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Leçon 2: Les Juifs dans l’économie médiévale
dans la longue durée
Séquence 6. L’évolution du métier de prêteur
On présente de manière stable un sysme professionnel, le sysme du prêt d'argent, il ne
faudrait pas oublier que ce système est plongé dans l'Histoire et qu'il évolue. Les différents
domaines de l'histoire juive ne sont distincts que pour la commodité de l'enseignement, mais tout
cela interagit. La dégradation de la situation des Juifs en Occident n'est pas sans avoir de lourdes
conséquences sur ce système du prêt. Quelle est donc l'évolution du tier de prêteur au bas
Moyen Âge?
Le prêt à intérêt, qualifié de prêt à taux d'usure quand il est trop élevé (mais les sources ne
spécifient jamais véritablement ce que c'est que trop élevé, les usures immodérées)
est indispensable au bon fonctionnement du système économique médiéval. L'économie
précapitaliste, l'économie d'échange croît considérablement en particulier aux XIIème et XIIIème
siècles et, pour cette croissance, elle a de plus en plus besoin de liquidités. La contribution des
Juifs médiévaux au développement économique de l'Occident est donc bien réelle.
Divers chercheurs, dans une perspective peut être un petit peu défensive d'ailleurs, ont voulu
insister sur ce point: je pense aux travaux anciens d'un historien comme Agus qui avait mis
véritablement les Juifs au cœur du développement économique médiéval. Faut-il le suivre? Je ne
sais pas. Mais remarquer et accepter l'idée que les Juifs jouent un rôle important dans le
développement économique de bon nombre de régions médiévales, cela me paraît important.
A la fin du Moyen Âge, le climat change et le métier de prêteur fait l'objet d'attaques répétées.
Dès le début du XIIIème siècle, la papauté critique les usures immodées. Progressivement, du
monde de l'Eglise et, en particulier des ordres mendiants qui apparaissent début XIIIème siècle et
qui connaissent un immense succès en Occident (Dominicains, Franciscains,…), viennent des
critiques à l'égard du prêt d'argent.
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Ce prêt d'argent qu'on s'efforce toujours d'interdire aux chrétiens, même s'ils continuent de le
pratiquer avec toutes sortes de techniques de dissimulation du prêt à intérêt. On essaie également
de l'empêcher, de l'interdire aux Juifs. De nouveaux prêteurs chrétiens leur font concurrence et
progressivement, l'idée qu'il faille chasser ces usuriers qui finalement s'accaparent sans être
productifs, la richesse des gions ils demeurent, se répand. On aura l'occasion de revenir sur
ces questions-là, mais l'expulsion d'Angleterre à la fin du XIIIème siècle, qui est aussi une
spoliation, s'inscrit parfaitement dans ce contexte. L'usure devient quasiment synonyme de
l'identité juive pour les Chrétiens du temps. Et néanmoins on continue d'avoir besoin de cet
argent. Les restrictions canoniques, les restrictions édictées par le droit de l'Eglise sont un vrai
problème pour le développement du commerce. On essaie de le déguiser mais, parfois, on doit
toutefois faire appel aux prêts juifs.
En France, en une cinquantaine d'années, entre la toute fin du XIIème et le milieu du XIIIème
siècle, les rois de France empêchent le prêt d'argent. Louis VIII dont le règne est bref mais
important (il précède le règne de Louis IX son fils) supprime l'accès des Juifs aux sceaux qui
authentifient le prêt. Sans l'interdire, il fragilise le sysme et, au milieu du XIIIème siècle vers
1253, l'usure est, non pas totalement éradiquée, mais tout à fait réduite et même interdite par les
dispositions royales. Cette activité de crédit est donc en déclin. Le besoin de crédit juif semble
faiblir. En tout cas cette pratique recule et l'une des principales armes contre le crédit juif est une
invention de ces frères mendiants dont je parlais à l'instant : le Mont de Piété.
Le Mont de piété est une institution de prêt sur gage, mais sans intérêts, une institution fendue
notamment par les prédicateurs franciscains, cet ordre mendiant initié par François d'Assise, et
qui insiste fondamentalement sur la pauvreté et sur l'imitation du modèle de Jésus, sur une vie
évangélique. Il a également beaucoup fait pour penser l'économie de son temps, comme des
travaux récents de Giacomo Todeschini le rappellent
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C'est à la fois un ordre insistant sur la pauvreté et un ordre très attentif aux réalités économiques
du temps. Dès le début du XVème siècle se développe, en milieu franciscain, une réflexion sur
l'économie et sur la nécessité de trouver des alternatives aux tiers d'argent souvent dévolus
aux Juifs.
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Ouvrage recommandé: Richesse franciscaine : de la pauvreté volontaire à la société de marché, traduction par
Nathalie Gailius et Roberto Nigro, Lagrasse, Verdier, 2008
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Bernardin de Sienne pose les fondements d'une pensée très violemment anti-judaïque qui
trouve son aboutissement chez un autre Bernardin, Bernardin de Feltre. Les deux Bernardins
jouent un rôle terrible, notamment le second, dans la détérioration de la condition juive italienne
et l'invention des Monts de Piété s'inscrit dans ce contexte.
Il semble que le premier Mont de Piété fut créé en 1462 à Pérouse où il connut un succès massif
et rapide. Bien sûr, le problème des Monts de Piété c'est celui de leur fonctionnement. Le
système est simple: prêts sur gage sans intérêts, c'est encore ainsi qu'il fonctionne. Oui mais un
Mont de Piété coûte de l'argent: il y a un bâtiment, des employés, il faut donc que quelqu'un
mette la main à la poche pour le faire fonctionner. Il arrive assez couramment que le Mont de
Piété soit fondé, connaisse un certain succès mais doive ensuite fermer, faute de fonds pour
pouvoir fonctionner, puisque ce sont des institutions charitables ne rapportant pas d'argent.
Néanmoins dans l'Italie du Nord le Mont de Pié connait un véritable succès. Bernardin de
Sienne ne les voit pas de son vivant (on est en 1444), mais à partir de la deuxième moitié du
XVème siècle, les Monts de Piété se répandent dans l'Italie. Ils ne sont qu'un des aspects de ce
recul progressif du tier d'argent chez les Juifs, de cette activité de prêteur d'argent qui
est moins nécessaire à l'économie, qui est moins bien acceptée par les autorités chrétiennes et
qui, de plus en plus, est la cause des critiques portées contre les Juifs et des mesures d'expulsion
qui, dès la fin du XIIème siècle et surtout aux XIVème et XVème siècles, frappent un nombre
important de communautés juives d'Occident.
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