Seite 1 Dokument 1 von 1 Le Monde 7 février 2017 mardi Peur sur l'industrie allemande AUTEUR: Cécile Boutelet RUBRIQUE: LE MONDE ECO ET ENTREPRISE; Pg. 6 LONGUEUR: 1753 mots ENCART: Véritable colonne vertébrale de l'économie outre-Rhin, l'industrie est bousculée par les menaces grandissantes sur le libre-échange. Surtout, la révolution numérique en cours sape les fondements mêmes du modèle allemand Au pupitre dressé pour elle ce jour-là dans les locaux de la maison Konrad Adenauer, à Berlin, Angela Merkel vient de déclarer sa candidature à un quatrième mandat de chancelière. A l'issue de son discours, face aux questions des journalistes, l'ancienne physicienne revient sur un sujet qui lui tient à coeur. " Au-delà des questions de sécurité et d'intégration des réfugiés, ce qui me préoccupe énormément est de savoir si nous produirons encore dans dix ans 20 % de notre valeur ajoutée grâce à l'industrie. Que vont devenir notre industrie automobile, notre chimie, la construction de machines et leurs milliers de sous-traitants ? Nous sommes en train de vivre une gigantesque transformation, comparable au passage de la manufacture à l'ère industrielle. Armer l'Allemagne pour ce défi est de mon point de vue une tâche prioritaire, dont découle notre prospérité à venir ", a-t-elle déclaré le 20 novembre 2016. Et si l'industrie allemande était à l'aube de son déclin ? Et si cette formidable machine à produire et à exporter, enviée et sûre de son modèle, était en perte de vitesse, en train de perdre le contact avec la marche de l'économie mondiale ? Ce scénario, difficile à croire au vu des résultats et de la réputation toujours étincelants de la production manufacturière allemande, est pourtant pris très au sérieux par les autorités. Menaces sur le libre-échange, perte de compétitivité, difficulté d'appréhender une révolution numérique qui sape les fondements traditionnels du modèle allemand : les défis sont immenses et le risque, évident. L'industrie allemande est la colonne vertébrale de l'économie. L'automobile à elle seule assure l'activité de deux millions de personnes et génère 8 % du PIB. Le fameux Mittelstand, ces milliers d'entreprises de taille moyenne, spécialisées dans l'électronique ou la mécanique, exporte les trois quarts de sa production, génère des millions d'emplois stables et de confortables rentrées fiscales. Menaces chinoises Les règles du commerce mondial, qui avaient tant avantagé les exportations allemandes, semblent évoluer dans un sens qui déconcerte les industriels. L'échec du traité de libre-échange transatlantique entre l'Europe et les Etats-Unis a été une première alerte. L'arrivée au pouvoir de Donald Trump et ses menaces explicites contre l'industrie allemande ont renforcé les inquiétudes. " Nous risquons ni plus ni moins une guerre commerciale avec les Etats-Unis ", s'est alarmé Marcel Fratzscher, de l'Institut allemand pour la recherche économique (DIW), dans les colonnes de la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung. " Au vu de l'insécurité politique mondiale, qui menace particulièrement notre économie nationale, la croissance à venir est tout sauf évidente, juge pour sa part le président de la Fédération de l'industrie allemande (BDI), Dieter Kempf. L'Allemagne va devoir faire plus d'efforts pour conserver sa prospérité actuelle. " Les bons clients d'autrefois se muent en redoutables compétiteurs. Pour se hisser au rang Seite 2 Peur sur l'industrie allemande Le Monde 7 février 2017 mardi de leader technologique mondial d'ici à 2050, les Chinois achètent non plus seulement les produits allemands mais les industries elles-mêmes, avec leurs brevets et leurs données. Au premier semestre 2016, ils ont effectué pour 11,6 milliards d'euros d'acquisitions au sein du Mittelstand, soit vingt fois plus que pour l'ensemble de l'année 2015, rapporte le cabinet EY. Or les investisseurs chinois n'obéissent pas aux mêmes règles que les Allemands : en général appuyés par l'Etat, ils font flamber les prix des entreprises qu'ils convoitent, alors qu'en Chine, de tels rachats sont légalement impossibles pour les investisseurs étrangers. Le rachat de la perle allemande Kuka, spécialiste mondial des robots, par le chinois Midea, en 2016, a ravivé la peur des industriels de perdre la maîtrise de leurs innovations. En effet, l'Allemagne ne pourra plus, à l'avenir, compter sur les atouts qui ont assuré la fortune de son industrie ces dix dernières années. Les hausses continues de salaires, négociées par les syndicats depuis la fin de la crise économique de 2009, ont réduit voire annihilé l'avantage comparatif que détenait l'Allemagne depuis les années 2000, alors que la productivité n'augmente presque plus. Et les investissements des entreprises dans leur outil de production stagnent depuis 2009. " L'Allemagne a mangé ses progrès de la période Schröder ", estime Patrick Artus, de Natixis, dans sa note de janvier. Plus grave, la politique du " zéro noir ", l'équilibre budgétaire prôné par Angela Merkel et son ministre des finances, Wolfgang Schaüble, a pour conséquence un retard gigantesque d'investissements dans les communes, où les infrastructures de transport et les écoles sont en souffrance, tout comme le réseau Internet. Sur le Web, on surfe en Allemagne deux fois moins vite qu'en Corée du Sud, en particulier dans les zones rurales. Un élément pointé du doigt par l'OCDE mais aussi par l'institut ZEW, qui note, dans une étude de janvier, une baisse de la compétitivité de l'Allemagne. Si la faiblesse de l'euro assure encore de confortables excédents commerciaux à Berlin, le renchérissement de la monnaie unique pourrait rapidement changer la donne. La troisième menace est celle qui inquiète le plus les industriels. Elle peut se résumer en un chiffre : alors que les grands groupes allemands s'apprêtent à publier leurs résultats annuels, la capitalisation boursière de Google, de plus en plus considéré comme le concurrent numéro 1, est actuellement huit fois plus importante que celle du premier groupe allemand coté à Francfort, l'éditeur de logiciels SAP. L'industrie allemande pourra-t-elle se maintenir au sommet ? Ou risque-t-elle, à la manière d'un Kodak, de se voir relayée au rang de fabricant de matériel aux ordres des spécialistes du traitement des données, situés loin de l'Allemagne ? trop grande spécialisation La menace a été identifiée depuis longtemps par l'industrie allemande, qui a annoncé en 2011 une stratégie pour la contrer, appelée Industrie 4.0, visant à généraliser l'utilisation du numérique dans les processus de production qui sont de plus en plus automatisés. Mais certains experts estiment que cette réponse n'est pas suffisante. Christoph Keese, vice-président exécutif du groupe de média Axel Springer et auteur de deux essais très remarqués sur le numérique, est convaincu que son pays a accumulé un retard considérable par rapport à ses concurrents. " Nos entreprises produisent avant tout des machines de grande qualité mais elles ont quitté le peloton de tête mondial. Les industries du XXIe siècle seront dominées par l'Asie, Israël et les Etats-Unis ", estime-t-il dans Silicon Germany (Albrecht Knaus Verlag, septembre 2016, non traduit). Pour tous ceux qui, comme lui, tirent la sonnette d'alarme, les Allemands sont prisonniers d'un modèle marqué par une grande spécialisation industrielle. Ils sont capables de concevoir des machines parfaites, de très haute technologie, utilisant déjà les possibilités du numérique à un très haut niveau... mais qui restent des machines connectées, spécialisées dans un domaine précis, et qui butent aujourd'hui sur deux caractéristiques essentielles de la nouvelle économie numérique : l'utilisation intuitive et intelligente, ainsi que les modèles économiques en rupture. Les voitures allemandes sont des bijoux de technologie, mais elles sont encore loin d'offrir à l'utilisateur la quantité d'informations apportée par Google via un simple smartphone. Quant aux modèles économiques, ils ignorent encore largement l'importance des données d'utilisation du bien et la coopération entre secteurs. " Les Allemands fabriquent leur machine, la vendent, font un peu de service après-vente, et c'est tout. Uber ou Airbnb sont totalement différents, explique Christoph Keese. Les innovations de rupture, parce qu'elles mettent en danger les modèles économiques traditionnels, ne peuvent se produire qu'en dehors des entreprises établies. " Seite 3 Peur sur l'industrie allemande Le Monde 7 février 2017 mardi Décalage culturel des données et l'intelligence artificielle. " Les raisons de ce retard tiennent à ce qui a fait jusqu'ici le succès de l'industrie allemande. En Bade-Wurtemberg, bastion du Mittelstand, berceau de l'automobile, et considéré comme le coeur de l'innovation allemande, on est convaincu de la supériorité d'un modèle qui a fait ses preuves : une gestion familiale et conservatrice sur le plan hiérarchique et financier, une implantation souvent à la campagne, une vision à long terme, une innovation incrémentale, par améliorations constantes des biens d'équipement, principalement des machines. Une méthode presque à l'exact opposé de celle des start-up de la Silicon Valley ou de Tel Aviv, marquées par l'innovation de rupture à très grande vitesse, financées par le capital-risque et concentrées dans des espaces urbains très restreints. Malgré le retard constaté, Yaron Valler estime que l'Allemagne a pris la mesure du défi. " Je suis optimiste. Les Allemands placent actuellement beaucoup d'argent et d'énergie dans le high-tech, ils alimentent leur écosystème entrepreneurial, c'est ce qui compte. Reste à réformer les systèmes -législatif et fiscal, qui sont souvent des freins à l'innovation. " Le Bade-Wurtemberg compte bien quelques start-up, mais celles-ci sont encore regardées avec beaucoup de méfiance par le Mittelstand. Andreas Kuckertz, titulaire de la chaire d'entrepreneuriat de l'université de Hohenheim, près de Stuttgart, juge qu'" il y a un énorme décalage culturel ". " Certaines entreprises traditionnelles me disent : ils jouent avec de l'argent qui n'est pas le leur et ne gagnent pas le moindre centime ! ", ajoute-t-il. L'expert note que les besoins spécifiques des start-up sont le plus souvent mal compris et que les grandes entreprises sont loin d'être vues par les start-up comme des partenaires ouverts et prêts à la coopération. " On court ici le risque de perdre un immense potentiel d'innovation ", juge Andreas Kuckertz. A Berlin, derrière les grandes baies vitrées de son bureau de Friedrichstrasse, Yaron Valler, Israélien cofondateur du fonds de capital-risque Target Global, juge que l'Allemagne est encore trop peu innovante du point de vue technologique. " Les ingénieurs allemands ne sont pas des preneurs de risque. Ils savent qu'ils pourront trouver un emploi stable et bien payé chez Bosch ou Siemens. En Israël, les carrières d'ingénieurs sont peu stables, par manque d'industrie. Alors, ils créent des start-up et produisent des innovations de rupture dans des secteurs très technologiques, comme la sécurité SUJET: EXPORTATION (87%); AUTOMOBILE (75%); CONSTRUCTEUR DE VOITURES (75%); RENDEMENT INDUSTRIEL (75%); CROISSANCE ÉCONOMIQUE (75%); PERFORMANCE DU SECTEUR AUTOMOBILE (75%); CONSTRUCTION AUTOMOBILE (75%); CHIMIE (75%); RÈGLE DU COMMERCE INTERNATIONAL (71%); DÉVELOPPEMENT COMMERCIAL (71%); SÉCURITÉ NATIONALE (71%); COURSE À PIED (71%); ACCORD ET TRAITÉ COMMERCIAUX (71%); CONJONCTURE ÉCONOMIQUE (71%); FABRICATION DE MACHINES SPÉCIALISÉES POUR DIVERSES INDUSTRIES (70%); PRODUIT INTÉRIEUR BRUT (70%); COMMERCE INTERNATIONAL (70%); LÉGISLATION DU COMMERCE ET ANTITRUST (69%); CONFLITS COMMERCIAUX (66%); ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE (65%); PETITE ET MOYENNE ENTREPRISE (64%) PERSONNE: ANGELA MERKEL (73%); DONALD TRUMP (58%) LOCALISATION-GEO: BERLIN, ALLEMAGNE (90%) ALLEMAGNE (94%); EUROPE (92%); AMÉRIQUE DU NORD (73%); ÉTATS-UNIS (73%); EUROPE DE L'OUEST (57%); EUROPE CENTRALE (57%); CHINE (55%) DATE-CHARGEMENT: 6 février 2017 LANGUE: FRENCH; FRANÇAIS TYPE-PUBLICATION: Journal Copyright 2017 Le Monde Interactif Tous Droits Réservés