S Les troubles de la personnalité limite à l’adolescence

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DOSSIER
États limites
Les troubles
de la personnalité limite
à l’adolescence
Borderline personality disorder in adolescence
S. Garny de La Rivière*, A. Knafo**, C. Pripis*, N. Rey*, J.M. Guilé*
S
i le terme borderline apparaît initialement
pour désigner des syndromes frontières de la
schizophrénie, il a été ensuite développé pour
qualifier des organisations psychopathologiques
intermédiaires entre des organisations névrotiques
et psychotiques. Ce sont surtout O. Kernberg et
J. Bergeret qui ont donné un éclairage particulier
aux concepts d’organisation de la personnalité limite
(Kernberg, 1989) et d’état limite (Bergeret, 1995),
organisations psychiques sous-tendant les symptômes observables dans le trouble de la personnalité
limite (TPL). Notre travail se propose d’aborder de
manière non exhaustive des questions de diagnostic
et de psychopathologie, des processus cognitifs et
des données neurophysiologiques qui concernent
cette pathologie. Des méthodes d’exploration et
des méthodes de prise en charge seront également
évoquées.
Définition
* Service de psychopathologie de
l’enfant et de l’adolescent, CHU
d’Amiens ; université de Picardie JulesVerne, Amiens.
** Service de psychopathologie de
l’enfant et de l’adolescent, hôpital
Bichat-Claude-Bernard, Paris ; université Denis-Diderot Paris 7.
Avant d’aller plus loin, il convient de clarifier certains
points de terminologie : le concept d’état limite est
souvent confondu avec celui de TPL au sens où l’entendent les DSM-IV et 5. Le TPL, ou borderline personality disorder (BPD) pour les anglophones, est un
syndrome spécifique regroupant des comportements
observables tels que l’instabilité relationnelle ou
l’impulsivité. Le concept d’organisation de la personnalité limite ou d’état limite (borderline condition)
est un concept psychodynamique qui renvoie, quant
à lui, à une organisation de personnalité pathologique, c’est-à-dire à un ensemble de constituants
de la personnalité qui ne sont pas immédiatement
observables. Il s’agit donc de 2 concepts situés sur
2 niveaux différents : le TPL relève des comportements observables et du syndrome, tandis que l’état
limite renvoie au plan psychodynamique (1).
92 | La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 3 - mai-juin 2014
Épidémiologie
La prévalence du trouble en population générale
est de 3 % pour les TPL sévères, avec un taux égal
chez les garçons et chez les filles de 11 à 21 ans (2).
En population clinique, ces chiffres montent à 11 %
des adolescents suivis en ambulatoire (3), et 53 %
des patients hospitalisés (4).
Si l’on ne retrouve pas de différence significative de
prévalence concernant le sexe dans la population
générale, en population clinique, le TPL est plus
souvent observé chez les filles (31 à 61 %) que chez
les garçons (39 % au maximum) [2, 5-7].
Au cours des dernières années, le diagnostic de TPL
à l’adolescence a suscité de nombreux questionnements quant à sa validité de construit et sa validité prédictive. Si plusieurs études apportent des
éléments de preuve quant à la validité de construit
du TPL à l’adolescence (7, 8), sa validité prédictive
à l’adolescence est davantage controversée. De
fait, plusieurs études montrent que la stabilité du
diagnostic catégoriel du TPL chez les adolescents
est faible (9, 10). En revanche, l’approche dimensionnelle, en définissant le TPL comme l’expression
de perturbations d’intensité variable telles que
l’instabilité émotionnelle et l’impulsivité, permet
une meilleure stabilité diagnostique. Ainsi, plusieurs
études concluent à la pertinence d’une approche
dimensionnelle sous-tendant l’idée d’un continuum
qui permettrait de mieux prendre en compte l’hétérogénéité clinique propre à l’adolescence (7, 11).
Questions diagnostiques
Approche catégorielle
La classification américaine (Manuel diagnostique
et statistique des troubles mentaux, DSM-IV-R et
Points forts
» Les états limites et le trouble de la personnalité limite sont 2 entités souvent confondues.
» Une approche dimensionnelle présente un intérêt par rapport à l’approche catégorielle classique.
» Actuellement, la plupart des modèles dimensionnels décrivent le trouble de personnalité limite selon
4 dimensions : cognitive, impulsive, affective et interpersonnelle.
» La psychopathologie repose sur 3 caractéristiques : l’identité diffuse, des mécanismes de défense
primitifs prévalents (clivage) et une fragilité de l’épreuve de réalité.
» La prise en charge est multimodale.
DSM-5) [12], pose le diagnostic de TPL à l’adolescence lorsque le sujet présente depuis au moins 1 an
5 des 9 critères suivants :
➤ Efforts effrénés pour éviter les abandons réels
ou imaginés ;
➤ Relations interpersonnelles instables et intenses
caractérisées par l’alternance entre des positions
extrêmes d’idéalisation excessive et de dévalorisation ;
➤ Perturbation de l’identité : instabilité marquée et
persistante de l’image de soi ou de la notion de soi ;
➤ Impulsivité dans au moins 2 domaines potentiellement dommageables pour le sujet (par exemple
dépenses, sexualité ou conduite automobile dangereuse) ;
➤ Répétition de gestes ou de menaces suicidaires
ou d’automutilations ;
➤ Instabilité affective due à une réactivité marquée
de l’humeur ;
➤ Sentiment chronique de vide ;
➤ Colère intense et inappropriée ou difficulté à
contrôler sa colère ;
➤ Survenue transitoire dans des situations de stress
d’une idéation persécutoire ou de symptômes dissociatifs sévères.
L’approche catégorielle permet de mettre en
évidence des comorbidités importantes. Le projet
multicentrique européen sur la phénoménologie
du TPL à l’adolescence (European Research Network
on Borderline Personality Disorder [EURNET-BPD])
[13] décrit une comorbidité à l’axe 1 de 89 % chez
les adolescents atteints de TPL entre 15 et 19 ans.
Dans leur échantillon de 85 adolescents évalués au
K-SADS-PL (Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia for School-Age Children-Present and Lifetime Version), il était retrouvé 55,3 % de troubles de
l’humeur, 31,8 % de troubles des conduites alimentaires (TCA), 25,9 % de troubles du comportement
(dont 11 % de trouble du déficit de l’attention avec
ou sans hyperactivité type combiné), 25,9 % de
troubles anxieux et 20 % de cas de consommation
de toxiques.
Concernant la comorbidité à l’axe II, à partir du
même projet EURNET-BPD, G. Loas et al. (14)
retrouvent 10,5 % de troubles du cluster A (principalement, trouble de la personnalité paranoïaque :
9,4 %), 27,1 % de troubles du cluster B (surtout
personnalité antisociale : 22,4 %) et 52,9 % de
troubles du cluster C (parmi lesquels 35,3 % de
troubles obsessionnels-compulsifs, 21,2 % de sujets
évitants et 11,8 % de dépendants).
Si le diagnostic catégoriel du TPL à l’adolescence
a une validité discriminante et convergente satisfaisante (8, 10, 15), sa validité prédictive est questionnable. Bien que la première étude menée par
D.P. Berstein et al. montrait une stabilité observée à
2 ans de 25 % (2), les études plus récentes utilisant
des procédures diagnostiques plus rigoureuses font
état de stabilités plus importantes : 40 % à 2 ans (3)
et 47 % à 4 ans (16).
Dans ce contexte, une approche dimensionnelle du
TPL permet-elle une meilleure stabilité diagnostique
entre l’adolescence et l’âge adulte ? En outre, quelles
dimensions sémiologiques perdurent ?
Approche dimensionnelle
Dans une approche dimensionnelle, le TPL est défini
comme l’expression de perturbations d’intensité
variable selon un continuum entre le normal et le
pathologique, et ce sur plusieurs dimensions.
Toutefois, toute approche dimensionnelle devient
catégorielle à la suite d’un seuil particulier, définissant ainsi des sous-types catégoriels au sein des
dimensions.
Mots-clés
Trouble de
la personnalité limite
Adolescence
Cognition
Highlights
» Borderline illness and
borderline personality disorder
are 2 clinical entities often
confused.
» Dimensional classification
has proven to be more useful
than traditional categorical
classification.
» At present, most dimensional
models describe borderline
personality disorder focusing on
4 aspects: cognitive, impulsive,
affective and interpersonal.
» The psychopathology is
based on 3 descriptive criteria:
diffusion of identity, prevalence
of primitive defence mechanisms (splitting) and fragility
of reality testing.
» Management is multimodal.
Keywords
Borderline personality
disorder
Adolescence
Cognition
Actuellement, la plupart des modèles dimensionnels
décrivent le TPL selon 4 dimensions (17) :
➤ La dimension cognitive (trouble de l’identité,
trouble de l’image de soi, symptômes dissociatifs
transitoires) ;
➤ La dimension impulsive (comprenant les automutilations et les tentatives de suicide) ;
➤ La dimension affective (fluctuation de l’humeur,
sentiment de vide, colère) ;
➤ La dimension interpersonnelle (relations interpersonnelles instables, efforts pour éviter l’abandon).
L’approche dimensionnelle du TPL serait particulièrement pertinente à l’adolescence dans la mesure
où elle prendrait davantage en compte la variabilité
développementale et l’hétérogénéité observée à
cette période de la vie (7, 18).
La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 3 - mai-juin 2014 |
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DOSSIER
États limites
Les troubles de la personnalité limite à l’adolescence
La plupart des études ayant recours à une conceptualisation dimensionnelle du TPL mettent en évidence
une stabilité modérée de ce diagnostic à l’adolescence. Ainsi, T.N. Crawford et al. (10) retrouvent une
stabilité de 63 % pour les garçons et de 69 % pour
les filles, pour une personnalité de cluster B (dont
le TPL) sur un échantillon de 407 adolescents suivis
sur 8 ans ; alors que, sur un échantillon clinique,
de 12 patients (sur les 101 recrutés) présentant
un TPL et suivis pendant 2 ans, A.M. Chanen et
al. (3) retrouvent une stabilité de 54 %. Au bout
du compte, si l’approche dimensionnelle du TPL
permet une meilleure stabilité diagnostique que
son approche catégorielle, il n’en reste pas moins
évident que, pour la majorité des individus, le TPL
décline de façon significative entre l’adolescence
et l’âge adulte.
Deux remarques sont à faire concernant la stabilité
du diagnostic :
➤ En premier lieu, la stabilité de rang est conservée,
c’est-à-dire que les adolescents ayant un TPL sévère
en termes d’intensité des symptômes sont les plus à
risque de présenter ce trouble de personnalité à l’âge
adulte (19, 20). Ainsi, A.L. Miller et al. (7) soulignent
l’émergence de 2 sous-groupes d’adolescents : les
adolescents sévèrement atteints, dont le diagnostic
est stable, et ceux, moins atteints, dont le diagnostic
à travers le temps reste incertain.
➤ En second lieu, un petit nombre de symptômes
émergent comme symptômes prédictifs significatifs de la persistance du TPL. K.E. Garnet et al. (21)
montrent ainsi que les symptômes dont le pouvoir
prédictif est le plus important (donc les plus stables)
chez les adolescents sont le sentiment chronique de
vide et l’ennui. D’autres auteurs (22, 23) identifient
le trouble de l’identité, l’instabilité affective et la
colère extrême, voire démesurée, comme les symptômes ayant le pouvoir prédictif le plus important.
Le pouvoir prédictif de ces 3 symptômes est aussi
relevé dans la littérature concernant le TPL à l’âge
adulte, ce qui suggère que leur validité prédictive
est élevée quel que soit le groupe d’âge.
Comme la plupart des syndromes cliniques en pédopsychiatrie, le TPL est une pathologie développementale qui se construit dans les interactions précoces
et s’exprime dans la relation.
Le tableau clinique reflète un ensemble de perturbations qui peuvent être réparties dans 3 champs principaux : dynamique psychique, processus cognitifs et
neurophysiologie, selon la modélisation développée
précédemment (24).
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Psychopathologie
O. Kernberg (25) développe une conception structurelle qui définit l’état limite comme une organisation
de la personnalité intermédiaire entre les organisations névrotiques et psychotiques. L’organisation de
la personnalité limite se distingue des 2 autres par
3 caractéristiques : identité diffuse, mécanismes de
défense primitifs prévalents (clivage), fragilité de
l’épreuve de réalité.
Actuellement, les travaux psychodynamiques
s’écartent d’une conception structurelle pour mettre
l’accent sur l’évolutivité du fonctionnement limite,
avec la notion d’aménagement de J. Bergeret et celle
de processus de R. Roussillon. Ainsi, selon J. Bergeret,
l’état limite est aménagé plutôt que structurellement fixé, comme les structures névrotiques et
psychotiques. Le moi et la relation d’objet se déforment sur un mode anaclitique et l’angoisse – une
angoisse dépressive qui est en fait une angoisse de
perte d’objet –, occupe une place centrale dans le
tableau. “Elle survient dès que le sujet imagine que
son objet anaclitique risque de lui faire défaut […]
car, sans l’objet, [le sujet] anaclitique va sombrer
dans la dépression” (26).
Dans l’état limite, l’enfant est laissé à une perception
contradictoire de lui-même et des autres. Les images
positives et négatives de soi ne sont pas harmonisées
dans une conception intégrée de soi. De la même
façon, l’intégration des images positives et négatives
des autres n’est pas acquise. L’identité personnelle
est floue et changeante. Conséquemment, ces
jeunes rencontrent de grandes difficultés dans la
compréhension de leurs idées, de leurs sentiments
et de leurs gestes mais aussi dans l’identification
des sentiments d’autrui.
L’organisation des mécanismes de défense intrapsychiques est centrée sur le clivage, mécanisme
primitif qui protège l’appareil psychique et maintient une séparation entre les relations idéalisées par
l’amour absolu et les relations persécutoires (1). Par
ce procédé le sujet limite se préserve de la confrontation à son ambivalence et à sa souffrance dépressive.
Les autres mécanismes de défense retrouvés sont
l’identification projective, l’idéalisation primitive,
l’omnipotence et la dévalorisation.
La mise en action de ces mécanismes conduit à de
brèves altérations de la perception de la réalité. Dans
les moments les plus chargés en émotion, le jeune
tend à percevoir la réalité extérieure de manière
inexacte. L’origine interne ou externe des perceptions
n’est plus correctement discernée. La distinction
entre réalité extérieure partagée par tout le monde
DOSSIER
États limites
et reconstruction imaginaire devient floue, voire
inopérante. L’altération de l’épreuve de réalité dans
les relations objectales proches est à l’origine de
perceptions et de réactions inappropriées, voire de
tableaux de psychose de transfert (17).
Processus cognitifs : la question
de la reconnaissance
des émotions faciales chez
le patient atteint de trouble
de la personnalité limite
Comme nous l’avons vu au cours de notre description
psychopathologique et clinique, la problématique
des difficultés relationnelles est centrale chez le
patient souffrant d’un TPL. Articulant les dimensions
cognitives, affectives et interpersonnelles du tableau,
les mécanismes en jeu sont encore peu connus. L’une
des pistes les plus intéressantes pose la question
des modalités de perception de l’état émotionnel
d’autrui, et, notamment, celle de la reconnaissance
de ses émotions faciales.
Plusieurs études ont déjà porté sur l’adulte ayant
un TPL. Les premières études de reconnaissance des
émotions faciales, utilisant un paradigme à base
d’image statique de visages, ont montré des résultats
contradictoires. Ainsi, D. Levine et al. (27), en 1997,
et A.R. Bland et al. (28), en 2004, suggèrent qu’il
y a chez les patients atteints de TPL une difficulté
accrue à reconnaître certaines émotions, alors que
A.W. Wagner et M.M. Linehan ont plutôt observé
une hypersensibilité à l’émotion de peur dans une
population de femmes ayant un TPL (29). L’utilisation
de la technique du morphing présentait l’avantage de
permettre de mesurer un seuil de détection de l’émotion présentée. De tels protocoles ont été utilisés par
T.R. Linch et al. (30) en 2006 et G. Domes et al. (31)
en 2008 : les résultats allaient dans le sens d’une
hypersensibilité aux émotions faciales, d’après T.R.
Lynch et al., ce que n’a pas confirmé l’étude de G.
Domes et al.
Chez l’adolescent, la littérature est plus pauvre
concernant la reconnaissance des émotions faciales,
et les résultats rapportés sont également contradictoires. La première étude, menée par M. Jovev
et al. en 2011, utilisant une tâche de morphing, n’a
pas montré de différence significative de sensibilité
par rapport aux témoins (32).
Plus récemment (en 2012), M. Robin et al. (33)
se sont attelés à étudier cette problématique,
en utilisant une tâche de morphing au sein de la
population du EURNET-BPD. Ce volet du projet,
incluant 22 patients ayant un TPL versus 22 sujet
contrôles, a permis de mettre en évidence chez les
adolescents TPL des délais de reconnaissance des
émotions plus longs que chez les témoins, avec
une différence significative pour la joie et la colère
allant dans le sens d’une moindre sensibilité à la
reconnaissance de ces émotions. En revanche, il n’a
pas été trouvé de différence significative pour la
reconnaissance de l’émotion pleinement exprimée
(33). Si leurs résultats restent contradictoires avec
une partie de la littérature, M. Robin et al. dessinent
des pistes très intéressantes, notamment le rôle
central des émotions de joie et, surtout, de colère,
que l’on retrouve dans plusieurs études, ainsi que
l’existence, de plus en plus évidente au fil des études
utilisant le morphing, d’une problématique relative
aux émotions ambiguës chez les patients ayant un
TPL. Une difficulté, qu’il s’agisse d’une hyper- ou
d’une hyposensibilité, à discriminer l’ambiguïté qui
conforte la psychopathologie des problématiques
limites et invite à des recherches complémentaires.
Données de neurophysiologie
et d’imagerie cérébrale
Une étude récente en potentiels évoqués montre
que les processus de maturation cérébrale semblent
spécifiquement affectés dans le TPL en comparaison
des effets cérébraux des troubles des conduites (34).
Les données de neuro-imagerie chez l’adolescent
ayant un TPL sont assez pauvres. Nous ne disposons
pas, à l’heure actuelle, d’informations en IRMf. Les
éléments suivants concernent l’imagerie structurale.
Des différences volumétriques ont été constatées au
niveau du cortex cingulaire antérieur par S. Whittle
et al. (2009), qui décrivent une diminution du volume
du cortex cingulaire antérieur gauche au sein d’une
population de 15 adolescentes présentant un TPL
avec comorbidités à l’axe I (35), et par M. Goodman
et al. (2011), qui observent une diminution de la
matière grise dans l’aire de Brodmann au sein d’une
population mixte avec comorbidité dépressive (36).
En revanche, aucune différence de volume n’a été
constatée concernant l’amygdale, l’hippocampe, le
corps calleux et le troisième ventricule (37).
Méthode d’explorations
Outre l’entrevue clinique, permettant d’établir le
diagnostic de TPL en référence à la critériologie
La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 3 - mai-juin 2014 |
95
DOSSIER
États limites
Les troubles de la personnalité limite à l’adolescence
catégorielle ou dimensionnelle évoquée plus
haut, quelques méthodes permettent d’éclairer le
diagnostic. La méthode d’évaluation standardisée la
plus répandue repose sur l’utilisation du Diagnostic
Interview for Borderline Revised (DIB-R). Cet instrument, développé par J.G. Gunderson et al. a été
utilisé, dans plusieurs pays, pour de nombreuses
études sur les TPL, y compris chez l’adolescent. Il
a été adapté pour l’identification des TPL dans la
population adolescente, avec un très bon accord
inter-juges (38, 39). Une version abrégé de ce questionnaire, l’Ab-DIB (Abbreviated-DIB), a été mise au
point par J.M. Guilé et al. (39). Cet autoquestionnaire, renseigné par le patient âgé de 12 à 21 ans,
couvre les composantes affectives, cognitives et
impulsives du TPL. Il présente une très bonne fiabilité
et une bonne validité convergente avec le DIB-R (40).
On dispose de normes en population clinique francophone permettant le dépistage du trouble. La durée
de passation est inférieure à 10 minutes.
L’évaluation psychologique projective a également
toute sa place dans l’évaluation du trouble. Dessins,
jeux, psychodrame diagnostique, Children Apperception Test (CAT) ou Thematic Apperception Test
(TAT) et Rorschach pourront être proposés. Outre
les caractéristiques spécifiquement décrites par O.
Kernberg (1989) dans l’organisation de la personnalité limite, on retrouve dans l’état limite des particularités de la relation d’objet, de l’angoisse et dans
la vie personnelle. On observe une prépondérance
de thèmes prégénitaux, une relation d’objet majoritairement duelle et non triangulaire ainsi qu’une
angoisse de perte d’objet importante.
Dans les formes sévères, l’épreuve de réalité se fait
encore plus fragile, décrivant des situations d’état
prépsychotique dont les caractéristiques d’évaluation
ont été résumées par D. Widlöcher (41) : activité
fantasmatique dénuée d’élaborations secondaires et
de mécanismes de défense névrotiques, angoisse de
destruction de la cohérence de soi, développement
libidinal chaotique et intensité de l’agressivité.
Enfin, mentionnons l’intérêt, chez ces patients
présentant souvent un dérèglement des rythmes
circadiens, d’une exploration actigraphique.
J.M. Guilé et al. et C. Huynh et al. (42, 43) montrent
ainsi que l’actigraphie a permis d’éclairer la compréhension des troubles du sommeil chez un patient,
infirmant dans ce cas la pertinence d’une médication hypnotique. L’actigraphie, présentant l’intérêt
d’être moins invasive et plus facilement (réalisable
au domicile du patient que les explorations polisomnographiques, a, de surcroît, à l’heure actuelle,
certainement le meilleur rapport coût/efficacité
96 | La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 3 - mai-juin 2014
dans une exploration des rythmes veille/sommeil
sur une période de plusieurs jours.
Évolution
Les travaux de M.C. Zanarini et al. au sein de la
cohorte MSAD (Mc Lean Study of Adult Development) [44, 45] nous renseignent sur l’évolution du
trouble chez des jeunes adultes.
Le taux de “récupération” (association d’une rémission des symptômes avec une bonne qualité des
compétences sociales et professionnelles) totale et
stable du trouble après 10 ans de suivi était de 50 %.
Quatre-vingt-six à 93 % des patients présentaient
une rémission partielle ou totale des symptômes.
Le taux de rechute des patients ayant présenté une
rémission de 2 ans était de 30 % (44, 45).
Les dernières publications relatives à cette cohorte
après 16 ans de suivi ont confirmé ces résultats
encourageants et ont permis d’identifier certains
facteurs de bon pronostic, tels que l’absence d’antécédent d’hospitalisation psychiatrique, l’absence de
comorbidité du type d’un trouble de la personnalité du cluster C, un quotient intellectuel élevé, une
bonne insertion professionnelle ainsi que de hauts
niveaux d’extraversion et d’amabilité (46).
Concernant l’évolution des symptômes, L. Gicquel
et al. (17), s’appuyant notamment sur les observations de M.C. Zanarini et al., effectuent une classification par durée moyenne d’évolution, qui permet de
préjuger des symptômes ayant le plus de risque de
s’enkyster : notons, entre autres symptômes, que les
sentiments de colère et de solitude restent les plus
prégnants à 10 ans, et que les épisodes dépressifs et
l’anxiété présentent une durée moyenne d’évolution
de 6 à 8 ans, durée moyenne qui tombe entre 2 et
4 ans pour les abus et la dépendance aux substances
psychoactives, les automutilations, et les tentatives
de suicide répétées.
Prise en charge
Le traitement privilégie une thérapie multimodale,
souvent groupale, associant psychothérapie psychodynamique, approche cognitivocomportementale et
entraînement aux habiletés sociales.
Parmi les techniques d’inspiration cognitivocomportementale, mentionnons la thérapie comportementale dialectique (Dialectic Behavior Therapy
[DBT]) conçue par M. Linehan. Cette technique
à l’efficacité prouvée chez l’adulte ayant un TPL
DOSSIER
États limites
par de nombreuses études, notamment celles de
T.R. Lynch et al. (47), de R. Verheul et al. (48) et de
J.M. Stoffers et al. (49), a d’abord été adaptée à des
populations d’adolescents suicidants par J.H. Rathus
et A.L. Miller (50) avant d’être proposée à des populations d’adolescents ayant un TPL et suicidants par
de nombreuses équipes, comme celles de C. Fleischhaker et al. (51) et de D.A. Klein et al. (52). Ainsi,
le programme de DBT pour adolescent suicidant
atteint de TPL, mis au point par D.A. Klein et al.,
propose une intervention multimodale articulant
une psychothérapie individuelle, la participation à
des groupes familiaux de formation de compétences,
une thérapie familiale, un coaching téléphonique
pour le patient et les membres de sa famille et un
groupe de consultations de thérapeutes.
■
S. Garny de La Rivière déclare
ne pas avoir de liens d’intérêts.
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