La Lettre du Neurologue - n° 7 - vol. V - septembre 2001 307
! Anatomiquement,les études neuropathologiques post mor-
tem chez un dysphasique (Cohen et al., 1989) et chez cinq
dyslexiques avec troubles du langage oral (Galaburda et al.,
1985) ont documenté des lésions cérébrales dysplasiques de la
région périsylvienne unilatérale gauche associées à une
absence de l’asymétrie physiologique du planum temporal.
L’absence de l’asymétrie cérébrale physiologique n’est pas liée
à un planum temporal gauche trop petit, mais à un planum tem-
poral droit excessivement gros, n’ayant pas subi son involution.
Ces arguments sont évidemment ponctuels, mais l’hypothèse
d’une particularité “anatomique”, témoin d’un “cerveau singu-
lier” chez les enfants dysphasiques a une certaine cohérence
(pour revue, Habib, 1997). Pour diverses raisons génétiques ou
sporadiques, des troubles de la migration neuronale dans la
zone dévolue au langage pourraient être responsables d’une
non-involution du planum temporal droit et d’une insuffisance
de tous les réseaux dendritiques à partir des neurones hétéro-
topiques. Ces arguments ont été confirmés par les études
récentes en IRM, qui n’ont pas mis en évidence de lésions
focales mais ont montré l’absence d’asymétrie cérébrale phy-
siologique (Jernigan et al., 1991 ; Plante et al., 1991). Ces élé-
ments suggèrent une anomalie de la spécialisation hémisphé-
rique anatomique, en rapport avec diverses étiologies.
! Les études récentes en imagerie fonctionnelle concernent le
plus souvent la dyslexie (pour revue, Habib, 1997) et non la
dysphasie. Néanmoins, l’étude du débit sanguin (SPECT) (Chi-
ron et al., 1998) va dans le même sens d’un trouble de la spé-
cialisation hémisphérique. Le ratio du débit hémisphérique
gauche sur le droit n’est pas supérieur à 1, et la stimulation
hémisphérique gauche en écoute dichotique n’est pas normale.
! Les études électrophysiologiques donnent des résultats
contradictoires (Duvelleroy-Hommet et al., 1995 ; pour revue,
Billard, 1996). Tous les auteurs sont d’accord sur la fréquence
plus élevée de paroxysmes intercritiques dans une population
de dysphasiques par rapport à une population contrôle.
En revanche, la proportion des enfants dysphasiques avec de
tels paroxysmes est discutée, ainsi que la fréquence des anoma-
lies et leur signification. Une responsabilité directe des
paroxysmes dans le trouble du langage, à l’image du syndrome
de Landau-Kleffner, paraît exceptionnelle, et aucun cas d’amé-
lioration du langage secondaire à la disparition des paroxysmes
n’a été rapporté.
! Les aspects génétiques,s’ils n’offrent pas non plus une explica-
tion universelle, sont certainement une voie de recherche dans
l’avenir. Les descriptions de cas familiaux (Billard et al., 1994)
ont en commun de décrire une homogénéité intrafamiliale du défi-
cit linguistique, la coexistence dans la fratrie d’enfants sains et tou-
chés, et l’atteinte d’un des deux parents. Ces arguments pour une
théorie génétique de certaines dysphasies méritent d’être rappro-
chés des travaux effectués dans les dyslexies et, en particulier, des
découvertes récentes d’un trait sur le chromosome 6 lié aux dys-
lexies familiales et d’un gène pathologique en 7q31, appelé
“speech 1” (Fisher et al., 1998) dans une grande famille dont les
membres présentaient des troubles phonologiques massifs.
CONCLUSION
Le “générique” des dysphasies de développement mérite d’être
reconnu. Le diagnostic est relativement simple à évoquer, mais
il n’est souvent confirmé que tardivement, au prix d’investiga-
tions neuropsychologiques précises et répétées. Les consé-
quences thérapeutiques en sont fondamentales. Beaucoup reste
à faire : concernant la sémiologie, en s’aidant des connais-
sances sur le développement psycholinguistique ; concernant
les étiologies, sans rien négliger, ni de “l’histoire” de l’enfant,
ni des techniques actuelles, qui évoquent un trouble de la spé-
cialisation hémisphérique d’origines diverses, génétique, anté-
natale, voire épileptique ; concernant la prise en charge, qui
doit progresser pour permettre à ces enfants dysphasiques sans
pathologie mentale ni psychiatrique d’accéder à l’avenir pro-
fessionnel et socio-affectif qu’ils méritent. Bien que les dys-
phasies soient relativement rares, leur reconnaissance, associée
à la mise en place dans chaque région de structures pluridisci-
plinaires adaptées, s’avère indispensable à l’amélioration de
leur pronostic. "
R
ÉFÉRENCES
B
IBLIOGRAPHIQUES
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