DOSSIER
États limites
96 | La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 3 - mai-juin 2014
Les troubles delapersonnalitélimite àl’adolescence
catégorielle ou dimensionnelle évoquée plus
haut, quelques méthodes permettent d’éclairer le
diagnostic. La méthode d’évaluation standardisée la
plus répandue repose sur l’utilisation du Diagnostic
Interview for Borderline Revised (DIB-R). Cet instru-
ment, développé par J.G. Gunderson et al. a été
utilisé, dans plusieurs pays, pour de nombreuses
études sur les TPL, y compris chez l’adolescent. Il
a été adapté pour l’identifi cation des TPL dans la
population adolescente, avec un très bon accord
inter-juges (38, 39). Une version abrégé de ce ques-
tionnaire, l’Ab-DIB (Abbreviated-DIB), a été mise au
point par J.M. Guilé et al. (39). Cet autoquestion-
naire, renseigné par le patient âgé de 12 à 21 ans,
couvre les composantes affectives, cognitives et
impulsives du TPL. Il présente une très bonne fi abilité
et une bonne validité convergente avec le DIB-R (40).
On dispose de normes en population clinique franco-
phone permettant le dépistage du trouble. La durée
de passation est inférieure à 10 minutes.
L’évaluation psychologique projective a également
toute sa place dans l’évaluation du trouble. Dessins,
jeux, psychodrame diagnostique, Children Apper-
ception Test (CAT) ou Thematic Apperception Test
(TAT) et Rorschach pourront être proposés. Outre
les caractéristiques spécifi quement décrites par O.
Kernberg (1989) dans l’organisation de la personna-
lité limite, on retrouve dans l’état limite des parti-
cularités de la relation d’objet, de l’angoisse et dans
la vie personnelle. On observe une prépondérance
de thèmes prégénitaux, une relation d’objet majo-
ritairement duelle et non triangulaire ainsi qu’une
angoisse de perte d’objet importante.
Dans les formes sévères, l’épreuve de réalité se fait
encore plus fragile, décrivant des situations d’état
prépsychotique dont les caractéristiques d’évaluation
ont été résumées par D. Widlöcher (41) : activité
fantasmatique dénuée d’élaborations secondaires et
de mécanismes de défense névrotiques, angoisse de
destruction de la cohérence de soi, développement
libidinal chaotique et intensité de l’agressivité.
Enfin, mentionnons l’intérêt, chez ces patients
présentant souvent un dérèglement des rythmes
circadiens, d’une exploration actigraphique.
J.M. Guilé et al. et C. Huynh et al. (42, 43) montrent
ainsi que l’actigraphie a permis d’éclairer la compré-
hension des troubles du sommeil chez un patient,
infi rmant dans ce cas la pertinence d’une médica-
tion hypnotique. L’actigraphie, présentant l’intérêt
d’être moins invasive et plus facilement (réalisable
au domicile du patient que les explorations poli-
somnographiques, a, de surcroît, à l’heure actuelle,
certainement le meilleur rapport coût/effi cacité
dans une exploration des rythmes veille/sommeil
sur une période de plusieurs jours.
Évolution
Les travaux de M.C. Zanarini et al. au sein de la
cohorte MSAD (Mc Lean Study of Adult Develop-
ment) [44, 45] nous renseignent sur l’évolution du
trouble chez des jeunes adultes.
Le taux de “récupération” (association d’une rémis-
sion des symptômes avec une bonne qualité des
compétences sociales et professionnelles) totale et
stable du trouble après 10 ans de suivi était de 50 %.
Quatre-vingt-six à 93 % des patients présentaient
une rémission partielle ou totale des symptômes.
Le taux de rechute des patients ayant présenté une
rémission de 2 ans était de 30 % (44, 45).
Les dernières publications relatives à cette cohorte
après 16 ans de suivi ont confirmé ces résultats
encourageants et ont permis d’identifi er certains
facteurs de bon pronostic, tels que l’absence d’anté-
cédent d’hospitalisation psychiatrique, l’absence de
comorbidité du type d’un trouble de la personna-
lité du cluster C, un quotient intellectuel élevé, une
bonne insertion professionnelle ainsi que de hauts
niveaux d’extraversion et d’amabilité (46).
Concernant l’évolution des symptômes, L. Gicquel
et al. (17), s’appuyant notamment sur les observa-
tions de M.C. Zanarini et al., effectuent une classifi -
cation par durée moyenne d’évolution, qui permet de
préjuger des symptômes ayant le plus de risque de
s’enkyster : notons, entre autres symptômes, que les
sentiments de colère et de solitude restent les plus
prégnants à 10 ans, et que les épisodes dépressifs et
l’anxiété présentent une durée moyenne d’évolution
de 6 à 8 ans, durée moyenne qui tombe entre 2 et
4 ans pour les abus et la dépendance aux substances
psychoactives, les automutilations, et les tentatives
de suicide répétées.
Prise en charge
Le traitement privilégie une thérapie multimodale,
souvent groupale, associant psychothérapie psycho-
dynamique, approche cognitivocomportementale et
entraînement aux habiletés sociales.
Parmi les techniques d’inspiration cognitivo-
comportementale, mentionnons la thérapie compor-
tementale dialectique (Dialectic Behavior Therapy
[DBT]) conçue par M. Linehan. Cette technique
à l’effi cacité prouvée chez l’adulte ayant un TPL