2
Ce prêt d'argent qu'on s'efforce toujours d'interdire aux chrétiens, même s'ils continuent de le
pratiquer avec toutes sortes de techniques de dissimulation du prêt à intérêt. On essaie également
de l'empêcher, de l'interdire aux Juifs. De nouveaux prêteurs chrétiens leur font concurrence et
progressivement, l'idée qu'il faille chasser ces usuriers qui finalement s'accaparent sans être
productifs, la richesse des régions où ils demeurent, se répand. On aura l'occasion de revenir sur
ces questions-là, mais l'expulsion d'Angleterre à la fin du XIIIème siècle, qui est aussi une
spoliation, s'inscrit parfaitement dans ce contexte. L'usure devient quasiment synonyme de
l'identité juive pour les Chrétiens du temps. Et néanmoins on continue d'avoir besoin de cet
argent. Les restrictions canoniques, les restrictions édictées par le droit de l'Eglise sont un vrai
problème pour le développement du commerce. On essaie de le déguiser mais, parfois, on doit
toutefois faire appel aux prêts juifs.
En France, en une cinquantaine d'années, entre la toute fin du XIIème et le milieu du XIIIème
siècle, les rois de France empêchent le prêt d'argent. Louis VIII dont le règne est bref mais
important (il précède le règne de Louis IX son fils) supprime l'accès des Juifs aux sceaux qui
authentifient le prêt. Sans l'interdire, il fragilise le système et, au milieu du XIIIème siècle vers
1253, l'usure est, non pas totalement éradiquée, mais tout à fait réduite et même interdite par les
dispositions royales. Cette activité de crédit est donc en déclin. Le besoin de crédit juif semble
faiblir. En tout cas cette pratique recule et l'une des principales armes contre le crédit juif est une
invention de ces frères mendiants dont je parlais à l'instant : le Mont de Piété.
Le Mont de piété est une institution de prêt sur gage, mais sans intérêts, une institution défendue
notamment par les prédicateurs franciscains, cet ordre mendiant initié par François d'Assise, et
qui insiste fondamentalement sur la pauvreté et sur l'imitation du modèle de Jésus, sur une vie
évangélique. Il a également beaucoup fait pour penser l'économie de son temps, comme des
travaux récents de Giacomo Todeschini le rappellent
.
C'est à la fois un ordre insistant sur la pauvreté et un ordre très attentif aux réalités économiques
du temps. Dès le début du XVème siècle se développe, en milieu franciscain, une réflexion sur
l'économie et sur la nécessité de trouver des alternatives aux métiers d'argent souvent dévolus
aux Juifs.
Ouvrage recommandé: Richesse franciscaine : de la pauvreté volontaire à la société de marché, traduction par
Nathalie Gailius et Roberto Nigro, Lagrasse, Verdier, 2008