journal la lettre du mayo kani n 4

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N° 04
L’édito
… Pour un monde meilleur.
Economie
rurale et
urbaine
Education
Santé
Politique
Filles et fils du Mayo-Kani, quel développement pour
notre cher département ?
Je voudrais, dans cet autre numéro de votre
journal, entretenir les lectrices et les lecteurs sur la
question de développement, un mot qui revient
dans nos bouches tous les jours, un mot très
utilisé. Aussi bien dans les causeries, les services
publics, à l’école, les réunions et campagnes
politiques que dans les assemblées des villages, ce
mot revient, il mobilise. Mais au juste, savonsnous réellement ce qu’il signifie ? Avons-nous pris
la peine de mesurer la noblesse de ce mot qui a fini
par diviser toute la planète terre en pays
développés d’une part et les pays en voie de
développement, les pays sous-développés de
l’autre. Nous nous sommes résolument inscrits
aussi à l’école du développement, mais au juste,
pouvons-nous réellement nous développer ? Sans
verser dans des définitions savantes, le
développement est entendu ici comme le progrès,
l’ensemble des actions qui concourent à
l’amélioration des conditions de vie, au bien-être.
Disposons-nous des aptitudes susceptibles de
nous propulser vers l’avant, vers le progrès,
vers l’amélioration des conditions de vie dans
notre région ? Je suis un tout petit peu dubitatif
en ce qui nous concerne au Mayo-Kani.
Je voudrais partir d’une hypothèse
selon laquelle, pour développer, il faut d’abord
être développé soi-même ou bien il faut se
développer. Alors, sommes-nous développés
dans le Mayo-Kani ? Je crois qu’il est juste de
répondre par la négative, si je m’en tiens à mes
nombreuses
investigations,
observations
depuis quelques années sur l’ensemble des
villes et villages. Il existe jusque-là très peu de
personnes développées dans le Mayo-Kani,
d’où la difficulté pour ce département de se
développer à son tour. Plusieurs arguments
militent en faveur de mon point de vue que
certains trouveront peut-être erroné ou
provocateur.
Une attention particulière dans notre
région montre des choses qui remettent en
cause la notion même du souci du progrès, du
développement. Peut-on dire qu’on est développé
lorsque le mal nous a envahis ? Par mal ici,
j’entends des comportements qui déshumanisent,
qui nous font reculer au lieu d’avancer. Combien
sont-ils, ces filles et fils du Mayo-Kani qui
considèrent leurs semblables comme des ennemis
à abattre à tout prix ? Ils sont nombreux, ceux qui
refusent que les gens émergent dans leurs villages,
que des gens disposent des biens, occupent des
responsabilités importantes à un certain niveau de
la société. On ne peut pas compter ceux qui
disposent des armes mystiques plus dangereuses
que la bombe atomique, des individus prêts à
décréter la mort de telle ou telle personne par
jalousie. Peut-on compter des personnes de
grande valeur qui ont disparu par cette voie
ignoble ? D’autres veulent qu’on ne parle que
d’eux, aussi bien au niveau de leurs familles, de
leurs villages que de leurs régions, faisant alors
tout pour écarter ceux qui aspirent à être comme
eux par quelques moyens que ce soit. Beaucoup
d’élites traditionnelles, d’élites intérieures et
extérieures sont à ranger dans cette catégorie,
faisant comme si elles allaient demeurer éternelles
sur cette terre. Mettons dans ce registre tous ceux
qui refusent que des projets d’intérêt social soient
mis en place dans le Mayo-Kani alors qu’ils en ont
la possibilité, préférant édifier, aux fonds des
villages, des châteaux qui côtoient des habitations
misérables dont les propriétaires, totalement
démunies, vivent dans l’incertitude totale, des
lendemains sans la garantie d’avoir de quoi
manger chaque jour. Ceux qui attendent les
campagnes électorales pour investir des sommes
faramineuses dans le seul but de faire boire et
rendre ivres les villageois, les jeunes gens et
acheter ainsi leurs consciences alors que ces
sommes serviraient à construire des écoles, des
routes, des centres de santé, à établir des certificats
de naissance à beaucoup d’enfants qui n’en ont
pas et ne peuvent convenablement faire l’école,
manquant de fournitures les plus élémentaires,
disposent-ils d’un tout petit esprit de
développement ? N’oublions pas de dénoncer
ceux qui détournent les projets salvateurs destinés
à notre région ou nos villages ou bien sabotent la
bonne marche des comités de développement, soit
en détournant de l’argent, soit en alimentant
expressément des conflits stériles. Nombreuses
sont les élites qui veulent faire croire qu’elles sont
les plus importantes de la région et que sans elles,
La lettre du MayoMayo-Kani N° 4
rien n’est possible et qu’après eux ce sera un
déluge sans précédent. Sommes-nous développés
quand nous nous bataillons pour des inutilités au
point où nous frisons le ridicule dans une
République qui n’aspire qu’au progrès? Ceux qui
passent leur temps à détruire les infrastructures
de grande importance édifiées dans nos villes à
l’instar du beau lycée de Kaélé, l’Ecole Normale
d’Instituteurs sur la route de Doumrou où il ne
reste plus que des murs, ceux qui détruisent les
forages qui font vivre des milliers de personnes en
enlevant des pièces pour revendre ailleurs, ont-ils
un tout petit sens du mot développement ? Ils
sont incomptables, ceux qui brandissent l’ethnicité
ou l’ethnisme, la famille, le village, la religion à
tout bout de champ, comme si en dehors de leurs
groupes d’appartenance, il n’existe plus que des
animaux, les autres étant relégués au second plan.
Tous ces fils du Mayo-Kani qui ont fait du vin leur
nourriture prioritaire, passant leurs carrières à en
consommer au point d’avoir des problèmes pour
entretenir leurs familles combien de fois investir,
et finir souvent par mourir précocement alors que
disposant des grandes capacités avérées, sont-ils
développés ? Peut-on avancer un chiffre exact de
ceux-là qui en sont soit morts, soit qui ont perdu
leur travail ou humiliant les leurs, parce qu’ivres
tous les jours dans les rues. La liste est longue, car
si on se met à citer toutes ces personnes qui ont ce
genre d’attitudes rétrogrades, tout un livre en
sortirait.
Vu sous l’angle de tout ce qui précède, je
crois que vous conviendrez bien avec moi que la
notion de développement est loin d’être une
réalité dans un tel contexte, un contexte
caractérisé
par
des
comportements
qui
témoignent de notre esprit sous-développé. Il faut
qu’on prenne conscience de cet état de choses, de
mauvaises attitudes qui nous aveuglent jusque-là.
On ne peut pas développer tant qu’on n’est pas
développé en soi-même, tant qu’on n’a pas décidé
de se développer. C’est dire qu’il y a un gros défi
qui nous interpelle, filles et fils du Mayo-Kani
sans exception, un défi que chacun doit relever à
son niveau, un défi de conscience. La question à se
poser et qui doit nous guider, c’est celle de se
demander à quelle catégorie appartenons-nous ?
Sous-développés,
moins
développés
ou
développés ? Chacun doit faire cette introspection
profonde et sincère, une remise en cause sans
complaisance pour se situer.
S’il est une chose qu’il ne faudrait pas
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perdre de vue, c’est que le développement
doit forcément passer par nous, notre façon
de penser, d’agir, de construire, notre sens
d’engagement. Cela nécessite des préalables
dont le développement de soi-même.
Lorsque nous allons réussir à nous
développer, le dialogue sera facile, de même
que la collaboration qui donnera naissance à
une convergence des idées qui puissent
véritablement permettre de bâtir, de
développer. Cette triste réalité qui nous
caractérise malheureusement jusqu’ici doit
nous résoudre à changer. Vous constatez
avec moi que la route qui mène au
développement est encore très longue dans
notre région et il n’est pas exagéré de dire
que nous ne savons même pas encore là où
elle commence. Il y a donc nécessité et
urgence que de gros efforts soient faits pour
entamer la bataille, la vraie bataille du
développement. Cessons de faire le
semblant, l’hypocrite comme si nous
sommes développés et que nous voulons
développer, alors que ce n’est point le cas.
Filles et fils du Mayo-Kani, de
Goundaï, Guidigis à Moutourwa en passant par
Kaélé, Mindif, Moulvoudaye et environs, allons
vite, très vite à l’école du développement pour
développer notre cher et beau département qui, je
le disais tantôt, est perçu de l’extérieur comme un
eldorado. L’heure du changement est à nos portes
et vivement qu’on change effectivement pour que
notre département change avec, car personne
d’autre ne viendra le développer, soyons-en sûrs.
Si des pays, des régions, des villages sont en train
de changer, de se distinguer, d’aller de l’avant,
c’est parce que toutes les forces vives qui ont une
marge de pouvoir sont allées à l’école du
développement pour se mettre résolument à
développer. Femmes, hommes, élites politiques,
traditionnelles, religieuses, toutes et tous, le défi
qui nous interpelle, c’est celui de nous développer
pour développer le Mayo-Kani qui est agonisant,
qui a une face hideuse. Telle est la réflexion que je
voudrais bien partager avec vous en ce début
d’année 2011. Bonne et heureuse année de santé,
d’amour, de détermination au travail, de prise de
conscience de la nécessité de développer
véritablement notre région et de prospérité à tous.
Que Dieu nous bénisse et nous fasse changer
positivement !
Tribune du savoir
De nouveaux galons pour l’intelligentsia du Mayo Kani
Après la nomination de ses dignes fils à la tête des deux grandes
écoles de l’Université de Maroua, les Prs. SAIBOU ISSA à l’Ecole Normale
Supérieure de Maroua en 2008 et KOLYANG DINA TAIWE à l’Institut
Supérieur du Sahel en 2010, le premier cité vient d’accéder au prestigieux
grade de Professeur. Il en est de même pour Clément DILI PAlAI, Chef du
Département des Langues Etrangères au sein de la même école, au grade de
Maître de Conférences tandis que Kouninki ABIBA, Armand ABDOU BOUBA
et Jean GORMO, deviennent Chargés de Cours.
Patrice PAHIMI, Armel SAMBO (Histoire) et Félix WATANG ZIEBA
(Géographie), ont défendu avec brio leurs thèses de Doctorat/Ph D.
L’équipe rédactionnelle de la Lettre du Mayo-Kani leur adresse ses
plus chaleureuses félicitations.
La lettre du Mayo
Mayoayo-Kani N° 4
3
Femmes et dynamique endogène de
développement dans l’arrondissement de Kaélé
Elles sont nos mères, elles sont nos épouses
et elles sont de plus en plus de véritables vecteurs de
développement. On a été habitué à les voir sous la
« dépendance » des hommes, bien qu’étant en réalité
leurs bras séculiers. Une nouvelle génération de
femmes est entrain d’émerger, de s’affirmer dans
divers domaines de la vie publique. Il ne s’agit pas de
ces femmes « prétendument » émancipées, de ces
femmes politiques emportées par la mouvance du
temps et davantage préoccupées à soigner leur
image externe, mais bien de ces femmes rurales
aujourd’hui déterminées à écrire une nouvelle page
d’histoire du Mayo-Kani. Nombreuses sont celles qui
jouent avec efficacité le rôle de « mère-père » de
familles, surtout dans une société où la mode est à la
démission des hommes de leurs missions régaliennes.
Ces dernières ont en effet développé des itinéraires
palliatifs pour sauver leur progéniture de la débâcle
sociale, de l’abandon. Aussi s’investissent-elles de
plus en plus dans une agriculture de masse. La taille
des exploitations agricoles féminines s’est
considérablement accrue ces dernières décennies.
Elles ne font plus dans la simple production des
légumes, de l'arachide, mais de plus en plus dans la
production cotonnière. Elles parviennent ainsi à
couvrir les charges alimentaires de la famille, payer
les frais de scolarité de leurs enfants. En dépit de la
scolarisation plus ou moins appréciable de certaines
localités de la région du Mayo-Kani, force est
cependant de souligner que les femmes sont mieux
que les hommes à accompagner les efforts de leurs
enfants, surtout quand cela exige de plus grands
sacrifices.
Outre l’agriculture et l’élevage classiques,
certaines femmes ont développé des itinéraires qui
participent de l’économie de la survie, de la
débrouillardise. Chaque jour sur l’axe Boboyo-Kaélé
par exemple, on peut encore rencontrer en cette ère
dite d’émancipation économique, des femmes
transportant à des fins d’écoulement, de lourds fagots
de bois sur leurs têtes. Ces femmes travaillent dans la
souffrance pour sauver la face, combler le déficit
alimentaire de leurs foyers. Il se dit que certaines,
grâce à ces efforts titanesques, ont réussi pendant de
longues années à pourvoir leurs enfants en
fournitures scolaires. D’autres ont exploré et réussi à
s’intégrer dans le circuit de vente des ustensiles de
cuisine et autres, sans oublier celles qui font dans le
trafic et la vente des poissons frais ou fumés,
exposant ainsi leurs vies sur les axes non moins
La lettre du MayoMayo-Kani N° 4
dangereux de Banki ou de Badadji. Elles sont à juste
titre devenues, des patronnes de l’économie de la
débrouille qui, dans la localité de Kaélé constitue
plus ou moins leur chasse-gardée.
La volonté et la détermination de ces femmes
battantes devenues par la force des choses mères
et pères de familles, ont servi de tremplin à
certaines ONG préoccupées par l’amélioration des
conditions de vie des ménages. Leur intervention
s’avère plutôt dans une certaine mesure salutaire.
L’idée d’un regroupement des femmes en
groupements
d’initiatives
communes
est
encouragée. De nombreux projets sont en cours
d’expérimentation dans certains villages des
environs de Kaélé. Heifer International par exemple,
grâce à son appui, a permis à de nombreuses
femmes de s’investir dans l’élevage, soit de porcs
soit de moutons. Les conditionnalités de cet
organisme sont cependant assez strictes, parce que
axées sur la cohésion sociale ; chaque femme
devant avoir au préalable l’aval de son époux avant
de se lancer dans le projet. D’autres projets
soutiennent ces femmes rurales dans la mise en
place des exploitations agricoles communes. Dans la
localité de Boboyo, certains groupements de
femmes expérimentent avec succès depuis bientôt
deux ans la culture de l’oignon. Pour garantir la
pérennité de ces entreprises locales, des mesures
d’accompagnement sont mises en place. Outre le
financement à faible taux d’intérêt de ces projets,
on retrouve des initiatives allant dans le sens de
l’alphabétisation de ces femmes qui sont pour
l’essentiel d’illettrées. A Boboyo toujours, avec la
coopération
entre
le
Comité
local
de
développement (CODEBO) et l’ONG allemande
dénommée
IDENTAFRICA,
un
centre
communautaire est désormais disponible. Il suscite
l’engouement pour divers apprentissages (couture,
cuisine moderne, broderie, etc.).
Pour tout dire, la femme rurale du MayoKani est en marche et cette nouvelle donne semble
bousculer la hiérarchie sociale qui jusqu’ici, était
tenue des mains de fer par les hommes et quelques
courtisanes politiques. L’investissement de ces
femmes rurales s’il est bien suivi et canalisé,
pourrait à terme servir de tremplin à une réelle
approche endogène de développement, donc
d’épanouissement socioéconomique.
Patrice PAHIMI, Ph.D/Historien/ Université de
Maroua
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Plaidoyer pour une juste place aux femmes
dans le développement
En jetant un regard critique sur le
développement de l’arrondissement de
Kaélé, l’on se soit de se demander où placer
la femme dans un contexte où le
développement n’est pas unique, mais
plutôt une production des acteurs euxmêmes ?
Le constat est que l’équilibre
économique de cet arrondissement est
fragile. Cela se vérifie au niveau du milieu
lui-même, car situé du point de vue
climatique
dans
une
zone
de
chevauchement
soudano-sahélien.
La
moyenne annuelle pluviométrique de ces
dernières années est de 816 mm.
Les associations fondées sur le
modèle de « comités de développement »
marquent la volonté d’insérer les cantons et
villages dans le monde moderne.
Cependant, ce fut un échec pour certains
comités qu’on retrouve de nos jours dans
chaque lawanat. A titre d’exemple, l’échec
de la coopérative de Lara liée aux
détournements et la mauvaise gestion, est
illustratif
pour marquer l’égoïsme
individuel,
d’où
«
la
faillite du
développement ». Les premières victimes de
cette initiative furent les femmes qui
s’étaient investi corps et âme pour
l’entretien des vergers situés à Mazan.
L’insuffisance des points d’eau
potable dans les villages est une corvée
pour ces femmes qui, peinent à longueur
des journées à la recherche de l’eau. Les
quelques puits qui existent, tarissent vite à
cause de la faible moyenne pluviométrique.
Ceci nous conduit à faire une
analyse de tous les aspects de la position
des femmes les unes par rapport aux autres
et par rapport aux hommes dans un
environnement traditionnel et religieux
donné
en
tenant
compte
des
comportements et des attentes des rôles
qui leur sont reconnus par leur société.
Les femmes représentent plus de la moitié
de la population (54,2%) et effectuent les
deux tiers du temps de travail. Leur rôle est
essentiel, notamment en matière de
production
alimentaire.
Mais,
elles
disposent de peu de ressources et sont en
majorité analphabètes.
Toutes
les
organisations
intervenantes en faveur du développement
s’accordent sur le fait qu’aucun progrès
La lettre du MayoMayo-Kani N° 4
n’est possible sans l’implication des femmes. On constate
qu’elles orientent davantage leurs revenus vers le bien-être
familial, d’où l’impératif de leur accorder une attention toute
particulière. Dans la ville de Kaélé, le gouvernement à travers le
ministère de la promotion de la femme et de la famille, a créé un
Centre de Promotion de la Femme et de la Famille (CPFF). Il
convient aussi d’évoquer d’autres autre projets mis en place par
l’Etat soutenu par des partenaires internationaux, à savoir le
Projet de Réduction de la Pauvreté et Actions en faveur des
Femmes dans la province de l’Extrême-Nord (PREPAFEN) et
le Programme d’Amélioration du Revenu Familial et Rural des
Provinces
Septentrionales
(PARFAR).
D’autres
ONG
internationales et nationales à l’instar, de la Cellule d’Appui à la
Formation Rurale (CAFOR), du Service d’Appui aux Initiatives
Locales de Développement (SAILD), Africa Famine et Progrès
(AFEP) dont le rôle est déterminant pour la dynamique des
organisations paysannes en général, se sont intéressées à celles
des femmes en particulier.
S’agissant du PREPAFEN et du PARFAR qui sont arrivés au
terme de leurs actions respectives dans la région, ils passaient
par certaines ONG locales (département du Mayo-Kani) pour
octroyer des crédits aux femmes. On peut se demander quel est
l’impact de ces projets sur les femmes dans le Mayo- Kani ? Ontils contribué à améliorer leurs conditions de vie ? Difficile d’y
répondre sans toutefois faire une investigation évaluative. Mais
ce qui est vrai, ce que les difficultés que connaissent les femmes
demeurent d’actualité. Les multiples activités qu’elles mènent
(travaux de ménages, cultures céréalières, élevage du petit
bétail, le petit commerce, de l’artisanat) ne sont pas trop
considérées comme une forme de participation à la gestion des
ressources familiales puisqu’elles ne leur permettent pas
d’occuper une place de choix dans la société.
S’il faut s’intéresser à l’implication de la femme dans la
vie politique, il va sans dire qu’elle est moins importante,
comparativement à l’homme. Dans la plupart des cas, les
femmes de la région du Mayo-Kani nombreuses, s’alignent
derrière les partis politiques de leurs époux respectifs. Cette
situation s’expliquerait-t-elle par les pesanteurs culturelles qui
les relèguent aux seconds rôles ou par le fait qu’elle ne dispose
pas d’assez de temps pour s’y consacrer sérieusement ? Il est
difficile de donner une réponse précise. Mais l’on constate
cependant avec bonheur que depuis quelques années, les
femmes semblent de plus en plus s’intéresser à la chose
politique et souhaiteraient qu’on leur permette d’intégrer les
instances y relatives.
En conclusion, il convient de dire que les finalités du
développement telles qu’elles sont vécues dans les différentes
sociétés, sont avant tout socioculturelles et que la logique de
production proposée par des projets, ne tenant pas compte de
ces réalités et surtout des spécificités d’une catégorie vulnérable
que sont les femmes, est un facteur d’échec.
Françoise DOUDOU
Sociologue/CODASC Caritas Garoua
5
Après le coton, l’affirmation de la femme
dans l’économie rurale dans le Mayo-Kani.
Ils semblent désormais révolus, ces beaux
jours de la vente du coton au cours desquels les chefs
de famille démontraient leur pouvoir économique.
C’était l’occasion de jouer pleinement leur rôle de
chef en décidant de l’usage de la rente cotonnière.
D’ailleurs, il ne pouvait en être autrement, car les
champs de coton étaient la propriété exclusive de
l’homme qui utilisait sans difficulté la main d’œuvre
familiale (femmes et enfants). Cette dernière exerçait
ce rôle sans plainte en espérant un pagne pour
l’épouse à la récolte et quelques cahiers pour les
enfants à l’école. La gestion du reste de la rente
dépendait du pouvoir discrétionnaire du chef de
famille qui pouvait décider pour le bien de tous, de
recruter une nouvelle main d’œuvre, une nouvelle
épouse par exemple. La chute des cours du coton va
perturber cette économie rurale basée sur la culture
du coton. Le genre masculin qui en avait fait sa chasse
gardée va perdre une source de revenu capitale. Plus
de revenu financier sûr ! Pourtant les besoins
familiaux demeurent : nutrition, santé, scolarité,
vestimentaire.
La participation de la femme devient salutaire. Du
petit commerce au capital insignifiant à l’émergence
du vivrier marchand, la femme occupe les premiers
rangs. Vendeuses ambulantes de cola, de cigarette, de
bouillon de viande ou de niébé, de poisson ;
vendeuses de bili-bili … vont alimenter une économie
d’épargne
caractérisée
par
les
tontines
hebdomadaires. Les jours de marchés hebdomadaires
et les dimanches après-midi sont marqués par de
petites réunions dont le point focal est une cotisation
rotative. Les gains cycliques (durée du cycle
dépendant du nombre d’adhérant) peuvent parfois
atteindre les centaines de mille (FCFA).
L’élevage du petit bétail n’est pas du reste. Le
La lettre du MayoMayo-Kani
N° 4
gros bétail étant pour l’essentiel la
propriété de l’homme (paire de bœufs
achetés grâce à la cotonculture), le petit
bétail représente l’épargne féminine
pour de nombreuses familles. L’élevage
porcin constitue un exemple concret. Le
rôle joué par les ONG dans
l’encadrement de cette actrice est
parfois bénéfique lorsqu’il est bien
mené. D’ailleurs là encore, les femmes
semblent être les mieux averties car
elles sont parmi les premières à se
regrouper en GIC, cette pratique
s’apparentant aux tontines déjà
encrées dans leur vécu.
Aujourd’hui,
elles
sont
nombreuses, ces femmes qui prennent
en charge les principaux besoins
familiaux :
santé,
scolarité
et
vestimentaire et même parfois
nutrition. Les hommes ont la peine à
s’adapter à cette mutation profonde de
l’économie rurale.
L’affirmation de la femme va audelà de l’économie. On découvre des
gestes de solidarité louables dans un
milieu où l’entraide est fondamentale.
Parfois encadrées par les autorités
religieuses, celles-ci définissent des
pratiques de solidarité à l’intérieur des
associations. C’est notamment le cas
des
« femmes
catholiques »
nombreuses dans les villages dont les
œuvres sociales marquent de plus en
plus la vie rurale. En attendant, on est
en droit de se poser la question « Où
sont les hommes ? »
Félix WATANG ZIEBA, Ph.D/Géographe
Université de Maroua
Chers lectrices et lecteurs de la Lettre
du Mayo-Kani, contribuez à la
publication des prochains numéros, en
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6
Le dilemme de la femme au Mayo-Kani
Avec ses 338.448 habitants inégalement
repartis sur une surface de 5033 Km2, le
Département du Mayo-Kani est moyennement
peuplé. Comme ailleurs dans le pays, les femmes
comprennent environ 52% de cet effectif. S’il est
assez difficile de donner avec exactitude les
statistiques concernant leurs contributions au
développement des sociétés locales ainsi que les
biens qu’elles en tirent, les quelques données
disponibles permettent néanmoins de dresser un
bilan effrayant. Le premier qu’on peut faire est
qu’il est bien révolu le temps de la femme au
foyer. En effet, au Mayo-Kani, les hommes,
notamment en ce XXIe siècle ne peuvent plus
prétendre être les seuls producteurs et
responsables. En phase avec les données
statistiques récentes du reste du monde entier,
un examen de la situation locale montre que ce
sont les femmes, catégorie sociale assez ignorée,
qui de plus en plus supportent la famille, veillent
sur son hygiène et fournissent nourriture et
soins.
De surcroît, elles contribuent
considérablement au revenu familial. L’on pense
qu’en réalité, les femmes au Mayo-Kani assurent
60% du travail agricole, 50% de l’élevage et une
bonne partie de la production alimentaire. Dans
les zones strictement rurales du Département,
elles travaillent en moyenne 2600 heures par an
dans l’agriculture, contre 1800 pour les hommes.
Sans exagérer, on peut se convaincre qu’en
prenant en compte le travail non rémunéré et
« invisible » effectué par les femmes dans le
cadre strictement domestique, leur part dans le
PIB local pourrait être évaluée à environ 45 à
48%. Pourtant, la presque totalité de ce travail
n’est pas reconnue.
En effet, lorsque l’on pense aux femmes
aujourd’hui dans le Département du Mayo-Kani,
il est difficile de ne pas évoquer l’oppression dont
elles sont le plus souvent l’objet. En ce qui
concerne autant le travail rétribué que le travail
non rémunéré, la discrimination frappe les
femmes qui sont généralement considérées
comme de la main-d’œuvre bon marché. Dans le
cadre du travail rétribué, les femmes à Kaélé,
Guidiguis, Moutourwa, Mindif, Moulvoudaye,
Porhi et Taïbong, tous arrondissements du MayoKani, se voient généralement offrir les emplois
les plus mal payés ou, lorsqu’elles échappent au
travail féminin stéréotypé, elles sont moins bien
rémunérées que leurs homologues masculins
La lettre du MayoMayo-Kani N° 4
pour un travail comparable. Selon une source
rencontrée sur place, les rares ouvrières de l’usine
d’égrenage SODECOTON de Kaélé touchent près de
50% de moins que les hommes.
Par ailleurs, l’analphabétisme est un facteur
clé de l’aliénation des femmes au Mayo-Kani. Presque
trois femmes sur cinq y sont illettrées, notamment en
milieu rural, soit une proportion beaucoup plus
élevée que pour les hommes. Toutefois, on note pour
s’en féliciter que la tendance est depuis la fin des
années 90, entrain d’être corrigée en faveur des
femmes. Le Mayo-Kani est aujourd’hui sur le plan
national, l’un des Départements où l’on compte le
plus de femmes instruites et notamment dans les
universités publiques et privées. Bon nombre de ces
femmes exercent dans la fonction publique
notamment dans les secteurs de l’éducation
(enseignement) où elles sont les plus nombreuses,
dans les forces de défense et police et rarement dans
le journalisme, la justice, la haute administration.
Aujourd’hui encore, une toute petite fraction de
femmes est activement engagée dans la politique.
Depuis l’Honorable Fadimatou Damdam, députée du
Mayo-Kani au cours des législatures 1988-1992 et
1992-1997 et qui a été « débarquée » en 1997 pour
des raisons beaucoup plus machistes et
phallocratiques que « compétentielles » d’après
certains, alors qu’elle était candidate à un troisième
mandat qui lui aurait assurée la pension de retraite et
d’autres avantages , il n y a plus eu de femmes
députée au Mayo-Kani ni leader d’une quelconque
formation politique. A ce jour, on n’en trouve aucune
dans la Diplomatie.
Auparavant, le manque d’instruction était
étroitement lié aux autres facteurs de privation,
comme la pauvreté et la malnutrition et aux facteurs
culturels tels que la ségrégation sexuelle. Grâce à leur
accès aux formations supérieures, qui accroît leurs
perspectives d’emplois, les femmes du Mayo-Kani
empiètent peu à peu sur les territoires des hommes
en prenant des initiatives dans le secteur du travail et
timidement dans les mouvements politiques. Ce
faisant, elles se voient ouvrir avec beaucoup de
parcimonie encore de nouvelles portes d’accès au
pouvoir. Leur principal défi aujourd’hui est d’obtenir
des hommes qu’ils partagent avec elles le pouvoir
politique et …financier au plan local. Ce qui n’est pas
gagné d’avance dans une société ultraconservatrice
et traditionaliste. /Alain Désiré TAÏNO KARI/Diplomate/ Politologue et
Historien/MINREX/Yaoundé
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