360 | La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010
ÉDITORIAL
Wyeth et Elan Pharmaceuticals lancent très rapidement un
essai thérapeutique multicentrique international. Après les
études de phase I commencées dès 2000, un essai de phase IIa
a inclus, à partir d’octobre 2001, 375 patients de stade léger ou
modéré (MMSE 15 à 26), 300 d’entre eux recevant 1 à 3 injec-
tions vaccinales d’AN-1792, qui est un composé du peptide
amyloïde Aβ42 (un des éléments pathologiques de la maladie
d’Alzheimer) agrégé et additionné d’un adjuvant. Seulement
3 mois plus tard, l’essai est interrompu devant la survenue de
4 cas de méningo-encéphalites. Au cours du suivi ultérieur,
14 autres complications identiques seront identifi ées (2). Les
rares études pathologiques autopsiques suggèrent l’impli-
cation de lymphocytes T dans ces méningo-encéphalites.
D’autres informations importantes ont été apportées par des
études post mortem des patients vaccinés par AN-1792 (3).
L’élimination ou la prévention des plaques amyloïdes est
corrélée aux taux d’anticorps anti-Aβ dans le sang, mais elle ne
semble pas déterminer la réponse clinique. Aucun effet favo-
rable n’a été observé sur les dégénérescences neuro fi brillaires
(lésions pathologiques les mieux corrélées avec la clinique)
ni sur l’angiopathie amyloïde cérébrale, qui peut même être
aggravée et accompagnée de microhémorragies corticales (4).
Malgré cet échec, le suivi à long terme a objectivé un effet
global favorable sur le déclin cognitif des patients vaccinés (5),
confi rmant l’intérêt potentiel des perspectives immuno-
thérapeutiques. L’ensemble des analyses consécutives à l’essai
AN-1792, malgré ses importantes lacunes concernant, en
particulier, le statut immunologique des patients, a conduit à
une stratégie claire pour les essais ultérieurs : il s’agit doréna-
vant de concevoir des traitements s’appuyant exclusivement
sur les anticorps anti-Aβ, évitant impérativement l’induc-
tion de réponses cellulaires T contre ce même peptide. Les
essais en cours consistent donc soit en un transfert passif
par voie périphérique (sanguine) d’un anticorps monoclonal
humanisé ciblant l’extrémité N-terminale d’Aβ, soit en une
immunisation active par un vaccin composé d’un fragment
court N-terminal d’Aβ conjugué à une séquence polypepti-
dique exogène ou à une particule pseudo-virale rendant ce
fragment immunogène.
Immunité et maladie d’Alzheimer :
que sait-on ?
L’idée d’un vaccin thérapeutique dans la maladie d’Alzheimer
part du concept de “soi dangereux” : la pathologie est
provoquée par l’accumulation d’une structure protéique
anormale contre laquelle on peut, bien qu’elle ne soit pas
étrangère à l’individu, induire une réponse immunitaire.
Deux types protéiques participent ainsi à la pathologie : le
peptide amyloïde Aβ, fragment de 40 à 42 acides aminés de
la protéine membranaire APP, qui s’agrège sous différentes
formes pour conduire à des dépôts fi brillaires extracellulaires,
et la protéine Tau, normalement associée aux microtubules,
qui, sous forme hyperphosphorylée, s’agrège à l’intérieur des
neurones pour former les dégénérescences neurofi brillaires
(DNF). Si les DNF sont plus directement corrélées aux mani-
festations de la maladie, leur localisation intracellulaire en
fait une cible a priori diffi cile pour une approche immuno-
thérapeutique adaptée. Aussi la plupart des études se sont-
elles focalisées sur le peptide Aβ, qui selon l’“hypothèse
amyloïde” (l’agrégation amyloïde du peptide Aβ serait le
principal événement à l’origine de la maladie) serait à l’origine
de la cascade d’événements physiopathologiques conduisant
à la neurodégénérescence.
Il est intéressant de noter que le système immunitaire n’est
pas aveugle aux manifestations pathologiques de la maladie
d’Alzheimer. De nombreuses études récentes démontrent en
particulier l’implication bénéfi que d’une partie des cellules
de l’immunité innée, recrutées à partir des monocytes du
sang (6). Mais la situation n’est pas simple car d’autres cellules
microgliales, celles qui résident dans le cerveau, ont semble-
t-il un rôle pro-infl ammatoire délétère. Une voie de recherche
évidemment pertinente consiste à orienter favorablement
le profi l effecteur de la microglie. Par ailleurs, des anticorps
anti-Aβ sont produits spontanément au cours de la maladie
d’Alzheimer et semblent interférer avec la formation des
plaques séniles ; s’il est aujourd’hui diffi cile de leur attribuer
un effet protecteur, du moins ces anticorps témoignent-ils
d’une réaction immunitaire adaptative, spécifi que du peptide
pathologique (7). Enfi n, l’existence d’une réponse immunitaire
cellulaire anti-Aβ a été clairement démontrée au cours de la
maladie d’Alzheimer, et elle pourrait infl uencer la survenue
et l’évolution des manifestations cliniques (8).
Quelles perspectives ?
La stratégie la plus simple pour éviter les complications surve-
nues lors du premier essai vaccinal AN-1792 consistait à éviter
tout risque d’induire une réponse cellulaire T contre le peptide
Aβ. Mais que reste-t-il alors des potentialités effectrices du
système immunitaire ? La mise en jeu d’anticorps seuls, soit
par vaccination contre un court fragment N-terminal du