La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 | 5
EPA 2012
Réduction de la consommation
d’alcool : un nouveau
paradigme dans la prise en
charge de l’alcoolo-dépendance
D’après les communications de W. Van den Brink,
Amsterdam (Pays-Bas), A. Gual, Barcelone
(Espagne), K. Mann, Mannheim (Allemagne)
La communication de Wim Van den Brink, de
l’institut pour la Recherche sur les addictions, à
Amsterdam, a porté sur la prise en charge du patient
alcoolo-dépendant par une nouvelle approche : la
réduction de la consommation d’alcool.
Loin de l’idéologie du xxe siècle, qui considérait la
dépendance à l’alcool comme une déviance ou une
faiblesse morale, ce trouble est désormais reconnu
comme une maladie du système nerveux central
susceptible d’être traitée. À l’appui, des facteurs de
risque neurobiologiques ont été clairement identifiés,
et les généticiens estiment la vulnérabilité génétique
de ce trouble comme allant de 50 à 70 %.
L’actuel DSM-IV-TR distingue l’alcoolo-dépendance
de l’abus d’alcool, mais il est en cours d’évolution. En
effet, la prochaine version du manuel, prévue pour
2013 (DSM-5), proposera d’aborder cette maladie
par une approche dimensionnelle : la distinction
entre alcoolo-dépendance et abus n’existera alors
plus. On parlera d’Alcohol Use Disorder (AUD), et la
notion de sévérité de la maladie pourra être distin-
guée selon le nombre de critères diagnostiques
présents. La notion de craving sera également inté-
grée à la liste des 11 critères.
L’un des défis dans la prise en charge des individus
alcoolo-dépendants reste cependant l’accès à ces
malades. Selon W. Van den Brink, les personnes
alcoolo-dépendantes ne recherchent pas de prise
en charge, et encore moins un traitement médica-
menteux. Selon l’étude ESEMeD (European Study of
the Epidemiology of Mental Disorders), seuls 18 % des
individus alcoolo-dépendants perçoivent le besoin
de consulter (1). En Europe, en 2004, seuls 8 %
d’entre eux ont effectivement réalisé la démarche
de consulter (2).
L’approche thérapeutique traditionnelle pour prendre
en charge ces malades consiste à atteindre et à
maintenir l’abstinence par le biais d’aides psycho-
sociales et/ou pharmacologiques. Cependant, depuis
les années 2000, une autre approche se développe :
la réduction de la consommation d’alcool.
Ainsi que l’a souligné W. Van den Brink, la réduction
de la consommation permet d’élargir le spectre des
offres thérapeutiques pour s’adapter à la demande
d’un plus grand nombre de patients et, de surcroît,
augmenter les taux de réussite de la prise en charge.
En effet, les taux de rechute, avec l’approche préco-
nisant l’abstinence, restent élevés, et 2 études réali-
sées en Angleterre et au Canada révèlent qu’environ
50 % des patients interrogés préfèrent une prise en
charge par réduction de leur consommation (3, 4).
Cette alternative gagne du terrain : en 2005 et en
2010, le National Institute on Alcohol Abuse and
Alcoholism (NIAAA) et l'European Medicine Agency
(EMA) ont intégré la réduction de la consommation,
comme “objectif thérapeutique intermédiaire”, à
leurs recommandations. En Angleterre, le National
Institute for health and Clinical Excellence (NICE)
préconise la diminution de la consommation si telle
est la préférence du patient. En France, une étude
révèle que 50 % des médecins ont adopté cette
approche (5). Cette mise en pratique est encore plus
forte au Canada (27 à 62 %), en Suisse (22 à 70 %),
en Australie (72 %) et en Grande-Bretagne (76 %).
Dans ce cadre, les résultats préliminaires d’une
étude européenne portant sur un médicament
évalué pour réduire la consommation d’alcool ont
été présentés au cours du congrès de l’EPA. Un
programme clinique de 3 essais randomisés versus
placebo (ESENSE1, ESENSE2 et SENSE), portant
sur presque 2 000 patients alcoolo-dépendants, a
été réalisé en Europe pour évaluer l’efficacité et la
tolérance du nalméfène.
Les critères d’évaluation étaient : les jours de forte
consommation, dits Heavy Drinking Days (HDD)
[HDD > 60 g/j d’alcool pour un homme ; HDD > 40
g/j pour une femme), et la consommation totale
d’alcool, dite Total Alcohol Consumption (TAC).
Les résultats de l’étude ESENSE1 ont démontré une
diminution de 66 % de la consommation d’alcool
dans le groupe nalméfène à 6 mois. La diminution
s’est révélée statistiquement supérieure dans le
Addictions
C. Wallace, Paris