L La prise en charge des états proposition d’un modèle

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DOSSIER
États limites
La prise en charge des états
limites en hôpital de jour :
proposition d’un modèle
adapté
Borderline personality treatment in an outpatient setting
A. Durand*, P. Barrau*, C. Lagathu*, B. Laffy-Beaufils*
L
e trouble de la personnalité borderline est
fréquent : sa prévalence varie, selon les études,
entre 1 et 3 % de la population générale (1).
Au sein des structures de soins psychiatriques,
il représenterait 11 à 15 % des patients suivis en
ambulatoire et 15 à 50 % des patients hospitalisés (2). Si la présentation clinique est variable,
notamment du fait des comorbidités associées
(taux de prévalence sur la vie entière chez les
patients souffrant de personnalité borderline :
96,9 % de troubles de l’humeur, 89 % de troubles
anxieux, 58,3 % de troubles post-traumatiques,
62,5 % d’addictions et 53,8 % de troubles du
comportement alimentaires) [3], la dysrégulation
émotionnelle est au cœur de la pathologie, comme
l’illustrent plusieurs critères issus du DSM-IV (instabilité affective, colères intenses, sentiment chronique de vide), et se traduit par des comportements
impulsifs, addictifs, autodestructeurs ou suicidaires.
En réponse à un besoin de prise en charge spécifique
de ce trouble fréquent et grave, à l’origine d’hospitalisations itératives, une unité de jour spécifique à
été créée en 2006 au sein du service de psychiatrie
de l’hôpital Corentin-Celton.
Le choix et la mise en place du projet psychothérapeutique de la structure se sont appuyés
sur des études de validation des thérapies (4, 5)
pour les troubles de personnalité borderline, notamment de la thérapie comportementale dialectique
de Marsha Linehan (6) que nous avons choisie
pour la précision de ses cibles thérapeutiques
(comportements suicidaires et parasuicidaires,
psychoéducation, etc.). Cette thérapie est d’ailleurs
recommandée par l’American Psychiatric Association
(APA) [7].
Appréhension du trouble
borderline selon le modèle
biopsychosocial de Linehan
Le modèle s’appuie sur une approche étiologique
biopsychosociale selon laquelle le développement de
cette personnalité pathologique serait la résultante
d’un trouble de la régulation émotionnelle combiné
à un environnement invalidant. La chronicité de ces
difficultés d’ajustement entre la personne et son
environnement provoquerait le développement du
trouble de la personnalité.
La dysrégulation émotionnelle se caractérise par
une forte réactivité aux stimuli (impulsivité cognitive et motrice), un vécu intense de l’émotion et un
ralentissement du retour à l’état initial. Elle serait
d’origine multifactorielle (génétique, environnementale et neurobiologique) [8, 9] et d’intensité
variable selon les individus. Le renforcement mutuel
de ces différentes composantes constitue un véritable cercle vicieux : la dysrégulation émotionnelle
et l’impulsivité conduisent à des comportements
dysfonctionnels et à une mauvaise adaptation relationnelle, qui, à leur tour, renforcent la dysrégulation
émotionnelle et l’impulsivité (8).
Les troubles de la régulation émotionnelle sont
en grande partie entretenus et aggravés par le
contexte environnemental, en particulier familial.
Ce dernier peut être caractérisé par “une pauvreté
de l’adéquation” (6) parent-enfant. Ainsi, on retrouve
souvent une invalidation émotionnelle, des attitudes punitives ou banalisantes récurrentes, ainsi
qu’une pauvreté des compétences émotionnelles
des parents (6) entraînant une perte de repères
A. Durand
*Groupe hospitalier Ouest, AP-HP,
hôpital Corentin-Celton, pôle psychiatrie-addiction, service universitaire
de psychiatrie adulte et sujet âgé,
unité de jour de Vanves, Issy-lesMoulineaux.
La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 3 - mai-juin 2014 |
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Mots-clés
Trouble
de la personnalité
borderline
Unité de jour
Thérapie
comportementale
dialectique
Psychothérapie
de groupe
Highlights
» Dialectical behaviour therapy
(DBT) is based on a biopsychosocial etiological approach for
which the personality disorder
is the result of emotional
dysregulation combined with
an invalidating environment.
» DBT moved on from cognitive behavioural therapy by
adding important concepts
such as: emotional validation, dialectics and psychosocial training for skills that
borderline personality disorder
patients specifically lack.
» Each treatment group targets
specific skills undermined by
the disorder and essential to a
higher emotional stability and
better social functioning.
» Having completed the treatment is associated with a clear
decrease of emergency service
use and hospitalizations, less
impulsivity as well as a deep
change in their consideration
of their emotional functioning
leading to a better awareness
of themselves.
Keywords
Borderline personality
disorder
Outpatient treatment
Dialectical behavioural
therapy
Group psychotherapy
Points forts
» La thérapie comportementale dialectique (TCD) s’appuie sur une approche étiologique biopsychosociale.
» La TCD enrichit l’approche cognitivocomportementale par l’ajout de directives phares telles que
la validation émotionnelle, l’utilisation de la dialectique ainsi qu’un entraînement aux compétences
particulièrement défaillantes dans le trouble de la personnalité borderline.
» Chaque groupe thérapeutique vise à améliorer des compétences personnelles du patient, fragilisées par son fonctionnement, afin de permettre une plus grande stabilité émotionnelle et un meilleur
fonctionnement social.
» Chez les patients ayant bénéficié d’une telle approche, on constate une nette diminution des passages
aux urgences et des hospitalisations, une réduction de l’impulsivité ainsi qu’un changement profond
dans la prise en compte du vécu émotionnel.
importante, notamment au niveau identitaire.
L’environnement invalidant peut aussi être caractérisé par des événements de vie traumatiques tels
que les abus sexuels, très fréquemment retrouvés
dans cette pathologie (62,4 % d’après M.C. Zanarini
et al. [10]) [11].
Principes de la thérapie
comportementale dialectique
La TCD (6) a été créée par M. Linehan, docteur en
psychologie, afin d’améliorer la prise en charge
des troubles de la personnalité borderline pour
lesquels la thérapie cognitivocomportementale
(TCC) a montré ses limites. En effet, la linéarité
et les contraintes des programmes classiques sont
souvent incompatibles avec l’instabilité des patients
concernés. La TCD s’est enrichie d’autres approches :
systémique, psychanalyse centrée sur la personne,
et bouddhisme zen, pour constituer une thérapie
intégrative.
La TCD constitue un enrichissement des TCC par
l’ajout de directives phares telles que la validation
émotionnelle, l’utilisation de la dialectique ainsi
qu’un entraînement aux compétences particulièrement défaillantes dans le trouble de la personnalité
borderline.
Le premier objectif, avant la recherche de changement, est la validation émotionnelle, par le patient,
de ce qu’il ressent, ce qui correspond à l’acceptation
de ses capacités et de ses comportements. Le thérapeute cherche alors à être au plus près du patient en
analysant ce qu’il ressent, pense et souhaite faire,
sans chercher immédiatement à le modifier. La validation s’applique aux émotions (on les accueille, on
les identifie, sans les juger), aux comportements (on
cherche à leur donner un sens, à les comprendre) et
aux cognitions (on cherche à distinguer les faits de
leur interprétation). La validation est une stratégie
essentielle dans la thérapie des patients borderline,
puisqu’elle a pour objectif d’éviter la répétition de
scenarii qu’ils ont souvent vécus dans leur enfance.
Pour autant, valider ne signifie pas tout accepter,
ce qui nous amène à parler de la vision dialectique.
La dialectique fait référence à la nécessité d’adopter
une stratégie d’adaptation entre des phases d’ac-
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ceptation et de changement. Elle tend à s’opposer
au mode de fonctionnement en “tout ou rien” des
patients borderline. Ce mode de pensée est exploré
de manière concrète dans la relation thérapeutique
et l’analyse du fonctionnement du patient. La dialectique est aussi présente au sein de la restructuration
cognitive, qui permet d’identifier puis d’assouplir ses
modes de pensée, souvent perturbés par la puissance
émotionnelle.
Enfin, la TCD s’attache également au changement en utilisant des techniques de résolution de
problème et en proposant au patient un apprentissage de compétences qu’il n’a pas pu développer
au cours de son enfance. La TCD lui fournit donc
des stratégies de gestion des crises émotionnelles
et des relations interpersonnelles, stratégies qu’il
apprend à utiliser en séance puis dans les différents
domaines de sa vie.
La TCD, telle que l’a conçue M. Linehan, nécessite un cadre thérapeutique renforcé où chaque
thérapeute a un rôle bien identifié : suivi médical,
suivi psychothérapeutique hebdomadaire, suivi
de groupe hebdomadaire et permanence téléphonique. Le thérapeute individuel privilégie la relation
thérapeutique, le maintien de la motivation et le
renforcement des compétences. Les groupes de
psychoéducation transmettent les compétences
spécifiques venant répondre aux troubles de manière
dimensionnelle (la tolérance à la détresse, la pleine
conscience, la gestion des émotions ou encore des
relations interpersonnelles). Enfin, la permanence
téléphonique permet de guider, in vivo, le patient
lorsqu’il est à l’extérieur, afin de lui permettre d’expérimenter et de renforcer les compétences apprises
en groupe. La TCD insiste de surcroît sur la gestion
des contingences qui mettent en péril le suivi et sur
l’importance d’une supervision institutionnelle des
thérapeutes pour éviter le découragement et l’usure
des équipes (6).
Fonctionnement
de l’unité de jour
L’unité de jour de Vanves s’est donc largement
inspirée du programme proposé par M. Linehan, en
privilégiant la prise en charge de groupe (12). Afin
DOSSIER
États limites
de préserver l’autonomie des patients tout en leur
procurant un étayage suffisant, nous avons choisi de
leur attribuer des temps de prise en charge répartis
sur la semaine, représentant ainsi 2 à 3 demi-journées sans repas ni gestion de l’éventuel traitement
médicamenteux. Les patients qui travaillent peuvent
ainsi adapter leur emploi du temps et éviter une
désinsertion. Enfin, le suivi en unité de jour permet
un travail en équipe pluridisciplinaire, des échanges
permanents autour du patient et une souplesse de
fonctionnement entre des rendez-vous de groupe
et individuels.
Chaque patient admis à l’unité de jour bénéficie
d’un suivi individuel psychiatrique extérieur à l’unité
et, certains, d’un suivi psychologique, également
externe. Le patient est orienté par son psychiatre
traitant, qui renseigne une fiche de liaison ; il est alors
reçu par le psychiatre référent de l’unité pour l’entretien de préadmission. À la suite de cet entretien,
une évaluation psychologique est réalisée à l’aide
de questionnaires évaluant l’humeur (inventaire
de dépression de Beck [BDI-21]) [13], l’impulsivité
(échelle d’impulsivité de Barratt [BIS-10]) [14] et
l’hyperactivité (Adult Self-Report Scale [ASRS]) [15].
Les dimensions de personnalité sont explorées avec
l’inventaire de personnalité NEO-Pi-R (16), le questionnaire des schémas de Young et celui des attitudes
parentales (17). D’autres dimensions sont explorées,
si nécessaire, au travers d’échelles spécifiques : les
consommations d’alcool ou de toxiques ou encore
les phobies. Le projet personnalisé du patient est
alors établi. Le patient participe à un groupe de
psychoéducation. Les groupes d’entraînement aux
compétences : “tolérance à la détresse”, “gestion
des émotions” et “gestion des relations interpersonnelles” sont fermés, c’est-à-dire que les inclusions
cessent une fois la session commencée, et cette
dernière se déroule sur 12 séances de 2 heures
chacune. Le patient est vu par ses référents infirmiers
entre chaque séance afin de mettre en pratique, de
façon plus individuelle, les outils proposés en groupe
et de lui permettre de s’approprier les différentes
stratégies.
À la fin de chaque session, il est revu par ses
soignants référents : sa progression clinique et ses
besoins sont réévalués afin de définir ses objectifs
personnels pour un prochain groupe ou la suite de
son projet de soins.
Les patients ont la possibilité d’appeler l’unité de
jour de Vanves lorsqu’ils sont en difficulté. L’évaluation de la situation d’urgence est alors faite : le
patient peut soit être guidé dans l’application de
compétences apprises, soit être validé dans ce qu’il
ressent émotionnellement ; enfin, en cas d’urgence,
il peut être orienté vers l’unité d’accueil permanent
du service, à l’hôpital Corentin-Celton. Les appels
téléphoniques, fréquents, sont le plus souvent justifiés. Ils constituent alors des signes positifs d’alliance
thérapeutique et de mise en pratique des compétences. Enfin, le patient peut être revu rapidement
par le médecin référent de l’unité et l’est systématiquement avant la réintégration dans les groupes
en cas d’hospitalisation ou d’absence prolongée.
Les groupes thérapeutiques
Chaque groupe vise à développer des compétences
fragilisées par le fonctionnement même du patient,
ce qui permettrait une plus grande stabilité émotionnelle et un meilleur fonctionnement social.
Le groupe “tolérance à la détresse” aborde les situations de crise émotionnelle au cours desquelles les
patients ont recours à des comportements impulsifs (tentatives de suicide, scarifications, abus de
substance, etc.). Il s’agit de mettre en place des
stratégies plus fonctionnelles. En effet, les patients
borderline développent fréquemment des stratégies
d’évitement de la souffrance et cherchent à tout prix
à se soustraire à sa récurrence (repli, évitement de
certaines situations, recours aux substances). Toutes
ces stratégies sont utilisées pour se détacher de
l’émotion ressentie. Apprendre à tolérer la détresse
équivaut à apprendre à surmonter les moments
de crise sans faire appel à des stratégies dysfonctionnelles, à comprendre que les émotions soustendent l’impulsivité, à accepter que la souffrance
fasse partie de la vie et à développer des stratégies
thérapeutiques comme la distraction, l’apaisement
et la recherche d’un bien-être à plus long terme ainsi
que la prise de conscience des avantages à traverser
les moments difficiles différemment.
Le groupe “régulation émotionnelle” vise l’acquisition de compétences susceptibles de diminuer la
labilité et l’intensité émotionnelle. Les émotions
sont le plus souvent vécues comme un “problème
à résoudre” et les patients s’intiment l’ordre de ne
pas ressentir ce qu’ils ressentent. En effet, l’environnement invalidant prône un contrôle cognitif
systématique des émotions. Les patients borderline
éprouvent donc de grandes difficultés à identifier et
accepter leurs émotions, longtemps perçues comme
problématiques, et plus encore à les exprimer. Ils
mettent alors en place un masque, donnent le
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A. Durand déclare
ne pas avoir de liens d’intérêts.
change, mais cela n’est que le reflet de “compétences apparentes”, souvent désarmantes dans la
relation thérapeutique. Dans le groupe “régulation
émotionnelle”, les compétences développées sont
les suivantes : la reconnaissance de ses propres
émotions, de celles des autres et de la fonction de ces
émotions, la diminution des jugements intériorisés
vis-à-vis de ses propres émotions et leur utilisation
efficiente dans la vie quotidienne.
Le groupe “efficacité interpersonnelle” tente de
corriger le fonctionnement interpersonnel, souvent
inadapté, généralement marqué par le clivage de
l’objet et l’alternance entre l’idéalisation excessive
et la dévalorisation. Ce mode d’interaction amène
à des relations complexes et souvent instables. Les
patients ont, en général, de bonnes compétences
relationnelles, mais ils ont du mal à les appliquer à
cause du débordement émotionnel souvent induit
(tristesse, peur, frustration, déception). De ce fait, ils
ont tendance à mettre fin aux relations de manière
brutale. Les stratégies abordées portent sur des
compétences d’affirmation de soi, d’identification
de ses besoins et la recherche de compromis entre
soi et l’autre afin de préserver la relation et le respect
de soi tout en visant un objectif précis.
Les compétences de pleine conscience sont transmises de manière continue dans chaque groupe.
D’autres types de groupe, jugés nécessaires et
complémentaires, ont été ajoutés à la prise en charge
thérapeutique, comme le groupe “estime de soi”, le
groupe “relaxation”, le groupe “théâtre”, ainsi que
le groupe “alcool-émotions”.
Le groupe “estime de soi” a pour objectif d’améliorer
la vision, souvent très négative, que les patients
ont d’eux-mêmes et de résoudre la difficulté qu’ils
ont à poursuivre leurs objectifs, objectifs qui ont
souvent été mis à mal lors de la construction de
leur personnalité. En effet, la labilité émotionnelle
intense et l’environnement précoce invalidant n’ont
pas permis aux patients de développer une vision
d’eux-mêmes stable et continue. Des jugements
intériorisés, des perceptions erronées du monde
extérieur viennent souvent altérer l’image de soi
et la mise en place de projets stables et constructifs. Le module porte donc sur l’identification des
pensées automatiques et la recherche de pensées
alternatives, ainsi que sur l’identification des besoins
et la mise en place d’objectifs personnels adaptés
et limités dans le temps.
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Le groupe “alcool-émotions” est destiné aux
patients ayant une comorbidité addictive, et plus
spécifiquement un mésusage d’alcool. Le patient
apprend à verbaliser ses émotions, prend peu à peu
conscience de son mode de fonctionnement et du
rôle qu’y tient l’alcool. Nous cherchons à renforcer
le lieu de contrôle interne, à établir une relation
de confiance et de dialogue et à fournir des stratégies pratiques et concrètes : meilleure connaissance de soi, meilleure gestion de ses émotions
et de ses difficultés relationnelles et résolution
de problèmes.
Enfin, 2 groupes “semi-ouverts” sont également
proposés :
Le groupe “relaxation” se fonde sur la technique
de Jacobson : il s’agit d’amener le patient à prendre
conscience de sa capacité à réguler ses émotions par
la relaxation musculaire et la respiration contrôlée.
À la fin de la séance, un temps de parole est destiné
à partager les sensations vécues et à évaluer son
niveau de stress et d’apaisement.
Le groupe “théâtre”, animé par un professeur de
théâtre professionnel et coanimé par une infirmière,
permet aux patients de s’exposer à leur anxiété
sociale dans un cadre sécurisé grâce à des exercices.
Conclusion
L’unité de jour de Vanves est dédiée à la prise en
charge des troubles de personnalité borderline. Avec
8 ans de recul, nous avons pu constater l’efficacité
de la prise en charge proposée, mais également ses
limites. L’efficacité, qui devrait prochainement faire
l’objet d’un protocole d’évaluation, se traduit par
une nette diminution des passages aux urgences et
des réhospitalisations, une moindre impulsivité ainsi
qu’une meilleure connaissance de ses émotions. En
termes de limites, on constate que tous les patients
admis ne parviennent pas à adhérer aux modalités de
soins, qu’il advient des ruptures de prise en charge, le
plus souvent à la suite de la participation au premier
groupe. En outre, ce modèle thérapeutique requiert
des capacités suffisantes de mentalisation, mais
aussi de stabilité symptomatique, qui ne sont pas
présentes chez tous les patients. La question de la
disponibilité du patient peut également être posée.
Globalement, malgré ses limites, la formalisation
de la prise en charge de M. Linehan répond à des
objectifs de clarté et de transmissibilité, tant pour
les thérapeutes que pour les patients qui se sentent
reconnus et entendus dans leurs spécificités.
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