthique n°2013-715 du 6 août 2013 et n°2011-814 du 7
juillet 2011).
[
3
] Thomson et al. novembre 1998, Science 282 (5391) : 1145-1147.
[
4
] Article 6.2(c) de la Directive 98/44/CE publiée au Journal Officiel des Communautés Européennes du 30 juillet 1998, transposé dans le
droit national français sous l’Article L. 611-18 du Code de la Propriété Intellectuelle. La Convention sur le Brevet Européen (CBE) a quant à
elle adopté cette même exclusion dès 1999 sous la Règle 23quinquies(c) CBE 1973, maintenant Règle 28(c) CBE 2000.
[
5
] Décision G 2/06 de la Grande Chambre de Recours de l’OEB du 25 novembre 2008.
[
6
] Décision C-34/10 de la Grande Chambre de la CJCE du 18 octobre 2011.
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L’OEB, bien que non directement lié à la CJCE, a adopté le principe posé par cette
décision, et a décidé qu’un brevet européen ne pouvait être délivré dès lors que la
réalisation de l’invention avait nécessité la destruction d’un embryon humain, que
cela soit de manière directe ou indirecte. L’OEB a en outre précisé la date jusqu’à
laquelle il n’était pas possible d’isoler des cellules souches, ou de produire une
lignée de cellules souches, sans détruire un embryon, à savoir la date du 10 janvier
2008 [7].
Cette date correspond à la date de publication d’un article scientifique décrivant la
première technique permettant d’isoler des cellules souches à partir d’un embryon
sans pour autant détruire cet embryon [8].
Ainsi, en Europe, toute invention qui nécessite ou a nécessité la destruction d’un
embryon est exclue de la brevetabilité, et cela même si la destruction en question a
eu lieu à un stade bien antérieur à l’invention.
Ceci étant, les techniques et connaissances dans le domaine des cellules souches
ont rapidement progressé. En effet, il n’est aujourd’hui plus nécessaire de faire appel
à un embryon pour obtenir des cellules souches.
Il a en effet été découvert que les cellules souches sont aussi présentes chez les
adultes (ainsi que chez les enfants, et même dans le cordon ombilical). On les trouve
en petites quantités dans de nombreux organes ou tissus (cerveau, moelle épinière,
peau, cœur, foie, sang etc.). Cette source alternative de cellules souches est par
exemple testée pour le traitement de l’arthrose par injection de cellules souches
endogènes du cartilage [9].
Des cellules souches peuvent aussi être produites en laboratoire par dé-
différentiation de cellules somatiques (c’est-à-dire, par déprogrammation de cellules
ordinaires prélevées chez un adulte ou un enfant). En 2012, le prix Nobel de
médecine a d’ailleurs été attribué aux chercheurs japonais et britannique Shinya
Yamanaka et John Gurdon, qui sont parvenus à produire des cellules souches à
partir de cellules de peau [10].
Une invention mettant en œuvre des cellules souches prélevées sur un adulte ou un
enfant, ou bien obtenues par dé-différentiation de cellules somatiques, ne requiert à
aucun stade la destruction d’un embryon, et n’est pas exclue de la brevetabilité en
Europe.
D’autres systèmes expérimentaux ont par ailleurs été mis au point pour éviter de
mettre en œuvre des cellules souches issues d’embryons.
[
7
] Décisions de Chambres de Recours de l’OEB T 1441/13 (du 9 septembre 2014) et T 1808/13 (du 26 février 2015).
[
8
] Chung et al. 2008 Cell Stem Cell volume 2, pages 1 à 5, publié sur Internet le 10 janvier 2008 (article décrivant le prélèvement d’une
cellule au stade sept cellules d’un embryon obtenu par fécondation in vitro (blastocyte), l’embryon pouvant alors être réimplanté).
[
9
] Projet de recherche européen ADIPOA coordonné par le CHRU de Montpellier, initié en 2012 (http://wwwold.chu-
montpellier.fr/fr/ADIPOA/).
[
10
] http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/2012/yamanaka-facts.html
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