Lire l'article complet

publicité
e n t r e t i e n
F. Woimant
Prise en charge des infarctus
cérébraux compliquant
une coagulation intravasculaire
disséminée d’origine néoplasique
J.-M. Olivot
Entretien
avec le Dr France Woimant*
■ J.-M. Olivot**
L
a coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) se caractérise par un emballement de la
cascade de la coagulation qui entraîne une consommation des facteurs de la coagulation, des
plaquettes et une génération excessive de thrombine (figure 1, p. 40). Elle expose ainsi à un double
risque ischémique et hémorragique. Cette complication est retrouvée dans le cadre de la pathologie
tumorale et peut être révélée par un infarctus cérébral. Alors que la revue de la littérature
n’apporte que peu d’éléments sur la conduite à tenir dans ce cadre nosologique particulier, nous
avons demandé à une neurologue vasculaire ayant une expérience clinique reconnue dans ce
domaine, madame le docteur France Woimant, responsable de l’unité de neurologie vasculaire de
J.-M. Olivot
l’hôpital Lariboisière, de répondre à nos questions.
* Unité de neurologie vasculaire,
hôpital Lariboisière, Paris.
** Service de neurologie et centre d’accueil
et de traitement de l’attaque cérébrale,
hôpital Bichat, Paris.
Jean-Marc Olivot : Sur le plan épidémiologique, quelle est la fréquence des infarctus
cérébraux dans le cours évolutif des cancers et
quels types de cancer doit-on rechercher plus
particulièrement ?
France Woimant : Dans une importante série
anatomopathologique publiée en 1985 par
Graus et al., environ 15 % de patients décédés
de cancers présentaient des lésions vasculaires
cérébrales ; celles-ci étaient aussi fréquemment ischémiques qu’hémorragiques. Les accidents ischémiques cérébraux ne sont toutefois
symptomatiques cliniquement que dans moins
de 5 % des néoplasies. Seulement la moitié des
infarctus cérébraux, dans ce contexte, est liée à
une CIVD ou à une endocardite non bactérienne. Il existe, en effet, de nombreuses autres
causes d’accidents vasculaires cérébraux chez
les patients ayant une néoplasie ; ce sont :
– les rares embolies tumorales ;
– les anévrysmes oncotiques ;
– les hémorragies intratumorales ;
– les hématomes sous-duraux et les thromboses veineuses cérébrales compliquant les
métastases méningées ;
Correspondances en neurologie vasculaire - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2001
– les artérites infectieuses (bactériennes ou
fongiques) ;
– les angiopathies iatrogènes (chimio- et radiothérapie).
Quant à l’incidence des infarctus cérébraux au
cours de CIVD néoplasiques, elle est difficile à
déterminer. En effet, si le diagnostic de CIVD
est porté sur les paramètres biologiques, l’incidence est extrêmement faible ; en revanche, si
le diagnostic est anatomopathologique, le cerveau est l’organe le plus souvent impliqué. Les
infarctus compliquent essentiellement des
CIVD chroniques sans anomalie biologique
sévère et donc de diagnostic difficile de vivo.
L’incidence des infarctus liés à une CIVD néoplasique est donc très largement sous-estimée.
Dans la littérature, les affections malignes
principalement associées à une CIVD sont les
leucémies, les lymphomes, les adénocarcinomes mammaires et du tube digestif.
Dans mon expérience, les cancers les plus fréquents sont ceux de l’ovaire (à rechercher
de première intention chez la femme),
les adénocarcinomes pulmonaires et digestifs
39
e n t r e t i e n
(fréquemment pancréatiques), puis les cancers
prostatiques. Un point important à souligner
est le fait que les CIVD chroniques ne compliquent pas uniquement des cancers évolués ;
elles peuvent être révélatrices, par le biais d’un
infarctus cérébral, de tumeur non évidente cliniquement et non métastasée, et dont l’exérèse
chirurgicale pourra être complète.
J.-M.O. : La CIVD se traduit par des anomalies
multiples du bilan d’hémostase parfois discrètes. Quelles anomalies retrouvées sur un
bilan usuel (numération plaquettaire, TP, TCA,
fibrinogène) peuvent orienter le clinicien vers
ce diagnostic ? Quels sont alors les examens
complémentaires à demander pour confirmer
ce diagnostic ? Enfin, la recherche d’une endocardite marastique par une échographie cardiaque fait-elle partie du bilan systématique ?
F.W. : Le diagnostic biologique des CIVD associées aux infarctus cérébraux n’est pas toujours facile ; il s’agit, en effet, le plus souvent
de coagulopathies subaiguës et compensées.
Trois tests réalisés au cours de tout bilan d’hémostase peuvent classiquement témoigner
d’une CIVD : c’est la diminution du chiffre de
Surexpression du FT
FT
Défaillance
des anticoagulants naturels
Inhibition
de la fibrinolyse
↓ Inhibiteur FT (TFPI)
PAI-1
+
VIIa
Cascade
coagulation
↓ Système protéine C
↓ Antithrombine III
Thrombine IIa
Activateurs
plasminogènes
Fibrinogène
Fibrine
PDF,
D-dimères
Activation
Agrégation plaquettaire
Figure 1.
40
plaquettes, du taux de prothrombine et du
fibrinogène. Mais ces tests peuvent être normaux chez les patients souffrant de cancers
pour plusieurs raisons :
– le syndrome inflammatoire habituel au cours
des néoplasies occasionne en général une
thrombocytose et une hyperfibrinémie qui peuvent masquer les anomalies biologiques de la
CIVD ;
– ces CIVD sont subaiguës, et l’organisme synthétise suffisamment de facteurs de la coagulation (en particulier de fibrinogène) pour
compenser leur consommation ;
– les fluctuations du bilan biologique sont fréquentes au cours de ces CIVD ; le bilan peut être
anormal lors de la constitution de l’accident
ischémique cérébral et se normaliser spontanément en 24 heures, d’où l’importance de réaliser
le bilan biologique précocement après l’événement thrombotique et de savoir le répéter.
Un test biologique a un intérêt fondamental : il
s’agit du dosage des produits de dégradation de
la fibrine (PDF ou D-dimères) ; leur présence
témoigne de la lyse de caillots de fibrine. Les
D-dimères ne sont pas spécifiques des CIVD et
peuvent être positifs à la phase aiguë d’un
infarctus cérébral ou lors dune thrombose veineuse, mais à des taux relativement modérés.
Au cours des CIVD néoplasiques, le taux des
D-dimères est extrêmement élevé (de 5 à 20 fois
la normale) et reste stable en l’absence de traitement anticoagulant ou d’exérèse tumorale.
Les anomalies biologiques qui doivent alerter
le clinicien et faire demander un dosage de
PDF ou de D-dimères sont une hypofibrinémie
(en général modérée), un taux de prothombine
inférieur à 70 %, et un taux de plaquettes inférieur à 150 000 lors de la survenue d’un infarctus cérébral. Une normalisation rapide de ces
différents paramètres au décours de l’infarctus
est également très évocatrice de CIVD. Chez
un patient ayant une néoplasie connue, la
régression transitoire et concomitante d’un
événement thrombotique du syndrome inflammatoire est très suspecte de CIVD.
Une endocardite thrombotique non bactérienne est souvent associée à une CIVD, les
amas fibrino-plaquettaires se déposant sur les
valves cardiaques. Mais, elle n’est pas
constante. Les végétations valvulaires, le plus
souvent petites (3 à 15 mm), siègent essentiel-
Correspondances en neurologie vasculaire - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2001
e n t r e t i e n
lement sur la valve mitrale mais peuvent
atteindre plusieurs valves. La présence d’une
CIVD doit faire réaliser une échographie par
voie œsophagienne à la recherche de végétations. Leur visualisation est toutefois difficile,
et une échographie normale ne saurait éliminer une endocardite marastique.
J.-M.O. : Inversement, existe-t-il un tableau clinique et radiologique évocateur justifiant la
réalisation de ce bilan spécifique devant un
bilan d’entrée normal ?
F.W. : La CIVD peut être à l’origine d’occlusions
d’artères de moyen calibre (même en l’absence
d’endocardite) ou de petites artères. Aussi le
diagnostic de CIVD paranéoplasique doit-il
être évoqué devant tout infarctus cérébral,
dont l’étiologie reste indéterminée, devant des
infarctus multiples touchant différents territoires artériels (figure 2) ou devant un
tableau d’encéphalopathie diffuse d’évolution
rapide (confusion, désorientation, stupeur)
associée ou non à des signes focalisés (infarctus multiples sous-corticaux). L’association à
d’autres manifestations thrombotiques est également très évocatrice : fluctuations tensionnelles en rapport avec des infarctus rénaux,
thromboses veineuses récidivantes avec embolies pulmonaires, acrocyanose.
Figure 2.
Intervention chirurgicale
250 000
Ischémie sylvienne
droite
300 000
Embolie pulmonaire
350 000
Tumeur vésiculaire
diagnostiquée
Ischémie sylvienne
gauche
taux de
plaquettes
Thrombose veineuse MI
J.-M.O. : Certains auteurs recommandent l’introduction d’un traitement anticoagulant pour
limiter les complications thrombotiques de la
200 000
CIVD. Quelle est votre attitude vis-à-vis de ce
traitement et vos recommandations concernant son maniement ?
F.W. : Dans mon expérience, l’héparinothérapie
(300 à 500 unités/heure) permet le plus souvent
la correction des anomalies biologiques (normalisation du TP, du taux de fibrinogène et de plaquettes et diminution du taux de PDF ou de
D-dimères). Mais ce traitement ne prévient pas
efficacement les récidives d’accidents ischémiques artériels ou veineux. Les héparines de
bas poids moléculaire peuvent également être
prescrites en alternative de l’héparine classique.
J.-M.O. : Comme pour la plupart des complications paranéoplasiques, le traitement de la
pathologie tumorale améliore-t-elle le pronostic neurologique des patients ? Quelles sont,
selon vous, les précautions à prendre lors de
l’instauration d’un traitement spécifique (chirurgie, radiothérapie ou chimiothérapie) ?
F.W. : Le traitement de la tumeur est le seul
traitement efficace de la CIVD chronique liée
au cancer. L’exérèse chirurgicale de la tumeur
doit être la plus complète possible, d’où l’importance de diagnostiquer le cancer dès la première manifestation ischémique. Lors du traitement chirurgical, la mobilisation de la masse
tumorale peut entraîner la libération de substances procoagulantes et être à l’origine de
manifestations ischémiques. Nous avons donc
pris l’habitude de demander aux chirurgiens
d’opérer ces patients sous petites doses d’héparine, ce qui a diminué la survenue de complications ischémiques per- ou post-chirurgie ;
des survies très prolongées peuvent alors être
observées. La récidive du cancer, même tardive
(dans un de nos cas trois ans plus tard), a été
annoncée par une récidive de la CIVD et un
accident thrombotique.
L’observation suivante illustre l’évolution clinique et biologique des CIVD chroniques d’origine cancéreuse (figure 3).
150 000
RÉFÉRENCES
100 000
50 000
0
héparine AVK
héparine
isocoagulante
20/12 25/12 1/3 20/3
27/3 30/3
héparine
hypocoagulante
5/4
14/4
Figure 3. Évolution du taux de plaquettes chez une femme de 52 ans présentant une CIVD subaiguë
secondaire à un adénocarcinome vésiculaire.
Correspondances en neurologie vasculaire - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2001
∑◆ Graus F, Rogers L, Posner JB. Cerebrovascular
complications in patients with cancer. Medicine 1985 ;
64 : 16.
◆ Woimant F, Moulinier L, Le Coz P et al. Accidents
ischémiques cérébraux et coagulation intravasculaire
disséminée chronique d’origine cancéreuse. Rev Neurol
1988 ; 144 : 120-4.
41
Téléchargement