de leader technologique mondial d'ici à 2050, les
Chinois achètent non plus seulement les produits
allemands mais les industries elles-mêmes, avec
leurs brevets et leurs données. Au premier
semestre 2016, ils ont effectué pour 11,6 milliards
d'euros d'acquisitions au sein du Mittelstand, soit
vingt fois plus que pour l'ensemble de l'année
2015, rapporte le cabinet EY. Or les investisseurs
chinois n'obéissent pas aux mêmes règles que les
Allemands : en général appuyés par l'Etat, ils font
flamber les prix des entreprises qu'ils convoitent,
alors qu'en Chine, de tels rachats sont légalement
impossibles pour les investisseurs étrangers. Le
rachat de la perle allemande Kuka, spécialiste
mondial des robots, par le chinois Midea, en 2016,
a ravivé la peur des industriels de perdre la maîtrise
de leurs innovations.
En effet, l'Allemagne ne pourra plus, à l'avenir,
compter sur les atouts qui ont assuré la fortune de
son industrie ces dix dernières années. Les
hausses continues de salaires, négociées par les
syndicats depuis la fin de la crise économique de
2009, ont réduit voire annihilé l'avantage comparatif
que détenait l'Allemagne depuis les années 2000,
alors que la productivité n'augmente presque plus.
Et les investissements des entreprises dans leur
outil de production stagnent depuis 2009. "
L'Allemagne a mangé ses progrès de la période
Schröder ", estime Patrick Artus, de Natixis, dans sa
note de janvier.
Plus grave, la politique du " zéro noir ", l'équilibre
budgétaire prôné par Angela Merkel et son ministre
des finances, Wolfgang Schaüble, a pour
conséquence un retard gigantesque
d'investissements dans les communes, où les
infrastructures de transport et les écoles sont en
souffrance, tout comme le réseau Internet. Sur le
Web, on surfe en Allemagne deux fois moins vite
qu'en Corée du Sud, en particulier dans les zones
rurales. Un élément pointé du doigt par l'OCDE
mais aussi par l'institut ZEW, qui note, dans une
étude de janvier, une baisse de la compétitivité de
l'Allemagne. Si la faiblesse de l'euro assure encore
de confortables excédents commerciaux à Berlin, le
renchérissement de la monnaie unique pourrait
rapidement changer la donne.
La troisième menace est celle qui inquiète le plus
les industriels. Elle peut se résumer en un chiffre :
alors que les grands groupes allemands s'apprêtent
à publier leurs résultats annuels, la capitalisation
boursière de Google, de plus en plus considéré
comme le concurrent numéro 1, est actuellement
huit fois plus importante que celle du premier
groupe allemand coté à Francfort, l'éditeur de
logiciels SAP. L'industrie allemande pourra-t-elle se
maintenir au sommet ? Ou risque-t-elle, à la
manière d'un Kodak, de se voir relayée au rang de
fabricant de matériel aux ordres des spécialistes du
traitement des données, situés loin de l'Allemagne ?
trop grande spécialisation
La menace a été identifiée depuis longtemps par
l'industrie allemande, qui a annoncé en 2011 une
stratégie pour la contrer, appelée Industrie 4.0,
visant à généraliser l'utilisation du numérique dans
les processus de production qui sont de plus en
plus automatisés. Mais certains experts estiment
que cette réponse n'est pas suffisante. Christoph
Keese, vice-président exécutif du groupe de média
Axel Springer et auteur de deux essais très
remarqués sur le numérique, est convaincu que son
pays a accumulé un retard considérable par rapport
à ses concurrents. " Nos entreprises produisent
avant tout des machines de grande qualité mais
elles ont quitté le peloton de tête mondial. Les
industries du XXIe siècle seront dominées par
l'Asie, Israël et les Etats-Unis ", estime-t-il dans
Silicon Germany (Albrecht Knaus Verlag, septembre
2016, non traduit).
Pour tous ceux qui, comme lui, tirent la sonnette
d'alarme, les Allemands sont prisonniers d'un
modèle marqué par une grande spécialisation
industrielle. Ils sont capables de concevoir des
machines parfaites, de très haute technologie,
utilisant déjà les possibilités du numérique à un très
haut niveau... mais qui restent des machines
connectées, spécialisées dans un domaine précis,
et qui butent aujourd'hui sur deux caractéristiques
essentielles de la nouvelle économie numérique :
l'utilisation intuitive et intelligente, ainsi que les
modèles économiques en rupture. Les voitures
allemandes sont des bijoux de technologie, mais
elles sont encore loin d'offrir à l'utilisateur la quantité
d'informations apportée par Google via un simple
smartphone.
Quant aux modèles économiques, ils ignorent
encore largement l'importance des données
d'utilisation du bien et la coopération entre secteurs.
" Les Allemands fabriquent leur machine, la
vendent, font un peu de service après-vente, et c'est
tout. Uber ou Airbnb sont totalement différents,
explique Christoph Keese. Les innovations de
rupture, parce qu'elles mettent en danger les
modèles économiques traditionnels, ne peuvent se
produire qu'en dehors des entreprises établies. "
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Peur sur l'industrie allemande Le Monde 7 février 2017 mardi