DOSSIER
États limites
104 | La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 3 - mai-juin 2014
La prise en charge des états limites en hôpital de jour : proposition d’un modèle adapté
change, mais cela n’est que le refl et de “compé-
tences apparentes”, souvent désarmantes dans la
relation thérapeutique. Dans le groupe “régulation
émotionnelle”, les compétences développées sont
les suivantes : la reconnaissance de ses propres
émotions, de celles des autres et de la fonction de ces
émotions, la diminution des jugements intériorisés
vis-à-vis de ses propres émotions et leur utilisation
effi ciente dans la vie quotidienne.
Le groupe “effi cacité interpersonnelle” tente de
corriger le fonctionnement interpersonnel, souvent
inadapté, généralement marqué par le clivage de
l’objet et l’alternance entre l’idéalisation excessive
et la dévalorisation. Ce mode d’interaction amène
à des relations complexes et souvent instables. Les
patients ont, en général, de bonnes compétences
relationnelles, mais ils ont du mal à les appliquer à
cause du débordement émotionnel souvent induit
(tristesse, peur, frustration, déception). De ce fait, ils
ont tendance à mettre fi n aux relations de manière
brutale. Les stratégies abordées portent sur des
compétences d’affi rmation de soi, d’identifi cation
de ses besoins et la recherche de compromis entre
soi et l’autre afi n de préserver la relation et le respect
de soi tout en visant un objectif précis.
Les compétences de pleine conscience sont trans-
mises de manière continue dans chaque groupe.
D’autres types de groupe, jugés nécessaires et
complémentaires, ont été ajoutés à la prise en charge
thérapeutique, comme le groupe “estime de soi”, le
groupe “relaxation”, le groupe “théâtre”, ainsi que
le groupe “alcool-émotions”.
Le groupe “estime de soi” a pour objectif d’améliorer
la vision, souvent très négative, que les patients
ont d’eux-mêmes et de résoudre la diffi culté qu’ils
ont à poursuivre leurs objectifs, objectifs qui ont
souvent été mis à mal lors de la construction de
leur personnalité. En effet, la labilité émotionnelle
intense et l’environnement précoce invalidant n’ont
pas permis aux patients de développer une vision
d’eux-mêmes stable et continue. Des jugements
intériorisés, des perceptions erronées du monde
extérieur viennent souvent altérer l’image de soi
et la mise en place de projets stables et construc-
tifs. Le module porte donc sur l’identifi cation des
pensées automatiques et la recherche de pensées
alternatives, ainsi que sur l’identifi cation des besoins
et la mise en place d’objectifs personnels adaptés
et limités dans le temps.
Le groupe “alcool-émotions” est destiné aux
patients ayant une comorbidité addictive, et plus
spécifiquement un mésusage d’alcool. Le patient
apprend à verbaliser ses émotions, prend peu à peu
conscience de son mode de fonctionnement et du
rôle qu’y tient l’alcool. Nous cherchons à renforcer
le lieu de contrôle interne, à établir une relation
de confiance et de dialogue et à fournir des stra-
tégies pratiques et concrètes : meilleure connais-
sance de soi, meilleure gestion de ses émotions
et de ses difficultés relationnelles et résolution
de problèmes.
Enfi n, 2 groupes “semi-ouverts” sont également
proposés :
Le groupe “relaxation” se fonde sur la technique
de Jacobson : il s’agit d’amener le patient à prendre
conscience de sa capacité à réguler ses émotions par
la relaxation musculaire et la respiration contrôlée.
À la fi n de la séance, un temps de parole est destiné
à partager les sensations vécues et à évaluer son
niveau de stress et d’apaisement.
Le groupe “théâtre”, animé par un professeur de
théâtre professionnel et coanimé par une infi rmière,
permet aux patients de s’exposer à leur anxiété
sociale dans un cadre sécurisé grâce à des exercices.
Conclusion
L’unité de jour de Vanves est dédiée à la prise en
charge des troubles de personnalité borderline. Avec
8 ans de recul, nous avons pu constater l’effi cacité
de la prise en charge proposée, mais également ses
limites. L’effi cacité, qui devrait prochainement faire
l’objet d’un protocole d’évaluation, se traduit par
une nette diminution des passages aux urgences et
des réhospitalisations, une moindre impulsivité ainsi
qu’une meilleure connaissance de ses émotions. En
termes de limites, on constate que tous les patients
admis ne parviennent pas à adhérer aux modalités de
soins, qu’il advient des ruptures de prise en charge, le
plus souvent à la suite de la participation au premier
groupe. En outre, ce modèle thérapeutique requiert
des capacités suffi santes de mentalisation, mais
aussi de stabilité symptomatique, qui ne sont pas
présentes chez tous les patients. La question de la
disponibilité du patient peut également être posée.
Globalement, malgré ses limites, la formalisation
de la prise en charge de M. Linehan répond à des
objectifs de clarté et de transmissibilité, tant pour
les thérapeutes que pour les patients qui se sentent
reconnus et entendus dans leurs spécifi cités. ■
.../...
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A. Durand déclare
ne pas avoir de liens d’intérêts.