Plate-forme : troubles du langage I
du langage n’est pas toujours facile :
le diagnostic différentiel avec une
paralysie des effecteurs est évident, de
même qu’avec la surdité et les patho-
logies de la communication. Les diffi-
cultés comportementales posent plus
de problèmes. La dysphasie, qui prive
l’enfant de son moyen le plus riche
d’expression et le met en échec, peut
générer des troubles comportementaux
tels l’isolement, la marginalisation
mais aussi l’hyperkinésie.
Clinique
Les aspects sémiologiques des dys-
phasies ont des éléments quasi
constants et d’autres très variables
selon les enfants et leur âge. Les
symptômes communs touchent la per-
ception et l’expression.
La perception
Les troubles perceptifs concernent la
discrimination des sons proches
(“canif” et “caniche”), la capacité à
segmenter une phrase en mots
(“le/garçon/joue”) ou un mot en syl-
labes (“ra/pi/de”). Plus récemment,
Tallal et ses collaborateurs ont décrit
l’existence d’un trouble du traitement
séquentiel de la parole. Lorsqu’on
présente à un enfant dysphasique une
séquence de deux sons successifs
(“ba” et “da”) avec une rapidité de
passage du “b” au “a”, variant de
quatre secondes à quelques milli-
secondes, seules les séquences sépa-
rées par un temps d’au moins 400 milli-
secondes sont discriminées, alors que
l’enfant “normal” discriminera les
séquences séparées par un intervalle
de 8 millisecondes.
L’ e xpression
Les troubles du langage oral les plus
constants concernent l’expression, et
essentiellement sa phonologie et sa
syntaxe. Les troubles phonologiques
sont, en général, majeurs et persis-
tants. Les enfants dysphasiques font
souvent des erreurs au niveau de
l’articulation des consonnes présen-
tées isolément, comme le “g” pro-
noncé “d”. Mais le trouble phonolo-
gique se caractérise surtout au niveau
du mot par des simplifications
(“brouette” : “buette”) qui peuvent
aller jusqu’à la production d’une
voyelle isolée (“chapeau” : “o”). Il
s’agit aussi d’élisions des fins de mots
ou des débuts de mots (“poire” : “oir”
ou “poi”), d’inversions de sons
(“près”: “per”), d’assimilations (“allu-
mette” : “amumette”), de substitutions
(“ciseau” : “kiso”), de complexifi-
cations (“ami” : “alimi”) ou encore
d’approches phonémiques (“radis” :
“ra..rami..rapi..radis”) qui contribuent
à rendre le langage peu intelligible.
Les troubles syntaxiques sont aussi
constants dans le langage spontané,
induit par des images ou en répétition.
La simplification de la syntaxe per-
siste parfois très tard (“elle la lèche
avec sa langue” produit “langue
lécher”). Ailleurs, le non-respect de
l’ordre des mots, l’absence des “petits
mots” (article, pronom, etc.), l’utilisa-
tion de structures erronées (“un table”,
ou “des cheval”), l’absence de flexion
verbale signent l’agrammatisme décrit
dans la littérature. Mickael, 10 ans,
produit “cheval attend bientôt bébé”
en répétition de “on a vu que le cheval
attendait un bébé pour bientôt” et “na
pond na œufs” pour “ça pond des
œufs”. Le déficit en grammaire peut
altérer aussi la compréhension syn-
taxique. Certaines phrases, comme “le
livre sur la table est marron”, amènent
l’enfant dysphasique à montrer
l’image avec une table marron, ses
stratégies de compréhension reposant
avant tout sur l’ordre des mots...
Malgré la pauvreté de son langage,
l’enfant dysphasique sait se faire com-
prendre.
À côté de ces signes quasi constants
de la dysphasie, la variabilité de la
gravité et de l’importance relative des
symptômes explique une grande
diversité.
Tous les observateurs rentrant dans
une structure spécialisée pour enfants
dysphasiques sont frappés par le
“concept”, tant ces enfants sont parti-
culiers, à la fois caractérisés par le
contraste entre leurs capacités intellec-
tuelles et de communication et par le
peu d’intelligibilité du langage. Mais,
en observant plus précisément, ils sont
aussi frappés par la disparité des pré-
sentations. La diversité porte sur l’in-
tensité des troubles, certains enfants
restant inintelligibles à plus de 9 ans,
d’autres étant intelligibles, même si
leur langage est altéré, dès 7 ans. Elle
porte aussi sur l’intensité des troubles
de compréhension et sur la proportion
relative des troubles phonologiques et
syntaxiques. Cela a amené certains
auteurs à proposer des classifications
en référence à des modèles adultes,
attitude discutée par d’autres. En pra-
tique, il existe deux formes très diffé-
rentes de dysphasies : l’une exception-
nelle, caractérisée par une atteinte
réceptive majeure réalisant au maxi-
mum une “agnosie verbale congéni-
tale”, et l’autre – de loin la plus habi-
tuelle – où l’atteinte expressive est
prédominante.
Évolution
L’évolution à long terme est peu
décrite dans la littérature car, malheu-
reusement, les études prospectives
longitudinales manquent. L’expérience
clinique souligne la variabilité de
l’évolution d’un enfant à l’autre, aussi
bien sur le plan du langage oral que
sur celui du langage écrit.
Le langage oral évolue toujours len-
tement, sans aucune stabilité dans les
acquisitions, mais diversement d’un
enfant à l’autre. Une étude, qui a
concerné 14 enfants dysphasiques sui-
vis longitudinalement de 6 ans à l’âge
adulte, souligne cette inégalité dans
l’évolution. Deux adultes, alors que
leur efficience non verbale mesurée à
plusieurs reprises était normale entre
6 et 9 ans, ont, à l’âge adulte, une défi-
cience intellectuelle globale avec un
QIP et un QIV inférieurs à 60. Tous
les autres ont, à l’âge adulte, une
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