L Neurotoxicité de la dépression et altérations mnésiques A

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La Lettre du Psychiatre - Vol. IV - n° 6 - novembre-décembre 2008
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Volume de l’hippocampe (mm/3)
2 000
1800
1 600
0500 1 000 1 500 2 000
Durée de la dépression (jours)
2 500 3 000 3 500 4 000
Figure 1.
La diminution du volume de l’hippocampe est corrélée aux antécédents dépressifs (2).
Neurotoxicité de la dépression et altérations mnésiques
résiduelles : l’étude ACTUEL II1
 Y. Le Strat*
L
es troubles mnésiques sont parti-
culièrement fréquents chez les
patients souffrant de dépression
et sont en partie liés à des dysfonctionne-
ments de l’hippocampe (1). En effet, ces
patients présentent une atrophie hippo-
campique, liée aux effets neurotoxiques
de la dépression, vraisemblablement via le
stress. De plus, l’atrophie hippocampique
est proportionnelle à la durée totale d’ex-
position à la dépression non traitée (2).
En d’autres termes, plus les sujets sont
exposés à une dépression non traitée,
plus la taille de l’hippocampe est réduite.
Les implications neuropsychologiques
de cette atrophie restent cependant mal
connues, notamment en termes de capa-
cité mnésique.
En effet, les troubles mnésiques ont long-
temps été considérés comme un symp-
tôme de l’état dépressif, puisque, une fois
euthymiques, les patients n’ont plus de
troubles de la mémoire. Faire le pont entre,
d’une part, l’atrophie de l’hippocampe, que
seules l’IRM structurale de haute défini-
tion ou l’imagerie fonctionnelle peuvent
révéler, et, d’autre part, les troubles mnési-
ques (souvent déterminés en se fondant
sur des tests neurocognitifs complexes
et spécialisés) et, enfin, la clinique de la
dépression est particulièrement difficile.
Et si un tel lien existe, il devrait pouvoir
être repéré dans la pratique clinique de
tous les jours.
Dans un récent travail français,
ACTUEL II, publié dans le prestigieux
American Journal of Psychiatry, le Pr
Philip Gorwood et al. ont récemment
proposé d’évaluer de manière simple les
fonctions mnésiques de patients déprimés,
et fait l’hypothèse que ces fonctions sont
altérées par le nombre et la longueur des
épisodes dépressifs passés, qui jouent
ainsi le rôle de témoins indirects d’une
cicatrice” hippocampique (1).
Philip Gorwood a ainsi coordonné le
travail d’un réseau de médecins de ville,
de psychiatres et de généralistes, et
évalué les fonctions mnésiques de plus de
8 000 patients consultant pour dépression,
dont l’état a été réévalué après 6 semaines
de traitement antidépresseur. Les troubles
cognitifs étaient évalués sur la base du
simple rappel d’une histoire courte lue
par le clinicien, évaluant ainsi la mémoire
narrative différée.
Philip Gorwood et al. ont montré, par
l’utilisation de modèles biostatistiques
simples, qu’au cours de l’épisode dépressif
le nombre d’épisodes pressifs anté-
rieurs na pas d’impact sur les fonctions
mnésiques. En revanche, les antécé-
dents dépressifs du patient prédisent
une altération mnésique au moment de
l’euthymie, c’est-à-dire 6 semaines plus
tard. En d’autres termes, l’évaluation
des troubles mnésiques au cours d’un
épisode dépressif est contaminée par les
symptômes dépressifs. La motivation,
l’intérêt et la concentration sont altérés
et ne permettent pas l’accès aux fonctions
mnésiques spécifiques. Au moment de la
rémission, ces fonctions mnésiques sont
bien directement corrélées aux antécé-
dents dépressifs (figure 1).
RéféRences BiBliogRaphiques
1. Gorwood P, Corruble E, Falissard B, Goodwin GM.
Toxic effects of depression on brain function: impair-
ment of delayed recall and the cumulative length of
depressive disorder in a large sample of depressed
outpatients. Am J Psychiatry 2008;165(6):731-9.
2. Sheline YI, Sanghavi M, Mintun MA, Gado
MH. Depression duration but not age predicts
hippocampal volume loss in medically healthy wo-
men with recurrent major depression. J Neurosci
1999;19(12):5034-43.
1 Cet article a été réalisé avec le soutien de Ardix Médical.
* Inserm, unité 675, faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris.
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12,0
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Nombre de personnes
11,0
10,5
10,0
01 2
Nombre d'épisodes antérieurs
3 ≥ 4
Figure 2.
Laltération des
fonctions mné-
siques hippo-
campiques est
corrélée aux
antécédents
dépressifs (1).
Dr Yann Le Strat : Professeur Gorwood,
vous avez coordonné l’étude ACTUEL II,
récemment publiée dans l’American
Journal of Psychiatry. L’une des questions
générées par ce travail est la possibilité de
prévenir cette atrophie hippocampique
et ses conséquences cliniques par une
prise en charge thérapeutique précoce et
adaptée. Pensez-vous que cette prévention
soit possible ?
Pr Philip Gorwood : l’étude ACTUEL II
confirme l’altération des fonctions
mné siques au cours de la dépression,
et son amélioration après traitement.
Surtout, elle montre que les troubles
mnésiques résiduels sont en grande
partie liés aux antécédents dépressifs, en
particulier à la durée totale d’exposition
à la dépression et au nombre d’épisodes
dépressifs au cours de la vie. Ces données
apportent un support clinique fort aux
données d’imagerie d’Yvette Sheline
montrant une corrélation inverse entre
la taille de l’hippocampe et la durée d’ex-
position à la dépression (2). Notre travail
et les données d’Yvette Sheline (figure 2)
convergent donc ; ils suggèrent que la
dépression peut avoir des effets neuro-
toxiques sur l’hippocampe et que cette
neurotoxicité se traduit cliniquement
par des troubles mnésiques. La prise en
compte de la dépression et son traitement
précoce permettront probablement de
diminuer sa toxicité. La neuroprotection
va devenir un enjeu thérapeutique majeur
des prochaines années.
Les articIes publiés dans “La Lettre du Psychiatre” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.
Imprimé en France - Axiom Graphic SAS - 95830 Cormeilles-en-Vexin - Dépôt légal à parution - © Mars 2005 - EDIMARK SAS.
Est routé avec ce numéro un Infos poster Actualité dépression sévère” (8 pages)
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