N° 04 L’édito … Pour un monde meilleur. Economie rurale et urbaine Education Santé Politique Filles et fils du Mayo-Kani, quel développement pour notre cher département ? Je voudrais, dans cet autre numéro de votre journal, entretenir les lectrices et les lecteurs sur la question de développement, un mot qui revient dans nos bouches tous les jours, un mot très utilisé. Aussi bien dans les causeries, les services publics, à l’école, les réunions et campagnes politiques que dans les assemblées des villages, ce mot revient, il mobilise. Mais au juste, savonsnous réellement ce qu’il signifie ? Avons-nous pris la peine de mesurer la noblesse de ce mot qui a fini par diviser toute la planète terre en pays développés d’une part et les pays en voie de développement, les pays sous-développés de l’autre. Nous nous sommes résolument inscrits aussi à l’école du développement, mais au juste, pouvons-nous réellement nous développer ? Sans verser dans des définitions savantes, le développement est entendu ici comme le progrès, l’ensemble des actions qui concourent à l’amélioration des conditions de vie, au bien-être. Disposons-nous des aptitudes susceptibles de nous propulser vers l’avant, vers le progrès, vers l’amélioration des conditions de vie dans notre région ? Je suis un tout petit peu dubitatif en ce qui nous concerne au Mayo-Kani. Je voudrais partir d’une hypothèse selon laquelle, pour développer, il faut d’abord être développé soi-même ou bien il faut se développer. Alors, sommes-nous développés dans le Mayo-Kani ? Je crois qu’il est juste de répondre par la négative, si je m’en tiens à mes nombreuses investigations, observations depuis quelques années sur l’ensemble des villes et villages. Il existe jusque-là très peu de personnes développées dans le Mayo-Kani, d’où la difficulté pour ce département de se développer à son tour. Plusieurs arguments militent en faveur de mon point de vue que certains trouveront peut-être erroné ou provocateur. Une attention particulière dans notre région montre des choses qui remettent en cause la notion même du souci du progrès, du développement. Peut-on dire qu’on est développé lorsque le mal nous a envahis ? Par mal ici, j’entends des comportements qui déshumanisent, qui nous font reculer au lieu d’avancer. Combien sont-ils, ces filles et fils du Mayo-Kani qui considèrent leurs semblables comme des ennemis à abattre à tout prix ? Ils sont nombreux, ceux qui refusent que les gens émergent dans leurs villages, que des gens disposent des biens, occupent des responsabilités importantes à un certain niveau de la société. On ne peut pas compter ceux qui disposent des armes mystiques plus dangereuses que la bombe atomique, des individus prêts à décréter la mort de telle ou telle personne par jalousie. Peut-on compter des personnes de grande valeur qui ont disparu par cette voie ignoble ? D’autres veulent qu’on ne parle que d’eux, aussi bien au niveau de leurs familles, de leurs villages que de leurs régions, faisant alors tout pour écarter ceux qui aspirent à être comme eux par quelques moyens que ce soit. Beaucoup d’élites traditionnelles, d’élites intérieures et extérieures sont à ranger dans cette catégorie, faisant comme si elles allaient demeurer éternelles sur cette terre. Mettons dans ce registre tous ceux qui refusent que des projets d’intérêt social soient mis en place dans le Mayo-Kani alors qu’ils en ont la possibilité, préférant édifier, aux fonds des villages, des châteaux qui côtoient des habitations misérables dont les propriétaires, totalement démunies, vivent dans l’incertitude totale, des lendemains sans la garantie d’avoir de quoi manger chaque jour. Ceux qui attendent les campagnes électorales pour investir des sommes faramineuses dans le seul but de faire boire et rendre ivres les villageois, les jeunes gens et acheter ainsi leurs consciences alors que ces sommes serviraient à construire des écoles, des routes, des centres de santé, à établir des certificats de naissance à beaucoup d’enfants qui n’en ont pas et ne peuvent convenablement faire l’école, manquant de fournitures les plus élémentaires, disposent-ils d’un tout petit esprit de développement ? N’oublions pas de dénoncer ceux qui détournent les projets salvateurs destinés à notre région ou nos villages ou bien sabotent la bonne marche des comités de développement, soit en détournant de l’argent, soit en alimentant expressément des conflits stériles. Nombreuses sont les élites qui veulent faire croire qu’elles sont les plus importantes de la région et que sans elles, La lettre du MayoMayo-Kani N° 4 rien n’est possible et qu’après eux ce sera un déluge sans précédent. Sommes-nous développés quand nous nous bataillons pour des inutilités au point où nous frisons le ridicule dans une République qui n’aspire qu’au progrès? Ceux qui passent leur temps à détruire les infrastructures de grande importance édifiées dans nos villes à l’instar du beau lycée de Kaélé, l’Ecole Normale d’Instituteurs sur la route de Doumrou où il ne reste plus que des murs, ceux qui détruisent les forages qui font vivre des milliers de personnes en enlevant des pièces pour revendre ailleurs, ont-ils un tout petit sens du mot développement ? Ils sont incomptables, ceux qui brandissent l’ethnicité ou l’ethnisme, la famille, le village, la religion à tout bout de champ, comme si en dehors de leurs groupes d’appartenance, il n’existe plus que des animaux, les autres étant relégués au second plan. Tous ces fils du Mayo-Kani qui ont fait du vin leur nourriture prioritaire, passant leurs carrières à en consommer au point d’avoir des problèmes pour entretenir leurs familles combien de fois investir, et finir souvent par mourir précocement alors que disposant des grandes capacités avérées, sont-ils développés ? Peut-on avancer un chiffre exact de ceux-là qui en sont soit morts, soit qui ont perdu leur travail ou humiliant les leurs, parce qu’ivres tous les jours dans les rues. La liste est longue, car si on se met à citer toutes ces personnes qui ont ce genre d’attitudes rétrogrades, tout un livre en sortirait. Vu sous l’angle de tout ce qui précède, je crois que vous conviendrez bien avec moi que la notion de développement est loin d’être une réalité dans un tel contexte, un contexte caractérisé par des comportements qui témoignent de notre esprit sous-développé. Il faut qu’on prenne conscience de cet état de choses, de mauvaises attitudes qui nous aveuglent jusque-là. On ne peut pas développer tant qu’on n’est pas développé en soi-même, tant qu’on n’a pas décidé de se développer. C’est dire qu’il y a un gros défi qui nous interpelle, filles et fils du Mayo-Kani sans exception, un défi que chacun doit relever à son niveau, un défi de conscience. La question à se poser et qui doit nous guider, c’est celle de se demander à quelle catégorie appartenons-nous ? Sous-développés, moins développés ou développés ? Chacun doit faire cette introspection profonde et sincère, une remise en cause sans complaisance pour se situer. S’il est une chose qu’il ne faudrait pas 2 perdre de vue, c’est que le développement doit forcément passer par nous, notre façon de penser, d’agir, de construire, notre sens d’engagement. Cela nécessite des préalables dont le développement de soi-même. Lorsque nous allons réussir à nous développer, le dialogue sera facile, de même que la collaboration qui donnera naissance à une convergence des idées qui puissent véritablement permettre de bâtir, de développer. Cette triste réalité qui nous caractérise malheureusement jusqu’ici doit nous résoudre à changer. Vous constatez avec moi que la route qui mène au développement est encore très longue dans notre région et il n’est pas exagéré de dire que nous ne savons même pas encore là où elle commence. Il y a donc nécessité et urgence que de gros efforts soient faits pour entamer la bataille, la vraie bataille du développement. Cessons de faire le semblant, l’hypocrite comme si nous sommes développés et que nous voulons développer, alors que ce n’est point le cas. Filles et fils du Mayo-Kani, de Goundaï, Guidigis à Moutourwa en passant par Kaélé, Mindif, Moulvoudaye et environs, allons vite, très vite à l’école du développement pour développer notre cher et beau département qui, je le disais tantôt, est perçu de l’extérieur comme un eldorado. L’heure du changement est à nos portes et vivement qu’on change effectivement pour que notre département change avec, car personne d’autre ne viendra le développer, soyons-en sûrs. Si des pays, des régions, des villages sont en train de changer, de se distinguer, d’aller de l’avant, c’est parce que toutes les forces vives qui ont une marge de pouvoir sont allées à l’école du développement pour se mettre résolument à développer. Femmes, hommes, élites politiques, traditionnelles, religieuses, toutes et tous, le défi qui nous interpelle, c’est celui de nous développer pour développer le Mayo-Kani qui est agonisant, qui a une face hideuse. Telle est la réflexion que je voudrais bien partager avec vous en ce début d’année 2011. Bonne et heureuse année de santé, d’amour, de détermination au travail, de prise de conscience de la nécessité de développer véritablement notre région et de prospérité à tous. Que Dieu nous bénisse et nous fasse changer positivement ! Tribune du savoir De nouveaux galons pour l’intelligentsia du Mayo Kani Après la nomination de ses dignes fils à la tête des deux grandes écoles de l’Université de Maroua, les Prs. SAIBOU ISSA à l’Ecole Normale Supérieure de Maroua en 2008 et KOLYANG DINA TAIWE à l’Institut Supérieur du Sahel en 2010, le premier cité vient d’accéder au prestigieux grade de Professeur. Il en est de même pour Clément DILI PAlAI, Chef du Département des Langues Etrangères au sein de la même école, au grade de Maître de Conférences tandis que Kouninki ABIBA, Armand ABDOU BOUBA et Jean GORMO, deviennent Chargés de Cours. Patrice PAHIMI, Armel SAMBO (Histoire) et Félix WATANG ZIEBA (Géographie), ont défendu avec brio leurs thèses de Doctorat/Ph D. L’équipe rédactionnelle de la Lettre du Mayo-Kani leur adresse ses plus chaleureuses félicitations. La lettre du Mayo Mayoayo-Kani N° 4 3 Femmes et dynamique endogène de développement dans l’arrondissement de Kaélé Elles sont nos mères, elles sont nos épouses et elles sont de plus en plus de véritables vecteurs de développement. On a été habitué à les voir sous la « dépendance » des hommes, bien qu’étant en réalité leurs bras séculiers. Une nouvelle génération de femmes est entrain d’émerger, de s’affirmer dans divers domaines de la vie publique. Il ne s’agit pas de ces femmes « prétendument » émancipées, de ces femmes politiques emportées par la mouvance du temps et davantage préoccupées à soigner leur image externe, mais bien de ces femmes rurales aujourd’hui déterminées à écrire une nouvelle page d’histoire du Mayo-Kani. Nombreuses sont celles qui jouent avec efficacité le rôle de « mère-père » de familles, surtout dans une société où la mode est à la démission des hommes de leurs missions régaliennes. Ces dernières ont en effet développé des itinéraires palliatifs pour sauver leur progéniture de la débâcle sociale, de l’abandon. Aussi s’investissent-elles de plus en plus dans une agriculture de masse. La taille des exploitations agricoles féminines s’est considérablement accrue ces dernières décennies. Elles ne font plus dans la simple production des légumes, de l'arachide, mais de plus en plus dans la production cotonnière. Elles parviennent ainsi à couvrir les charges alimentaires de la famille, payer les frais de scolarité de leurs enfants. En dépit de la scolarisation plus ou moins appréciable de certaines localités de la région du Mayo-Kani, force est cependant de souligner que les femmes sont mieux que les hommes à accompagner les efforts de leurs enfants, surtout quand cela exige de plus grands sacrifices. Outre l’agriculture et l’élevage classiques, certaines femmes ont développé des itinéraires qui participent de l’économie de la survie, de la débrouillardise. Chaque jour sur l’axe Boboyo-Kaélé par exemple, on peut encore rencontrer en cette ère dite d’émancipation économique, des femmes transportant à des fins d’écoulement, de lourds fagots de bois sur leurs têtes. Ces femmes travaillent dans la souffrance pour sauver la face, combler le déficit alimentaire de leurs foyers. Il se dit que certaines, grâce à ces efforts titanesques, ont réussi pendant de longues années à pourvoir leurs enfants en fournitures scolaires. D’autres ont exploré et réussi à s’intégrer dans le circuit de vente des ustensiles de cuisine et autres, sans oublier celles qui font dans le trafic et la vente des poissons frais ou fumés, exposant ainsi leurs vies sur les axes non moins La lettre du MayoMayo-Kani N° 4 dangereux de Banki ou de Badadji. Elles sont à juste titre devenues, des patronnes de l’économie de la débrouille qui, dans la localité de Kaélé constitue plus ou moins leur chasse-gardée. La volonté et la détermination de ces femmes battantes devenues par la force des choses mères et pères de familles, ont servi de tremplin à certaines ONG préoccupées par l’amélioration des conditions de vie des ménages. Leur intervention s’avère plutôt dans une certaine mesure salutaire. L’idée d’un regroupement des femmes en groupements d’initiatives communes est encouragée. De nombreux projets sont en cours d’expérimentation dans certains villages des environs de Kaélé. Heifer International par exemple, grâce à son appui, a permis à de nombreuses femmes de s’investir dans l’élevage, soit de porcs soit de moutons. Les conditionnalités de cet organisme sont cependant assez strictes, parce que axées sur la cohésion sociale ; chaque femme devant avoir au préalable l’aval de son époux avant de se lancer dans le projet. D’autres projets soutiennent ces femmes rurales dans la mise en place des exploitations agricoles communes. Dans la localité de Boboyo, certains groupements de femmes expérimentent avec succès depuis bientôt deux ans la culture de l’oignon. Pour garantir la pérennité de ces entreprises locales, des mesures d’accompagnement sont mises en place. Outre le financement à faible taux d’intérêt de ces projets, on retrouve des initiatives allant dans le sens de l’alphabétisation de ces femmes qui sont pour l’essentiel d’illettrées. A Boboyo toujours, avec la coopération entre le Comité local de développement (CODEBO) et l’ONG allemande dénommée IDENTAFRICA, un centre communautaire est désormais disponible. Il suscite l’engouement pour divers apprentissages (couture, cuisine moderne, broderie, etc.). Pour tout dire, la femme rurale du MayoKani est en marche et cette nouvelle donne semble bousculer la hiérarchie sociale qui jusqu’ici, était tenue des mains de fer par les hommes et quelques courtisanes politiques. L’investissement de ces femmes rurales s’il est bien suivi et canalisé, pourrait à terme servir de tremplin à une réelle approche endogène de développement, donc d’épanouissement socioéconomique. Patrice PAHIMI, Ph.D/Historien/ Université de Maroua 4 Plaidoyer pour une juste place aux femmes dans le développement En jetant un regard critique sur le développement de l’arrondissement de Kaélé, l’on se soit de se demander où placer la femme dans un contexte où le développement n’est pas unique, mais plutôt une production des acteurs euxmêmes ? Le constat est que l’équilibre économique de cet arrondissement est fragile. Cela se vérifie au niveau du milieu lui-même, car situé du point de vue climatique dans une zone de chevauchement soudano-sahélien. La moyenne annuelle pluviométrique de ces dernières années est de 816 mm. Les associations fondées sur le modèle de « comités de développement » marquent la volonté d’insérer les cantons et villages dans le monde moderne. Cependant, ce fut un échec pour certains comités qu’on retrouve de nos jours dans chaque lawanat. A titre d’exemple, l’échec de la coopérative de Lara liée aux détournements et la mauvaise gestion, est illustratif pour marquer l’égoïsme individuel, d’où « la faillite du développement ». Les premières victimes de cette initiative furent les femmes qui s’étaient investi corps et âme pour l’entretien des vergers situés à Mazan. L’insuffisance des points d’eau potable dans les villages est une corvée pour ces femmes qui, peinent à longueur des journées à la recherche de l’eau. Les quelques puits qui existent, tarissent vite à cause de la faible moyenne pluviométrique. Ceci nous conduit à faire une analyse de tous les aspects de la position des femmes les unes par rapport aux autres et par rapport aux hommes dans un environnement traditionnel et religieux donné en tenant compte des comportements et des attentes des rôles qui leur sont reconnus par leur société. Les femmes représentent plus de la moitié de la population (54,2%) et effectuent les deux tiers du temps de travail. Leur rôle est essentiel, notamment en matière de production alimentaire. Mais, elles disposent de peu de ressources et sont en majorité analphabètes. Toutes les organisations intervenantes en faveur du développement s’accordent sur le fait qu’aucun progrès La lettre du MayoMayo-Kani N° 4 n’est possible sans l’implication des femmes. On constate qu’elles orientent davantage leurs revenus vers le bien-être familial, d’où l’impératif de leur accorder une attention toute particulière. Dans la ville de Kaélé, le gouvernement à travers le ministère de la promotion de la femme et de la famille, a créé un Centre de Promotion de la Femme et de la Famille (CPFF). Il convient aussi d’évoquer d’autres autre projets mis en place par l’Etat soutenu par des partenaires internationaux, à savoir le Projet de Réduction de la Pauvreté et Actions en faveur des Femmes dans la province de l’Extrême-Nord (PREPAFEN) et le Programme d’Amélioration du Revenu Familial et Rural des Provinces Septentrionales (PARFAR). D’autres ONG internationales et nationales à l’instar, de la Cellule d’Appui à la Formation Rurale (CAFOR), du Service d’Appui aux Initiatives Locales de Développement (SAILD), Africa Famine et Progrès (AFEP) dont le rôle est déterminant pour la dynamique des organisations paysannes en général, se sont intéressées à celles des femmes en particulier. S’agissant du PREPAFEN et du PARFAR qui sont arrivés au terme de leurs actions respectives dans la région, ils passaient par certaines ONG locales (département du Mayo-Kani) pour octroyer des crédits aux femmes. On peut se demander quel est l’impact de ces projets sur les femmes dans le Mayo- Kani ? Ontils contribué à améliorer leurs conditions de vie ? Difficile d’y répondre sans toutefois faire une investigation évaluative. Mais ce qui est vrai, ce que les difficultés que connaissent les femmes demeurent d’actualité. Les multiples activités qu’elles mènent (travaux de ménages, cultures céréalières, élevage du petit bétail, le petit commerce, de l’artisanat) ne sont pas trop considérées comme une forme de participation à la gestion des ressources familiales puisqu’elles ne leur permettent pas d’occuper une place de choix dans la société. S’il faut s’intéresser à l’implication de la femme dans la vie politique, il va sans dire qu’elle est moins importante, comparativement à l’homme. Dans la plupart des cas, les femmes de la région du Mayo-Kani nombreuses, s’alignent derrière les partis politiques de leurs époux respectifs. Cette situation s’expliquerait-t-elle par les pesanteurs culturelles qui les relèguent aux seconds rôles ou par le fait qu’elle ne dispose pas d’assez de temps pour s’y consacrer sérieusement ? Il est difficile de donner une réponse précise. Mais l’on constate cependant avec bonheur que depuis quelques années, les femmes semblent de plus en plus s’intéresser à la chose politique et souhaiteraient qu’on leur permette d’intégrer les instances y relatives. En conclusion, il convient de dire que les finalités du développement telles qu’elles sont vécues dans les différentes sociétés, sont avant tout socioculturelles et que la logique de production proposée par des projets, ne tenant pas compte de ces réalités et surtout des spécificités d’une catégorie vulnérable que sont les femmes, est un facteur d’échec. Françoise DOUDOU Sociologue/CODASC Caritas Garoua 5 Après le coton, l’affirmation de la femme dans l’économie rurale dans le Mayo-Kani. Ils semblent désormais révolus, ces beaux jours de la vente du coton au cours desquels les chefs de famille démontraient leur pouvoir économique. C’était l’occasion de jouer pleinement leur rôle de chef en décidant de l’usage de la rente cotonnière. D’ailleurs, il ne pouvait en être autrement, car les champs de coton étaient la propriété exclusive de l’homme qui utilisait sans difficulté la main d’œuvre familiale (femmes et enfants). Cette dernière exerçait ce rôle sans plainte en espérant un pagne pour l’épouse à la récolte et quelques cahiers pour les enfants à l’école. La gestion du reste de la rente dépendait du pouvoir discrétionnaire du chef de famille qui pouvait décider pour le bien de tous, de recruter une nouvelle main d’œuvre, une nouvelle épouse par exemple. La chute des cours du coton va perturber cette économie rurale basée sur la culture du coton. Le genre masculin qui en avait fait sa chasse gardée va perdre une source de revenu capitale. Plus de revenu financier sûr ! Pourtant les besoins familiaux demeurent : nutrition, santé, scolarité, vestimentaire. La participation de la femme devient salutaire. Du petit commerce au capital insignifiant à l’émergence du vivrier marchand, la femme occupe les premiers rangs. Vendeuses ambulantes de cola, de cigarette, de bouillon de viande ou de niébé, de poisson ; vendeuses de bili-bili … vont alimenter une économie d’épargne caractérisée par les tontines hebdomadaires. Les jours de marchés hebdomadaires et les dimanches après-midi sont marqués par de petites réunions dont le point focal est une cotisation rotative. Les gains cycliques (durée du cycle dépendant du nombre d’adhérant) peuvent parfois atteindre les centaines de mille (FCFA). L’élevage du petit bétail n’est pas du reste. Le La lettre du MayoMayo-Kani N° 4 gros bétail étant pour l’essentiel la propriété de l’homme (paire de bœufs achetés grâce à la cotonculture), le petit bétail représente l’épargne féminine pour de nombreuses familles. L’élevage porcin constitue un exemple concret. Le rôle joué par les ONG dans l’encadrement de cette actrice est parfois bénéfique lorsqu’il est bien mené. D’ailleurs là encore, les femmes semblent être les mieux averties car elles sont parmi les premières à se regrouper en GIC, cette pratique s’apparentant aux tontines déjà encrées dans leur vécu. Aujourd’hui, elles sont nombreuses, ces femmes qui prennent en charge les principaux besoins familiaux : santé, scolarité et vestimentaire et même parfois nutrition. Les hommes ont la peine à s’adapter à cette mutation profonde de l’économie rurale. L’affirmation de la femme va audelà de l’économie. On découvre des gestes de solidarité louables dans un milieu où l’entraide est fondamentale. Parfois encadrées par les autorités religieuses, celles-ci définissent des pratiques de solidarité à l’intérieur des associations. C’est notamment le cas des « femmes catholiques » nombreuses dans les villages dont les œuvres sociales marquent de plus en plus la vie rurale. En attendant, on est en droit de se poser la question « Où sont les hommes ? » Félix WATANG ZIEBA, Ph.D/Géographe Université de Maroua Chers lectrices et lecteurs de la Lettre du Mayo-Kani, contribuez à la publication des prochains numéros, en envoyant vos textes à l’adresse : [email protected] 6 Le dilemme de la femme au Mayo-Kani Avec ses 338.448 habitants inégalement repartis sur une surface de 5033 Km2, le Département du Mayo-Kani est moyennement peuplé. Comme ailleurs dans le pays, les femmes comprennent environ 52% de cet effectif. S’il est assez difficile de donner avec exactitude les statistiques concernant leurs contributions au développement des sociétés locales ainsi que les biens qu’elles en tirent, les quelques données disponibles permettent néanmoins de dresser un bilan effrayant. Le premier qu’on peut faire est qu’il est bien révolu le temps de la femme au foyer. En effet, au Mayo-Kani, les hommes, notamment en ce XXIe siècle ne peuvent plus prétendre être les seuls producteurs et responsables. En phase avec les données statistiques récentes du reste du monde entier, un examen de la situation locale montre que ce sont les femmes, catégorie sociale assez ignorée, qui de plus en plus supportent la famille, veillent sur son hygiène et fournissent nourriture et soins. De surcroît, elles contribuent considérablement au revenu familial. L’on pense qu’en réalité, les femmes au Mayo-Kani assurent 60% du travail agricole, 50% de l’élevage et une bonne partie de la production alimentaire. Dans les zones strictement rurales du Département, elles travaillent en moyenne 2600 heures par an dans l’agriculture, contre 1800 pour les hommes. Sans exagérer, on peut se convaincre qu’en prenant en compte le travail non rémunéré et « invisible » effectué par les femmes dans le cadre strictement domestique, leur part dans le PIB local pourrait être évaluée à environ 45 à 48%. Pourtant, la presque totalité de ce travail n’est pas reconnue. En effet, lorsque l’on pense aux femmes aujourd’hui dans le Département du Mayo-Kani, il est difficile de ne pas évoquer l’oppression dont elles sont le plus souvent l’objet. En ce qui concerne autant le travail rétribué que le travail non rémunéré, la discrimination frappe les femmes qui sont généralement considérées comme de la main-d’œuvre bon marché. Dans le cadre du travail rétribué, les femmes à Kaélé, Guidiguis, Moutourwa, Mindif, Moulvoudaye, Porhi et Taïbong, tous arrondissements du MayoKani, se voient généralement offrir les emplois les plus mal payés ou, lorsqu’elles échappent au travail féminin stéréotypé, elles sont moins bien rémunérées que leurs homologues masculins La lettre du MayoMayo-Kani N° 4 pour un travail comparable. Selon une source rencontrée sur place, les rares ouvrières de l’usine d’égrenage SODECOTON de Kaélé touchent près de 50% de moins que les hommes. Par ailleurs, l’analphabétisme est un facteur clé de l’aliénation des femmes au Mayo-Kani. Presque trois femmes sur cinq y sont illettrées, notamment en milieu rural, soit une proportion beaucoup plus élevée que pour les hommes. Toutefois, on note pour s’en féliciter que la tendance est depuis la fin des années 90, entrain d’être corrigée en faveur des femmes. Le Mayo-Kani est aujourd’hui sur le plan national, l’un des Départements où l’on compte le plus de femmes instruites et notamment dans les universités publiques et privées. Bon nombre de ces femmes exercent dans la fonction publique notamment dans les secteurs de l’éducation (enseignement) où elles sont les plus nombreuses, dans les forces de défense et police et rarement dans le journalisme, la justice, la haute administration. Aujourd’hui encore, une toute petite fraction de femmes est activement engagée dans la politique. Depuis l’Honorable Fadimatou Damdam, députée du Mayo-Kani au cours des législatures 1988-1992 et 1992-1997 et qui a été « débarquée » en 1997 pour des raisons beaucoup plus machistes et phallocratiques que « compétentielles » d’après certains, alors qu’elle était candidate à un troisième mandat qui lui aurait assurée la pension de retraite et d’autres avantages , il n y a plus eu de femmes députée au Mayo-Kani ni leader d’une quelconque formation politique. A ce jour, on n’en trouve aucune dans la Diplomatie. Auparavant, le manque d’instruction était étroitement lié aux autres facteurs de privation, comme la pauvreté et la malnutrition et aux facteurs culturels tels que la ségrégation sexuelle. Grâce à leur accès aux formations supérieures, qui accroît leurs perspectives d’emplois, les femmes du Mayo-Kani empiètent peu à peu sur les territoires des hommes en prenant des initiatives dans le secteur du travail et timidement dans les mouvements politiques. Ce faisant, elles se voient ouvrir avec beaucoup de parcimonie encore de nouvelles portes d’accès au pouvoir. Leur principal défi aujourd’hui est d’obtenir des hommes qu’ils partagent avec elles le pouvoir politique et …financier au plan local. Ce qui n’est pas gagné d’avance dans une société ultraconservatrice et traditionaliste. /Alain Désiré TAÏNO KARI/Diplomate/ Politologue et Historien/MINREX/Yaoundé 7