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vec le développement des unités neurovasculaires et
l’arrivée d’un traitement très imparfait mais efficace,
la thrombolyse par le rt-PA, le traitement des infarctus
cérébraux a connu depuis quelques années une progression et un
intérêt considérables.
Néanmoins, l’expertise neurovasculaire reste confinée à quelques
unités qui ont la “masse critique” suffisante en personnel médical
et non médical pour assurer, 24 heures sur 24, la prise en charge
de l’attaque cérébrale au meilleur niveau. Le Diplôme inter-
universitaire neurovasculaire forme chaque année une trentaine
de spécialistes, ce qui est loin de satisfaire aux besoins considé-
rables du territoire français. Et, reconnaissons le tout de suite,
l’accès aux soins n’est pas équitable pour tous les Français, car il
n’est pas le même selon que l’on est pris en charge en USI-NV à
la Salpêtrière ou à l’hôpital d’Étampes ou de Fécamps.
Ainsi, en Île-de-France en 2003, il y a eu moins de 110 throm-
bolyses réalisées dans les 3 heures dans les 5 USI-NV existantes
(dont 74 dans 2 d’entre elles). Pourtant, l’enquête de la Société
française de neurologie vasculaire (SFNV) a mis en évidence que
50 % des patients d’Île-de-France arrivaient dans les 3 heures aux
urgences de l’hôpital de proximité.
Sur 25 000AVC par an, cela fait 12 000 patients qui arrivent à temps
et environ 6 000 sujets effectivement éligibles pour la thrombolyse.
Au cours des cinq dernières années, des expériences de télémé-
decine ont été lancées aux États-Unis, au Canada, en Allemagne
et même en France. Grâce à la visioconférence, une caméra
braquée sur le malade aux urgences, une autre sur le neurologue
expert à distance dans son USI-NV, une connexion numéris ou
Internet haut débit, et l’image se projette sur les deux écrans en
25 images par seconde. La conversation est possible, comme si
l’on était dans la pièce voisine, simplement séparés par une vitre.
L’examen du malade se trouvant aux urgences de l’hôpital d’É-
tampes ou de Fécamps est ainsi possible depuis la Salpêtrière, par
exemple, par le neurologue vasculaire de garde.
TÉLÉSTROKE
Aux États-Unis, dès 1999, les expériences se sont multipliées (1-5).
Elles montrent que le pourcentage de thrombolyse passe de 3,8 %
à 23,8 % grâce à la visioconférence (2). La durée de l’examen est
de 11 à 15 minutes en moyenne (3, 4). Dans ce numéro de La
Lettre du Neurologue, il y a bien d’autres expériences décrites,
notamment celle de Besançon, expérience pionnière de la télé-
médecine en France.
VALIDATION DU SCORE DU NIHSS À DISTANCE
PAR INTERNET
L’administration du score du NIHSS par télémédecine a été
validée par deux études de 20 patients chacune avec une corréla-
tion entre l’évaluation au lit du malade et l’évaluation par visio-
conférence respectivement de r = 0,9552, p < 0,0001 et r = 0,97,
p < 0,001 (6, 7).
TÉLÉ-AVC À BICHAT
Dans le cadre d’un PHRC, la démarche du réseau Télé-AVC a été
d’évaluer la sécurité d’emploi et l’efficacité de cette prise en
charge. En effet, les autres expériences se bornent à enregistrer
l’augmentation du nombre de thrombolyses, le risque hémorragique
et le pourcentage de guérison. Mais il n’y a pas de groupe contrôle.
En France, l’AMM n’autorise la thrombolyse en pratique que
dans les unités neurovasculaires. Nous avons donc choisi de com-
parer la prise de décision par télémédecine à la prise en charge
recommandée par l’AMM du rt-PA (figure) de façon à garantir
que le résultat de notre étude pourrait être généralisé.
Ainsi, lorsque le médecin urgentiste de l’un des 10 hôpitaux par-
ticipant à l’étude pense, après examen, que son patient est éligible
pour la thrombolyse, il appelle le centre de Bichat et, suivant une
Journée de télémédecine : téléneurologie
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La Lettre du Neurologue - vol. VIII - n° 10 - décembre 2004
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* Centre d’accueil et de traitement de l’attaque cérébrale,
hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris.
Télé-AVC
Tele Stroke
P. Amarenco*
Figure. Schéma du plan expérimental de l’étude Télé-AVC.
Enquête Société française neurovasculaire
Île-de-France : 40 % des patients vus aux urgences dans les 3 heures
“Transférer d’abord et traiter après
ou traiter d’abord et transférer après”
Usual care :
transfert immédiat en USI-NV
– 10 % arrivent dans les temps
pour la thrombolyse
– 90 % ne sont pas traités
Téléstroke :
– 80 % pourraient être traités après examen
neurologique par protocole Internet
– Thrombolyse sur site par l’urgentiste
– Puis transfert en USI-NV
La Lettre du Neurologue - vol. VIII - n° 10 - décembre 2004 355
liste de randomisation préétablie, le patient est inclus soit dans le
groupe AMM avec transfert immédiat et thrombolyse à l’arrivée à
Bichat (ce qui n’arrive que dans environ 10 % des cas), soit dans
le groupe télé-AVC. Le neurologue vasculaire de garde à Bichat
examine alors le patient par visioconférence, c’est-à-dire qu’il
vérifie le score du NIHSS, les critères biologiques d’inclusion,
les critères d’exclusion, et interprète le scanner cérébral.
Il valide ainsi ou non l’indication de thrombolyse portée par
le médecin urgentiste, et son opinion l’emporte. On estime ainsi
qu’après formation des médecins urgentistes, 80 à 90 % des
patients seront thrombolysés après un examen par télémédecine.
Ils seront ensuite transférés aussi vite que possible à Bichat grâce
à la collaboration des SAMU, pour que les deux groupes reçoivent
les mêmes soins de stroke unit durant le reste de la phase aiguë,
puis suivent la même filière de rééducation. Ainsi, seule la stra-
tégie de décision et l’absence ou non de transfert avant la throm-
bolyse seront différentes entre les deux groupes, et ce sera bien
l’impact de la télémédecine que l’on évaluera.
Le critère de jugement primaire portera sur la guérison à 3 mois
(Rankin 0-1) et le critère de tolérance sera le pourcentage d’hémor-
ragie intracrânienne symptomatique.
Pour vérifier nos hypothèses de départ, nous aurons besoin de
350 patients vus dans les 3 heures. Mais, comme il s’agit d’un
essai séquentiel, il est très possible qu’il puisse s’arrêter avant.
Si l’essai est positif, nous aurons montré que, comparativement à
l’AMM, il est possible de “transférer” la thrombolyse aux médecins
urgentistes sous couvert d’une vérification des critères d’inclusion/
exclusion par télé-expertise. Avec ce système, tout patient arrivant
dans un service d’urgences, quel que soit l’hôpital en France,
même le plus isolé, le plus petit, aura accès aux soins de throm-
bolyse dans les mêmes conditions et avec les mêmes bénéfices
que les autres.
On sait que la thrombolyse dans l’infarctus du myocarde a
vraiment “décollé” lorsque les cardiologues l’ont “passée” aux
urgentistes. La télémédecine devrait permettre aux neurologues
de faire la même chose dans de bonnes conditions de sécurité
d’emploi. C’est du moins l’hypothèse que nous souhaitons véri-
fier dans le projet Télé-AVC.
Au-delà de la thrombolyse, on peut bien entendu imaginer de
multiples autres applications dans le domaine neurologique, neuro-
chirurgical et plus généralement de médecine d’urgence.
LA SOLUTION POUR LES GARDES
NEUROVASCULAIRES 24 HEURES SUR 24 ?
La télémédecine pourrait aussi être une bonne optimisation de la
garde 24 heures sur 24 de certaines unités neurovasculaires. La
garde est nécessaire pour la thrombolyse, et bientôt pour le fac-
teur VII (Novoseven®), dans les 3 premières heures des hémor-
ragies cérébrales, mais aussi pour surveiller et traiter les malades
instables en soins intensifs. On sait bien cependant qu’il n’y a pas
de thrombolyse lors de chaque garde, ni même de patients dont
le cas s’aggrave à chaque fois. À Bichat, nous optimisons la garde
en donnant des avis aux urgences, ce qui permet une (souhai-
table) “seniorisation” de la prise en charge des urgences neuro-
logiques. Avec la télémédecine, dans le cadre de Télé-AVC, nous
sommes aussi de garde pour la thrombolyse dans 10 autres hôpi-
taux, ce qui est une réelle optimisation de la garde. On peut ima-
giner dans le futur que cela se fasse par contrat entre hôpitaux,
chaque USI-NV ayant ses hôpitaux contractuels.
Le bénéfice est évident pour les hôpitaux dépourvus de service
de neurologie sur place ; il ne l’est pas moins pour ceux qui en
ont un. En effet, ces hôpitaux souhaitent, en général, prendre en
charge les AVC dans une USI-NV, mais le problème insoluble
reste la garde et la disponibilité des neurologues du site 24 heures
sur 24. Il y a le problème de la nuit (et lorsqu’il y a 3 ou 4 PH, il
est bien difficile d’envisager une astreinte ou une garde sans
grandement altérer la qualité de vie, surtout que cela ne serait pas
pour 2 ou 3 ans mais pour la vie professionnelle entière), mais il
y a aussi le problème du jour. Le jour, on fait la visite, on est en
consultation, et l’on n’a pas toujours un PH disponible immédia-
tement (dans les 5 mn) pour les urgences. Lorsque l’on est en
consultation, il est difficile de tout arrêter et de dégager 3 heures
pour aller faire une thrombolyse (temps pour réaliser l’ensemble
de la prise en charge de thrombolyse en moyenne).
Ainsi, même pour les hôpitaux avec un service de neurologie et
une USI-NV, la contractualisation avec une USI-NVR qui possède
une garde 24 heures sur 24 peut permettre que les patients arrivant
aux urgences de ces hôpitaux soient thrombolysés par le médecin
urgentiste grâce à la télémédecine, puis transférés dans l’USI-NV
de cet hôpital. La télémédecine permet donc au neurologue local
de poursuivre sa consultation, sans avoir à l’interrompre pour
aller aux urgences et trombolyser le patient, d’être tenu au cou-
rant durant sa consultation tout en ayant participé à la décision
du traitement. Ainsi, en fin de consultation, il peut passer voir le
patient dans son USI-NV.
Dans une organisation idéale, certains des neurologues de ces
hôpitaux pourraient même participer à la liste de garde de télé-
médecine dans le cadre d’une “mutualisation” intelligente des
moyens humains.
Avec ce système, il y aurait zéro transfert et les patients avec AVC
seraient pris en charge à 100 % dans leurs hôpitaux de proximité,
sous réserve que ceux-ci soient équipés d’une USI-NV.
CONCLUSION
Les avancées de la communication et de l’échange en temps réel
des informations et des images doivent être utilisées et mises au
service du patient dans la perspective d’un égal accès aux soins
pour tous. La circulaire 2003-517 du 3 novembre 2003 de la
DHOS-DGS sur les unités d’urgences neurovasculaires a ouvert
la voie en indiquant que “toute unité de soins intensifs neuro-
vasculaires (devait) posséder son plateau de télémédecine”. Aux
agences régionales d’hospitalisation (ARH) d’appliquer la cir-
culaire et d’aider les cliniciens dans cette voie avec une vision
d’avenir dans ce domaine.
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