Facteurs étiologiques et dépistage du cancer épidermoïde de l’œsophage D

DO S S I E R T H É M A T I Q U E
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VII - mai-juin 2004 121
* Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital Avicenne, Bobigny.
Les fa c t e u rs étiologiques du cancer épidermoïde de l’œso-
phage sont multiples, mais, en Europe occidentale,plus de
90 % des cancers épidermoïdes de l’œsophage sont liés à la
consommation d’alcool et de tabac.
L’association synchrone ou métachrone à un cancer épi-
dermoïde ORL est fréquente.
Des conditions précancéreuses (lésions caustiques, a c h a-
lasie, etc.) sont clairement identifiées.
Le dépistage endoscopique de lésions précoces est pos-
sible, en particulier chez les patients à risque.
P O I N T S F O R T S
P O I N T S F O R T S
Facteurs étiologiques et dépistage
du cancer épidermoïde de l’œsophage
Et i o l o g y and screening of esophageal squamous cell carc i n o m a
R. Benamouzig*
L
INCIDENCE
du cancer épidermoïde de l’œsophage est
en France de 9 pour 100 000 chez l’homme. Après
avoir été longtemps stable dans le temps, elle dimi-
nue d’env i r on 2 % par an en Europe occidentale ( 1 ). Les très
importantes variations de l’incidence de ce cancer dans l’espace
et dans le temps ainsi que celle du sex-ratio suggèrent un rôle
majeur de facteurs étiologiques environnementaux. Ce sont ces
facteurs que nous allons préciser (2-5).
FACTEURS ÉTIOLOGIQUES EXOGÈNES
Alcool
Une consommation élevée d’alcool est un facteur indépendant
de survenue du cancer épidermoïde de l’œsophage. Il existe une
relation dose-effet. L’effet d’une consommation modérée d’al-
cool, mathématiquement mis en évidence,reste cependant diffi-
cile à démontrer par les études d’observation.
Ce risque est décrit pour presque tous les types de boissons alcoo-
lisées. Il semble plus important, à consommation égale,pour les
substances à fo rte teneur en alcool. Certaines études ont aussi
mis en évidence un risque augmenté pour tel ou tel type de bois-
sons alcoolisées. Dans ce cas, le rôle de congénères (présence de
substances mutagènes) peut être suspecté. Ces congénères sont
les nitrosamines dans le cidre, les mycotoxines dans la bière de
maïs en Afrique du Sud,certains tanins du vin, la présence de
résidus pesticides, voire d’arsenic.
L’alcool pourrait aussi agir indirectement par son action de sol-
va n t , favo risant l’accès des carc i n ogènes à la mu q u e u s e ,a i n s i
que par le biais du terrain alcoolique pouvant être associé à un
d é ficit nu t ri t i o n n e l , vo i re par une induction de certaines enzymes
h é p atiques ou, e n fi n , par insuffisance hépatique avec insuffi s a n c e
de détoxification de substances carcinogènes.
Tabac
Le tabac est un facteur de risque indépendant. À quantité équi-
va l e n t e , la consommation de ciga rettes roulées à la main et l’usage
de tabac brun semblent associés à un risque légèrement supé-
rieur. Ce risque diminue après sevrage avec un palier au seuil de
1 0 ans et une quasi-disparition du risque après 15 ans ( 6 ). Ce
risque est lié à la présence de substances toxiques dans les pro-
duits de combustion du tabac,et en particulier de nitrosamines.
Association alcool-tabac
L’association d’une intoxication alcoolique et d’une intoxication
t ab agique entraîne un risque mu l t i p l i c at i f. Ce cara c t è re mu l t i-
p l i c atif témoigne de l’absence d’interaction des deux fa c t e u r s .
En Europe occidentale,plus de 90 % des cancer épidermoïdes
de l’œsophage sont liés à cette consommation d’alcool et de tab a c.
Facteurs de risque alimentaires
De nombreuses études concernant le rôle éventuel des facteurs
nu t ritionnels sont disponibles. La seule re l ation cl a i r e m e n t
démontrée est le rôle protecteur d’une alimentation ri che en fru i t s
et en légumes frais, le risque relatif étant d’environ 0,5.
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Les principaux autres facteurs alimentaires discutés sont une ali-
mentation exclusive à base de céréales, associée à un risque plus
important qui pourrait être lié à des déficits en microéléments et
en vitamines, et l’utilisation de conserves de légumes artisanales
fermentées avec présence de mycotoxines dans certaines régions
chinoises. Le rôle de l’ap p o rt pro t é i q u e, de l’ap p o rt lipidique,
celui de la consommation d’épices et de l’apport hydrique ont
été discutés, sans qu’aucune conclusion puisse être tirée.
Parmi les micronutriments, le rôle des vitamines A, B2, C et E a
aussi été discuté sans résultat cl a i r. Il est à noter que l’ap p o rt
d’acide rétinoïque paraît protecteur. Enfin, l’effet protecteur du
sélénium et du zinc semble probable, mais reste à confirmer. Les
données concernant les autres ions reste controversées (sodium,
calcium, magnésium, cuivre, molybdène).
Autres facteurs
L’ i r ri t ation thermique liée à la consommation de mach a u d
(70 °) pourrait être un facteur de risque important en Amérique
du Sud. Cette boisson est ingérée directement à l’aide d’une paille
métallique déposée sur le fond de la langue et immédiatement
déglutie. Certaines études retrouvent cependant un risque accru
avec la consommation de maté fro i d. Le rôle spécifique de la ch a-
leur et/ou de composés carc i n ogènes reste donc à déterm i n e r.
Le rôle des nitrosamines présents dans diff é rentes boissons alcoo-
lisées ainsi que dans l’eau de boisson de certaines régions du
monde est discuté. La présence de mycotoxines a été incriminée
sans qu’une conclusion définitive puisse être apportée. L’infec-
tion œsophagienne par papillomavirus humain pourrait interve-
nir, mais le rôle de ces virus en France semble faible, voire nul.
Un antécédent de ra d i o t h é r apie médiastinale est associé à un
risque augmenté de cancer de l’œsophage. En France, ce facteur
i n t e rvie nt pour moins d’un cas sur 300. L’ i m mu n o s u p p re s s i o n
peut aussi favo riser l’ap p a rition d’un cancer épidermoïde de
l’œsophage.
Il existe de nombreuses données concernant le risque pro fe s-
sionnel, mais il est délicat de séparer la part exacte de cette expo-
sition de celle qui pourrait être liée à la consommation d’alcool
et de tabac chez ces patients. De même,un statut socio-écono-
mique bas est associé à un risque augmenté de cancer épider-
moïde de l’œsophage, sans qu’il soit possible d’évaluer l’im-
portance exacte de ce facteur.
SUSCEPTIBILITÉ GÉNÉTIQUE
La tylose,ou kératodermie palmo-plantaire héréditaire, est une
affection transmise sur le mode autosomal dominant. Sa pré-
valence est estimée à 1 pour 40 000 personnes. Dans certains
cas, cette pathologie s’associe à la survenue d’un cancer de l’œ-
sophage réalisant le syndrome de Howel-Evans. Le risque de
d é velopper un cancer de l’œsophage est de près de 100 % à
65 ans dans ces familles. Le gène responsable de cette patho-
logie est situé dans la région 17q25.2-25.3. Son rôle exact reste
à préciser.
Différentes études d’agrégation familiale ont été réalisées pour
essayer d’identifier un facteur génétique de sensibilité au cancer
é p i d e r moïde de l’œsophage. Les résultats actuellement dispo-
nibles restent discordants.
Enfin, le rôle de différents polymorphismes, notamment enzy-
matiques, comme facteur de sensibilité au développement tumo-
ral en présence de facteurs de risque a été récemment souligné,
aussi bien par des travaux expérimentaux que par des études épi-
démiologiques.
CONDITIONS PRÉCANCÉREUSES
Les conditions précancéreuses identifiées sont rapportées dans
le tableau.
PRÉVENTION
Prévention primaire
La prévention de la survenue du cancer épidermoïde de l’œso-
phage repose sur l’information de la population pour limiter au
m a x i mum l’intox i c ation éthy l o - t ab a gi q u e. La diffusion de
conseils alimentaires incitant à la consommation de fruits et de
légumes paraît également importante.
Prévention secondaire
La prévention secondaire peut être envisagée, soit en population
g é n é rale dans les zones de très haute incidence, comme en Chine,
soit chez les populations à haut risque.
Ainsi, en Chine,un dépistage systématique des lésions d’œso-
phagite chronique et de dysplasie a été proposé dans certaines
régions tests comprenant plusieurs centaines de milliers de per-
sonnes. Ce dépistage est réalisé par des techniques de cytologie
au ballonnet ou par endoscopie. On estime en effet que le risque
de développement d’un cancer de l’œsophage est d’environ 5 %
l o r squ’une dysplasie de bas grade est observ é e, mais de 65 %
pour une dysplasie de haut grade. Environ 2 à 3 %des patients
présentent une dysplasie lors de ces campagnes de dépistage.
Chez les patients ayant une cytologie positive, l’endoscopie cou-
Tableau. Conditions précancéreuses du carcinome épidermoïde de
l’œsophage.
* RR : risque relatif.
Pathologie RR* ou prévalence
Syndrome de Plummer-Vinson 10 % des patients
Achalasie Risque relatif de 7 à 33 fois
Œsophagite caustique ancienne étendue Risque relatif de 12 à 1 000 fois
Diverticule de Zenker Risque relatif de 10 fois
Localisation tumorale épidermoïde 7 % des patients (extrêmes 3-21 %)
ORL ou bronchopulmonaire
Anémie de Fanconi
DO S S I E R T H É M A T I Q U E
plée à une coloration au Lugol augmente alors la sensibilité pour
dépister des lésions de dysplasie de haut grade ou des carc i n o m e s
(96 % avec coloration au lieu de 64 % sans).
Pour les populations à haut risque,en particulier pour les sujets
ayant présenté un antécédent de lésion épidermoïde ORL, la réa-
lisation d’une endoscopie de surveillance régulière est proposée.
Elle n’est cependant pas encore de pratique systémat i q u e. La réa-
lisation d’une endoscopie de surveillance avec coloration vitale
au Lugol permet de dépister des lésions cancéreuses ou précan-
céreuses (7). Elle permet aussi de mettre en évidence une atteinte
plus importante que celle suspectée lorsque l’endoscopie est réa-
lisée sans coloration vitale.
Une endoscopie de suivi est aussi habituellement proposée chez
les patients présentant une ach a l a s i e, ainsi que chez ceux pré-
sentant un antécédent d’œsophagite caustique étendue ancienne
(> 15 ans). Le rythme de surveillance optimal n’est pas connu.
Il varie en général entre un et trois ans selon les équipes. Il est à
noter que le niveau de pre u ve pour établir ces pratiques re s t e
insuffisant.
E n fi n , des strat é gies de ch i m i o p r é ven tion ont été pro p o s é e s ,
notamment en Chine, dans les régions à haut ri s q u e, chez les
patients atteints de dysplasie, avec des résultats mettant en évi-
dence un effet protecteur d’un composé à base d’herbe médici-
nale (anti-tumeur B) ou de rétinoïde. En Europe et aux État s -
Unis, la consommation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens et
d’aspirine semble protéger de la survenue du carcinome épider-
moïde de l’œsophage, mais aucune donnée prospective n’est dis-
p o n i b le pour confi rmer fo rmellement cette observation. Une
étude est aussi en cours avec des inhibiteurs de la cyclo-oxygé-
nase de type 2.
E n fi n , chez les sujets ayant présenté un antécédent de cancer
ORL, la prescription de rétinoïde permet de diminuer le risque
de survenue d’une deuxième tumeur (4 % versus 24 % au cours
du suivi). Cette prat i q u e,dont l’efficacité est pro u v é e,reste confi-
dentielle.
Mots-clés :
Cancer de l’œsophage - Carcinome épidermoïde -
Alcool - Tabac - Dépistage.
Key w o rd s :
Esophageal cancer - Squamous cell carcinoma -
Alcohol - Tabacco - Screening.
RÉ F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S
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Des sultats favorables pour l’association
pegasys/Copegus chez les patients
co-infecs par le V
I
H et le V H C
Les laboratoires Roche ont présenté les résultats de l’essai
Apricot, ayant randomisé 869 patients de 19 pays, co-infectés
par le VIH et le VHC en trois groupes thérapeutiques (Pegasys
180 µg par semaine + Copegus (riba virine) 800 mg par jour,
Pegasys 180 µg par semaine en monothéra pie, traitement
classique par interféron alpha-2a, 3MUI trois fois par semaine
+ ribavirine 800 mg par jour).
Les meilleurs résultats ont été obtenus dans le premier grou-
pe de traitement avec une réponse virologique prolongée
chez 40 % des patients (29 % en cas de génotype 1,62 % en
cas de génotype 2/3) tandis qu’une réponse virologique pro-
longée n’était obtenue que chez 20 % des patients recevant la
monothérapie et 12 % des patients recevant un traitement
classique.
Il s’agit du plus vaste essai dans la population des patients
co-infectés, dont les résultats offrent un réel espoir théra-
peutique à ces malades.
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