Congrès-Réunion Journée d’actualité en cancérologie cutanée : compte-rendu Paris, le 6 février 2014 S. Ly (Gradignan) L a deuxième édition de la Journée d’actualité en cancérologie cutanée (JACC), du généraliste aux spécialistes, s’est tenue le jeudi 6 février 2014 à Paris. Le Pr Marie-Thérèse Leccia, présidente du groupe de cancérologie cutanée de la Société française de dermatologie, a introduit cette journée en rappelant que la prise en charge des cancers cutanés, les cancers les plus fréquents chez l’homme, est multidisciplinaire, et que le paysage thérapeutique des mélanomes et des carcinomes s’est modifié ces dernières années, avec l’arrivée de nouvelles molécules. La problématique du diagnostic précoce des mélanomes D’après le Pr Florent Grange (dermatologue, Paris) et le Dr Franck Arnold (médecin généraliste responsable d’une structure de dépistage) Le mélanome en quelques chiffres et tendances (encadré 1) Encadré 1 ● Incidence triplée en 30 ans ● Survie : 83,2 % à 5 ans en Europe, avec des disparités selon les pays ● 10 000 nouveaux cas et 1 620 décès en 2011 en France ● Mortalité stable voire en baisse chez la femme mais pas chez l’homme ● Augmentation de l’incidence des mélanomes fins ● Stabilité de l’incidence des mélanomes épais Caractéristiques des mélanomes très épais (Breslow ≥ 3 mm) [encadré 2] Encadré 2 ● Homme âgé, célibataire, veuf ou séparé. ● Siège céphalique et membre inférieur. ● Mélanome de type acro-lentigineux ou nodulaire, achromique. ● Diagnostic par le dermatologue mais aussi par le médecin généraliste. En effet : ▶ Le médecin généraliste dépiste des mélanomes plus épais que le dermatologue : 2,05 versus 1,32 (p < 0,001). ▶ Le médecin généraliste dépiste une population différente, plus âgée, et c’est le seul interlocuteur du sujet isolé socialement. ▶ La participation du médecin généraliste à des “training sessions” : – diminue l’incidence des mélanomes épais ; – diminue l’épaisseur des mélanomes diagnostiqués ; – diminue la proportion des mélanomes épais et augmente celle des mélanomes fins. Améliorer le diagnostic précoce des mélanomes épais et très épais ? ▶ De nouveaux messages Il faut insister sur le “E” de “Évolution” : “C’est quoi ce truc qui pousse sur ma peau ?” (figure) car la règle ABCD ne s’applique pas au diagnostic des mélanomes achromiques et à croissance rapide. ▶ De nouvelles cibles Ainsi, se pose la question d’un biais de “surdiagnostic” des mélanomes fins, peu ou pas pourvoyeurs de mortalité, tandis que la difficulté persistante est de diagnostiquer précocement les mélanomes épais “tueurs”. Cela constitue un objectif majeur pour infléchir la mortalité liée au mélanome. 6 Images en Dermatologie • Vol. VII • no 1 • janvier-février 2014 L’homme âgé, isolé socialement, peu enclin au dépistage. ▶ Promouvoir l’éducation diagnostique du médecin généraliste Il est le seul interlocuteur du patient socialement isolé. Congrès-Réunion Motiver les patients “Demander à votre médecin d’examiner votre peau” (figure). évaluer, d’où l’idée d’établir des scores de risque afin de cibler la population à dépister. Le SAMScore (Self Assessment of Melanoma Risk Score) est un autoquestionnaire français, simple et validé, comportant 7 items, et disponible sur le site du Réseau Mélanome Ouest (tableau). Tableau. Figure. “C’est quoi ce truc qui pousse sur ma peau ?”, nouvelle campagne de communication de dermato-info.fr, site grand public de la Société française de dermatologie (© : DR). Outils de dépistage du mélanome pour le médecin généraliste D’après le Pr Gaëlle Quéreux (dermatologue, CHU de Nantes) Afin de discriminer naevus et mélanome, dont les spectres cliniques se recoupent, 2 règles peuvent aider à la décision : ▶ le vilain petit canard ; ▶ la règle ABCDE, mais son application est liée à l’expérience du médecin. L’imprégnation visuelle photographique est aussi une méthode d’apprentissage. À qui proposer un dépistage cutané ? Les facteurs de risque de mélanome, à l’échelle populationnelle, sont connus. Cependant, un dépistage de masse n’est pas envisageable dans le mélanome : peu efficace et onéreux, il ne serait pas “rentable”. Le risque individuel reste difficile à 1 J’ai plus de 20 grains de beauté sur l’ensemble des deux bras (bras et avant bras) 2 J’ai des taches de rousseur 3 Sachant qu’il existe 6 phototypes, je pense appartenir au phototype I ou II – Phototype I : peau très claire, cheveux blonds ou roux, yeux clairs (bleus ou verts), incapacité de bronzer avec coups de soleil constants après une exposition solaire – Phototype II : peau claire, cheveux clairs ou châtains, yeux clairs, coups de soleil fréquents NB : si vous pensez être de phototype III, IV, V, ou VI, ne cochez pas cette case. 4 Au cours de mon enfance ou de mon adolescence, j’ai déjà pris des coups de soleil sévères (coups de soleil rouges et très douloureux avec cloques, brûlures solaires) 5 J’ai vécu plus d’un an dans un pays à fort ensoleillement (Afrique, Moyen Orient, DOM-TOM, Sud des États-Unis, Australie…) 6 J’ai déjà eu au cours de ma vie un mélanome (également appelé “grain de beauté cancéreux”, il s’agit d’un cancer de la peau, qui touche les cellules responsables de la pigmentation) 7 Un membre de ma famille proche (parent, enfant, frère ou sœur) a déjà eu un mélanome Sujet à risque = 3 facteurs de risque Le pouvoir discriminant du SAMScore dans la sélection de patients à risque de mélanome ou présentant un mélanome a été évalué récemment dans une étude collaborative médecin généraliste/dermatologue (encadré 3) [1]. Parmi les 7 977 patients ayant rempli le SAMScore, 2 404 étaient considérés comme étant “à haut risque”. Le médecin généraliste examinait alors leur peau et les confiait à un dermatologue. Dix mélanomes étaient diagnostiqués, 2 in situ et 8 invasifs. Le SAMScore permet de détecter un nouveau cas de mélanome en examinant 11 fois moins de patients qu’au sein d’une population non ciblée. Encadré 3 ● Le SAMScore est un outil français, validé et simple à utiliser en médecine générale (1). ● Il possède un haut pouvoir concentrateur, améliorant le diagnostic de mélanome par un dépistage ciblé dans une collaboration médecin généraliste/dermatologue. ● Un autre objectif devrait être poursuivi, celui de cibler les mélanomes “tueurs” des hommes âgés et isolés. Images en Dermatologie • Vol. VII • no 1 • janvier-février 2014 7 Congrès-Réunion Dermoscopie et dermoscopie digitale : pratiques, intérêts et limites En Australie, la dermoscopie est entre les mains de médecins généralistes hyperspécialisés dans le diagnostic des tumeurs cutanées. D’après le Pr Luc Thomas (dermatologue, CH Lyon-Sud) Dermoscopie De nombreuses études de niveau de preuve A ont été publiées et plusieurs méta-analyses confirment son intérêt : ▶ sur l’acuité diagnostique ; ▶ sur la diminution du nombre d’exérèses inutiles. Dermoscopie digitale Les lésions bénignes n’évoluent pas, contrairement au mélanome (MM) ; la dermoscopie digitale donne une seconde chance de diagnostiquer un MM, avec 2 modalités de surveillance : ▶ surveillance à intervalles “longs” (6 à 12 mois) : modifications asymétriques ; régression ; nouvelles couleurs. ▶ Surveillance à intervalle “courts” (à 2 ou 3 mois) : ici, tous les changements sont significatifs. ▶ Combinaison des 2 : M0 puis M2-3 puis M12 (soit 9 mois après). Encadré 4 ● Les lésions en relief ne doivent jamais être surveillées mais enlevées. ● Chez un patient “à risque”, présentant plus d’une centaine de naevi, il faut TOUT enregistrer, en particulier ce qui est PETIT et réticulaire, afin de dépister, au cours de son évolution, un mélanome méconnu initialement. Les limites de la dermoscopie sont : ▶ sa complexité, nécessitant un réel apprentissage ; ▶ ses exceptions : le visage, les paumes… ▶ mais, contrairement aux idées reçues, elle n’est pas chronophage ! Une question demeure, celle de son impact en termes de santé publique. En effet, cette technique permet une étude approfondie des mélanomes à croissance lente, mais qu’en est-il des mélanomes à croissance rapide ? Et la dermoscopie en France ? Quatre-vingt quatorze pour cent des dermatologues libéraux l’utilisent. En centre hospitalier, la dermoscopie est plus utilisée en centre général qu’en centre hyperspécialisé et ce, d’autant plus que le praticien est jeune et en position hiérarchique basse ! 8 Images en Dermatologie • Vol. VII • no 1 • janvier-février 2014 Principes de la chirurgie carcinologique cutanée et cas cliniques D’après le Dr Jean-Michel Amici (dermatologue, Bordeaux) Légitimité La dermatologie chirurgicale est aujourd’hui officiellement enseignée dans le cadre du DES. Sa pratique est encadrée par la Haute Autorité de santé et par différentes recommandations de bonne pratique. Le dermatologue a à sa disposition différents moyens de se former (DIU, ouvrages, CDrom, etc.) [encadré 5]. Encadré 5 ● Le dermatologue chirurgien est plus performant que les autres spécialistes dans l’exérèse complète d’une tumeur cutanée, car il sait “lire” une tumeur avant de l’enlever (2). Biopsier avant d’enlever ? La biopsie a bien sûr un intérêt diagnostique et médico-légal. Elle est obligatoire sur le visage, si une reconstruction est envisagée. La biopsie, cependant, a ses limites : elle peut enlever en totalité une lésion de petite taille, elle complique le repérage des limites tumorales et peut être source d’erreur du site de reprise. Cela incite à photographier la lésion avant de la biopsier, surtout si on délègue l’acte chirurgical. Selon le type tumoral ▶ Carcinome basocellulaire Le respect des symétries horizontales du visage est fondamental pour obtenir un bon résultat fonctionnel (absence de distorsion des orifices) et esthétique dans le cadre médian du visage. Ce cadre se définit par 5 lignes horizontales : tarsopalpébrale inférieure, narinaire, commissurale, sourcilière, implantation capillaire et 2 lignes verticales passant à l’aplomb des queues des sourcils (3). Un des principaux objectifs est de ne pas “rater” l’exérèse initiale d’un carcinome basocellulaire (CBC), car la récidive est souvent plus agressive. C’est alors la place des chirurgies micrographiques (de 3 à 4 % des tumeurs) [4]. Congrès-Réunion ▶ Carcinome épidermoïde cutané Au visage, le carcinome épidermoïde cutané a un tropisme particulier pour l’oreille et la lèvre ; ses localisations sur le dos de la main et des doigts, l’avant-bras ou la face antérieure des jambes nécessitent des réparations particulières. ▶ Mélanome Le choix des réparations se simplifie ici : exérèse suture simple ou greffe, afin de ne pas modifier les repères et permettre la surveillance ultérieure. Le mélanome de Dubreuilh est plus problématique, le respect d’une marge de 1 cm n’étant pas toujours possible sur le visage ; un examen exhaustif des marges est alors indiqué, selon la technique du spaghetti, par exemple. Les effets indésirables sont nombreux, à type de crampes (70 %), alopécie (64 %), dysgueusie (55 %), perte de poids, fatigue, nausée, perte d’appétit et diarrhée pouvant conduire à l’arrêt du traitement. L’équipe de B. Dréno a montré l’intérêt d’une prise en charge nutritionnelle spécifique comportant une évaluation de l’état nutritionnel préthérapeutique, ainsi qu’une supplémentation orale ou parentérale nocturne adaptée à l’intensité de la perte de poids, avec une diminution des arrêts prématurés de traitement. Une alerte récente concerne l’émergence rapide de carcinomes épidermoïdes cutanés chez un patient traité par vismodégib (6). Conclusion De nouveaux horizons thérapeutiques pour les carcinomes basocellulaires D’après le Pr Brigitte Dréno (dermatologue, CHU de Nantes) Les CBC avancés ont une faible mortalité mais une morbidité très élevée. Le vismodégib est indiqué dans les CBC avancés, après discussion obligatoire en réunion de concertation pluridisciplinaire, ou dans les CBC métastatiques très rares et de très mauvais pronostic. La voie de signalisation hedgehog dite “hérisson” (PTCH1 et SMO) est activée pendant la période embryonnaire, jouant un rôle crucial dans le développement de l’individu, et elle est normalement inhibée chez l’adulte. PTCH1, gène suppresseur, inhibe l’activation de SMO, ce qui inhibe les gènes impliqués dans la prolifération et la différenciation. Dans le syndrome de Gorlin, PTCH1 est muté et SMO reste activé avec : ▶ des CBC chez l’adolescent ; ▶ des tumeurs bénignes associées ; ▶ des “pits” palmoplantaires ; ▶ une dysmorphie faciale et des anomalies neurologiques (médulloblastome). Dans plus de 90 % des CBC, il existe des anomalies génétiques de PTCH1 ou SMO induisant une activation permanente de la voie hedgehog. Il n’est donc pas nécessaire de rechercher la mutation avant d’instaurer le traitement, contrairement au mélanome, pour la mutation de BRAF. Le vismodégib est le premier inhibiteur de SMO. Son efficacité (150 mg/j per os) a été évaluée à 57 % de réponses complètes et partielles (5). Cette deuxième édition de la JACC s’est terminée par une discussion autour de cas cliniques de : ▶ tumeurs rares à ne pas méconnaître (tumeur de Merckel, angiosarcome de la tête et du cou, syndrome de Gorlin) – Dr T. Jouary, Pr B. Guillot et Pr L. Mortier ; ▶ mélanomes métastatiques : choix des traitements de 1 re et de 2 e ligne en 2014 – Dr T. Lesimple, Pr C. Lebbé, Dr S. Dalac. ❙❙ L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. Quéreux G, Nguyen JM, Cary M, Jumbou O, Lequeux Y, Dréno B. Validation of the self-assessment of melanoma risk Score for a melanoma-targeted screening. Eur J Cancer Prev 2012;21(6):588-95. 2. Bassas P, Hilari H, Bodet D, Serra M, Kennedy FE, García-Patos V. Evaluation of surgical margins in basal cell carcinoma by surgical specialty. Actas Dermosifiliogr 2013;104(2):133-40. 3. Amici JM, Bailly JY, Taieb A. Horizontal stretching concept in oncologic dermatologic surgery of the face. J Eur Acad Dermatol Venereol 2010; 24(3):308-16. 4. Boulinguez S, Grison-Tabone C, Lamant L. Histological evolution of recurrent basal cell carcinoma and therapeutic implications for incompletely excised lesions. Br J Dermatol 2004;151(3):623-6. 5. Sekulic A, Migden MR, Oro AE et al. Efficacy and safety of vismodegib in advanced basal-cell carcinoma. N Engl J Med 2012;366(23):2171-9. 6. Orouji A, Goerdt S, Utikal J, Leverkus M. Multiple highly and moderately differentiated squamous cell carcinomas of the skin during vismodegib treatment of inoperable basal cell carcinoma. Br J Dermatol 2014 Jan 21 [Epub ahead of print]. Images en Dermatologie • Vol. VII • no 1 • janvier-février 2014 9